La Femme et le Féminisme avant la Révolution/I/6

Éditions Ernest Leroux (p. 181--).

CHAPITRE VI
LA FEMME DU PEUPLE
i. Les femmes dans les corporations avant 1774. — ii. Les femmes dans la grande industrie. — iii. Les Édits de 1776 et de 1777 et la place des femmes dans la vie corporative. — iv. Essais d’instruction professionnelle. — v. Une catégorie d’ouvrières : les marchandes de mode. — vi. La vie des ouvrières. — vii. Les actrices. — viii. Métiers féminins autres que les métiers manuels. Fonctions bureaucratiques. — ix. Les sages-femmes. La direction des hôpitaux. — x. Les domestiques. — xi. Galanterie et prostitution. — xii. Les paysannes, leur vie matérielle. Leur rôle dans la communauté villageoise, leur vie morale. — xiii. L’esprit public féminin. — xiv. Encouragements à la maternité.
Le peuple des villes. Conditions générales du travail féminin

Lorsqu’on considère l’activité assez grande, nous l’avons vu, déployée par la femme de la noblesse et par celle de la bourgeoisie dans le commerce et l’industrie, on n’est pas étonné de voir la femme du peuple, elle aussi, tenir dans la vie économique, professionnelle de la France du xviiie siècle une place considérable. C’est là un fait important et qui, jusqu’ici, n’a pas semblé attirer autant qu’il le mérite l’attention des historiens. On s’imagine volontiers, en effet, et c’est là une des idées les plus communément admises, que le développement du travail féminin date, en France comme dans les autres pays, des débuts de l’ère de la grande industrie, c’est-à-dire du xixe siècle seulement, et qu’auparavant le travail des femmes, même dans la classe pauvre, était non la règle mais l’exception.

En réalité, si l’on recherche quelles sont les causes profondes qui, en dehors de la transformation industrielle, ont fait qu’aux différentes époques une nécessité aux femmes du peuple de ne pas s’en remettre au mari seul du soin d’entretenir le ménage et de gagner elles-mêmes leurs vie, on s’apercevra que la plupart d’entre elles existent au xviiie siècle déjà, et se réunissent pour pousser, toujours plus nombreuses, les femmes au travail.

Tout d’abord, l’exercice de la maîtrise d’un métier qualifié est à la fois une charge, une propriété et un privilège, La femme hérite de cette propriété, de cette charge, de ce privilège, sous certaines conditions.

Toutes ou presque toutes, les veuves de patrons, de maîtres, suivant l’expression de l’époque, sont donc amenées à exercer le métier tenu avant elles par leurs maris ou, du moins, à participer à son exercice par la surveillance, le contrôle qui leur est attribué sur celui auquel elles viennent de céder l’atelier ou la boutique de leurs maris.

D’autre part, la grande cause de l’entrée de la femme dans l’industrie a été de tout temps l’insuffisance du salaire marital. Ce qui est vrai au xixe siècle ou au début du xxe l’est, à plus forte raison, au xviiie. Peut-être relativement plus élevés qu’au milieu du xixe siècle, si on a égard au prix de la vie, les salaires des ouvriers étaient cependant insuffisants pour leur permettre de faire vivre une famille. Sans doute s’apitoie-t-on beaucoup moins alors sur la misère de l’ouvrier que sur celle des paysans, pour laquelle les philosophes réservent toute leur sympathie, et aucun écrivain ne signale-t-il expressément que la femme travaille pour augmenter le salaire familial. C’est là, cependant, chose de toute évidence, et, du nombre des femmes qui travaillent dans toutes les branches de l’activité économique, nous devons conclure qu’il ne s’agit pas de quelques isolées, mais de la masse des femmes du peuple qui fut, de par les conditions économiques de l’époque, contrainte à contribuer pour sa part à l’entretien de la famille, soit en aidant le mari dans l’exercice de son métier, soit en en exerçant un autre.

Il y a cependant, comme au xixe siècle, des isolées, filles de la campagne attirées par la grande ville, veuves, vieilles filles, filles séduites et abandonnées. Pour celles-là, « femmes seules » et qui ne peuvent compter sur le secours de l’homme, le travail est une absolue nécessité et, avec une plus dure rigueur que jamais, pour elles, le dilemme se pose : travailler ou mourir de faim.

D’ailleurs, si un grand nombre de femmes sont dans la nécessité impérieuse de trouver du travail, les besoins économiques, toujours croissants depuis le xvie siècle, exigent le travail féminin dans la plupart des régions où commence à se développer la grande industrie : Amiens et la campagne picarde, Lyon, Paris, le Languedoc, la Normandie. La population masculine apparaît comme ne pouvant à elle seule fournir toute la main-d’œuvre nécessaire au développement d’importants établissements industriels. Nous voyons, en effet, dans certaines de ces régions, les patrons solliciter des autorités locales, intendants ou subdélégués, et ceux-ci, à leur tour, des curés, une propagande pour le recrutement d’une main-d’œuvre féminine. Au xviiie siècle comme au xixe, la formation d’une armée industrielle féminine fut donc l’une des conditions nécessaires de l’organisation de la grande industrie.

Enfin, au xviiie siècle, comme à toute autre époque, les aptitudes, propres à la femme et à la femme française en particulier, la destinent à tenir dans certaines industries une place prépondérante. Toute son habileté manuelle et surtout son bon goût, furent nécessaires aux industries de la mode et de la couture, à toutes celles qui doivent contribuer à la parure féminine ou masculine et surtout à la fabrication des innombrables colifichets où triomphe le génie français. Aujourd’hui, les industries de luxe, qui trouvent une si large place dans l’économie nationale, relèvent avant tout de la main-d’œuvre féminine. Or, tous les historiens le constatent, les contemporains en témoignent et de nombreux exemples nous permettent encore de le vérifier, le goût, le besoin du luxe font, au xviiie siècle, des progrès immenses. Non seulement la femme noble, la riche marchande prennent plus de souci de leur parure qu’elles ne le firent jamais, mais la petite bourgeoisie, l’ouvrière des villes, la paysanne l’imitent. Les robes sont plus nombreuses, le linge plus abondant, la coiffure plus variée et le costume masculin lui-même, avec ses dentelles, ses rubans, ses passementeries et ses galons, et les mille ornements qu’y ajoutent le caprice de la mode nécessite pour bien des détails de sa fabrication, la main de l’ouvrière. Enfin, l’industrie de luxe française, celle de la mode en particulier, commence à conquérir le monde. La demande de l’étranger est donc grande. Pour y satisfaire, il faut employer les femmes en nombre sans cesse croissant. Toutes ces causes, les unes humaines et qui ont leur effet à toute époque, les autres particulières au siècle que nous étudions, expliquent l’importance du rôle de la femme dans la vie économique.

i. Les femmes dans les corporations de métiers avant 1776

À la veille des réformes de Turgot, la vie professionnelle reste organisée suivant les cadres qu’a tracés le moyen-âge. Lorsqu’au xiiie siècle, saint Louis et le prévôt des marchands de Paris, Etienne Boileau, réorganisèrent les corps de métiers, il n’existait que quelques corporations exclusivement féminines (filanderesses à grands et à petits fuseaux, tisserandes de soie, linières), et, en outre, des corporations mixtes (chauciers, patenôtriers), où les femmes étaient admises et pouvaient exercer la maîtrise.

Au xviiie siècle, comme au xiiie siècle, rares sont les corps de métiers exclusivement féminins. À Paris, seules les couturières, les filassières, les lingères, les bouquetières, sont de ce nombre[1]. Dans les provinces, ce sont à peu de chose près les mêmes corps de métiers qui nous apparaissent comme exclusivement féminins. Ces corporations ont leurs chartes, les unes sont de date fort ancienne (celles des lingères remonte à 1485), les autres plus récentes. Tel est le cas, par exemple, de celle des couturières, dont la corporation ne fut organisée qu’en 1675. Ces corporations féminines semblent assez nombreuses si l’on juge par le nombre de maîtresses que chacune comportait. Au milieu du xviiie siècle, on compte à Paris cinquante maîtresses filassières seulement, mais huit cents maîtresses lingères et quinze cents maîtresses couturières[2]. Sans doute chacune de ces maîtresses n’est pas à la tête d’un très nombreux personnel. Chacune d’entre elles a cependant plusieurs ouvrières ou apprenties. Telle importante maison, d’ailleurs, comme celle de Mme Bertin, la marchande de modes de Marie-Antoinette, comptera jusqu’à trente ouvrières. Les deux importantes corporations des lingères et des couturières de la capitale comptent donc chacune plusieurs milliers de femmes.

Dans les provinces, le nombre des ouvrières couturières ou lingères est moins grand. Cependant, non seulement la plupart des villes importantes, Lyon, Rouen, Rennes, Orléans, mais encore un très grand nombre de petites villes, Annonay, Coutances, Charleville, possèdent des maîtresses lingères et couturières[3]. Dans telle ville il est vrai (Coutances), les couturières forment une corporation mixte avec les tailleurs d’habits[4]. Dans une importante cité comme Caen, on ne trouve aucune corporation exclusivement féminine[5]. Mais quelques-unes des maîtresses couturières d’Orléans sont à la tête de douze apprenties[6].

Les villes où ne se trouve aucun corps de métier féminin sont une exception. Et d’autre part, dans un certain nombre de villes, on trouve à côté des corps des principaux métiers féminins, à Rouen par exemple, les brodeuses en tabelle, bonnetières en étoffes, enjoliveuses de chefs[7], à Dijon, les revendeuses d’huile et les revendeuses à la toilette[8].

Ces corporations féminines sont organisées à l’image des corporations masculines.

Pour pouvoir en faire partie, il faut avoir fait trois ou quatre ans d’apprentissage et payer des droits qui varient de vingt à trente livres. Dans la plupart des villes, la maîtresse, rigoureusement fermée, n’est accessible qu’aux filles de maîtresses qui doivent payer un droit assez élevé : cent soixante-quatorze livres, pour les maîtresses couturières, six cents livres, pour les maîtresses lingères[9]. Comme les corporations masculines, les corporations féminines élisent leurs jurées, chargées de la « garde du métier » et pourvues, pour les questions professionnelles, d’une certaine compétence judiciaire.

Un arrêt du Parlement de 1645 décide que la jurande des lingères sera composée de deux maîtresses : une fille, une mariée[10]. L’édit de 1675, organisant la corporation des couturières, institue un corps électorat composé de quatre-vingts maîtresses chargées d’élire dix jurées élues pour deux ans et renouvelables par moitié chaque année.

Les corporations féminines n’avaient pas réussi à se créer et à se maintenir sans avoir à triompher de la mauvaise volonté des corporations masculines qui exerçaient des métiers analogues. Les tailleurs d’habits avaient longtemps empêché la formation de la corporation des couturières ; pendant longtemps ils n’avaient pas voulu admettre que celles-ci eussent le droit de fabriquer autre chose que des vêtements de dessous, se réservaient jalousement le monopole de la confection des corps de jupe ou corsages. Il n’en est plus ainsi au xviiie siècle car, à Paris et dans la plupart des villes de province, des accords se sont établis, entre les deux communautés[11]. Cependant, dans quelques villes encore, à la veille de la Révolution, les tailleurs d’habits gardent leur monopole et les couturières, au lieu de former une communauté autonome, sont agrégées à leur communauté. Il en est ainsi à Dijon, à Coutances[12] et dans toutes les localités importantes d’Auvergne où, nulle part, n’existe de corporation féminine autonome[13].

De leur côté, les fripiers protestaient contre l’établissement du corps des revendeuses à la toilette, les merciers de Rouen étaient en contestations continuelles avec les maîtresses brodeuses, auxquelles ils faisaient une concurrence acharnée et à qui celles-ci devaient faire interdire d’enjoliver, à l’encontre de leur privilège, les ouvrages de leur métier[14].

Si les corporations exclusivement féminines restent l’exception, les corporations mixtes qui admettent indistinctement les hommes et les femmes sont extrêmement nombreuses. Parmi celles-ci, il faut citer les drapiers, les tisserands, les grainiers (Rouen, Paris), les passementiers (Paris, Tours, Clermont), les cabaretiers (Tours, Orléans), les tonneliers (Nîmes), les tailleurs (Coutances, Angoulême, Dijon), les boulangers (Orléans, Paris), les merciers (Paris, Caen), les poissonniers (Paris, Dijon), les imprimeurs (Paris, Orléans, Caen), les limonadiers (Caen), les maçons (Apt), les corroyeurs (Annonay), les orfèvres (Lyon), les chaudronniers (Orléans), les charcutiers.

Dans telles villes comme Orléans, Caen, Paris, la plupart des corps de métiers (boulangers, chapeliers, chaudronniers, charrons, tourneurs, vinaigriers, moutardiers, etc.) sont ouverts aux femmes[15].

Dans quelles conditions ? Le plus souvent, les femmes entrent dans ces corps de métiers divers comme successeurs et héritières de leurs maris. Un très grand nombre d’ordonnances royales, d’arrêts des Parlements, sanctionnés par les règlements intérieurs des diverses corporations, prévoient la possibilité pour les veuves de maîtres de succéder dans l’exercice de leur fonction à leurs maris. Cette autorisation est naturellement soumise à certaines conditions.

Un arrêt du Conseil de 1723 décide que les veuves de libraires et d’imprimeurs pourront continuer d’exercer le métier de leur mari, mais que ce privilège cessera si elles se remarient avec un homme étranger à la profession[16].

Les veuves des vinaigriers et des limonadiers, à Caen, qui, à la fin du xviiie siècle, étaient très nombreuses, celles des maîtres sergers, à Saint-Lô, qui, en 1730, ont, dans cette seule ville, au nombre de sept[17], celles des boulangers, chaudronniers, charrons, tourneurs d’Orléans, celles des tonneliers de Nantes, celles des diverses corporations mixtes de la ville de Paris (boulangers, bouchers, charcutiers, apothicaires, rôtisseurs, pâtissiers, épiciers, éventaillistes, tireurs d’or), ont un statut analogue.

La continuation de l’exercice de la profession du mari est d’ailleurs soumise à certaines obligations différentes suivant les corps de métiers et les provinces, mais souvent restrictives de la liberté professionnelle. Les veuves des imprimeurs de Paris ont le droit de continuer le travail dans leurs imprimeries, d’avoir des compagnons, et de faire « achever aux apprentis le temps de l’apprentissage, mais non d’en embaucher de nouveaux » [18]. Les veuves des éventaillistes, celles de mouleurs de sabres sont soumises aux mêmes obligations[19]. Les veuves des rôtisseurs et des pâtissiers n’ont même pas le droit de tenir chez elles un apprenti. Au contraire, les veuves des charcutiers pourront travailler pour leur compte comme elles l’entendront. Les veuves d’apothicaires peuvent également continuer leur négoce ; à condition de le faire diriger par un bon commis approuvé par un garde juré du métier, de tenir effectivement la boutique et de donner leur nom à la raison sociale, elles peuvent se livrer à tout acte concernant leur commerce, y compris la réception d’apprentis.

Si elles se remarient et n’épousent pas un homme appartenant au même métier, l’exercice de la profession leur est interdit et elles doivent se défaire de la maîtrise « au profit d’un personnage plus qualifié ».

Mais, d’autre part, on s’efforce de faciliter aux veuves l’accès de la maîtrise en les exemptant d’une partie des obligations auxquelles les candidats à la maîtrise doivent d’habitude satisfaire ; elles sont dispensées du chef-d’œuvre et ne paient qu’une partie des droits exigés.

Les filles de maîtres se trouvent à peu près dans les mêmes conditions que les veuves. Cependant, elles sont plutôt considérées comme susceptibles de transmettre à leur mari, ainsi qu’une dame noble ferait d’un fief, l’exercice de la maîtrise, que de l’exercer elles-mêmes. Seul, le règlement des imagiers peintres et sculpteurs de la communauté de Saint-Luc spécifie nettement que les filles de maîtres pourront arriver pour leur compte à la maîtrise et exercer le métier paternel[20].

Dans presque toutes les communautés et corporations de métiers, la fille de maître permet seulement au compagnon qu’elle épouse de parvenir à la maîtrise.

Les filles de maîtres boulangers d’Orléans, les filles de maîtres tailleurs d’Angoulême affranchissent ainsi leur mari et font de lui un maître sans autre formalité[21].

Ailleurs, le fait d’épouser une fille de maître ne dispense pas des obligations coutumières, mais les allège simplement ; on se montre moins exigeant pour le chef-d’œuvre[22] ; pourtant on réduit les sommes payées d’ordinaire pour le droit de maîtrise. C’est le cas dans la plupart des corporations de Paris.

Il existait d’ailleurs des corporations où les femmes pouvaient, sans être veuves de maîtres, arriver cependant à la maîtrise. Telles étaient les corporations de drapiers de Dijon[23] et de Caen, celle des hôteliers de Dijon[24], celle des orfèvres de Caen. Telles étaient les deux importantes corporations des grainiers et des poissonniers de Paris. Le règlement des premiers, établi par Louis XIV en 1678 et qui reste en vigueur jusqu’à la suppression des corporations, mentionne à tous ses articles « les maîtres et maîtresses, marchands et marchandes, grainiers et grainières, apprentis et apprentisses ». Par une disposition exceptionnelle, dans une corporation mixte et qui prouve que les femmes devaient être presque aussi nombreuses que les hommes dans la corporation, non seulement les maîtresses grainières pouvaient, après six ans d’exercice, être élues jurées par la communauté des maîtres et des maîtresses, mais deux jurées sur quatre devaient être choisies parmi les maîtresses[25].

Les poissonniers d’eau de mer et d’eau douce jouissent d’un statut à peu près analogue à celui des grainiers. Non seulement la corporation est, elle aussi, une corporation mixte, mais l’élément féminin semble assez nombreux pour qu’à chaque article des statuts et règlements donnés à diverses époques on spécifie qu’il s’agit bien des poissonniers et poissonnières. Ces dernières et, en général, toutes celles qui vendent sur le carreau des Halles forment d’ailleurs une communauté qui, à Paris, est fort importante pour le rôle qu’elle joue dans la formation de l’esprit public. La marchande des Halles, la dame de la Halle, comme on l’appelle au xviie siècle et au xviiie, est l’un des personnages les plus connus de l’ancien régime. Elle est justement réputée pour la verdeur de son langage. Des ordonnances de police, renouvelées depuis Charles V, doivent lui défendre d’insulter les passants, mais, semble-t-il, sans grand succès. Elles possèdent quelques privilèges dont elles sont très fières et très jalouses, celui de figurer aux grandes fêtes ou cérémonies, celui d’aller faire visite à la reine lors de la naissance d’un dauphin et de souper, à cette occasion, au château royal. Ce privilège, les dames de la Halle l’exercent jusqu’aux dernières heures de la monarchie. Elles vont féliciter Marie-Antoinette lors de la naissance du dauphin. Le Parlement, de même, accordait parfois aux dames de la Halles l’entrée dans les salles du Palais. Les ménagements, les flatteries que les pouvoirs publics avaient pour cette communauté, qui n’était pourtant pas exceptionnellement importante par le nombre de ses membres ni par le caractère relevé du métier, viennent évidemment de l’influence que, depuis les jours de la Fronde, l’attitude des femmes de la Halle avait sur celle de tout le peuple des faubourgs[26].

La communauté des regrattiers et marchands forains est, elle aussi, très largement ouverte aux femmes. Tous les règlements et ordonnances qui en déterminent les statuts mentionnent « regrattiers et regrattières, marchands forains et marchandes foraines ». Il est naturel que, parmi le petit peuple qui vendait sur les marchés de Paris, en étalant ses marchandises sur un éventaire ou simplement dans un panier derrière lequel le marchand ambulant se tenait debout, se soient rencontrées beaucoup de femmes. Ce métier de marchandes des quatre saisons a été, de tout temps, un métier féminin. Plusieurs édits tendirent à rendre les marchands forains et regrattiers indépendants des maîtres fruitiers qui formaient, ceux-là, une corporation exclusivement masculine et qui s’arrogeaient sur une communauté, pour eux vassale, un droit de surveillance[27]. Louis XIV accorde des privilèges aux petites fruitières en ne les obligeant qu’au paiement d’un droit de trente sous si elles tiennent boutique et en les dispensant de tout droit si elles vendent debout. L’importance des femmes dans la communauté était assez grande pour que, en 1694, une femme, Rafel, soit choisie communément avec son mari, Nicolas Postel, par trois mille regrattiers pour présenter des doléances sur la tyrannie des maîtres fruitiers[28].

On peut supposer, et il ressort en fait d’une étude des documents relatifs aux corporations de métiers conservés aux archives départementales, que bien souvent les femmes qui, filles de maîtres, avaient apporté à leur mari la maîtrise, collaboraient assez activement à l’exercice de leur profession. Nombreux et fréquents sont les exemples de femmes qui nous sont représentées aussi habiles que leur mari dans leur métier. Au milieu du xviiie siècle, la femme Bellet, épouse d’un maître miroitier d’Angoulême, s’était acquise ainsi que son mari une telle réputation pour le raccommodage des miroirs et l’étamage des glaces, que « le public ayant été instruit de leur savoir faire, ils eurent bientôt autant et plus d’ouvrage qu’ils n’en pouvaient faire[29] ». Dans nombre d’endroits, et ceci est fort naturel, la boulangère exerce communément son métier avec le boulanger. Tel maître papetier apparaît dans toutes ses affaires (commandes, contrats de vente) comme expressément associé avec sa femme[30] et le nombre des veuves qui, effectivement, remplacent à la tête d’un atelier leur mari, montre qu’elles s’étaient déjà initiées aux affaires.

Depuis la cabaretière jusqu’à la doreuse et la miroitière, de la tisserande à la mouleuse de sabres, de la poissonnière à l’imagière ou à l’éventailliste, des femmes entraient donc très nombreuses dans toutes les corporations de métiers.

iii. Les femmes dans la grande industrie

Nous n’avons parlé cependant, jusqu’ici, que des veuves et des femmes de maîtres dont le rôle nous est assez bien connu et dont la place, d’ailleurs, est définie par des textes.

