La Fleur d’Or/Les Nymphes et les Fées

La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 132-134).


Les Nymphes et les Fées


I


Fille d’une Suissesse et d’un père Écossais,
Née au bord de l’Ellé quand, moi, je grandissais,
Nos trois payS rivaux, Suisse, Écosse, Bretagne,
Ont soufflé dans ton cœur l’air frais de la montagne ;
Lorsque tes grands yeux clairs brillent si doucement,
On pense à l’eau d’azur qui roule au lac Léman ;
Il est, près de la Clyde, il est sur la colline
Un bouleau, jeune aussi, que chaque brise incline ;
Ton front prêt à rougir sitôt qu’on a parlé,
C’est la fleur rose au bord du fleuve Ellé.

J’ai vu, j’ai vu passer les nymphes et les fées,
Blanches filles de l’Ouest, brunes filles du Sud ;
Je compterais plutôt les vagues de Ker-Lud[1],
Ou les brises du soir dans Sorrente étouffées.

 

II

 
Je fus comme ébloui lorsque, dans Procida,
Un soir je vis entrer Maria-Agatha,
Pour me faire admirer, fille encore enfantine,
Sur son corset doré sa rohe levantine :
De peur de trop la voir je détournai les yeux.
Mais quel air de chrétienne, oh ! quel air sérieux,
Quand, passant au milieu d’une belle jeunesse,
Le dimanche matin elle vint de la messe !
Ce charmant souvenir dans mon ame est resté,
Marie-Agathe, et mes vers l’ont chanté.

J’ai vu, j’ai vu passer les nymphes et les fées.
Blanches filles de l’Ouest, brunes filles du Sud ;
Je compterais plutôt les vagues de Ker-Lud,
Ou les brises du soir dans Sorrente étouffées.

III

 
Comme je traversais le ruisseau de Ker-lorh,
Anna, sur un talus semé de boutons d’or,
Joyeuse et s’enivrant de la belle nature,
Chantait le mois d’avril et chantait la verdure.
Pour boire au clair ruisseau s’arrêta mon cheval,
Et j’aspirai la voix pure comme un cristal.
Je ne m’étonne plus, fille heureuse de vivre,
Si Loïc, votre clerc, s’ennuie avec son livre,
Et si, quand vous chantez seule parmi les fleurs,
Sur son cahier on voit tomber ses pleurs.


J’ai vu, j’ai vu passer les nymphes et les fées,
Blanches filles de l’Ouest, brunes filles du Sud ;
Je compterais plutôt les vagues de Ker-Lud,
Ou les brises du soir dans Sorrente étouffées.

 

POUR Mlle HÉLÈNE SCHOUVALOFF

Naples, dans cet air tiède oubliant les hivers,
Une vierge du Nord vint aussi sur ta grève,
Sorrente, elle a passé sous tes feuillages verts.
Et plus d’un aujourd’hui, plus d’un évoque en rêve
La douceur de ses yeux, la douceur de ses vers.


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  1. Ville du roi Lud (Londres).