La Fleur d’Or/Le Chant de la Coupe

La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 181-182).


Le Chant de la Coupe


Dans ma chaumière, un soir, prés d’un grand feu de lande,
Je rêvais ; des amis faisaient cercle ; et voilà
Que, soulevant ma tasse, un des chefs de la bande
Ainsi, pour dissiper mes rêves, me parla :

« Aime ton humble coupe. Elle est de buis, qu’importe !
Le buis solide et dur te sied, chanteur breton ;
Et sur le pied d’étain qui l’orne et la supporte,
Dans un double idiome on peut lire ton nom.

« Vois, nul encor n’a bu dans la coupe celtique.
Toi-même la creusas de tes pieuses mains.
Evoquant, évoquant les Esprits d’Armorique
Depuis prés de mille ans couchés sous les dôl-mens.

« Tous se sont éveillés ! Mélodieuse troupe,
Ils sont venus à toi comme des échansons ;
Et voici qu’enivrés aux vapeurs de ta coupe,
Sur les bords de Cornouaille ils versent tes chansons.


« Ils nous versent l’amour des coutumes rustiques,
Le bonheur d’aller fiers sous d’immenses cheveux,
D’avoir un parler pur entre les plus antiques
Qu’il faut transmettre pur à nos derniers neveux.

« Oui, tes chants ont dit vrai : Les bruyères sont belles,
Nos yeux s’ouvrent plus grands aux aspects du pays,
Plus fervents nous prions sur le sol des chapelles,
Nous allons plus joyeux sous l’ombre des taillis.
 
« Ô poète rustique ! ô poète sincère !
Sois heureux de ta coupe et redis en tout lieu
Ce vers qui soutiendra souvent notre misère :
« Aimons notre pays et surtout aimons Dieu !… »

« Et puis, il t’en souvient, si, bravant ton étoile.
Tu l’emplissais de vin rafraîchi dans l’Ellé,
Une vierge était là plus blanche que son voile,
Et cette belle enfant te disait consolé.

« Aime ton humble coupe, et de vin ou de cidre
Emplis-la jusqu’aux bords pour noyer tes douleurs ;
Si les flots fermentes laissent surnager l’hydre,
Alors, les yeux au ciel, bois ton fiel et tes pleurs. »
 
Et moi je répondis : « Tes discours, ô Jérôme,
Sont un miel savoureux qui pénètre le coeur ;
En creusant tes sillons si tu chantes, jeune homme,
Tes grands bœufs fatigués reprennent leur vigueur ! »