Dans quelle mesure les simples ouvrières entraient-elles dans les corporations masculines ? C’est évidemment bien plus difficile à déterminer. Nous savons cependant qu’il existait, au début du xviiie siècle, à Lyon, dans la corporation des orfèvres et des « tireurs d’or », non seulement des femmes maîtresses, mais des femmes compagnons aidant leurs maîtresses à « fabriquer des fils de lin recouverts de soie d’or et d’argent », ou à dorer divers objets[31].

Les ouvrières passementières sont très nombreuses à Paris et dans les provinces du centre, à Tours[32], à Clermont-Ferrand. Elles sont occupées à la fabrication des cadrans de montres, des brandebourgs et aussi de toutes les sortes de boutons[33] ; des batteuses d’or sont occupées à rogner les feuilles d’or et à en revêtir divers objets.

Les femmes sont également cirières et employées aux diverses manipulations qui aboutissent à la fabrication de cire à cacheter[34], boutonnières, employées à la vente des bouchons, émailleuses et ouvrières pour perles fausses ; l’industrie des fleurs artificielles en occupe un très grand nombre. Les ouvrières éventaillistes se livrent à toutes les opérations nécessaires à la fabrication complète de l’éventail, préparation des papiers, collage des feuilles, peinture[35]. Enfin, on trouve des femmes dans les ateliers des fondeurs et des compositeurs d’imprimerie et les manufactures de papier ; particulièrement la fabrique royale de Montargis en employait beaucoup[36].

Quelques-uns de ces métiers touchent déjà à la grande industrie. Mais c’est surtout dans les industries textiles que, depuis l’époque de Colbert, où vraiment prit naissance en France une grande industrie particulièrement développée pour les étoffes de toute nature, les chefs d’industrie ont besoin d’un très nombreux personnel et commencent à faire appel à la main-d’œuvre féminine.

De tout temps les femmes ont été, chez elles, des fileuses de laine : au moyen-âge et au début de l’époque moderne, elles travaillaient à mille petits métiers dont la filature était la base. La corporation des filassières ou fileuses était l’une des grandes corporations féminines. À la fin du xviie et au xviiie siècles, la fileuse des villes se transforme en ouvrière d’usine, celle des campagnes la suit, ou du moins, au lieu de travailler pour elle-même, travaille pour le dehors. Cette évolution du travail féminin en annonce d’autres. Nous ne pouvons pas les suivre dans le détail. Essayons cependant d’en dégager les manifestations essentielles.

Les plus importantes des industries qu’ait développées ou créées Colbert sont, avec l’industrie de la draperie qui fleurit dans les villes picardes, l’industrie de la soierie, à Lyon, et l’industrie de la dentelle, en Normandie et en Auvergne.

Dans l’industrie de la soie, à Lyon, on trouve, dès la fin du xviie siècle, cinq à six mille femmes recrutées non seulement parmi les habitantes de la ville, mais parmi les jeunes filles des campagnes environnantes. Au cours du xviiie siècle, à côté du tissage de la soie, la filature est introduite et se développe dans toutes les régions environnantes. C’est à des maîtresses fileuses du Dauphiné, réputées pour leur habileté, que les Jubié, qui, en 1745, ouvrent un important établissement à Lyon, font appel pour organiser la filature[37]. Un nombreux personnel féminin est sous leurs ordres. Des statistiques dressées, au début du xixe siècle, montrent que, dans la plupart des établissements de filature de la région du Nord-Est, les ouvriers se composent, dans une proportion de 8/10, de jeunes filles, de femmes et d’enfants.

Sans doute, la proportion de femmes employées devait être plus forte au début du xixe siècle, où les guerres raréfiaient la main-d’œuvre masculine, qu’à la fin du xviiie. Nous savons cependant que, dès cette époque, la proportion des femmes employées à la filature était considérable. On restera sans doute au-dessous de la réalité en l’évaluant à 50% de la main-d’œuvre totale. Comme, d’après les statistiques en question, on aurait trouvé, en 1810, 6 000 ouvrières environ dans l’Ardèche, 8 400 dans le Gard, 9 à 10 000 dans la Vaucluse, 2 400 dans le Var [38], c’est donc, même en réduisant ce chiffre à 30 ou 40%, des milliers d’ouvrières déjà qui, à la fin du xviiie siècle, travaillaient dans ces divers établissements.

Les fabriques de mouchoirs d’Aubenas recrutaient également la plus grande partie de leur personnel parmi les femmes et les jeunes filles de tout âge[39] ; il en était de même des fabriques de blonde du Dauphiné où l’on envoyait des jeunes filles de la campagne depuis l’âge de treize ans[40].

Quand Colbert introduisit en France l’industrie de la dentelle et créa la Compagnie du Point de France, celle-ci recruta également une main-d’œuvre féminine dans les campagnes normandes. Au début du xviiie siècle, 5 500 jeunes filles travaillaient dans les manufactures de dentelles d’Alençon[41]. Au Puy, les dentellières sont également très nombreuses et l’attraction de l’industrie dentellière fut assez forte pour amener dans le Velay une crise de la domesticité féminine[42].

Les fabriques de bas emploient également un nombreux personnel féminin. Il en est ainsi, en particulier, à Caen et à Paris[43].

À Vitré, des fabriques de bas et de chaussettes font subsister des milliers de jeunes filles[44].

Les lingères de Paris et de l’Anjou, les fileuses de Saint-Quentin, d’Abbeville[45] et de Troyes apparaissent comme constituant une partie importante de la population.

À la fin du xviiie siècle, d’importantes filatures s’établirent à Troyes ; elles employèrent, comme les manufactures de Lyon, du Puy et d’Alençon, un personnel féminin permanent. Par centaines, en effet, les femmes et filles des campagnes picardes vinrent peupler les nouveaux établissements.

Dans certaines régions, non seulement les usines attirèrent dans les villes la population féminine des villages, mais le travail industriel rayonna dans les campagnes mêmes.

Il en est ainsi de l’industrie drapière dans la sénéchaussée de Rennes. Les rôles de la capitation dans cette dernière sénéchaussée nous montrent, dit M. Sée, des fileuses parmi les domestiques de ferme, au nombre de quatre ou cinq par exploitation. Dans toute l’étendue de l’évêché de Rennes, les femmes et les filles de fermiers fabriquent la toile à voile.

Dans la même région, les fabriques de drap de Josselin font vivre une grande quantité de femmes[46].

Comme on le voit par cet aperçu, forcément incomplet[47], les femmes ont, dès la fin du xviiie siècle, joué un rôle assez important dans la grande industrie et il apparaît bien que leur entrée dans les cadres de l’armée industrielle fut, depuis Colbert, une condition indispensable au développement de toutes les industries textiles, d’abord, et même d’autres industries, telle la papeterie, qui exigeaient un nombreux personnel.

Cependant un certain nombre de métiers demeurent, par une réglementation sévère, interdits aux femmes. Et il en est ainsi, non seulement de ceux de l’industrie lourde comme la métallurgie, de ceux qui exigent une habileté technique comme la fabrication des instruments de précision, mais même de certains métiers pour lesquels elles semblent qualifiées. On leur interdit, comme trop fatigant, le travail des tapisseries de basse lisse ; à Thiers, les tailleurs se réservent le monopole de la confection masculine et féminine. Comme il arrive souvent jusqu’au xxe siècle, l’exclusion de la femme d’un certain nombre de métiers est justifiée par une prétendue protection de sa faiblesse.

Même, d’ailleurs, lorsque la femme travaille dans les mêmes métiers que l’homme, il s’en faut de beaucoup cependant que l’égalité économique des deux sexes puisse apparaître comme établie.

La condition des femmes qui sont admises dans les corporations masculines est, en effet, la plupart du temps, moins bonne que celle des hommes. Dans la plupart des métiers, la femme n’est pas admise à titre d’ouvrière qualifiée, mais seulement à titre de manœuvre. Il semble que, dès ce moment, les hommes redoutent la concurrence de la main-d’œuvre féminine et que cette crainte, comme au xixe siècle, relègue les femmes dans les emplois inférieurs. Pourtant, à Lyon, elles sont non seulement petites mains, mais ourdisseuses, liseuses de dessins[48] ; à Tours, à Clermont, elles font un apprentissage qui leur permet de devenir ouvrières fileuses[49] et, dans les cas que nous avons cités, doreuses et passementières apparaissent bien comme des ouvrières qualifiées.

Naturellement, les salaires sont très faibles et toujours inférieurs à ceux des hommes : les ouvrières de la soierie, à Lyon, gagnent de douze à quinze sous. Le salaire moyen d’une ouvrière couturière est, au début du xviiie siècle du moins, de quatre à cinq sous[50]. Au milieu du xviiie siècle, une ouvrière passementière gagne en moyenne quatre livres par mois[51].

Dans la plupart des cas, il est vrai, les ouvrières reçoivent en outre leur nourriture.

Il est donc évident que la situation des ouvrières qui sont admises dans les corporations est, tant par la place qu’elles y tiennent que par les salaires qu’elles reçoivent, inférieure à celle des hommes. Comme, d’autre part, les maîtresses elles-mêmes ne parviennent à la maîtrise que sous certaines conditions bien déterminées et que leur droit d’exercer leur métier se trouve déterminé par certaines règles très strictes, comme les corporations exclusivement féminines sont peu nombreuses, on ne peut dire que, sous le régime corporatif, l’égalité économique entre l’homme et la femme ait, comme on l’a soutenu quelquefois, véritablement existé.

Le système corporatif d’ailleurs entravait durement, et plus encore chez les femmes que chez les hommes, celles-là étant moins facilement admises que ceux-ci dans les corporations, la liberté du travail.

Toutes les fois que des femmes veulent exercer un métier qualifié sans être entrées dans les cadres corporatifs, les corporations masculines protestent et s’efforcent de faire interdire aux concurrentes l’exercice de leur travail. Au xviiie siècle par exemple, il existait à Dijon un grand nombre d’ouvrières tapissières qui travaillaient librement à découper des étoffes, à les orner de galons et à en garnir les chaises et fauteuils. Leur activité semble avoir été grande et leur travail fructueux. Il le fut assez pour que les ouvriers tapissiers vissent dans ces travailleuses des concurrentes gênantes pour leurs propres bénéfices. Ils demandèrent que personne ne put exercer sans lettres de maîtrise. En vain, les ouvrières protestèrent, se déclarant aussi habiles que les hommes, signalant que la requête des ouvriers tapissiers tendait à leur ôter les moyens de gagner leur vie et devait avoir pour résultat de faire hausser la main-d’œuvre. Le Parlement de Dijon, bien qu’elles eussent trouvé en son sein quelques libres défenseurs, interdit aux ouvrières tout travail pouvant faire concurrence à la corporation des tapissiers. Des étoffes ornées de galons furent saisies chez l’une d’entre elles[52]. Le travail à domicile même fut pourchassé. Cependant des tapissières libres continuèrent de travailler mais, naturellement, dans des conditions assez précaires.

C’est là un des nombreux épisodes de la lutte entre le travail libre et les corporations. Il montre combien était difficile la situation des ouvrières qui, pour une cause ou une autre, n’avaient pas pu prendre place dans les communautés de métiers.

iii. Les Édits de 1776 et de 1777 et la place des femmes dans la vie corporative

La situation défavorable faite aux femmes par le régime corporatif fut l’une des raisons qui furent mises en avant par Turgot lorsque, par son célèbre édit de février 1776, il fit abolir les corporations de métiers, jurandes et maîtrises.

« L’esprit de monopole qui a présidé à la confection de ces statuts (des communautés d’arts et métiers) a été, disait le préambule de l’édit, jusqu’à exclure les femmes des travaux propres à leur sexe tels que la broderie, qu’elles ne peuvent exercer pour leur propre compte…

« Nous voulons abroger cette institution qui repousse un sexe à qui sa faiblesse a donné plus de besoins et moins de ressources et semblent, en les condamnant à une misère inévitable, seconder la séduction et la débauche[53]. »

Lors de l’enregistrement de l’édit par le Parlement au cours du lit de justice tenu le 12 mars 1776 par le Parlement, l’avocat général Ségnier, porte parole de l’Assemblée, convint, tout en défendant le système corporatif, que celui-ci avait donné lieu, au détriment des femmes, à d’intolérables abus, qu’il fallait rendre libres certaines professions féminines (fruitières, bouquetières) et, dans un grand nombre de professions tenues par des femmes, admettre celles-ci à la maîtrise. Ces réformes, disait Ségnier, prépareraient un asile à la vertu que le besoin conduit souvent au désordre et au libertinage[54].

Malgré les protestations du Parlement, les corporations, jurandes et maîtrises furent abolies et l’exercice de toutes les professions rendu libre. Tout métier indistinctement put être exercé par des personnes de l’un ou l’autre sexe.

Il semble que les femmes aient été assez nombreuses à profiter de la permission, l’édit rétablissant les corporations spécifiant nettement que des marchands et des artisans des deux sexes avaient fait au sujet de l’exercice de leur profession (seules obligations auxquelles ils fussent soumis) leur déclaration à la police, et se préoccupant de sauvegarder leurs intérêts.

Le nouveau régime dura peu. Un édit du 11 août 1776 rétablissait les corporations mais en faisant subir au système des modifications profondes dont un grand nombre, inspirées par un esprit nouveau d’égalité entre les sexes, amélioraient les conditions du travail féminin.

Organisant 6 corps et 44 communautés, l’édit proclamait « que les femmes n’en seraient point exclues ».

Si aucun des six corps n’est exclusivement féminin, plusieurs communautés sont exclusivement féminines : telles les couturières et découpeuses, les faiseuses et marchandes de modes, les plumassières et lingères.

Sauf les lingères, d’ailleurs, aucune de ces communautés ne bénéficiait d’un monopole exclusif. Les faiseuses et marchandes de mode étaient en concurrence pour la broderie avec les brodeuses, pour la découpure avec les couturières ; celles-ci étaient en concurrence avec les tailleurs pour les corps (de jupe) de femmes et enfants.

Comme sous l’ancien régime, les femmes pouvaient être dans leur communauté électrices et éligibles aux charges de jurées et prenaient part aux assemblées dans lesquelles étaient élus les chefs de la communauté et nommés les gardes jurés, les syndics et adjoints qui devaient régir les affaires de la communauté, et les députés qui représentaient cette communauté.

Mais la grande nouveauté de l’édit était l’admission des femmes dans toutes les corporations masculines. D’une part, en effet, les restrictions qui, dans la plupart des corporations où elles étaient autorisées à continuer le travail de leur mari, pesaient sur les veuves de maîtres, sont levées ; les veuves ont en effet la faculté de se faire recevoir à la maîtrise en payant seulement la moitié des droits exigibles dans les conditions ordinaires. D’autre part, il est nettement spécifié que, même en dehors du cas précédent, les filles ou femmes peuvent, à partir de 18 ans, se faire recevoir dans toutes les communautés d’hommes, sans cependant que, dans ces communautés masculines, elles puissent être admises à aucune assemblée ou exercer des charges. Réciproquement les hommes peuvent, dans les mêmes conditions, entrer dans les communautés de femmes.

Ainsi, l’édit d’août 1776, tout en rétablissant les corporations, reconnaît, dans une certaine mesure, la liberté du travail et s’efforce de faciliter aux femmes l’exercice d’un plus grand nombre de professions.

D’ailleurs, à côté des communautés où la maîtrise reste toujours le privilège d’une aristocratie (puisqu’il faut pour y parvenir payer toujours des droits assez élevés)[55], un certain nombre de métiers féminins sont rendus libres comme un plus grand nombre de métiers masculins. Linières, bouquetières, filassières, coiffeuses peuvent exercer leur profession librement et sans aucune réglementation.

iv. Essais d’instruction professionnelle

Il semble qu’à la fin du xviiie siècle on ait entrevu la nécessité de l’instruction professionnelle féminine et que l’on ait même tenté quelques efforts pour sa réalisation. Tandis que, comme nous le verrons, quelques écrivains et économistes déplorent que trop de métiers soient fermés aux femmes, un subdélégué de l’intendant de Picardie, M. Imbert de Saint-Paul, essaye d’organiser dans la province, et du moins pour ce qui est de la filature, une véritable instruction professionnelle féminine. Au moment où se fondent, à Roye, des filatures, l’intendant prescrit à son subdélégué de recruter dans la campagne des femmes ou filles pour la filature de Roye[56].

« Il est nécessaire, dit-il, qu’une femme ou fille au moins par village apprenne à filer, de façon à ce qu’ensuite elle puisse montrer aux autres[57]. »

Des curés sont chargés de faire, à ce sujet, une active propagande dans leur paroisse. Ils en comprennent l’intérêt et l’un d’eux, le curé de Bayonvillers, se montre particulièrement zélé. Grâce aux efforts de toutes les autorités laïques et ecclésiastiques, on recrute facilement des élèves pour l’école de filature qui, en septembre 1768, s’ouvre à Roye. Dès l’année suivante, quatre-vingt-douze femmes y reçoivent l’instruction professionnelle ; elles sont encouragées par la distribution de certificats et de prix en argent aux meilleures d’entre elles. La remise de ces prix a lieu en des cérémonies solennelles auxquelles assistent les fileuses venues de tous les villages voisins[58].

Ainsi le succès de l’entreprise est grand et, grâce à la main-d’œuvre ainsi formée, les entreprises de fabrications de toile ou de mousseline se multiplient. C’est là, semble-t-il, l’essai le plus sérieux d’instruction professionnelle féminine qu’on ait tenté au xviiie siècle. Ce n’est pas la seule cependant. Les sœurs de l’Hospice de Bayeux s’efforçaient d’enseigner à leurs élèves l’art de la dentelle qui faisait vivre tant de jeunes filles en Normandie et avaient établi dans leur Hospice de Bayeux plusieurs maîtresses dentelières[59].

En 1765, un certain Bogos, qui serait Grec s’il faut en croire les documents qui nous signalent le fait, s’établit à Chazelle, dans le Forez, ouvre une filature de coton et enseigne le métier à toutes celles qui veulent l’apprendre[60].

Malgré ces essais, cependant, il est bien évident que l’instruction professionnelle des femmes employées dans la grande industrie reste en général très insuffisante. Les maîtres de la soierie lyonnaise, en particulier, se plaignent de l’état d’ignorance où se trouvent leurs ouvrières[61].

v. Une catégorie d’ouvrières : marchandes de modes et couturières. La grisette

Avant et après la crise qui bouleverse le régime corporatif, c’est une industrie surtout, celle de la mode avec les innombrables petites industries qui s’y rattachent, qui donne aux femmes la plus large place.

Ici, loin de jouer un rôle subalterne, la femme joue un rôle prépondérant. C’est, en effet, au xviiie siècle comme à toute époque, les qualités de bon goût, innées chez la femme française, qui triomphent alors pour assurer aux ouvrières de la mode le libre exercice d’un métier où, à Paris et dans les grandes villes du moins[62], les hommes ont renoncé à leur faire concurrence, et, au pays, le bénéfice de leur art.

À la fin du xviiie siècle, en effet, le développement considérable du luxe, sa diffusion dans toutes les classes sociales ont donné aux industries féminines de la mode une importance qu’elles n’avaient pas connue jusqu’à ce jour. À Paris et dans les principales villes, les marchandes de modes foisonnent. Elles dirigent un personnel très nombreux : les plus importantes maisons emploient en effet une trentaine d’ouvrières. C’est donc par milliers que se comptent les ouvrières de la mode et de la couture et elles semblent, dès ce moment comme aujourd’hui, former au milieu du prolétariat ouvrier une sorte d’aristocratie, ennoblie par son bon goût, affinée par le luxe qu’elle créé et la fréquentation journalière des grandes dames, parée d’un charme de séduction et de quelque prestige par la beauté qu’elle crée et la réputation qu’ont, dans toute la France et à l’étranger même, les chefs-d’œuvre sortis de ses mains. La « grisette », car on commence à l’appeler ainsi, est la midinette du xviiie siècle.

Comme celle-ci, elle tient dans le commerce de luxe de la capitale une place prépondérante. Suivons Mercier dans sa promenade à travers les rues de Paris et nous verrons dans les principales artères de la capitale leur minois souriant, leur petit bonnet de dentelle, leur décolletage hardi apparaître à travers les glaces de toutes les boutiques.

Les maisons les plus importantes établies d’abord quai de Gesvres, puis rue Saint-Honoré et où se fournissaient les élégantes de la capitale et les riches provinciales, employaient jusqu’à trente ouvrières qui travaillaient la soie, la gaze, le tulle et toutes les étoffes précieuses.

Déjà l’installation est faite pour mettre en valeur les merveilles de bon goût qui doivent flatter l’œil des clientes.

Une maison comme le Grand Mogol, de Mlle Rose Bertin, comprend deux étages : au-dessus, dans un vaste atelier, les ouvrières travaillent ; au-dessous, se trouvent les pièces de réception et les salons d’exposition et d’essayage. Certains jours ont lieu, chez Mlle Bertin par exemple, des expositions des costumes commandés par les dames de la Cour qui font courir tout Paris, Elles ont lieu dans la pièce qui précède le somptueux bureau où se tient la marchande de modes, elle-même habillée en grande dame et qui, lorsqu’elle gère une maison prospère et honorée de la faveur de la haute société, traite d’égale à égale avec ses clientes. Elle les reçoit à moitié étendue sur un sofa, daigne à peine se lever quand arrivent les plus nobles d’entre elles et les traite souvent avec le morgue que lui donne la conscience d’être, dans le royaume de la mode, une reine absolue. Elle leur impose ses caprices et, s’il lui plaît de décider, comme le dit un jour Mlle Bertin à l’une de ses clientes, que la mode nouvelle ne doit sortir qu’une semaine plus tard, force leur est de s’incliner. Elle exige, en outre, des prix fort élevés, hors de proportion avec le prix de revient de ses marchandises, se tenant pour une artiste dont le talent, plus que la matière première qu’elle emploie, donne sa valeur aux œuvres sorties de ses mains. En un mot, la marchande de mode qui, dans les mêmes quartiers à peu de chose près où est établie aujourd’hui la grande couture, a la chance de diriger une maison bien achalandée, tient exactement la même place, dans la vie de la haute société parisienne, qu’aujourd’hui les grandes couturières et les grands couturiers. Ceux-ci sont d’ailleurs inconnus. Dans le royaume la femme, plus encore qu’aujourd’hui, règne seule et sans concurrents.

C’est à la fin du xviiie siècle, à l’aurore de la Révolution, que le prestige de la marchande de modes atteint son apogée avec Rose Bertin qui, petite apprentie d’Abbeville employée dans cette petite cité au Trait Galant[63], puis fondatrice à Paris du Grand Mogol, réussit, par une singulière fortune et grâce à la sympathie qu’a pour elle une de ses premières clientes, la duchesse de Chartres, à être choisie pour marchandes de modes par Marie-Antoinette. Celle-ci est prise bientôt pour Mlle Bertin d’un véritable engouement. Vrai ministre de la mode, suivant l’expression d’un de ses historiographes[64], et au grand scandale de la Cour qui d’ailleurs doit vite s’incliner, introduite dans l’intimité de la reine en dépit de l’usage qui éloignait toutes les personnes de sa classe[65], Mlle Bertin fut plus pour Marie-Antoinette que le fournisseur favori ; elle fut une confidente, presque une amie. Son influence ne fut pas étrangère à la passion de la reine pour la parure et à la folie du luxe qui entraîna à sa suite toutes les dames de la Cour[66]. Mlle Bertin fit plus d’une révolution dans la mode et elle fut toujours suivie docilement.

Ainsi, et ce n’est pas l’un des traits les moins curieux de l’histoire féminine au xviiie siècle, une ouvrière sortie du peuple de la province peut, même sans passer par la galanterie, mais servie simplement par son talent et sa chance, trouver une brillante fortune dans la capitale, être en faveur à la Cour et devenir une puissance avec laquelle les grandes dames doivent compter. Nulle preuve plus éclatante de la place tenue dans la vie de la France par l’industrie de la couture.

L’ouvrière elle-même est parée, aux yeux des contemporains, d’une sorte de prestige analogue à celui dont jouissent tous les artistes, tous ceux qui, par leur habileté ou leur génie, embellissent la vie. Mercier constate que la marchande de modes passe dans les palais et dans des appartements où la haute noblesse n’entre pas encore. Mais, loin de s’en indigner, il se réjouit de voir dans cette élévation la récompense méritée du génie. « Les marchandes de modes, dit-il, ont dans l’imagination des ressources inépuisables pour varier le goût de la parure…, les marchandes de modes sont des femmes artistes. Les couturières qui taillent et cousent toutes les pièces de l’habillement et les tailleurs qui font les formes et les corsets sont les maçons de l’édifice. Mais la marchande de modes, en créant les accessoires, en imprimant la grâce, en donnant le pli heureux, est l’architecte et le décorateur par excellence. »

« La petite marchande du quai de Gesvres, dit-il ailleurs, triomphe par son invention et les reines lui font un sourire[67]. » Dès ce moment, d’ailleurs, l’industrie de la mode a pris presque toute l’ampleur qu’elle a aujourd’hui parce que, dès ce moment, elle doit satisfaire non seulement aux besoins de la clientèle de Paris et de la province, mais à ceux de l’étranger. Dès ce moment, les grandes maisons de modes de la capitale fournissent les élégantes de l’Europe entière. « Les marchandes de modes, dit Mercier, couvrent de leur industrie des chiffons la France entière et les nations voisines…, leur art soumet l’univers. » Et Mercier nous montre la marchande de modes habillant de robes somptueuses des poupées, modèles de l’année, qu’elle dirige ensuite sur tous les pays du monde. « L’une va dans les pays du Nord, l’autre en Italie, celle-là jusqu’au sérail. »

Dès la fin du xviiie siècle donc, l’étranger est habitué, de Stockholm à Stamboul, à n’obéir, dans le domaine des modes, qu’aux inspirations de Paris. On se fournit directement dans la capitale ou du moins on s’efforce d’imiter les créations des marchandes de modes en vogue.

L’industrie de la mode apparaît donc, au xviiie siècle comme aujourd’hui, une de ces industries de luxe pour lesquelles la France a dans le monde une vraie suprématie. Le commerce d’exportation auquel elle donne lieu est l’un des éléments essentiels de la prospérité française. Ce dernier trait achève de nous montrer l’industrie de la mode comme constituée avec tous les caractères qu’elle présente aujourd’hui. L’ampleur de son rayonnement, la variété de ses débouchés lui permet de faire vivre des milliers d’ouvrières ; le travail de celles-ci est l’une des forces, l’une des richesses principales du pays.

Ce n’est pas seulement dans l’industrie de la mode que la femme tient la première place, c’est dans toutes les industries de luxe de la capitale et des grandes villes de province.

Soit pour son propre compte, soit avec son mari, la femme paraît dans toutes les boutiques où fréquente une clientèle élégante. « Les femmes, dit encore Mercier, sont occupées dans les plus petites parties du commerce concernant la bijouterie, la librairie, la clincaillerie ; elles achètent, transportent, échangent, vendent et revendent ; tous.les comestibles passent par leur main[68]. » Leur bon goût, leur art de disposer un étalage, de mettre en valeur la marchandise, le sourire dont elles accueillent le client, la grâce de leur aspect, la liberté de leur allure qui fait que le provincial ou l’étranger les apercevant entre les glaces des boutiques en train d’arranger « ces pompons, ces colifichets, ces galants trophées que la mode enfante et varie et, échangeant avec elles de libres regards, s’arrête surpris et charmé comme devant un sérail », voilà, au xviiie siècle comme aujourd’hui des éléments indispensables au succès d’un commerce de luxe. « La femme est l’âme d’une boutique » ; aussi, lorsqu’elle collabore avec son mari dans un commerce de cette nature, existe-t-il entre eux une parfaite égalité de fonctions[69].

v. La vie des ouvrières

Nous voudrions pouvoir pénétrer dans la vie intime des ouvrières parisiennes qui, dès cette époque, forment un monde si particulier, si curieux et dont, nous l’avons vu, l’importance économique, artistique mondaine est si grande.

Nous le pouvons dans une certaine mesure car, dès cette époque, les écrivains, tout comme ceux d’aujourd’hui, ont été vivement intéressés par l’extraordinaire contraste qui, dès cette époque, se manifestait entre l’humilité de leur condition et la distinction de leur allure et parfois de leur esprit, leurs aspirations vers une vie d’élégance et de luxe, les facilités que toutes ces qualités leur offrent à sortir de leur condition.

La plupart des observateurs de la vie parisienne ont donc décrit avec complaisance la femme qui travaille, non l’ouvrière d’usine, la tisserande, la fileuse, malheureuse, et d’aspect disgracieux, mais celle qui, exerçant un métier de luxe, attire invinciblement le regard.

La femme du petit marchand, qui tient boutique pour son compte ou pour le compte de son mari, forme, au milieu du peuple de Paris, une classe privilégiée. « Les boutiques de Paris, dit Mercier, recèlent les femmes les plus gaies, les mieux portantes et les moins bégueules…, l’activité qu’elles déploient en fait les égales de leur mari ; celui-ci, en effet, dont elle est l’auxiliaire indispensable, la tient pour son égale et lui laisse dans son ménage une autorité dont ne disposent pas les femmes d’huissiers et de procureurs[70]. »

Alors que celles-ci en effet doivent, pour la moindre dépense, recourir à la générosité d’époux qui leur dispensent chichement de maigres subsides, les marchandes, qui tiennent elles-mêmes la caisse, y puisent librement et disposent, avec une complète indépendance, de cet argent qu’elles ont contribué, autant que le mari lui-même, à gagner. « L’épouse d’un marchand d’étoffes ou d’un épicier détaillant, d’un mercier, a plus d’écus à sa disposition pour ses menus plaisirs que l’épouse d’un notaire n’a de pièces de douze sous. »

Elle peut donc s’habiller avec luxe et, s’il lui convient, s’offrir les vêtements les plus somptueux, la soie, le velours, le satin sont les étoffes dont elle se vêt le plus communément. Les croix d’or pendent à son cou, les diamants à ses oreilles, les bagues chargent ses mains. « Elle dépense sans compter les jours de sortie, allant en bandes dans les lieux de promenade, les guinguettes, le théâtre, se divertissant franchement sans recourir à la générosité de son mari. » L’indépendance dont elles jouissent les revêt d’une franchise d’allures, d’une rondeur de manières dont le contraste est frappant avec l’allure guindée et empesée des femmes des gens de plumes et de petits fonctionnaires. La vie large qu’elles mènent leur donne la gaieté, l’habitude de parler à tout le monde, le verbe haut et l’assurance.

La « grosse marchande « dégourdie, réjouie, haute en couleurs, habillée avec luxe mais voyante et un peu vulgaire, telle que la dépeint Marivaux dans la vie de Marianne, a des filles qui, elles, ont, en outre de la beauté et de la santé, la distinction et portent la toilette à ravir. Restif de la Bretonne voit en elles les véritables Parisiennes, celles qui lancent la mode[71].

L’ouvrière proprement dite n’est pas aussi favorisée et ne mène pas une vie aussi facile et aussi agréable. Après quelques années d’apprentissage qui commence à douze ou treize ans et où elle séjourne chez ses parents, elle quitte, vers l’âge de dix-huit ans, la maison paternelle et prend sa chambre particulière. Dès ce moment, elle est presque complètement indépendante, émancipée en fait, sinon en droit, de ses parents et résolue à ne pas abdiquer cette indépendance entre les mains d’un mari. « Elle ne voit en effet dans le mariage avec un artisan de son état qu’assujettissement, peines et misère[72]. » Dans la vie libre qu’elle mène, elle aperçoit la perspective d’aventures éclatantes ou du moins la possibilité de satisfaire ses goûts de luxe et « la propension à fréquenter la société distinguée ». À la veille de la Révolution comme au xixe siècle, des légions de femmes seules vivent déjà dans les grandes villes, étrangères au mariage et vouées à une existence irrégulière. Le phénomène social n’échappe pas aux contemporains et leur apparaît comme un grand vice de la société.

Les ouvrières de la mode, les employées de magasin sont en effet déjà des recrues pour l’armée de la galanterie. La plupart la comprennent à la manière de Mimi Pinson. Sitôt libre et seule dans sa chambrette, la grisette prend « un ami » qui la promène le dimanche et lui offrira les mille colifichets qu’elle manie pour les autres et dont elle rêve de se parer. « Le luxe est monté à un point qu’une ouvrière ne peut, sans s’avilir, être moins bien mise qu’une marchande »[73] et l’ouvrière ne peut se procurer ce luxe par son travail ; le salaire moyen d’une ouvrière couturière n’est-il pas de 10 à 20 sous par jour[74] ?

Parfois, la grisette continue de travailler et de mener toute la semaine son humble vie, se dédommageant seulement le dimanche ; parfois elle abandonne complètement le travail ingrat pour, pendant quelques mois ou quelques années, mener auprès d’un grand seigneur ou d’un riche bourgeois une existence dorée. « Plus d’une ne fait qu’un saut du magasin au fond d’une berline. Elle était fille de boutique, elle revient un mois après y faire ses emplettes, la tête haute, l’air triomphant[75]. » « Toutes les filles, dit Mercier, attendent le moment de jeter l’aiguille et de finir l’esclavage. Les moins jolies ou les plus infortunées se glissent furtivement dans des maisons qui ont l’air de la décence mais où cette vertu ne règne pas exactement…, elles ne mettent pas sur le compte de leur tempérament et de leurs goûts libertins les petits péchés qu’elles y commettent mais sur le besoin qu’elles ont de robes, de chapeaux et d’une chambre qui les distingue des viles couturières. »

Toutes n’ont pas la chance de pouvoir se lancer dans la galanterie et beaucoup roulent dans les bas-fonds. Celles des ouvrières qui ne peuvent pas s’élever au-dessus de leur classe et trouver dans une liaison élégante et décente la satisfaction de leurs appétits de luxe, tombent dans une débauche crapuleuse. « La plupart sont des dévergondées qui ne craignent pas de tenir des propos les plus sales, qui fréquentent les cabarets comme les hommes et les endroits pernicieux où l’on danse le soir…, elles valent moins que des soldats aux gardes par la retenue la décence en paroles et en actions, la sobriété, la pudeur[76]. » Mais la remarque de Restif de la Bretonne sur la grossièreté des ouvrières ne s’applique pas tant aux femmes qui travaillent dans les industries de luxe qu’à celles qui, ouvreuses d’huîtres, marchandes des quatre saisons, vendeuses de volailles, crieuses des rues, marchandes de fruits, d’amadou, de vieux chapeaux, poissonnières ambulantes ou simplement femmes d’ouvriers des faubourgs, vivent dans la rue au milieu de la populace. Celles-là représentent « ce que l’espèce humaine dégradée, avilie, dénaturée peut-être, a de plus vil, de plus corrompu. Imaginez des êtres sans morale, sans idées ni de religion, ni d’honnêteté, ni de droiture… ; elles naissent, vivent et meurent dans Paris, au centre des lumières et du goût, sans avoir plus d’idées que les Hottentots. Les spectacles, les fêtes, les ouvrages de l’esprit public, elles ignorent tout cela. Toute leur politique est à la Grève. Le guet est pour elles le seul gouvernement et le commissaire le seul magistrat[77].

Sans doute, Restif de la Bretonne, très pessimiste et de plus misogyne, pousse-t-il volontiers les choses au noir. Et la plupart des étrangers et des provinciaux de passage à Paris s’accordent au contraire à vanter la bonne grâce, l’amabilité, la complaisance, la gentillesse de la Parisienne. Mais ils n’ont guère l’occasion de vivre au milieu de cette populace que dépeint Restif. Celle-ci est, en effet, le plus souvent ignorante, grossière et livrée à ses seuls intérêts. C’est parmi elles que se recruteront les Euménides sanglantes de la Révolution. Et l’on comprend mieux, en lisant Restif, la folie qui put souffler, en 1793, sur certains clubs féminins et qui enivra les tricoteuses.

La vie de l’ouvrière de province nous est bien moins connue parce qu’elle a moins attiré le regard. Comme l’ouvrière parisienne, elle doit subsister avec un très humble salaire et si, parfois, elle a le goût et le désir du luxe, elle ne peut les satisfaire que bien rarement. Ses vêtements restent dans une tonalité sombre, elle est le plus souvent en gris, d’où le nom de grisette qu’on lui a donné. Quelques-unes se parent de rubans, portent parfois une croix d’or, une bague, un diamant.

Mais, en général, sa maison est mal montée : « elle a moins de luxe que la manœuvrière des campagnes ; on trouve moins de linge dans son armoire[78] ». Il n’empêche que, du moins dans les grandes villes, leur silhouette élégante ne fasse l’admiration des étrangers.

Pas plus dans les provinces qu’à Paris, l’ouvrière ne participe à la vie morale des corporations. Son rôle dans le compagnonnage est très effacé. Nous ne voyons jamais l’ouvrière faire le tour de France comme les compagnons ni, comme ceux-ci, tenir une place dans la hiérarchie qu’ils se donnent. Cependant, dans un grand nombre de villes, on trouve un personnage bien particulier, la Mère des compagnons ; celle-ci n’est pas elle-même une guvrière qualifiée. C’est le plus souvent la femme ou la veuve d’un ouvrier, parfois une cabaretière. Elle n’a aucun rôle dans l’organisation du travail, mais son habitation, parfois une simple chambre, tient lieu aux compagnons errants de maison commune. C’est chez elle qu’ils se réunissent, se communiquent les nouvelles intéressant leur corporation, prennent connaissance des décisions générales ou personnelles de la communauté. C’est chez elle qu’ils s’assemblent et délibèrent[79]. C’est elle encore qui tient la caisse des communautés, qui centralise la correspondance et tient les archives. La Mère des compagnons représente le lien qui unit l’ouvrier de passage dans une ville étrangère avec ses camarades qui en font leur résidence habituelle ou y sont parvenus avant lui. Dès qu’un compagnon est arrivé dans une ville, il est conduit chez la Mère. Il y trouvera un foyer provisoire et des renseignements le mettant à même d’exercer sa profession sur place ou, du moins, une recommandation pour les compagnons des autres localités de la région. Il y trouvera au besoin des secours en argent ou des soins. C’est donc l’institution de la Mère qui empêcha les compagnons d’être des isolés. D’autre part, les Compagnons du Devoir sont non seulement un groupement professionnel et une société d’assurance mutuelle, mais, en quelque sorte, une organisation syndicale faite pour la solidarité des travailleurs, établie pour l’obtention de meilleures conditions de travail, pour la lutte contre le patronat. Ils sont, pour cette raison, en butte aux persécutions du gouvernement et des autorités provinciales qui interdisent ces associations dont le but est, sous une forme atténuée, la lutte des classes et dissolvent, lorsqu’ils le peuvent, leurs assemblées. Comme elles se tiennent chez la Mère des compagnons, celle-ci, lorsqu’elle est connue, est surveillée ; parfois la police fait chez elle des perquisitions[80]. Le rôle qu’elle joue n’est donc pas sans péril et il lui faut, en dehors de l’intérêt matériel qu’elle y peut trouver, quelque dévouement pour l’accepter.

En province comme à Paris, quoique moins communément, la grisette, qui parfois vit seule, franchit aisément le pas qui sépare l’industrie de la mode de la galanterie. Parmi les filles séduites qui portent leur plainte devant les tribunaux provinciaux, les ouvrières couturières apparaissent comme en presque aussi grand nombre que les domestiques. Beaucoup d’entre elles cherchent dans une liaison un appui qui les aide à vivre. Elles la forment d’une façon plus discrète qu’à Paris et prennent soin de la dissimuler soigneusement.

Souvent, d’ailleurs, l’heureux élu est un ecclésiastique. Telle couturière de Bayeux est successivement la maîtresse de deux frères qui occupent à tour de rôle la cure de Rye.

vii. Les actrices : diversité de leur condition

Depuis le moment où les femmes peuvent être comédiennes, c’est-à-dire depuis le xviie siècle, le théâtre leur offre un très large débouché. Nous n’insisterons pas sur la vie de l’actrice au xviiie siècle, qui est trop connue et a donné lieu à de trop nombreuses études. Il faut seulement signaler quelques traits caractéristiques dont les uns sont bien spéciaux à l’époque, les autres de tous les temps. D’une part les sentiments religieux sont encore assez puissants pour maintenir dans toute leur force les préjugés contre les comédiens et les comédiennes. Ainsi, nulle jeune fille du monde, nulle demoiselle de la bourgeoisie n’oserait braver ce sentiment, ces préjugés, pour embrasser la carrière théâtrale. Les femmes de théâtre, sauf rare exception, sortent du peuple ou sont des enfants de la balle, filles et petites-filles d’actrices.

Leur origine est donc vulgaire, mais, ceci posé, on peut admettre que, parmi les actrices, comme dans le monde de la galanterie, il existe bien des conditions diverses. Telles qui ont eu la chance d’arriver sur les grandes scènes parisiennes et d’y tenir les principaux rôles sont des « étoiles » qui mènent déjà la vie de fête perpétuelle, de luxe, de triomphes mondains qu’ont accoutumé de mener aujourd’hui les étoiles du ciel théâtral. Une Clairon, une Sophie Arnould, conquirent une éclatante célébrité et la durent presque autant à leur intelligence et à leurs aventures galantes qu’à leur talent.

Elles sont chantées par les poètes, célébrées dans leurs épîtres comme d’indispensables collaboratrices[81]. C’est parmi elles que les grands seigneurs, les ministres choisissent leurs maîtresses et, parfois, elles disposent ainsi que les femmes de la Cour, des places et des honneurs : tel fut le cas, par exemple, de Mlle Renard. Cette actrice de l’Opéra, maîtresse du prince de Montbarey, fit pendant quelques mois la pluie et le beau temps au ministère de la guerre et s’enrichit scandaleusement en vendant les grades et les honneurs. Grandes courtisanes et célèbres pour leur rôle dans la galanterie autant que par leur talent dramatique, les grandes actrices de l’Opéra ou de la Comédie ont pénétré parmi les classes dirigeantes et mènent à peu de chose près leur vie.

Il n’en est pas de même de la foule des chanteuses et des danseuses, des comédiennes qui doivent se contenter de plus humbles salaires et que les contemporains montrent économisant sur leurs vêtements et leurs chaussures. Celles-là, comme tant d’autres femmes qui exerçaient un métier, ne pouvaient vivre qu’en ayant recours à la générosité masculine. Brillante encore sur la scène, leur vie journalière est humble et modeste. Quelques chanteuses cependant furent, en raison de leur rareté[82] et pour cette raison, bien payées, purent vivre de leur seul talent et s’offrir le luxe d’une vie relativement honnête[83].

Enfin, les femmes sont communément directrices de spectacles. Les auteurs de la fin du xviiie siècle voient ce trait comme l’une des caractéristiques de leur époque.

Des femmes recrutent des troupes, montent des pièces et parcourent la France, organisant des tournées dans les grandes villes de province. La plus célèbre, la Montansier, fut comme un « ministre régnant sur le département des plaisirs provinciaux » [84].

La Montansier ne fut que la plus célèbre parmi les directrices de théâtre. Bien d’autres font des « tournées » et les archives départementales nous signalent fréquemment des femmes conduisant des spectacles dans différentes régions de la France. Ici, des directrices de théâtre ambulant donnant des représentations comiques ou tragiques ; là, des maîtresses de ballet conduisant une troupe de danseuses ; là, une écuyère donnant dans son manège des courses de chevaux et des exercices de cirque ; enfin, à un degré au-dessous, les marchandes foraines dirigeant d’innombrables jeux (jeux de bagues) ou montrant des curiosités[85].

Nous connaissons mal la vie de ces artistes ambulantes, sauf par la mention de leur passage dans les diverses villes ; mais nous pouvons deviner qu’elles furent un véritable roman comique.


viii. Métiers féminins autres que les métiers manuels
Fonctions bureaucratiques


À côté de la grande industrie qui appelle dans ses établissements des milliers de femmes, nous voyons mille occupations s’ouvrir à leur activité et à leur initiative.

C’est naturellement le commerce qui, sous toutes ses formes, leur offre les plus grandes facilités. Un grand nombre de femmes sont relieuses ; on en rencontre beaucoup à Paris et dans les provinces ; un certain nombre même se signalent par leur habileté et s’acquièrent une assez grande réputation. C’est une femme que nous trouvons chargée, à Nîmes, de garnir de cuivre les livres du chapitre de l’église cathédrale[86]. Ailleurs (Normandie), des femmes sont peintres en bâtiments.

Les hôtelières et cabaretières se rencontrent naturellement un peu partout, exerçant soit en leur nom, soit en survivance de leur mari.

Dans le Maine, où l’activité économique des femmes paraît très grande, nous les trouvons faisant, dans les bourgs ou les villages, toutes sortes d’affaires, soit associées avec leur mari, soit seules. Celles-ci passent entre elles des contrats de société[87], d’autres sont marchandes de bois ou fabricantes de sabots[88] ; à Saint-Malo, à La Rochelle, les femmes qui se livrent au commerce maritime sont très nombreuses[89].

Les revendeuses foisonnent à Paris, dans les principales villes et jusque dans de petites villes lorraines, comme Charleville. À Dijon, elles forment la communauté des revendeuses à la toilette et ont l’autorisation officielle de vendre des vêtements d’occasion, à condition de ne vendre que ceux-là pour ne pas faire concurrence aux tailleurs et aux couturières, et de ne rien acheter aux domestiques ni aux fils de famille.

Nous voyons fréquemment des femmes tenir boutique où s’entassent des marchandises prohibées et trouver, dans ce commerce illicite, l’occasion de fructueux bénéfices. Au début du xviiie siècle, à Caen, plusieurs femmes vendaient des toiles des Indes, de la Chine et du Levant dont le commerce était alors prohibé ; dans la même alle, une femme fait secrètement le commerce des laines[90] ; à Charleville, une revendeuse vend des marchandises prohibées. Enfin un grand nombre de femmes de Montpellier jouent, à la fin du xviiie siècle, un rôle tout particulier. Les commerçants juifs, très nombreux dans la région, s’étant vus, par la plainte des commerçants chrétiens, refuser le droit de tenir boutique dans les villes et d’y vendre leurs marchandises, étoffes de soie ou de damas, bijoux, colifichets, un grand nombre de femmes du peuple de Montpellier leur servirent d’intermédiaires officieuses. Elles entreposèrent chez elles les marchandises et les vendirent sous main à leurs amies, ou firent la place pour ces marchandises : leur bonne qualité et la modicité relative de leur prix engageaient les femmes à les acheter plutôt que celles des commerçants patentés. Malgré les plaintes faites par ceux-ci à l’intendant qui, d’ailleurs, refusait souvent de les écouter et les engageait à faire eux-mêmes concurrence aux juifs en baissant leurs prix, les femmes de Montpellier poursuivirent leur rôle fructueux d’intermédiaires.

Elles ont ainsi leur rôle dans l’histoire commerciale du Languedoc et dans la lutte qui, dans cette province, mit aux prises les juifs, représentant la liberté commerciale, et les négociants, membres des communautés représentant le monopole et la réglementation.

Un métier qui paraît assez largement ouvert aux femmes est celui de maîtresses de postes. Nous le trouvons effectivement exercé par des femmes dans un assez grand nombre de régions : en Lorraine et en Champagne, en Normandie, en Bretagne. À la fin du xviiie siècle on trouve, une directrice des diligences, coches, carrosses et Messageries royales, à Saint-Lô[91], une maîtresse de postes à Rennes, une à Pontorson, une à Quimper[92], une autre à Châlons, une autre encore à Charleville[93]. Des exemples, pris dans les provinces si différentes, montrent que l’usage d’admettre les femmes à l’exercice de ce métier dut être général. Elles l’exerçaient d’ailleurs, la plupart du temps mais pas toujours, en survivance de leur mari.

Dans les mêmes conditions à peu près les femmes purent devenir directrices des postes : des veuves exercent ce métier à Saint-Lô et à Isigny. Ainsi dans une certaine mesure, très restreinte il est vrai, des femmes sont susceptibles de remplir des fonctions administratives que l’on ne peut exercer qu’en vertu d’un brevet royal et l’on voit poindre déjà la femme fonctionnaire. La femme facteur ou courtier, particulièrement factrice en grain, paraît également assez souvent[94].

D’autre part, sans être directement nommées par le gouvernement, quelques femmes exercent des fonctions bureaucratiques. Il en fut ainsi dans les administrations diverses dépendant du contrôle général des finances ou de la ferme générale, ou dans les bureaux de distribution du sel, du tabac, de papiers timbrés, de bulletins de loterie. « On compte, nous apprend une féministe du xviiie siècle, sur 10 000 employés, 5 à 600 femmes environ. » Elles sont d’ailleurs confinées dans les emplois les moins lucratifs[95].

Enfin les municipalités furent amenées parfois, mais rarement, soit par des circonstances particulières, soit en vertu d’anciennes coutumes aux lois, à confier aux femmes certaines fonctions qui font d’elles des fonctionnaires municipaux. Nous trouvons au xviiie siècle deux exemples seulement, mais assez curieux. En 1738, la petite ville d’Amboise[96] a confié à une femme la fonction de tambour et trompette de la ville. La décision des magistrats municipaux paraît d’ailleurs bizarre aux habitants : le spectacle d’une femme battant du tambour sur la place publique fait plus rire qu’il n’attire l’attention… Et le Conseil de ville doit relever la femme Buge de ses fonctions… Aussi, dès ce moment, il se produit contre les femmes qui exercent des métiers habituellement confiés aux hommes cette réaction moqueuse de l’esprit masculin qui, au xixe siècle, causera tant d’embarras au féminisme.

D’anciens édits royaux décidaient qu’il y aurait, dans chaque localité, un bourreau chargé d’exécuter les femmes condamnées aux verges, à la marque, au pilori et qui devaient être déshabillées hors de la présence d’hommes.

Au xviiie sièclee, cette coutume était presque partout tombée en désuétude. Elle se maintenait pourtant en Lorraine : à la fin du xviiie siècle, en effet, les villes de Lunéville et Saint-Avold appointaient encore des femmes comme maîtresses des hautes et basses-œuvres[97].

Quelques femmes semblent, dès cette époque, s’être senties attirées par l’exercice de la médecine. Bien entendu, il ne pouvait être question pour elles de suivre des cours dans les facultés, d’acquérir une instruction professionnelle, d’obtenir des grades et d’exercer officiellement. Mais elles pouvaient arriver, d’une façon officielle ou détournée, suivant les cas, à suivre leur vocation. Les chirurgiens, longtemps confondus avec les barbiers, formaient une corporation et les veuves des maîtres chirurgiens pouvaient, comme les veuves des autres maîtres, conserver sous certaines conditions le privilège de leur mari. Elles pouvaient avoir boutique, tenir garçons, travailler dans l’art de la chirurgie[98] et exploiter elles-mêmes le cabinet de leur mari, si elles ne préféraient pas céder leurs droits et privilèges, qui étaient bien leur propriété, à un homme de l’art. Il n’en était pas de même des médecins. Cependant, sans doute encouragées par l’exemple des femmes qui tenaient un cabinet de chirurgie, on voit des femmes se livrer à l’exercice de la médecine. Telle veuve de médecin agenais est condamnée au bannissement pour exercice illégal de la médecine. Telle autre pratique des saignées gur les malades au détriment des chirurgiens. Une autre encore vend des onguents contre les privilèges des apothicaires[99].

Sans doute ces cas sont assez rares. Néanmoins, ils montrent que bien souvent des femmes durent être tentées de franchir les barrières légales qui s’opposaient à ce qu’elles se livrassent à une vocation médicale. D’ailleurs, les jurisconsultes prennent soin de spécifier qu’une des qualités requises pour l’exercice de la médecine ou de la chirurgie est d’appartenir au sexe mâle.

C’est cependant, s’il faut en croire Guyot[100], depuis 1755 seulement, où un arrêt du Parlement de Paris en décida ainsi, que l’exercice de la chirurgie pour leur propre compte fut officiellement interdit aux femmes. À la même époque et par le même arrêt leur fut interdit la pratique de l’art dentaire que, sans doute, une tolérance leur permettait jusqu’alors d’exercer.

Ces deux considérations permettent de penser qu’en effet un certain nombre de femmes, surtout dans les campagnes où les médecins étaient rares, durent pratiquer avec plus ou moins de compétence et de succès la médecine, et sans doute jusqu’à la fin du xviiie siècle, malgré les dispositions contraires de la législation.

ix. Les sages-femmes. — La direction des hôpitaux

D’ailleurs, une branche de l’art médical, mieux de la chirurgie, était officiellement ouverte aux femmes et cela facilita sans doute leur intrusion dans les autres branches de l’art médical.

Les femmes, en effet, pouvaient pratiquer les accouchements, les sages-femmes formaient une communauté assez nombreuse et pourvue de privilèges.

Comme ceux de mainte autre corporation de la capitale, les statuts des maîtres chirurgiens furent renouvelés sous le règne de Louis XV. Les statuts des sages-femmes qui étaient agrégées à la communauté des maîtres chirurgiens furent alors définitivement fixés.

Pour pouvoir aspirer à faire partie de la communauté des maîtresses sages-femmes, stipulait l’ordonnance royale du 24 février 1730 fixant les statuts des chirurgiens, il fallait être catholique, de bonne vie et mœurs, et faire son apprentissage soit à l’Hôtel-Dieu, auprès d’un chirurgien accoucheur, soit auprès d’une maîtresse sage-femme. Dans le premier cas, trois mois de présence suffisent. Mais l’obligation est imposée d’assister aux cours et aux dissections. Dans la deuxième alternative, l’apprentissage doit être de trois ans. Ces études préliminaires terminées, la candidate passe un examen, à l’hôpital Saint-Côme, devant le lieutenant du prévôt, quatre chirurgiens, une sage-femme jurée de la plus ancienne en maîtrise. L’examen est présidé par le premier chirurgien du roi.

Elle reçoit alors son brevet de maîtresse sage-femme et a le droit d’exercer.

Les sages-femmes de la capitale offraient donc d’assez sérieuses garanties de compétence. Formant une communauté qui possédait ses statuts particuliers, les sages-femmes élisaient d’ailleurs, comme les autres communautés, des gardes jurées qui devaient veiller au bon exercice du métier.

À la fin du xviiie siècle, on comptait à Paris plus de deux cents sages-femmes ; chaque quartier, chaque rue même possédait sa sage-femme diplômée[101] qui, installée dans un vaste appartement, pouvait loger quatre pensionnaires au moins et, souvent aidée de sa fille, accouchait les femmes et les filles-mères et se chargeant, dans ce dernier cas, de faire baptiser l’enfant et de le faire mettre en nourrice. S’il faut en croire Mercier, la sage-femme habile et discrète tient une très grande place dans la vie de la bourgeoisie et du peuple parisien. Et, sans son intermédiaire, bien des drames familiaux se dérouleraient.

En dehors de la capitale, les sages-femmes ne sont pas toujours nommées dans les mêmes conditions ni avec les mêmes garanties.

Dans la plupart des régions, c’est la communauté des chirurgiens qui décerne aux aspirantes sages-femmes des lettres de maîtrise. C’est cette communauté qui délègue un de ses membres pour recevoir l’aspirante après lui avoir fait passer un examen. Mais il semble bien qu’en dehors de la capitale cet examen se réduise à très peu de chose. En tout cas, aucun apprentissage sérieux ne paraît exigé des candidates. Quelques-unes de celles qui vont exercer en province ont, il est vrai, passé leurs examens à Paris[102].

Dans certaines régions, la Lorraine, par exemple, les sages-femmes sont élues par les femmes de leur paroisse réunies en assemblée et, après leur élection, prêtent serment d’exercer avec zèle et dévouement[103]. Ailleurs (Meaux), elles sont élues par le Conseil de ville, qui en fait de véritables fonctionnaires pourvues d’un traitement de 300 livres[104].

Celle qu’on choisit doit offrir des garanties d’honorabilité et de sérieux ; dans tel cas on choisit par exemple la femme du régent d’école. Mais il n’apparaît pas qu’on se préoccupe beaucoup de sa compétence.

L’insuffisance des garanties exigées, en dehors de la capitale, pour l’exercice de la profession de sage-femme, eut pour résultat l’envahissement de la profession par un grand nombre de femmes qui, sans brevet ni diplôme, ni aucune autorisation officielle, pratiquèrent l’art des accouchements et firent une grande concurrence aux sages-femmes qualifiées. Cette concurrence souleva à plusieurs reprises les protestations des maîtresses sages-femmes[105].

Mais les sages-femmes qualifiées, elles-mêmes, étaient trop peu nombreuses et trop peu compétentes pour que leur protestation put avoir du poids. L’insuffisance du nombre de sages-femmes qualifiées apparaît aux efforts tentés par le gouvernement royal et les autorités locales pour augmenter le nombre de celles-ci en encourageant par divers avantages les femmes à embrasser cette profession.

Des ordonnances royales exemptent de la corvée des femmes munies du certificat de sage-femme[106]. Les magistrats municipaux de certaines villes, suivant cet exemple, exonèrent les sages-femmes diplômées des taxes municipales (tour de ville, taille du bétail), et vont même jusqu’à leur assurer le logement[107].

Cependant, aux environs de 1770, encore l’instruction technique des sages-femmes reste bornée et leur nombre très insuffisant. On se rend compte alors des graves inconvénients que présentait cet état de choses et de la fâcheuse influence sur le développement de la natalité.

Dans les vingt années qui précèdent la Révolution, un très sérieux effort est tenté pour assurer, non seulement dans la capitale mais dans les provinces, le recrutement d’un personnel nombreux et exercé.

Les intendants encouragent les autorités locales à faire en ce sens des efforts et y travaillent eux-mêmes[108].

Pendant son intendance en Limousin, Turgot institue à Limoges des cours d’obstétrique.

Un peu auparavant (1760), l’intendant de Rennes s’occupait de faire imprimer, traduire en langue bretonne et répandre dans les campagnes un cours d’accouchements dû à M. Bonestard, médecin de Morlaix. L’œuvre était, écrivait l’intendant, d’une importance capitale, l’impéritie des sages-femmes étant une des causes de dépopulation de la province.

Ces essais étaient tout locaux et nous ne savons pas s’ils eurent un grand succès.

Au début du règne de Louis XVI, une tentative fut faite pour organiser et répandre l’instruction professionnelle nécessaire à l’exercice du métier et former dans toutes les provinces, ou du moins dans les plus importantes localités de chacune d’elles, des sages-femmes expertes.

L’initiative privée commença ; les pouvoirs publics suivirent. Une maîtresse sage-femme de Paris, Mme Ducoudray, inventa une machine[109] pour la démonstration des accouchements et demanda au gouvernement l’autorisation d’aller faire ces démonstrations en province et de professer dans les principales villes, en se servant de sa machine, des cours d’accouchements.

Sa proposition fut favorablement accueillie et la dame Ducoudray fut investie d’une commission officielle du gouvernement. Elle fut chargée de se transporter dans les différentes provinces du royaume pour y faire des cours d’accouchements. Les intendants reçurent sans doute pour instructions de lui faciliter, autant qu’il serait en leur pouvoir, l’accomplissement de sa mission, car Mme Decoudray entreprit, en 1774[110], une grande tournée dans presque toute la France, semblant obtenir des autorités provinciales le plus ferme appui.

Nous trouvons, en 1774, Mme Ducoudray à Châlons ; elle s’y est fait bien accueillir de l’intendant Rouillé d’Orfeuil qui l’encourage à continuer sa tournée dans les autres villes de l’Intendance, puis à Mézières et à Rethel.

Les élèves semblent assez nombreuses et des hommes même assistent aux cours et aux expériences[111] ; à Troyes, les cours sont également assez fréquentés.

Ensuite, Mme Ducoudray se transporte en Lorraine, où elle fait des cours à Neufchâteau et sans doute à Nancy[112], puis en Bourgogne, où son passage à Dijon est signalé par de nombreux documents et où nous voyons les représentants du roi et les autorités municipales également préoccupés de lui envoyer des élèves[113].

En 1777, Mme Ducoudray parcourt la Normandie. Elle professe à Évreux, puis à Rouen et dans toute la généralité de Rouen, et l’Intendance constate le succès de ses cours[114].

Plus tard, elle arrive dans les provinces méridionales. Le Languedoc, la Guyenne, le Dauphiné, sont le théâtre de son incessante et, semble-t-il, féconde activité.

À Auch, à Bordeaux, à Nîmes, à Grenoble, des cours sont agencés et suivis assez assidûment[115].

Bien que nous n’ayons pas le témoignage positif du passage de Mme Ducoudray dans les autres provinces, on peut supposer cependant, qu’étant donné le but de sa tournée, celle-ci dut avoir pour théâtre toutes les localités importantes sans exception.

Sans connaître par le menu tous les incidents qui purent dans telle ou telle ville marquer le passage de Mme Ducoudray, nous pouvons soupçonner cependant qu’elle se heurta à certaines difficultés de la part du corps médical. Les chirurgiens, en effet, ne tenaient pas à ce qu’il y eut trop de sages-femmes exercées qui, pour eux, étaient des concurrentes. Aussi les chirurgiens de Chaumont, au cours de la tournée de Mme Ducoudray en Champagne, font-ils des démarches pour l’empêcher de professer et de continuer ses expériences[116]. Mais les autorités donnent toujours gain de cause à Mme Ducoudray.

Le résultat de la mission justifia, semble-t-il, la faveur qui l’avait accompagnée.

Dans presque toutes les villes où est passée Mme Ducoudray, des cours d’accouchements sont institués par les maîtresses sages-femmes qu’elle a formées. Ces cours étaient assez répandus pour qu’une ordonnance royale déclare qu’aucune femme ne sera autorisée à pratiquer l’art des accouchements sans justifier de deux ans d’assiduité aux cours. De fait, entre 1774 et 1789, une dizaine de femmes au moins suivent tous les ans les cours d’accouchements institués à Rouen, à Évreux, à Périgueux, à Grenoble, à Troyes, à Châlons, à Nîmes, à Auch, à Bordeaux, à Agen. Des enquêtes accomplies par les diverses intendances constatent que, dans toutes ces localités, les élèves de Mme Ducoudray exercent le métier de sages-femmes sans difficulté[117].

On emploie d’ailleurs de nombreux moyens pour assurer le recrutement des élèves et les engager à suivre avec zèle les cours. Ici (Châlons), on exempte de corvée les sages-femmes et on étend ce privilège à leur mari[118].

Là (Nîmes), à la clôture des cours d’accouchements, l’on distribue des prix aux meilleures élèves. La première reçoit une médaille d’or aux armes de la ville et son nom est proclamé à son de trompe dans les rues[119]. Plusieurs villes organisent ainsi une distribution de prix solennelle dont la perspective encourage le zèle des candidates[120].

On songea alors à assurer ces résultats en créant des établissements hospitaliers réservés spécialement aux femmes en couches, où les sages-femmes pourraient, sous la direction de professeurs, apprendre la pratique du métier. L’idée ne fut pas réalisée.

Malgré les efforts de Mme Ducoudray et les résultats obtenus, il s’en fallait encore, à la veille de la Révolution, que toutes les sages-femmes offrissent les garanties de compétence désirable. En 1788, un docteur de Paris écrit un mémoire sur l’incapacité des sages-femmes. Les cahiers des États Généraux contiennent de nombreuses doléances sur le même thème.

C’est que bien des difficultés s’opposaient, sinon à Paris, du moins dans les petites villes de province et surtout dans les campagnes, à la formation d’un personnel nombreux et instruit.

Les chirurgiens ne renonçaient pas à leur opposition et fort souvent leur corporation, très puissante, faisait tout pour empêcher les sages-femmes d’exercer.

Le recrutement des élèves n’était pas toujours facile. En vain les curés, suivant les instructions des intendants, engageaient-ils les parents à envoyer leurs filles à la ville fréquenter les cours d’accouchement. Les paysans refusaient[121] et l’on avait parfois du mal à trouver suffisamment d’élèves. Enfin, en dehors des villes, les sages-femmes n’avaient pas toujours une clientèle suffisante pour qu’un grand nombre d’entre elles fussent attirées vers la profession. Car le paysan, réfractaire au progrès, s’en remettait surtout à la nature, du soin de l’accouchement de sa femme et, la plupart du temps, ne faisait appeler personne à son chevet. « Mes paroissiens, écrivait, en 1776, un curé champenois, prennent plus de soin de leurs vaches quand elles veulent déposer un veau que de leur femme en ce qui regarde les accouchements. »

Ainsi, s’il est inexact de soutenir avec certains historiens[122] que l’ignorance des sages-femmes ait été commune, générale, du moins est-il avéré que le nombre des sages-femmes exercées demeurait fort restreint.

Direction des hôpitaux. — La direction et l’administration des hôpitaux qui, à l’origine, avaient été confiées entièrement à des religieuses, passe parfois aux mains des laïques. On prit d’abord les bourgeoises de la ville, qui remplirent bénévolement les charges diverses d’intendantes, d’économes, de directrices de salles. Mais à la fin du xviiie siècle, ces fonctions étaient devenues un véritable métier.

Dans tout hôpital un peu important, une femme était établie à la tête de chaque salle ou de chaque service : les unes sont préposées au soin des malades, d’autres distribuent le travail aux femmes, dirigent ce travail, en recueillent les produits, tiennent les registres de comptabilité, complètent au besoin l’instruction professionnelle des hospitalisées. Les hôpitaux généraux de Limoges, d’Aubusson, de Grenoble, par exemple, sont ainsi dirigés et administrés. Les employées sont fonctionnaires municipaux et les municipalités se préoccupent de leur assurer un statut et de leur imposer des règlements.

Ainsi à Grenoble, elles forment, depuis 1781, une congrégation séculière sous la direction d’un supérieur désigné par le bureau d’administration de l’hôpital, parmi les directeurs, et d’une supérieure élue par elles dans leur assemblée générale. Celle-ci est investie d’un service de surveillance, de centralisation et d’organisation ; elle collabore étroitement avec le bureau. Les demoiselles de l’hôpital sont sous son étroite surveillance et elles sont astreintes à une vie quasi monastique, mangeant en commun, sortant peu, modestement habillées, évitant toute mondanité. Du moins ont-elles, comme les religieuses, le droit de se réunir en assemblées générales où elles peuvent prendre une large part à l’administration[123]. Il est à remarquer que c’est de tous les hospitalisés sans distinction et non de ceux du sexe féminin seulement que les femmes ont à s’occuper. Dès ce moment, donc, on a jugé que les femmes étaient particulièrement aptes à collaborer étroitement à l’organisation et au développement d’institutions charitables que, bien souvent d’ailleurs, l’initiative féminine avait fondées.

x. Les servantes, soubrettes, cuisinières et nourrices

Au milieu du prolétariat féminin, les domestiques forment une catégorie à part qui, leur vie étant continuellement mêlée à celle de la bourgeoisie, prend des habitudes et un tour d’esprit différent de celui des autres femmes de leur classe. Elles viennent d’ailleurs de couches sociales assez différentes. La plupart sont d’origine campagnarde ; celles qui suivent les grandes familles possédant des propriétés terriennes sont recrutées directement sur les domaines seigneuriaux ; d’autres quittent la campagne pour se placer chez les bourgeois provinciaux ; d’autres encore sont venues à la ville pour exercer l’un des métiers ouverts aux femmes : industrie de la mode et de la couture, petits métiers divers, et, ne réussissant pas à gagner leur vie, par inexpérience, malchance ou chômage, sont contraintes à se placer. Quelques-unes enfin, c’est un cas assez fréquent parmi les soubrettes de la capitale, appartiennent à la petite bourgeoisie ; elles sont filles de petits fonctionnaires provinciaux qui ont été attirés par la grande ville, par le goût du luxe et la recherche de l’aventure. Et il semble bien que celles-là soient plus nombreuses au xviiie siècle qu’elles ne l’étaient au siècle précédent. La meilleure preuve en est que si le théâtre du xviie siècle nous montre des servantes ignorantes et balourdes, tout au plus animées d’un gros bon sens rustique, le théâtre du xviiie siècle nous fait voir, lui, des servantes plus fines, plus distinguées et souvent fort instruites. Leurs portraits doivent correspondre en partie à la réalité.

Il faut d’ailleurs distinguer parmi les domestiques bien des catégories, très différentes suivant le milieu où elles servent, le lieu où elles travaillent et la spécialité qu’elles exercent.

Dans les familles modestes de la bourgeoisie provinciale, la servante n’est que la bonne à tout faire, elle aide la maîtresse de maison aux plus durs travaux du ménage ; levée tôt, couchée tard, souvent rudoyée, elle fait néanmoins partie de la famille, à laquelle le plus souvent elle s’attache par de longues années, parfois pour la vie. D’ailleurs, restant vieille fille, elle n’a pas d’autre foyer.

Le type de la vieille servante est alors très répandu. Elle justifie sa prétention d’être de la famille en en prenant véritablement les intérêts. Telle cette servante citée par Grosley qui, entrée à l’âge de quinze ans au service de sa trisaïeule, servit plus de soixante ans quatre générations, gérant leurs terres en l’absence de ses maîtres et allant jusqu’à donner, ceux-ci étant tous avocats, des consultations juridiques aux paysans[124].

Le dévouement de ces servantes est absolu ; elles sont aimées, respectées de la famille, un peu craintes, car elles parlent haut et donnent des conseils, même lorsqu’on ne les leur demande pas. Elles rappellent les servantes de Molière, grondeuses et dévouées.

Dans les maisons plus importantes de la noblesse et de la bourgeoisie provinciale où l’on emploie plusieurs domestiques, on établit au-dessus d’eux une gouvernante ou femme de charge. Celle-ci apparaît, bien plus encore que la bonne à tout faire, « comme un personnage très important respecté de tous ; son nom vient dans toutes les lettres, où l’on ne manque pas de se rappeler à son souvenir » [125].

En général ignorante et complètement illettrée, la servante a cependant quelquefois des préoccupations intellectuelles. Telle servante se monte une bibliothèque[126]. Assez nombreuses, nous le verrons, sont celles qui s’intéressent aux questions religieuses et qui, catholiques ou jansénistes convaincues, font autour d’elles une propagande pour leurs idées, s’initient même à la théologie.

Cependant, le type de servante qui séjourne de longues années dans la famille tend, dès cette époque, à disparaître. « Aujourd’hui, dit Mercier, telle maîtresse essaye dix servantes en un mois[127]. » Celles-ci, accoutumées à faire leur paquet, passent de maison en maison, baptisant du nom de baraque celle où la cuisine est maigre ou surveillée de trop près. Seules, celles qui rentrent chez un vieux garçon retrouvent une fonction stable.

La soubrette qui suit la grande dame ou la riche bourgeoise de Paris est bien différente. Celle-ci n’est plus, comme la bonne à tout faire ou la femme de charge, habillée de couleurs sombres. Elle porte des vêtements plus gais, égayés encore par un grand luxe de linge, cottes et bonnets empesés ; sa maîtresse lui donne volontiers costumes et parures qui ont cessé de lui plaire et il n’est par rare de la voir vêtue de satin, parée de diamants. Avec sa jupe très courte, son corsage largement échancré, sa guimpe ou son fichu de dentelles, ses talons hauts et son petit bonnet, elle est toujours de silhouette élégante, d’allure dégagée. Elle est vive d’ailleurs et délurée, instruite également et capable aussi bien de mettre la dernière main à une robe inachevée ou de modifier quelque peu sur sa maîtresse l’œuvre de la marchande de modes, que de tourner pour elle un billet. Ainsi apparaissent les servantes de Marivaux, différentes des servantes de Molière et aussi fines, aussi distinguées que les autres sont balourdes. Aussi tiennent-elles dans ses pièces une tout autre place que les Toinette ou les Martine dans celles de Molière. Les premières sont des personnages épisodiques ou de simples confidentes. Dans Le jeu de l’amour et du hasard, dans Arlequin poli par l’Amour, dans Le Legs, les servantes sont des personnages indispensables à l’intrigue. Elles connaissent le caractère de leur maîtresse, possèdent leurs secrets et ne négligent pas de poursuivre aussi leur propre intérêt ; elles ont leur diplomatie, leurs intrigues qui ne sont pas sans influer sur le dénouement.

C’est d’ailleurs à ces soubrettes autant qu’aux valets mâles que s’applique le mot de Beaumarchais : « Aux qualités qu’on exige des domestiques » Les soubrettes assez élégantes, assez fines, assez dégourdies pour pouvoir tenir honorablement leur rôle auprès d’une grande dame, sont malgré tout rares, les maîtresses se les disputent[128].

À côté de la femme de chambre préférée, dame de compagnie autant que domestique et confidente des secrets, se trouvent d’ailleurs, auprès de chaque grande dame, plusieurs soubrettes qui chacune a son rôle dans la pièce compliquée qu’est l’habillage d’une jolie femme. « Celle-ci coiffe, celle-là ajuste les vêtements, cette autre s’empresse à mettre le rouge ou à placer les mouches, une autre passe la boîte à poudre ou la pâte d’amandes. » Le nombre de servantes requises ainsi par la haute société est si grand que, dit un contemporain, ce luxe de personnel inutile dépeuple les campagnes. C’est « un vol d’individus » à l’agriculture qui devrait être frappé d’impôts[129].

Les cuisinières ne ressemblent ni aux femmes de chambre ni aux bonnes à tout faire. Bien que la corporation des cuisiniers ne soit pas ouverte aux femmes, il semble cependant qu’à la fin du xviie siècle, elles aient été fort nombreuses. Dans nombre de maisons bourgeoises et même de grandes maisons, la cuisinière remplace le cuisinier. Elle passe en effet pour avoir le goût plus fin et surtout pour le conserver plus longtemps. Certaines provinces ont la spécialité de fournir des cuisinières particulièrement réputées.

Les plus appréciées sont les Picardes : après elles les Flamandes, les Orléanaises, les Bourguignonnes, celles-ci passant pour être les plus fidèles. Les Normandes, au contraire, sont les plus mauvaises de toutes[130].

Leurs gages sont relativement élevés : cinquante écus par an au minimum et pour assez peu de travail. Elles trouvent d’ailleurs moyen d’augmenter largement leurs revenus par la pratique de l’anse du panier — la chose et le mot existent alors — et l’usage du sou pour livre pratiqué déjà par les fournisseurs. Toute bonne cuisinière doit être habile à majorer les notes et l’initiation que les anciennes donnent aux nouvelles lorsqu’elles entrent dans la carrière porte particulièrement sur ce point[131].

Quelques-unes ne sont pas placées dans les maisons bourgeoises, mais dans les auberges ou dans les restaurants.

Telle « serveuse » d’un restaurant de la rue des Boucheries, à vingt-six sous le repas, sert dans la journée 110 personnes, distribuant à chaque repas 600 assiettes et 500 plats… « C’est, dit Mercier, un phénomène curieux par la mémoire par le sang-froid et la rapidité du service… »

Naturellement, cuisinières ou filles d’auberges, celles-ci assoiffées par leur station continuelle devant leur fourneau, celles-là habituées à servir une clientèle souvent grossière, sont bien différentes de la bonne à tout faire bourgeoise et de la soubrette de grande maison ; peu élégantes, d’aspect disgracieux, volontiers adonnées à la boisson et à la débauche, souvent voleuses, elles sont, parmi les domestiques, la classe la plus dangereuse et la plus corrompue. La « servante d’auberge » a beau être idéalisée par le roman et surtout par l’imagerie populaire, où elle apparaît gracieuse, alerte, jolie et, telle la Madelon de la Grande Guerre, trinquant avec le mousquetaire, c’est bien à elle, plus qu’à aucune autre, que s’applique la description la plus flattée que Restif de la Bretonne fait de la femme du peuple.

Les nourrices enfin forment une catégorie de domestiques bien différentes de toutes les autres. Nourrissant chez eux les enfants des grandes familles ou qui ramènent à la campagne ceux de la petite bourgeoisie, elles sont en général mieux traitées et plus considérées que les autres domestiques.

Elles prennent une grande autorité dans la famille. Celles qui sont employées par les familles princières arrivent parfois à une situation importante, même à la Cour, et acquièrent sur les jeunes princes qu’elles ont élevés une véritable influence qu’fait d’elles des personnages puissants et sollicités. La nourrice du dauphin Louis disposa ainsi de places et d’emplois[132].

Le plus souvent, les nourrices n’exercent pas chez leur patron mais emmènent avec eux les enfants. Il en est ainsi dans la petite bourgeoisie où l’exiguïté des appartements ne permet pas de donner une chambre à la nourrice et où les conditions sanitaires paraissent défavorables.

Contrairement à l’avis de Rousseau, Mercier, constatant que la plupart des femmes de la bourgeoisie parisienne mettent leurs enfants en nourrice, les loue grandement de leur sagesse, « car, ni l’air vicié que l’on respire à Paris, ni l’agitation de la ville ne sont favorables au développement de jeunes organismes ».

Nombre de campagnardes trouvent, en nourrissant chez elles ou à la ville, un métier lucratif. Se rendant compte d’ailleurs de l’importance qu’il y avait pour la santé publique et le développement de la population à amener aux jeunes citadins des nourrices offrant des garanties de santé et de moralité, le gouvernement a placé les nourrices sous sa surveillance.

Les femmes qui font métier d’intermédiaires entre les citadins et les campagnardes et tiennent des bureaux de placement où ceux-là viennent chercher celles-ci, dites « recommanderesses », sont placées, par une ordonnance de 1715, sous la juridiction du lieutenant-général de police.

De 1715 à 1769, quatre bureaux de « recommanderesses » fonctionnent à Paris. En 1769, une nouvelle organisation est établie. Les quatre bureaux fusionnent en un seul plus étroitement surveillé par le lieutenant de police. Aucune nourrice ne peut être placée par l’intermédiaire de ce bureau, si elle ne présente un certificat du curé de sa paroisse ; ce certificat témoignera de sa bonne santé et de sa moralité. Elle doit se charger du nourrisson tout le temps que les parents le jugeront convenable et elle ne peut le ramener dans la famille sans en être priée.

Le bureau des nourrices de Paris parut aux moins indulgents des contemporains une organisation modèle. « Sa direction active, éclairée, vigilante, dit l’un d’eux, ne mérite que des louanges[133]. »

En 1780, le bureau des nourrices de Lyon fut organisé suivant les mêmes principes.

La nourrice est donc assez communément utilisée ; sa fonction apparaît comme assez importante à l’État pour qu’il songe à réglementer sa profession.


xi. Galanterie et prostitution
Grandes courtisanes et filles du monde. Les abus de la réglementation
Le Bon Pasteur.


Les métiers qu’exercent les femmes sont donc multiples ; il semble bien qu’à la veille de la Révolution, la femme ait tenu, dans la vie économique et sociale du pays, une place au moins aussi large que pendant le cours du xixe siècle et que, de ce point de vue, elle n’ait guère jusqu’au triomphe de la révolution féministe, c’est-à-dire jusqu’au xixe siècle et au début du xxe, réalisé de grands progrès.

Il est hors de doute cependant que, dans la lutte économique, l’élément féminin était handicapé de toute manière par l’élément masculin, d’une part parce que quelques métiers ou professions (un assez petit nombre il est vrai en dehors des professions libérales) étaient interdits aux femmes par les lois[134], les règlements intérieurs des corporations jusqu’aux réformes de 1774-1776 ou simplement les préjugés, ensuite parce que la possibilité de recevoir une instruction professionnelle leur faisait généralement défaut, et que dans les corporations ou métiers, qui leur étaient accessibles, les femmes étaient reléguées souvent dans les emplois inférieurs, enfin parce que même lorsqu’elles exerçaient, et de la même manière que l’homme, un métier masculin, elles ne recevaient pas pour un travail égal un égal salaire.

D’ailleurs, la solidarité de classes dont le sentiment naît déjà, obscur sans doute mais parfois assez précis chez l’ouvrier qui rend celui-ci plus fort, est totalement absente chez l’ouvrière et le restera jusqu’au début du xxe siècle.

Si donc quelques femmes : marchandes de modes, commerçantes, couturières, lingères, actrices renommées, femmes de charge ou femmes de chambre des maisons princières, grosses marchandes des Halles, peuvent acquérir une situation enviable et parfois la fortune, ces exceptions illustres et enviées n’empêchent pas la majorité des femmes qui travaillent d’être soumises à une très dure loi d’airain. Le prolétariat féminin est dans son ensemble plus malheureux, plus misérable que le prolétariat masculin.

Comme au xixe siècle, la femme qui travaille ne peut en général vivre avec le produit de son travail. Il lui faut chercher dans l’appui de l’homme un allégement à son fardeau. Or, souvent elle ne peut se marier. Elle est donc poussée vers la galanterie ou la prostitution. Dès maintenant celles-ci ont non plus seulement des causes d’ordre moral ou physique mais d’ordre économique. C’est un petit fait qui n’a pas échappé aux plus clairvoyants des contemporains ; Mercier et Restif de la Bretonne montrent des milliers de filles qui, condamnées à des salaires de famine et ne pouvant ou ne voulant se marier, doivent, non pas toujours par goût mais par nécessité, se mal conduire.

Galanterie et prostitution revêtent d’ailleurs des formes très diverses et, parmi les irrégulières, on trouve toute une hiérarchie presqu’aussi compliquée que celle de la société régulière, une aristocratie, une classe moyenne, une populace, mais qui, toutes, tirent leur origine du peuple et non d’autres classes sociales.

Et c’est pourquoi c’est avec le peuple que nous devons les étudier.

Au sommet, les grandes courtisanes. Celles-ci sont recrutées en général parmi les femmes de théâtre et particulièrement parmi les « filles d’opéra ». Bien en vue, célèbres souvent, elles sont recherchées par les grands seigneurs, les fermiers généraux, les riches étrangers dont une liaison célèbre flattera la vanité.

Celles-là forment vraiment une aristocratie qui le dispute par son luxe aux femmes de la Cour et l’emporte souvent sur elles : nobles et bourgeois, Français et étrangers rivalisent pour elles de générosité. C’est par centaines de mille livres, par millions parfois, que les plus en vue reçoivent de l’argent. Nombre de grands seigneurs ou fermiers généraux se ruinent pour elles. « Ainsi Martinville dépensa 2 millions pour Mlle Robinet[135]. On se les arrache aux enchères ». « En 1768, le prince de Condé et le comte de Lauraguais se disputent la demoiselle Hingre, danseuse de l’Opéra, et c’est le comte qui l’emporte en offrant 60 000 livres[136]… L’Anglais Elgin dépense en moins d’un an 100 000 livres pour la demoiselle Colette. » L’entretien d’une belle courtisane est une partie essentielle du luxe de tout homme du monde.

Aussi leur existence est-elle somptueuse et dorée. Mlle Deschampes, qui fut à la fin du xviiie siècle une des beautés les plus célèbres de la capitale, fait, par le luxe que lui ont donné ses amants et en dernier lieu le fermier général Brissart, l’étonnement de tout Paris. Les contemporains décrivent avec une admiration stupéfaite son boudoir rose et argent avec son plafond de glaces, semé d’ottomanes garnies de crépines d’or, sa salle à manger où, au centre d’un portique de marbre, des statues lancent des jets d’eau dans une piscine. « Il semble que les mines de Golconde aient été épuisées pour elle[137]. »

Presque toutes les courtisanes en renom sont ainsi parées d’un luxe qui éblouit et qui éclate jusque dans les moindres détails de leur mobilier ou de leur équipage. Mlle Quoniam ne sort que dans un carrosse garni d’argent et capitonné de satin bleu[138]. Mlle Guimard met des dentelles jusque sur sa chaise percée, du strass aux brides de ses chevaux. Quels sont sur le chemin de Longchamps les plus magnifiques carrosses, les plus belles livrées ? Ceux des courtisanes, dit d’Argenson. « Aujourd’hui, signale le marquis philosophe, toutes les courtisanes veulent des rentes et des diamants. » C’est presque toujours, comme le rappellent les contemporains, parmi les danseuses de l’Opéra, parmi les chanteuses que les hommes riches vont chercher leurs amies. Les comédiennes, beaucoup moins favorisées, sauf d’éclatantes exceptions, mènent une vie plus modeste et qui attire moins le regard. Il va sans dire que leurs mœurs ne sont pas plus pures…

Auprès des gens de plume et auprès des gens du monde les grandes courtisanes jouissaient d’un certain prestige.

Elles donnent des petits soupers fort appréciés où se pressent, non seulement philosophes et poètes, mais des femmes de la meilleure société. Mme d’Epinay paraît aux petits soupers de Mlle Quinault, la présidente Portai chez Sophie Arnould. Les écrivains célèbrent dans de petits vers le charme de leur accueil et telle d’entre elles, comme Mlle Quinault, peut présider avec intelligence et esprit aux discussions les plus élevées de politique et de morale[139]. Telle autre, comme Sophie Arnould, renommée pour ses mots à l’emporte-pièce, ne craint pas d’adresser au contrôleur général Terrai des pièces de vers d’une extraordinaire hardiesse et le galant ministre ne dédaigne pas d’y répondre. Cependant il serait exagéré de faire, avec Goncourt, des courtisanes le centre de la vie intellectuelle de Paris ; elles sont, à part des exceptions illustres, bien inférieures par l’instruction et l’esprit aux femmes de la Cour. « Nous n’avons point d’Aspasie, note Mercier ; le caractère même de Ninon ne s’est pas représenté en ce siècle…, nos courtisanes se vendent et puis se vendent et encore se vendent…, elles n’ont rien des courtisanes de la Grèce. » C’est là un jugement un peu trop sévère. Quelques courtisanes furent, nous le voyons, des femmes d’esprit. D’autres furent vraiment des femmes de cœur touchées par le grand souffle de sensibilité qui, à la fin du xviiie siècle, amollit les âmes, et charitables aux misères humaines. Un jour que la Guimard s’était rendue à un rendez-vous galant et mystérieux dans les faubourgs, elle vit étalée à ses yeux la misère du peuple. Et, touchée de pitié, raconte Bachaumont, elle distribua aux pauvres une partie des 2 000 écus, « fruit de son iniquité…[140] »

Quoi qu’il en soit, les courtisanes, sorties à de rares exceptions près du bas peuple, filles de rôtisseurs ou de marchandes des quatre saisons, s’élèvent par la galanterie de plusieurs degrés dans l’échelle sociale. Elles se déclassent. Mais la souplesse de ^la femme, à cette époque particulièrement, est telle qu’elles tiennent honorablement leur place dans la société. Souvent, d’ailleurs, leur haute situation n’est que momentanée.

Quelques-unes finissent dans la plus profonde misère. Si Mlle Clairon a la chance d’être choisie par le margrave de Beyrouth comme gouvernante et occupe dans la petite cour allemande presque le rang d’un premier ministre[141], Mlle Deschamps est réduite à vendre son somptueux hôtel et ses meubles, Mlle Duthé à emprunter six livres pour aller au théâtre des Italiens[142]. Sur la haute pyramide de la galanterie que nous décrit Mercier, les déplacements sont constants et les ascensions, comme les chutes, rapides.

Au-dessous de celles qui éblouissent Paris par un luxe parfois éphémère, vient une sorte de classe moyenne de la galanterie, la foule des danseuses et des chanteuses de moindre envergure, des ouvrières de la mode ou de lingerie, des petites bourgeoises qui, n’étant pas professionnelles et dépourvues de l’orgueil et de la passion d’éblouir Paris et d’éclipser les rivales qui apparaissent dominantes chez les courtisanes, sont plus simples, plus douces et se laissent volontiers aller aux impulsions de leurs cœurs. « Celles-là qui, dit Mercier, ont mis de la tendresse où jusque-là on n’avait pas eu l’idée d’en mettre » [143] sont l’une des grâces du xviiie siècle et peut-être l’un des aspects les plus originaux.

Écoutons Goncourt qui a pénétré profondément leur psychologie : « Des femmes galantes moins en vue se dessinent à demi dans une lumière sans éclat qui leur donne une douceur et semble leur laisser une modestie. L’amour vénal qu’elles représentent emprunte à la jeunesse de leurs goûts, à l’air qu’elles respirent, à la campagne qu’elles habitent, je ne sais quelle innocence légère mêlée à un vague parfum d’idylle… Le xviiie siècle cache parmi ses courtisanes toute une famille de femmes semblables qui sauvent tout ce que la femme peut sauver d’apparences dans le vice aimable, tout de de constance dans l’amour qui se livre et qui s’attache. Aux agréments spirituels, à l’indulgence native, à la bonté expansive, à l’attitude rêveuse, à des dehors et à un certain goût de sentiment, elles joignent un respect du monde qui leur donne une sorte de respect d’elles-mêmes[144]. »

Celles-ci inspirent des passions moins éclatantes que les grandes courtisanes, mais sans doute plus sincères.

La Mazarelli[145], Manon Lescaut avant sa chute, sont, celle-ci dans le roman, celle-là dans la réalité, le type achevé de ces gentilles courtisanes qui ont pour nous tout le charme des grisettes de la Vie de Bohême et qui mènent une existence heureuse, remplie par les jeux charmants, les propos lestes, les promenades sentimentales dans la campagne et de légers romans.

Celles-là aussi ont, tout comme les grandes courtisanes et pour le temps du moins où elles sont jeunes et jolies, échappé aux servitudes de leur classe et brisé momentanément la loi d’airain. Mais voici tout un prolétariat lamentable qui, issu des ouvrières des faubourgs et des campagnardes échappées à la glèbe, et poussées à la débauche par la misère, y trouve, avec presqu’autant de misère, un plus rigoureux asservissement.

Soumises à des lois d’exception, mieux véritables outlaws, les « filles du monde » ainsi que sont appelées alors les prostituées et sont bien à cette époque plus qu’à d’autres, des parias de la société.

En cohortes nombreuses et désordonnées, elles se pressent sur les promenades publiques de la capitale. Parmi elles, le Palais-Royal tient une place à part. « Le libertinage, dit Mercier qui en donne une description fort vivante, y est éternel… Les Athéniens élevaient un temple à leurs Phrynés ; les nôtres trouvent le leur dans cette enceinte. » Sous les galeries où s’ouvrent des boutiques luxueuses, où la nuit tombée s’allument les tripots, grouille une foule cosmopolite.

C’est en effet les courtisanes de tout rang qui, particulièrement l’après-midi à cinq heures et le soir à onze heures, parcourent les galeries, « appelant d’un « st, st, st, » provinciaux et étrangers qui viennent là chercher un plaisir facile et les louer à l’heure comme des carrosses[146]. » Le Palais-Royal présente un spectacle si offensant pour les bonnes mœurs que la promenade est délaissée par les honnêtes femmes et les citoyennes vertueuses et qu’on songea un instant à l’interdire aux « filles du monde ».

Celles qui font du Palais-Royal le centre de la débauche et qui, par la même occasion, amènent de la clientèle aux tripots qu’elles achalandent, sont encore le plus souvent et bien que leur existence soit précaire, jolies, séduisantes et parées. Mais d’autres, trop pauvres pour s’habiller convenablement et qui n’ont pour toute garde-robe qu’une paire de chaussures et un jupon blanc et ne veulent pas les salir dans la boue ou la poussière, n’osent pas aller elles-mêmes sur les promenades. Elles restent enfermées toute la journée dans des chambres garnies, si nombreuses aux environs du Palais-Royal, « bouges infects que des tenanciers, qui exploitent leur inconduite, leur font payer le double du prix qu’ils exigeraient d’une femme honnête. Et elles envoient racoler pour elles de vieilles marcheuses ridées sous le poids des vices[147] ».

Enfin au dernier degré de la pyramide de la galanterie, dans les rues des faubourgs, les « hideuses créatures du Port au Blé et de la rue du Portier ». Là, dit Mercier, chez ces femmes sans âge qui portent tous les stigmates des maladies honteuses, « le vice a perdu son attrait et l’on voit la débauche se punissant elle-même par les maux qui en sont la conséquence… »

À côté de la prostitution libre, les maisons closes. Celles-ci ne semblent offrir, au siècle qui nous occupe, rien de bien caractéristique ; cependant, quelques-uns de ces établissements luxueux et ouverts aux seuls grands seigneurs semblent avoir été utilisés par la police et le gouvernement dans un but politique.

Vers la fin du ministère de Fleury, une Mme Parsi ouvrit à Paris un établissement somptueux et qui fut, dit Barbier, encouragé par les ministères. Dans un bel hôtel, autour de tables magnifiquement servies, quelques filles, choisies parmi les plus jolies et les plus séduisantes, donnaient des soupers fins où fréquentaient, avec la jeunesse dorée, des ambassadeurs étrangers. Parfois il se disait là des secrets utiles au ministère. Et pour que l’on put opérer avec toutes les chances de succès, on avait soin de placer parmi les habituées quelques filles connaissant les principales langues étrangères de l’Europe[148].

Les « sérails » étaient très nombreux à Paris et, depuis les grands établissements où l’on présentait à la clientèle des femmes de tous les aspects et de tous les caractères, « la façonnée, l’artificielle, la niaise, l’alerte, l’éventée, la follette, la fringante, la grasse, la maigre, l’ardente, la mutine », où, pour la satisfaction des blasés, la marchande de modes devenait une timide villageoise et l’ouvrière en linge une naïve provinciale[149], jusqu’à ces petits sérails où se trouvaient quelques filles seulement, les maisons closes qui foisonnaient dans Paris renfermaient des milliers de femmes.

La matrone, qui encourageait la prostitution et en vivait, est alors un type fréquemment dépeint par les observateurs des mœurs parisiennes.

Sans doute étaient-elles soumises à des lois sévères et passibles toujours de peines rigoureuses, telles que le fouet et l’exposition au pilori, précédées de la promenade par la ville avec sur leur poitrine l’écriteau infamant : M…., mais ces peines étaient rarement appliquées et le commerce des matrones semble avoir été florissant.

Exercée librement ou dans les maisons closes, clandestinement ou officiellement, la prostitution faisait vivre des milliers de femmes. Leur nombre exact est d’ailleurs difficile à évaluer.

À Paris seulement, elles devaient dépasser, et de beaucoup, vingt mille. Quelques écrivains de l’époque affirment que près de quarante mille filles vivaient de la débauche[150]. D’autres ramènent ce chiffre à vingt ou vingt-deux mille ; un même auteur donne dans deux passages différents ces deux chiffres. Il est probable que vingt mille femmes environ tiraient leur seule ressource de la prostitution et qu’un nombre égal, en y comptant dix mille filles entretenues, y trouvaient un salaire d’appoint indispensable. « Si la prostitution venait à cesser, vingt mille filles, dit Mercier, périraient de misère, les travaux de ce sexe malheureux ne pouvant suffire ici à son entretien et à sa nourriture[151]. »

Dès ce moment, la prostitution apparaît donc aux observateurs du siècle comme un mal nécessaire et qui a des causes économiques profondes.

Les législateurs ne l’ont pas, eux, aperçu ; inspirés par les dogmes chrétiens et la loi romaine, ils continuent à ne voir dans la prostitution que le vice, le crime, la maladie honteuse causée par le goût de débauche de quelques filles impures et, loin de penser à atteindre le mal en sa source en modifiant le statut économique féminin[152], ils ne visent qu’à punir l’inconduite des femmes et à en prévenir les fâcheux effets. Ils ont donc élaboré une législation répressive dont les grandes lignes se sont maintenues bien au delà de la Révolution et jusqu’à notre époque.

C’est pour la fille du monde surtout que la liberté individuelle n’existe pas. Soumise à une surveillance constante de la police, elle est non seulement arrêtée lorsqu’elle a commis une action indélicate (ce qui est fréquent, car beaucoup d’entre elles sont des escroques qui pratiquent l’ « entolage », ou des espionnes), ou lorsqu’elle a fait du scandale dans les rues, mais périodiquement soumises à des « rafles » destinées, soit à l’épuration de certains lieux de la capitale, comme le Palais-Royal, soit à l’examen médical d’une partie du lamentable troupeau. Les cohortes de la police s’abattent sur elles dans la rue, vont les chercher jusque dans leur chambre, les entassent dans un chariot découvert où elles se tiennent debout, cahotées, exposées au froid et à la pluie, « les plus huppées obtenant de leurs gardiens, à prix d’argent, un véhicule couvert ». Les voilà devant le tribunal. Devant une petite table où se tiennent le commissaire et son secrétaire, des femmes comparaissent traînées par des gardes-françaises. « La voix du magistrat tombe, résonnant comme un glas aux oreilles de Julie, de Barbe, de Louison : « Arrêtée ! À la Salpétrière[153]. »

Le règlement de ces établissements a été élaboré, sous une forme définitive, par Colbert (1678). À la Salpétrière, à Bicêtre, la femme doit laisser toute espérance.

Elle est rasée ; vêtue d’une robe de bure, chaussée de sabots, elle sera soumise à un dur travail et à une rigoureuse discipline. « On les fera travailler, dit le règlement royal, le plus longtemps et aux ouvrages les plus rudes que leurs forces le pourront permettre…[154] » Du pain et un potage composent toute leur nourriture. Bicêtre, où elles sont dirigées lorsqu’elles sont malades et doivent être soignées, semble avoir été un véritable enfer. La discipline est terrible, elles sont entassées dans une promiscuité repoussante. « Ce lieu semble ôter le dernier frein de la pudeur et de l’amour-propre…, leur vie avilissante s’écoule dans la terreur des mauvais traitements et le dégoût pour la nourriture infecte qu’on leur sert. Quand elles ont à se plaindre de la nourriture, elles poussent, à intervalles réguliers, des cris qui se propagent à une lieue à la ronde[155]. » Aussi sont-elles folles de terreur à l’idée d’entrer dans une pareille géhenne. « On en a vu se tuer en s’entendant condamner. Cependant on condamne à l’hôpital avec légèreté et il y régulièrement cinq ou six cents filles enfermées qui attendent la cure ou la mort[156]. »

En province, où les filles publiques sont moins nombreuses mais où elles foisonnent cependant dans les villes de garnison, elles sont soumises à des lois encore plus rigoureuses, car elles passent moins facilement inaperçues et, à la rigueur des édits du roi, s’ajoute celle des règlements municipaux.

En exécution d’ordonnances ministérielles, on a établi dans chaque généralité une maison de force pour les filles de mauvaise vie[157]. Cette maison, qui n’est souvent qu’une annexe de l’hôpital général[158], est également remplie par des rafles qui sont faites périodiquement, particulièrement dans les villes de garnison, où le mauvais état de santé des filles de joie est un danger public.

Les condamnations prononcées contre elles sont bien plus sévères qu’à Paris où la liberté des mœurs, une certaine indulgence et le culte du plaisir tempèrent la rigueur des anathèmes chrétiens. Les femmes de mauvaise vie peuvent être pendant trois mois au pain et à l’eau[159]. Elles peuvent être expulsées en masse par un simple arrêté municipal, comme cela se produisit à Gap, en 1770[160]. Elles peuvent être considérées comme des sans travail et être enfermées dans des dépôts de mendicité[161].

Elles sont passibles de peines corporelles cruelles ou infamantes. Là (Grenoble), elles sont passées par les verges[162]. Ici, elles sont exposées dans une cage de fer[163] ; à Orléans, il leur faut payer une taxe spéciale au bourreau[164].

Presque partout elles sont inscrites sur un « registre des filles du monde[165] » et soumises à une surveillance particulière.

Sans doute, à la fin du xviiie siècle, une tentative est-elle faite pour permettre aux filles qui veulent changer de vie de se relever.

En 1686, une Hollandaise, Mme de Combé, qui a été témoin du sincère repentir d’une fille publique, fonde, avec l’encouragement du roi, la communauté du Bon Pasteur, destinée aux filles repenties. Mais sitôt instituée, celle-ci se transforma en une véritable prison, à peine moins dure que la Salpétrière ou l’Hôpital. Les différents articles du règlement élabore en 1686 semblent traduire une divergence de vues entre la conception de la fondatrice, qui voulait entreprendre une œuvre de charité et de relèvement, et la rigueur administrative des organisateurs qui n’y virent qu’un nouvel instrument de répression.

« La maison sera douce », dit un article du règlement, timidement glissée dans les derniers paragraphes. Mais tous les autres articles démentent celui-là.

Car celles qui se confient à la générosité du Bon Pasteur sont averties qu’elles n’ont à compter que sur une vie pauvre, dure, retirée[166], faite de silence et de privations. Elles devront dire à l’esprit du monde un adieu éternel.

Y a-t-il une grande différence entre leur existence et celle de prisonnière ? Elles sont vêtues d’une robe de bure à ceinture de cuir noir serrée par une boucle de fer. Une coiffe d’étamine enveloppe strictement leur tête rasée. Levées dès cinq heures du matin, couchées à neuf heures du soir, leur journée s’écoule dans un dur et monotone travail à peine coupé de prières et de lectures pieuses. Toute distraction leur est interdite. Elles ne peuvent même obtenir du papier et de l’encre que sur une autorisation difficilement accordée par la supérieure. Aucune amitié ne peut adoucir leur solitude, car toute amitié particulière est interdite comme rappelant les vaines préoccupations du monde et dangereuse pour la morale.

Et, malgré les promesses inaugurales, il semble bien que tout espoir de véritable relèvement leur soit interdit, car, même si leur conduite est exemplaire, leur piété profonde, leur repentir sincère, elles ne doivent jamais prétendre se hausser au rang des sœurs qui les gouvernent. Toujours il leur faut se rappeler leur indignité. Contrairement aux volontés du Christ et aux intentions de la fondatrice, les filles qui se réfugient entre les bras du Bon Pasteur restent donc marquées de la flétrissure originelle. Nul effort sincère pour les relever.

Ainsi la prostitution féminine, malgré quelques-uns de ses aspects triomphants, montre à merveille l’infériorité flagrante de la condition des femmes qui, poussées dans l’enfer par l’insuffisance des métiers qui leur permettent de gagner leur vie et le salaire dérisoire qu’elles y trouvent, sont, dès le moment de leur chute, des hors la loi soumises sans nulle garantie au caprice d’une police brutale et fantasque et condamnées pour jamais à l’abjection. Comme l’a constaté maint auteur, il semble qu’ « une société mal faite se venge sur elles de ses propres imperfections ».

xii. Les paysannes

La vie des paysannes est bien moins connue, naturellement, que celle des citadines, La paysanne n’attire l’attention des contemporains ni par une place bien en vue dans la société, ni par la rapidité de ses changements de condition, ni par l’éclat de ses infortunes. Elle semble n’avoir pas d’histoire et il est difficile de saisir les traits caractéristiques de son existence. Pourtant elle joue son rôle, humble et effacé, sans doute, mais néanmoins très grand de collaboratrice de l’homme dans sa lutte contre la terre et, comme telle, elle mérite de retenir notre attention.

Il est évident d’ailleurs que l’on ne saurait que faire œuvre artificielle et toute littéraire en essayant de tracer un portrait de la paysanne.

La classe la plus nombreuse de la nation et qui comptait à elle seule sans doute dix fois plus de femmes (comme d’hommes) que toutes les autres classes de la population réunies, ne saurait être représentée par un type uniforme. La variété de la vie, comme celle des conditions, est très grande ; la situation de fortune, la différence des coutumes et des mœurs provinciales influent sur cette condition, sur cette vie qui cependant présente quelques traits communs.

Restif de la Bretonne, porté à exagérer l’horreur de sa condition, comme il a fait de celle de l’ouvrière, la dépeint comme si grossière, si avilie, qu’elle est « au-dessous de la fille sauvage… Elle a souffert de la faim, elle est courbée de bonne heure sous les fardeaux. D’aspect repoussant, elle n’est aimable que si on la compare au garçon[167] ». De là à la paysanne de Greuze il y a loin. Lequel a raison ? Sans doute l’écrivain doit-il être plus près de la réalité. Cependant si le peintre idéalise, il n’invente pas toutes les pièces. À l’époque où il compose son tableau, un effort de relèvement des campagnes a été fait sous l’influence des doctrines physiocratiques et les femmes en ont bénéficié comme les hommes. Auparavant même, il existe dans telles provinces, parmi les paysannes, des femmes gracieuses et parées à qui une certaine aisance permet un luxe relatif.

Le trait caractéristique de la vie intérieure des paysannes semble être la passion pour le confortable. Toutes celles à qui leur situation de fortune le permet ont un mobilier assez complet, beaucoup de linge et de vêtements dans leurs armoires. Elles apparaissent comme assez nombreuses. Telle fermière bretonne possède « un lit, deux rideaux verts, deux oreillers, une couchette de plume d’oie, un traversin, quatre armoires, cinq coffres, deux grandes tables, des chaises, un oratoire représentant la sainte Vierge ; ses ustensiles de ménage sont variés : poêle, marmite, chaudrons, bassines, burette, cuvette en bois ou en terre, assiettes et plat d’étain, ustensile de ménage[168].

Sans doute une telle profusion d’objets et d’ustensiles est-elle exceptionnelle. Mais il n’est par rare de voir des paysannes posséder une maison assez bien montée. Les testaments ou inventaires qui nous sont parvenus en font foi[169]. Et il est curieux de constater que, même dans certaines régions pauvres comme la Bretagne, nous trouvons le goût du confortable.

Toute paysanne un peu aisée aime avoir dans sa maison des vêtements et du linge en abondance. La même paysanne bretonne que nous avons citée possède cinquante-sept coiffes, dix chemises, trois nappes, douze draps de lit, des cotillons de laine et de flanelle.

Une fermière du pays de Caux apporte en dot, en 1742, une douzaine et demie de chaque sorte de linge, deux douzaines de chemises, un habit de mariage. « Qu’on se figure, dit un historien de l’ancien régime, la fermière champenoise un jour de fête avec sa cotte de serge pourpre, son corps de damas rouge et bleu, son devant de satin attaché par des rosettes d’argent, à son cou sa croix, et l’on se dira que les bergères de théâtre pouvaient prendre leur modèle dans la réalité[170]. »

Le goût du luxe qui, à partir du xviie siècle, fait de si grands progrès dans les villes, a donc gagné également les campagnes et, comme dans les villes, les femmes suivent, quoique moins rapidement, les fluctuations de la mode. À la fin du xviiie siècle, de même que dans les appartements bourgeois et dans les demeures des nobles, à la préoccupation du luxe se joint celle du confortable, de même la paysanne laisse les riches et lourdes étoffes, drap ou damas, pour se vêtir de ces tissus plus légers que le développement nouveau et les progrès plus récents de l’industrie textile lancent dans toute la France : indiennes, toiles imprimées, cotonnades de couleurs claires et qui, au lieu de se transmettre de mère en fille, se renouvellent plus fréquemment. La paysanne de Greuze apparaît avec son cotillon court, son corsage largement décolleté, le dégagé seyant de ses allures. Mieux, la mode des campagnes — et c’est la première fois que cela arrive — influe sur celle des villes. À la veille de la Révolution, les citadines éprises d’un retour à la simplicité mettent toute leur recherche à se vêtir en bergères.

La condition de la femme des campagnes est naturellement identique à celle de son mari. À la veille de la Révolution, de même que l’on trouve encore des serfs, on trouve encore des « femmes de corps », c’est-à-dire des serves, qui peuvent être vendues avec la terre dont elles dépendent. À vrai dire, c’est dans certaines régions bien déterminées qu’elles apparaissent, par exemple en certains cantons de la Lorraine[171]. À cette rare exception près, la femme comme l’homme est partout libre. Elle est comme lui soumise à toutes les redevances féodales pour les terres qu’elle possède de son propre chef ou qu’elle exploite elle-même si elle est veuve[172]. Droits de lods et vente, droit de champart, dîmes ecclésiastiques, corvées s’appliquent aux femmes comme aux hommes. Cependant les veuves ne sont, dans certaines provinces, assujetties qu’à une partie de la taille.

De même qu’à la ville, la femme veuve continue de gérer sous certaines conditions le fonds de commerce de son mari, de même à la campagne elle continue de mettre en valeur le domaine. Seule ou avec le concours de valets de ferme, elle semble assez bien réussir à le mettre en valeur, si nous en jugeons par les testaments d’un grand nombre de veuves que nous avons pu relever dans les archives de Bretagne et de Normandie. Dans certaines régions de Bretagne, il n’est pas rare de voir des veuves laisser trois vaches, une génisse, une jument, un poulain, outre des boisseaux de seigle et d’avoine et des quantités de foin[173]. Telle autre laisse un attirail de culture qui, avec ses meubles et son linge, représente une valeur de 18 761 l. 18 sous[174]. Dans certains pays, particulièrement la Normandie, des veuves font à l’église des legs assez importants. Celles-ci lèguent une mine ou un minot de terre, celles-là un demi-arpent, d’autres une vigne, d’autres encore une rente de cinq livres, parfois une maison[175].

Un certain nombre de femmes, dans les campagnes comme à la ville et plus facilement encore, trouvent donc le moyen de subsister en dehors de l’homme.

À la campagne comme à la ville, la femme est souvent pour son mari une associée. Elle l’est en fait et elle l’est légalement. Elle a, la plupart du temps, apporté en dot des biens équivalents à ceux de son mari : une petite maison et un champ, tel est ordinairement l’apport des filles de laboureurs. Elles y ajoutent souvent du bétail, quelques instruments agricoles avec des vêtements et du linge en respectable quantité. Comme le mariage féodal est l’association de deux fiefs, de deux grands domaines, le mariage paysan est bien souvent l’association de deux lopins de terre d’égale importance et chacun des deux contractants apparaît comme ayant pratiquement des droits égaux. Dans un assez grand nombre de régions, dans le Comtat, en Bretagne, dans l’Angoumois, surtout dans l’Ile de France, l’exploitation des terres donne lieu à une véritable association entre le mari et la femme[176]. Ils sont le plus souvent qualifiés co-fermiers, de même que le seigneur et sa femme sont appelés co-seigneurs. La plupart des actes auxquels donne lieu la mise en valeur de leurs terres sont faits au nom des deux époux. Qu’ils s’agisse d’acquisition de terres, elle est faite conjointement pour l’homme et la femme, de même que la mise en fermage d’une partie de la propriété ; qu’il s’agisse de la signature de baux, elle est faite également par le mari et la femme ; qu’il s’agisse des assignations en justice, elles sont libellées au nom du mari et de la femme, co-fermiers et associés[177]. Il est d’ailleurs à remarquer que, si dans les régions où fleurissent des coutumes libérales comme la coutume de Paris, la coutume d’Auvergne, la coutume de Bretagne, la femme apparaît comme son associée, si même dans certaines provinces (vallées de Barèges, Auvergne), c’est parfois l’homme qui quitte sa maison pour venir habiter dans celle de sa femme[178], il n’en est pas de même dans telle autre province où règnent à la rigueur le droit romain ou des coutumes établies sur le droit des mâles, comme la coutume normande. Ni en Normandie, ni en Languedoc ou en Guyenne, nous ne voyons de semblables associations entre mari et femme, qui sont courantes dans l’Ile de France.

D’ailleurs, l’association entre les époux s’accompagne très bien dans la pratique d’une rigoureuse subordination de la femme. Dans la plupart des campagnes, la femme est durement traitée par l’homme qui la considère comme un être inférieur, à laquelle il prend souvent à peine plus d’intérêt qu’à son bétail, parfois moins. Comme nous l’avons vu par la protestation d’un curé d’Auvergne, le paysan soigne plus volontiers sa vache que sa femme. Il exige d’elle une obéissance rigoureuse et reste dans sa famille un despote dont l’esprit du siècle n’a pas, comme chez l’ouvrier des villes, tempéré la dureté. Dans un grand nombre de provinces, la femme sert le repas du fermier, puis celui des domestiques et ne mange qu’après le dernier des valets[179]. Elle installe son mari, ses hôtes à table et mange, debout, les restes du repas. Même chez les paysannes aisées de l’Ile de France, dont la femme et les filles sont coquettes et délurées, une telle coutume est en vigueur et elle ne semble pas surprendre ni indigner autrement les observateurs[180].

Elles mangent les restes, s’accoutumant à se priver pour leur mari. Mais veuve, la femme compte dans le village comme l’un des chefs de famille. Sur les registres terriers témoignant que les terres d’une communauté villageoise dépendent de tel seigneur laïque ou ecclésiastique, les signatures féminines figurent en très grand nombre[181].

Les reconnaissances de rente, d’emphytéose, de censives sont faites également par des femmes[182]. Elle joue donc un rôle et assez important dans la communauté villageoise, mais ainsi que la femme seigneuresse, elle ne joue ce rôle que parce qu’elle représente la terre et non à titre d’individu.

Quelles sont, au village, les occupations des femmes ? Avant tout, bien entendu, les occupations agricoles. Mais celles-ci se réduisent parfois aux soins purement domestiques, de la préparation de la nourriture du mari et des valets, de la basse-cour, de la laiterie. La plupart du temps la femme n’est pas employée aux durs travaux du dehors. « Dans le Maine elle ne bat pas le grain, dans le Berry elle reste presque oisive[183]. »

D’autre part, les travaux agricoles ne suffisent pas en effet à donner de l’occupation à toutes les femmes, celles-ci, à la campagne comme à la ville, se livrent à mille petits métiers qui leur donnent une ressource lorsqu’elles ne cultivent pas la terre et dont le produit s’ajoute au revenu, souvent trop maigre de leur champ.

Celle-ci a chez elle une petite boutique où elle vend de la toile ou du suif[184].

D’autres, très nombreuses, tiennent, lorsqu’elles possèdent une maison bien placée à l’entrée d’une route, un cabaret.

D’autres ont installé près de leur maison, lorsqu’elle est située sur le bord d’un ruisseau, une petite teinturerie[185].

D’autres encore ont l’entreprise de l’abatage des bêtes, sont bouchères, charcutières, meunières et exercent ces métiers, non comme épouses de bouchers, de meuniers ou de charcutiers, mais de leur propre chef[186].

Certaines exercent des fonctions bien particulières à une région donnée : en Bretagne, il existe des matrones chargées de laver les nouveau nés ; en Provence, des pleureuses et qui suivent les enterrements.

Enfin, il arrive que certaines fonctions de caractère administratif leur soient confiées. Dans tel village, une femme reçoit l’adjudication de la dîme du vin[187] ; en Savoie, il est fréquent de les voir regrattières, vendre le sel dans le village après avoir acheté leur privilège aux enchères[188].

Naturellement, au village comme à la ville, les femmes les plus pauvres sont fréquemment ouvrières et servantes.

Des journalières parcourent les campagnes, vendangeant, fauchant ou fanant suivant les saisons, parfois soignant les vignes. Leur salaire, auquel s’ajoute il est vrai la nourriture, est plus bas encore que celui de l’ouvrière des villes ; il est rare que ce salaire atteigne 85 centimes, il est toujours inférieur de quelques sous de celui des hommes[189]. Dans telle région (Berry), les femmes employées à faner reçoivent seulement trois sous par jour[190], Ailleurs (Guyenne), elles touchent cinq sous alors que, pour le même travail, les hommes en ont douze.

Les servantes forment une partie assez nombreuse de la population des campagnes. Elles vivent non seulement dans les châteaux mais chez les petits bourgeois que, sous l’ancien régime, on trouve dans chaque village. Celles-ci ne spécialisent pas, comme les servantes de la ville qui sont cuisinières ou femmes de chambre, elles sont bonnes à tout faire : leur salaire est infime. Le compte-rendu d’un procès, poursuivi à Bourges entre une servante et son patron, nous apprend que la demanderesse, Jacquette Puget, s’est engagée à servir le défenseur, Jean Petit, moyennant une cotte et une paire de chaussures, cinq quartiers de belle toile, deux chemises, une garde-robe et un écorceau de grosse toile par an[191].

Encore ne reçoivent-elles pas toujours intégralement ce maigre salaire, doivent-elles, parfois, se contenter d’une partie de la garde-robe promise, et le patron et la patronne font-ils bien des difficultés pour les payer ; assez nombreux sont les procès intentés par des servantes pour non-paiement de salaires.

Il n’apparaît pas que les servantes soient communément maltraitées. Parfois, entre elles et leurs maîtresses, les rapports s’imprègnent de cordialité. Telle grande dame tient sur les fonts baptismaux le nouveau-né de sa servante. Par contre, vivant continuellement dans la maison auprès du maître, la servante, lorsqu’elle est jeune, est exposée à être l’objet de ses galanteries. C’est souvent de son plein gré. La servante-maîtresse est un type fort répandu au xviiie siècle. Mais c’est aussi malgré elles, à en juger par les très nombreuses accusations de séduction que les servantes formulent contre leur maître ; les greffes des diverses justices en sont encombrés. Les servantes d’ecclésiastiques n’échappent pas au même destin : il est fréquent de voir des curés traduits devant des officialités pour avoir séduit leur servante, plus fréquent encore de les voir vivre tranquillement avec elles au vu et au su de leurs paroissiens.

Parfois le service domestique émancipe donc en fait les femmes qui s’y livrent et il est rare qu’il constitue une dure servitude.

Enfin, dès ce moment se pose pour les campagnes le problème de l’abandon de la terre et de la dépopulation. Nombreuses sont les paysannes qui quittent les travaux du sol pour s’embaucher dans les villes. Dans un grand nombre de régions, Auvergne, Picardie, Languedoc, les intendants signalent la désertion des campagnes. Ils vont parfois jusqu’à se plaindre, comme tel subdélégué du Languedoc, que l’instruction publique trop répandue dans les campagnes, détourne les campagnardes de la terre et les pousse vers le métier de servantes en nombre excessif.

Depuis la fin du règne de Louis XIV, la misère est assez grande dans certaines provinces pour que bien des gens ne puissent vivre honnêtement et soient obligés, autant peut-être par nécessité que par goût, de vivre en rébellion contre les lois : la femme comme l’homme, et ce n’est pas là un des aspects les moins curieux de la vie des campagnes, est souvent poussée au brigandage. Tandis qu’à la ville elle se tourne vers la prostitution, à la campagne elle s’associe à l’homme pour la contrebande ou le vol à main armée. La contrebande et le faux-saunage sont pratiqués par les femmes comme par les hommes. Et dès la fin du xviiie siècle, le gouvernement royal a dû prendre contre les fausses-saunières des mesures répressives et les déclarer passibles des mêmes peines, des mêmes amendes que les faux-sauniers[192].

Des femmes parcourant les campagnes, volant avec effraction, s’introduisant dans les demeures des particuliers et jusque chez les autorités ecclésiastiques[193].

Les cas de vols avec effraction ou vols nocturnes commis par les femmes sont nombreux dans les régions pauvres de la Guyenne, en Bretagne, en Auvergne.

Des femmes sont affiliées aux bandes de faux-monnayeurs, spécialement chargées de passer les fausses pièces fabriquées par les hommes et parcourant, pour ce faire, les campagnes. En 1746, l’intendant de Rennes mit ainsi la main sur une compagnie qui écumait la Basse-Bretagne. Au milieu d’une vingtaine de malandrins se trouvaient six femmes : Elisabeth Coatantier, Anne Le Baron, Marguerite Gouzouguet, Anne l’Hélias, Marie Rivauler, Louise Camus, Marie Penhat[194]. La première fut condamnée au pilori, au carcan et au fer rouge.

D’autres femmes, sans commettre de délits aussi graves, vagabondent dans les campagnes, tantôt mendiant, tantôt se livrant à la débauche, volant à l’occasion.

Dans ces bandes de femmes déracinées, que nous trouvons surtout en Basse-Bretagne, évidemment parce que le pays est très pauvre et que ni l’agriculture ni l’industrie ne peuvent donner à toutes un travail rémunérateur, on trouve bien des conditions différentes : professionnelles du vol ou de la débauche, mendiantes, vagabondes qui « trimardent » sur les routes, femmes de voleurs et de forçats, marchandes ambulantes, paysannes chassées de leur village par la misère, lingères, domestiques, tisserandes, filandières. Tous les âges également se trouvent représentés. Dans l’une de ces bandes, on voit des vieilles femmes de 74 ans et des fillettes de 14 ans[195].

Rien ne montre mieux l’état de misère où étaient arrivées certaines provinces que la présence de femmes dans ces bandes d’outlaws.

Vainement les autorités provinciales essaient-elles de refréner le vagabondage par des peines sévères ou de le prévenir en instituant des ateliers de charité.

Nous voudrions être fixés, non seulement sur la condition de la femme au village, mais sur son rôle, sur sa vie ; ceci est malheureusement bien difficile. Il faut se la représenter comme soumise, la plupart du temps, à un très dur travail et se délassant par des distractions très simples, les veillées qui, suivant les provinces, se tiennent soit simplement dans l’une des maisons du village, soit un peu à l’écart, dans des huttes isolées ou « écraignes », en Champagne et en Bourgogne, dans des carrières, comme dans la Gâtine vendéenne où l’on file en causant, en entendant des histoires et où l’on reçoit des galants[196]. Il semble que, dans ces assemblées, les femmes veuillent échapper à l’autorité des hommes et c’est pourquoi elles se tiennent un peu à l’écart.

Les jours de fête, c’est la danse qui, dans toutes les provinces, passionne les femmes à l’envie et que les curés s’efforcent vainement d’interdire. Parfois passe une troupe de saltimbanques ou un théâtre forain.

Bien que les philosophes du xviiie siècle prônent la campagne comme le dernier asile de la vertu et que tel d’entre eux, comme Quesnay fils, voie dans les charnières « le temple de la foi conjugale », la réalité dément ces illusions. Si, au cours des veillées, les femmes tenaient à s’éloigner du centre du village, c’était pour recevoir plus aisément des amants. Les procès de séduction encombrent les greffes de toutes les justices provinciales. Mariée jeune, la paysanne n’attendait pas toujours le mariage pour écouter les propositions de son galant et souvent elle s’en repentait. Aussi les dissimulations de grossesse étaient-elles nombreuses et les autorités provinciales rappelaient-elles constamment aux curés de lire au prône l’édit de Henri II, portant des peines sévères contre les femmes coupables de tel délit.

Pendant les périodes de l’année où elles restent oisives au village, les femmes occupent leurs loisirs par des « cancans » ou d’interminables disputes entre voisines qui, particulièrement dans le Midi, où l’on a la tête plus près du bonnet et où le répertoire d’injures est bien plus copieux, donnent lieu fréquemment à des procès. Prompte à injurier son voisin ou sa voisine, la Languedocienne, la Pyrénéenne, l’Auvergnate poursuivent volontiers en justice ceux ou celles qui ont tenu contre elles des propos qu’elles jugent calomnieux. Les archives des greffes de l’Aude, de l’Hérault, de la Gironde, de l’Ariège fourmillent de procès qui ont pour origine des querelles de femmes et qui se terminent par l’obligation pour la mauvaise langue, homme ou femme, de faire amende honorable et d’aller dans la maison même de la calomniée témoigner de sa vertu.

Les villageoises sont pieuses, fréquentent assidûment la messe et prient avec ferveur les saints locaux ; toutes les superstitions trouvent en elles des adeptes convaincues ; les Bretonnes ne négligent pas de guérir leurs maladies en se baignant dans les fontaines miraculeuses[197].

Cependant, il ne faut pas se les représenter comme complètement abêties par une oppression rigoureuse et formant un troupeau uniformément docile. On trouve parfois chez elles un curieux esprit de haine contre les nobles qu’elles servent ou de rébellion contre les autorités établies.

Une paysanne de Lacaze aperçoit dans une une auberge la litière de la marquise de Brassac et la met en lambeaux[198]. Là, une servante rencontre dans la rue un notaire royal et sa fille et les frappe si fort qu’ils tombent contre la muraille[199]. Là encore, la femme d’un laboureur, Marie Lachèze, refuse de porter une lettre que lui confie son maître et se bat avec le sergent royal[200].

L’église même n’était pas toujours respectée et souvent le curé était en butte aux moqueries et aux huées de ses paroissiennes. Anne Montignaud, habitante de Lamerac, assistant au jour de prône, se précipite sur le curé, lui arrache des mains le monitoire qu’il est en train de lire et le met en pièce[201]. Dans un village du Quercy, plusieurs femmes de l’endroit, dont une sage-femme, empêchent le curé de lire son monitoire en parlant haut et à la fois[202].

À quel motif obéissent ces femmes ? Sans doute à des inimitiés personnelles et non à une hostilité contre la religion. Mais le fait qu’elles se permettent de faire scandale dans une église n’est pas sans témoigner d’un affaiblissement notable du sentiment religieux. Exception, certes, mais qui jette une lueur sur l’histoire religieuse de la Révolution en permettant de comprendre comment, dans certaines campagnes, le peuple a accepté la déchristianisation.

Naturellement, les agents chargés de percevoir pour le compte du roi ou des seigneurs, ou de l’Église, les divers impôts, sont extrêmement mal vus et leur mission n’est pas toujours sans danger. Soit parce qu’on en veut à leur argent, soit que leur personne ou leur mission inspire la haine, ils sont souvent molestés et non seulement injuriés mais rouées de coups. Sur une route de Provence, des femmes se trouvent au milieu d’une bande qui assaille les préposés de la dîme à coups de barres de fer, les laissant pour morts[203].

Dans un village du Périgord, plusieurs femmes arrêtent Pierre Bergues, sieur Dubos, chargé de percevoir les arrérages des rentes des tenanciers de la terre de Cervès. Il lui faut se débattre contre de vraies furies qui lui arrachent les cheveux, lui jettent des poignées de cendre dans les yeux, puis lui enlèvent les papiers qu’il porte et les jettent dans une mare[204]. L’exaspération contre la tyrannie féodale, contre la lourdeur abusive des impôts, les femmes le ressentent comme les hommes. De tels incidents le manifestent clairement.

xiii. L’esprit public féminin

Si nous cherchons à dépasser les manifestations individuelles pour apercevoir les manifestations collectives, si nous essayons de déterminer, autant que faire se pourra, l’esprit public féminin, nous aurons fait une étude dont la portée sera bien plus considérable. Les femmes ont joué un tel rôle, et jusqu’ici assez peu mis en lumière, dans la formation de l’esprit public sous la Révolution, que la connaissance de leur psychologie et de la manière dont elles réagissent devant les actes du pouvoir doit être d’une importance toute particulière.

Si les femmes ont participé aux journées révolutionnaires, ce n’est pas absolument une nouveauté dans l’histoire et, sans remonter jusqu’à la Ligue ou à la Fronde, où nous voyons non seulement de grandes individualités féminines mais la masse du peuple agir, les manifestations collectives féminines contre les autorités furent, au xviiie siècle, assez fréquentes. Quelques-unes ont pour seule cause la misère. Des femmes de Thiers, mécontentes du travail, trop peu rémunérateur à leur gré, qu’elles font dans les ateliers de coutellerie de la ville, s’assemblent nombreuses et réclament d’être employées aux travaux de réfection des routes.

Le subdélégué de Thiers refusant de les admettre à un genre de travail pour lequel elles sont peu préparées, l’une d’elles, leur porte-parole, répond qu’elles resteront dans la rue jusqu’à ce qu’on leur ait donné entière satisfaction ; le subdélégué expose à l’intendant que la situation est grave. Dès ce moment il y a donc manifestation collective et nous voyons une femme porte-parole des intérêts féminins[205].

Dans la même région, à Maurs, après une disette, des femmes à qui l’on a pas distribué de riz s’assemblent et font une émeute, réclamant à grands cris leur part[206].

Il n’est pas rare d’ailleurs de voir, à divers moments et dans diverses régions de la France, la famine pousser les femmes à l’émeute.

En 1694, à Toulouse, les femmes, rendues furieuses par le haut prix des denrées, se réunissent autour de la maison d’un magistrat du Parlement, le conseiller Daspe, et se livrent deux jours à des manifestations bruyantes.

Un demi-siècle plus tard (1747), dans la même ville, la même cause amène les même effets : la disette sévit, les femmes s’attroupent et pillent des barques remplies de grains[207]. Vers la même époque, en Basse-Normandie, des accapareurs ont fait monter démesurément le prix des céréales, des femmes du peuple s’attroupent sur les routes de la banlieue de Caen, arrêtent les voitures d’orge et forcent les conducteurs à leur livrer les céréales à bas prix[208].

Peu auparavant, une émeute bien plus grave et dont les causes sont presque analogues, a éclaté à Rouen. Le gouvernement royal vient d’établir des droits sur le coton brut qui arrive d’Amérique. L’élévation du prix du coton a eu pour conséquence de retirer le gagne-pain à des centaines de femmes qui vivent de la filerie du coton, l’achetant elles-mêmes et le travaillant à domicile. La misère en est résultée et les fileuses de Rouen sont arrivées à un état d’exaspération inquiétant. Le 22 avril 1752, une femme, qui achetait quelques livres de coton et le trouvait trop cher, donne un soufflet à un commis ; celui-ci riposte ; il est houspillé par les femmes qui s’attroupent sur le marché. Les émeutières entraînent les hommes au pillage des entrepôts de grains et déchaînent une jacquerie de 16 000 fileuses et fileurs de coton[209].

À la veille de la Révolution, les émeutes féminines causées par la cherté ou la rareté des céréales deviennent plus fréquentes. Dans un grand nombre de provinces, en particulier dans le Berry et en Normandie, les autorités provinciales signalent que des femmes se sont attroupées et ont pillé les voitures ou les magasins de blé. Le 23 avril 1789, à Caen, un attroupement de femmes se produit : elles veulent le blé à trois livres le boisseau et l’orge à douze livres le sac. Les marchands le leur refusant, elles s’emparent des céréales, les payant suivant le prix qu’elles ont elles-mêmes fixé, d’abord, puis les emportent sans payer. Des femmes accourues des faubourgs pillent et saccagent les dépôts du gouvernement[210].

Le 27 juillet 1789, des femmes enlèvent des voitures de blé sur les routes du Berry.

De telles manifestations expliquent par avance les journées des 5 et 6 octobre 1789 et permettent de comprendre que, quoi qu’en aient voulu dire récemment certains historiens, les soulèvements féminins du début de la Révolution purent être pour une très large part spontanés. Rien d’étonnant qu’à une époque d’effervescence révolutionnaire les femmes aient marché sur Versailles quand, depuis un siècle, on voit dans les provinces les femmes du peuple se livrer à des manifestations semblables en tous points.

La misère, d’ailleurs, n’est pas la seule cause qui forme et soulève contre le pouvoir des groupes de femmes. Sous la Régence et encore quelques années plus tard, les femmes s’attroupent souvent sur la nouvelle, vraie ou fausse, que la police racole des femmes et des enfants pour le Mississipi. En 1722, à Orléans, un exempt nommé Lecomte parcourait la ville, s’efforçant de chercher des femmes pour la nouvelle colonie. Sitôt le fait connu les femmes s’assemblent, soulèvent l’émotion populaire et finalement font arrêter le racoleur.

C’est dans la capitale, surtout, que les racoleurs pour le Mississipi suscitent dans le peuple féminin de violentes réactions. À Paris, vers 1720, plusieurs émeutes éclatent pour ce motif. L’une, particulièrement grave, fut suscitée par une femme Benoit qui, voyant passer les archers du Mississipi, ameuta le peuple en criant : « Tuez ces chiens-là ! » et fut, pour ce fait, enfermée à la Bastille[211].

Les historiens de la Régence nous signalent maintes manifestations. Elles se reproduisirent en 1750, lorsque les enlèvements de jeunes garçons et de jeunes filles furent de nouveaux ordonnés[212].

De même, vers 1740, la population parisienne fut prise d’un bizarre soupçon : le bruit s’était répandu qu’on avait ordonné des bains de sang aux enfants royaux et que la police enlevait des enfants du peuple pour les égorger. À plusieurs reprises les femmes s’attroupèrent, suscitant de véritables émeutes. Celles-ci furent tout particulièrement graves quand les femmes de la Halle y participèrent [213].

Il arriva, bien que rarement, que des femmes du peuple, particulièrement du peuple parisien, firent des manifestations collectives de caractère politique.

En 1748, les femmes de la Halle furent nettement contre l’humiliante paix d’Aix-la-Chapelle. « Une femme de la Halle, se querellant avec d’autres poissardes, raconte d’Argenson, lui dit : « Tu es bête comme la paix. » L’expression fit fortune parmi elles et manifesta nettement l’opinion populaire.

Un peu plus tard (1753), eut lieu une manifestation bien plus nettement caractéristique encore.

Au cours de ses conflits avec le Parlement, le gouvernement royal avait établi, pour remplacer le Parlement de Paris exilé à Pontoise, une chambre royale. Celle-ci, comme plus tard le Parlement Maupeou, était fort impopulaire. Un jour, un conseiller à la nouvelle chambre, passant à la Halle, dit à son cocher de le mener à la chambre royale. À ce nom les harengères s’assemblent et le huent, d’autres femmes puis un grand concours de peuple se réunirent à elles et le conseiller n’échappa qu’à grand’peine à la fureur populaire[214].

Les femmes du peuple de Paris, au contraire des grandes dames et des bourgeoises, restèrent cependant à peu près indifférentes à la suppression du Parlement. Les femmes de la Halle, en particulier, ne bougèrent pas, et leur abstention épargna à Paris des troubles graves. « Si, dit Mercier, la Halle n’est pas intéressée dans les séditions, les femmes demeurent calmes[215]. »

Mais, royalistes au cours du xviiie siècle, les dames de la Halle voient leurs sentiments de loyalisme s’affaiblir sous le règne de Louis XVI. À la veille de la Révolution, le duc d’Orléans était populaire parmi elles, si populaire que, lorsque le 4 mai 1789, défila à Versailles la procession des députés aux États Généraux, plusieurs femmes du peuple, au grand émoi de la reine qui suivait la cérémonie de sa fenêtre, crièrent : « Vive le duc d’Orléans ! »

En 1788, lors des troubles qui éclatèrent à Grenoble, quand fut instituée, malgré l’opposition du Parlement, l’assemblée provinciale du Dauphiné, les femmes du peuple prirent parti pour le Parlement. Quand fut connu l’arrêt d’exil lancé contre les parlementaires par le comte de Clermont-Tonnerre, elles s’opposèrent au départ du Parlement, contribuèrent à ameuter le peuple contre la troupe, assurèrent sa victoire dans la journée des Tuiles, participèrent aux négociations avec M. de Clermont-Tonnerre et le Parlement, et aux cortèges solennels qui accompagnèrent la réintégration du Parlement dans son palais[216]. Une première fois, elles ont fait plier l’autorité royale et leur rôle au cours de cette journée des Tuile ; apparaît comme assez semblable à celui des Parisiennes au cours des journées des 5 et 6 octobre. Nulle considération matérielle n’était en jeu alors. Il ne s’agissait ni de pain, ni d’impôts. Le rôle des Grenobloises montre qu’il y a déjà chez les femmes du peuple un certain sens politique qui se manifestera en d’autres circonstances chez les Parisiennes.

Au début de janvier 1789, des troubles éclatent à Rennes, suscités par l’opposition de la noblesse bretonne au doublement du Tiers et au vote par tête. Les femmes s’armèrent pour le Tiers État et combattirent pendant les journées des 26 et 27 janvier 1789.

Pendant tout le cours du xviiie siècle, et particulièrement dans les dernières années de l’ancien régime, des femmes du peuple, aussi bien à Paris que dans différentes provinces, se livrèrent donc à des manifestations politiques collectives. Et l’on peut dire que ces manifestations annoncent et font comprendre celles de la Révolution.

D’autre part, nous trouvons au cours du xviiie siècle des femmes mêlées à un certain nombre d’affaires de caractère politique : complots, conspirations, intrigues avec l’étranger, rédaction ou diffusion de pamphlets. Les archives de la Bastille témoignent qu’à presque toutes les affaires importantes du règne de Louis XV des femmes furent mêlées. Les servantes de Mme de Staal de Launay, de Mlle Rondel et de l’abbé Brigault furent mêlées, comme leurs maîtres, à la conspiration de la duchesse du Maine. Deux femmes du peuple, Mariette et Suzanne Fiesque, furent également compromises dans l’affaire[217].

En 1751, la gouvernante du duc de Bourgogne trouva auprès du lit du jeune prince un paquet de papiers contenant des menaces et des diatribes contre le roi. Par qui avaient-ils été envoyés ? L’affaire resta mystérieuse, mais on découvrit que Mlle Sauvé, femme de chambre de Madame, au service du duc de Bourgogne, les avait elle-même placés là. Elle fut avec sa servante, la dame Mesnière, convaincue d’être sa complice, enfermée quelques années à la Bastille[218].

Un peu auparavant avait couru, à Paris, une satire, le Tanastès, violent pamphlet contre Louis XV et Mme de Chateauroux. L’auteur présumé, Marie Bonafou, femme de chambre de Mme de Montauban, qu’elle ait agi de son propre chef, ce qui est douteux, ou plutôt sur des inspirations venues de plus haut (c’est-à-dire du parti dévot hostile à Mme de Chateauroux), fut arrêtée ainsi qu’une imprimeuse de Rouen, chez qui avait été imprimé le Tanastès, et plusieurs Parisiennes qui avaient aidé à sa diffusion[219].

Jusqu’à la fin du règne de Louis XV, très nombreuses sont les femmes arrêtées pour délits analogues. Il est rare qu’elles composent elles-mêmes des libelles contre le roi, mais elles les impriment et les répandent. On compte une vingtaine d’affaires semblables entre 1750 et 1774. Plusieurs femmes et filles se signalèrent dans la distribution de satires contre le comte d’Argenson, le Parlement Maupeou, l’abbé Terrai[220].

Plus tard, quelques femmes complotent avec les Jésuites, qui méditent de se rétablir en France : une femme Roger, veuve d’un faïencier de Lyon, achète pour eux des terres et des maisons[221].

Enfin le rôle de Modeste Leguay, dite Oliva, dans l’affaire du collier, est trop connue pour qu’il soit besoin d’en faire mention. La servante de la comtesse de la Motte et la femme du célèbre thaumaturge Balsamo furent impliquées dans la même affaire et, pour ce fait, emprisonnées quelque temps[222].

Enfin, comme à toutes les époques, un assez grand nombre de femmes furent mêlées à des affaires d’espionnage : des aventurières françaises ou étrangères, à la fois courtisanes, femmes d’affaires et espionnes internationales, formaient une foule cosmopolite dans laquelle les faiseurs de complots contre la société et la sûreté de l’État trouvaient de précieuses auxiliaires. Déjà, au cours de la guerre de Succession d’Espagne, Pontchartrain fait enfermer avec sa domestique, à la Salpétrière, puis expulser, une baronne, Marie de Rosenberg, Autrichienne qui intrigue pour le compte de l’empereur (1707), et une femme Quentin qui, profitant de ce que son mari est établi tailleur de l’autre côté de la Manche, sert les intérêts de la reine d’Angleterre. Plus tard, on arrête des Anglaises complices du comte Morton dont les intrigues, poursuivies au lendemain du traité d’Aix-la-Chapelle, paraissent suspectes. Espionne et escroc, une dame Wasser, fausse milady Montz, est arrêtée à plusieurs reprises[223].

Deux femmes du peuple de Paris, la veuve Lestibaudois et sa fille, font partie d’une vaste agence internationale qui opère pour le compte de plusieurs pays étrangers : Russie, Prusse, Hollande, Espagne.

Plus tard, une Italienne, Catherine Ponchinetti, maîtresse du prince de Courlande (1768), puis la veuve Chauvel, maîtresse de l’attaché d’ambassade anglais Fullerton (1779), furent convaincues à la fois d’espionnage et d’escroquerie et séjournèrent à la Bastille.

De 1718 à 1788, 252 femmes sont embastillées pour des délits de caractère politique. Comme nous l’avons vu, il est rare qu’elles agissent de leur propre initiative et qu’elles jouent dans ces sortes d’affaires un rôle de premier plan. Du moins sont-elles utilisées dans les complots, conspirations, entreprises d’espionnage, par des hommes qui se servent de leur finesse ou de leur crédit, ou simplement parce que, femmes, elles inspirent moins de méfiance.

Ces femmes d’intrigues annoncent le monde féminin interlope qui s’agitera autour de tous les conspirateurs au cours de la Révolution.

xiv. La question de la maternité

Au xviiie siècle, déjà, la question du développement de la population préoccupa vivement les dirigeants et quelques efforts furent faits pour encourager chez les femmes du peuple la vocation maternelle.

La misère du peuple des villes et de certaines provinces, l’impossibilité pour un grand nombre de femmes de se marier entraînaient un très grand nombre de naissances illégitimes. Les enfants, ainsi venus au monde, étaient souvent abandonnés, voire tués par les filles-mères. Celles-ci, même, n’attendaient pas toujours la délivrance pour se débarrasser de l’être qui était pour elles une charge et un déshonneur.

Les avortements volontaires étaient fréquents. Les ménages réguliers eux-mêmes ne pouvaient toujours subvenir à l’entretien des enfants lorsqu’ils étaient nombreux et les femmes mariées elles-mêmes y recouraient fréquemment ; plus fréquemment, elles abandonnaient leurs enfants.

Le fait est si connu que, dans tels villages, les habitants s’étaient spontanément organisés pour empêcher de tels crimes.

« Il est rare, écrit en 1740, à l’intendant de Rennes, un de ses subdélégués, il est rare que des enfants soient exposés dans nos campagnes ; cette rareté provient de ce qu’à l’église les personnes du sexe se mettent dans un lieu séparé des hommes ; aucune d’elles n’échappe aux regards curieux des connaisseuses… Celles-ci avertissent ceux qui ont caractère et qui prennent des précautions pour que la personne déclare sa grossesse[224]. »

Depuis le règne de Henri II, il est vrai, l’autorité royale avait pris des mesures pour obliger toutes les filles en état de grossesse à en faire la déclaration. Périodiquement, le gouvernement rappelait aux intendants, dont les subdélégués étaient chargés de le faire savoir aux curés de leur ressort, l’obligation pour les curés de publier de trois mois en trois mois, au prône, l’édit de Henri II.

Cet édit, on le sait, frappait de peines sévères les femmes capables de dissimuler leur grossesse et surtout d’abandonner leurs enfants[225], et les dispositions en étaient parfois appliquées avec rigueur. Dans le Maine, les femmes qui ont caché leur grossesse continuent d’être battues de verges et marquées ; partout les infanticides sont pendues[226] et, dans la crainte du châtiment, quelques filles-mères font leur déclaration de grossesse dans les termes voulus et, suivant les mesures complémentaires de l’édit de Henri II, présentent leur enfant tous les trois mois au juge de leur ressort[227].

Cependant les mesures répressives étaient évidemment insuffisantes et l’on fut amené à envisager le problème sous d’autres aspects : réduire le nombre de naissances illégitimes en protégeant les jeunes filles contre la séduction, encourager la maternité par certains avantages, assurer enfin le sort des enfants abandonnés.

La recherche de la paternité est en une certaine mesure établie, toute fille-mère ayant le droit de dénoncer son séducteur devant les tribunaux et d’exiger une réparation. Celle-ci est d’ordre divers suivant les juridictions et les cas. En principe, le séducteur pouvait être condamné à mort sur accusation de « subornation », à moins que la femme ne consentît à l’épouser, et cette loi resta en vigueur jusqu’en 1730, date où une ordonnance royale l’abrogea et interdit que la peine capitale put être levée par le mariage[228].

En pratique, d’ailleurs, cette peine n’est presque jamais appliquée contre le suborneur[229].

Devant toutes les juridictions provinciales des milliers de dénonciations sont portées par des femmes contre leur séducteur. Ces dénonciations visent particulièrement des maîtres qui ont abusé de leurs servantes[230] et des curés qui ont détourné leurs paroissiennes, des militaires et de petits employés des bureaux de l’Intendance ou des gabelles, des maîtres d’école ; il est bien rare que les tribunaux laïques ou ecclésiastiques devant lesquels viennent ces affaires prononcent des peines afflictives contre les coupables.

La plupart du temps ils sont seulement condamnés à une amende versée à la femme « pour frais de gésine » ; d’autres fois, l’homme qui a séduit une fille et s’est cependant marié avec une autre peut voir son mariage rompu comme entaché de nullité, « être adjugé comme mari à la demanderesse, ou condamné à lui fournir une dot[231] ».

Cependant, malgré les avantages qu’elles pouvaient espérer d’une action contre leur séducteur, beaucoup de femmes hésitaient à « consigner dans un monument public la preuve de leur fragilité[232] ».

On essaya donc d’encourager le mariage, mais ni le gouvernement central ni les autorités qui le représentent n’interviennent et tout revient à l’initiative privée, autorités locales ou simples particuliers.

Très nombreuses sont les personnes qui, en mourant, laissent une certaine somme dont les revenus seraient consacrés à doter les filles pauvres. De telles fondations existent dans le Dauphiné[233], en Lorraine[234], en Berry[235], en Nivernais[236], en Auvergne[237] et dans la plupart des localités de l’Ile de France, où les fermiers généraux ont établi leur château. Dans les localités où existent des fondations, on désigne tous les ans, en une cérémonie solennelle, les bénéficiaires de ces libéralités : parfois elles sont élues par les notables, d’autres fois par le peuple de leur village. Dans le Rethélois, soixante filles, désignées tous les ans, sont dotées et mariées par les soins du duc et de la duchesse du Nivernais, seigneurs de la contrée[238]. Telle cité charge un magistrat municipal de s’occuper des filles pauvres et les doter aux frais de la ville et le qualifie de procureur des pauvres filles à marier[239]. Cependant, il s’en faut naturellement que, si nombreuses et si répandues qu’elles soient, particulièrement à la fin du xviiie siècle, ces fondations puissent suffire à assurer le mariage à toutes les filles pauvres.

Et, malgré tout, le nombre des enfants supprimés ou abandonnés restait extrêmement élevé, surtout dans les campagnes. Le fléau sévissait, non seulement chez les filles séduites, mais même dans les ménages réguliers, et le curé de la Borderie se plaignait de l’abandon des enfants comme d’une des causes de la misère. On pensa donc à encourager la maternité en donnant aux mères, particulièrement à celles de familles nombreuses, quelques avantages. Ici encore, aucune mesure d’ensemble, mais des mesures particulières prises ça et là et appliquées sans beaucoup de méthodes.

Le Gouvernement assure parfois aux mères de familles nombreuses, particulièrement aux veuves, une pension sur le Trésor. Nous voyons de ces pensions attribuées à des mères de dix ou onze enfants[240], particulièrement lorsqu’elles sont veuves. Elles sont en outre exemptes de la taille et de la corvée[241]. Dans certaines régions, les femmes en couches sont exemptes de la taille. Cependant ces mesures restent exceptionnelles et presque tout l’effort du gouvernement et des autorités locales a tendu à empêcher l’infanticide et l’exposition des enfants. Certains réformateurs hardis demandent que l’on rétablisse officiellement la recherche de la paternité. « Il faudrait, dit un subdélégué de la généralité de Clermont dans un intéressant mémoire, que, par l’intermédiaire de l’intendant Rossignol, il adresse au contrôleur général Orry, il faudrait faire dresser dans chaque généralité un état des filles enceintes, faire comparaître devant les autorités toutes les accoucheuses et forcer les filles à exercer une action de justice contre leurs séducteurs, qui seraient obligés à faire une pension à leurs enfants[242]. »

C’est une solution de cette nature qui paraît également la meilleure au curé de la Borderie, auteur d’un très intéressant mémoire sur la question. Pour lui, ce n’est pas à multiplier les hôpitaux qu’il faut s’attacher, mais bien plutôt à faire que les citoyens n’en aient pas besoin. Et il propose que l’on donne aux mères six francs par mois à partir de leur troisième enfant et que l’on continue ce secours jusqu’à l’âge de sept ou huit ans[243]. Considérer la maternité comme une fonction sociale qui doit être rétribuée par la communauté, telle est déjà l’idée du curé de la Borderie.

Ni l’une ni l’autre de ces suggestions ne sont entendues. Répondant à Rossignol, qui avait fait siennes les suggestions de Lafont, Orry déclarait qu’il ne fallait pas engager les filles à appeler en justice les pères présumés de leurs enfants, crainte des extrémités auxquelles elles pourraient se livrer.

L’effort principal du gouvernement et des autorités provinciales a donc porté sur l’organisation d’hospices où puissent être recueillis les enfants abandonnés. À la veille de la Révolution, ces établissements existent à Paris et dans la plupart des villes de province.

À Paris, depuis qu’a été établi l’Hospice des enfants trouvés, constate Mercier, on n’enregistre presque plus d’infanticides.

Les hôpitaux de maintes villes de provinces, de Grenoble, de Tulle, de Bergerac[244], par exemple, contiennent des salles où sont recueillis les enfants abandonnés. Des nourrices sont entretenues aux frais de l’hôpital. Ailleurs, les enfants sont recueillis par l’administrateur de l’hôpital mais, de suite, envoyés chez des nourrices.

À la fin du xviiie siècle, le peuple des campagnes, des villes use largement des facilités qui lui sont accordées de faire entretenir ses enfants aux frais du Trésor. Si les infanticides deviennent moins nombreux, les abandons d’enfants se multiplient. M. du Barrai, conseiller au Parlement de Grenoble, directeur de l’Hôpital général, constate que, contrairement au devoir naturel, les pères et mères d’enfants légitimes se débarrassent trop volontiers de leurs enfants et que l’hôpital ne peut suffire faute de nourrices à leur entretien[245]. Un demi-siècle auparavant le contrôleur général Orry, constatant que dans telle généralité, comme celle ce Riom, où, dit-il, non sans doute sans exagération, les dépenses pour les enfants exposés sont aussi élevées que dans toutes les autres parties du royaume[246], les ménages légitimes ou autres prenaient trop souvent l’habitude de se débarrasser de leurs enfants.

Par souci de moralité et pour des considérations d’ordre pratique, on est donc amené à encourager toutes celles qui le peuvent, c’est-à-dire les mères légitimement mariées à élever chez elles leurs enfants.

En 1788, le service des enfants trouvés à l’Hôpital général de Grenoble est réorganisé sur les bases suivantes : seuls les enfants illégitimes ou orphelins seront à la charge de l’hôpital et, sous aucun prétexte, le bureau de l’hôpital ne recevra des enfants légitimes ayant père et mère. Mais, pour procurer aux pauvres citoyens le moyen de nourrir ou de faire nourrir leurs enfants, on leur paiera une rétribution en argent jusqu’à l’âge de dix-huit mois, rétribution fixée à trois livres par mois pour les mères qui ne nourrissent pas elles-mêmes et à quatre livres par mois pour celles qui nourrissent elles-mêmes. Il leur faudra d’ailleurs faire constater régulièrement qu’elles s’acquittent de ce devoir ; tous les trois mois elles devront, pour toucher leur pension, présenter leur enfant à l’hôpital. Celles qui ne nourrissent pas elles-mêmes devront faire connaître la localité où elles mettent l’enfant en nourrice et présenter un certificat du curé de la paroisse constatant l’existence et l’état de l’enfant[247].

Ainsi voilà une fort intéressante et généreuse tentative pour encourager les mères à élever, mieux à nourrir elles-mêmes leurs enfants et en même temps à assurer leur vie matérielle pendant les années qu’elles remplissent ce devoir. Il ne semble pas que cette mesure ait été généralisée. Cependant, un peu partout, les hôpitaux généraux installés dans les localités les plus importantes considèrent comme leur incombant le devoir d’assurer la subsistance des enfants trouvés.

Et comme l’a déjà recommandé, en 1739, le contrôleur général Orry[248], la tendance prévaut de les placer à la campagne, où ils prendront le goût des travaux agricoles, plutôt que de les élever à la ville, où ils iraient grossir sans profit le flot des ouvriers qui délaissent les travaux des champs.

On a donc saisi, dès cette époque, l’importance sociale de la maternité. Mais l’on n’a pu prendre encore aucune mesure d’ensemble en sa faveur.

  1. Jéze. Loc. cit.
  2. Ibid.
  3. Arch. Départ., passim.
  4. Arch. Départ., Calvados, C. 2790.
  5. État des corporations de la généralité de Caen. Arch. Départ., Calvados, C. 2849.
  6. Bloch. Cahiers du baillage d’Orléans.
  7. Arch. Départ., Seine-Inférieure, C. 137.
  8. Arch. Com., Dijon, G. 70.
  9. Jèze. Loc. cit.
  10. Fagniez. La femme et la vie professionnelle en France au xviie siècle. Revue des Deux Mondes, janvier 1911.
  11. Règlement entre les maîtresses couturières et les maîtres tailleurs de Caen (1719). Arch. Départ., Calvados, C. 2870. Charte des couturières de Commercy. Arch. Départ., Meurthe-et-Moselle, E, 353.
  12. Arch. Départ., Côte-d’Or, G. 177 (Admission d’une couturière dans la corporation des tailleurs). Arch. Départ., Calvados, C. 2789.
  13. Bouille. Corporation d’Auvergne.
  14. Arch. Départ., Seine-Inférieure, C. 136.
  15. Arch. Départ., Loiret, B. 2029, suppl. (État des métiers de la ville d’Orléans). Calvados, C. 2880.
  16. Règlement du Conseil du 28 février 1723. Isambert (anciennes lois). Cf. Statuts et règlements des corporations de Paris, publiés par René de Lespinasse.
  17. Arch. Départ., Calvados, C. 2870.
  18. Règlement du Conseil de 1723.
  19. Règlement de la communauté des éventaillistes (1628), des mouleurs de sabre (1572), publiés par René de Lespinasse. Loc. cit.
  20. De Lespinasse. Loc. cit.
  21. État des corporations de la ville d’Orléans. Arch. Départ., Loiret, B. 2029, suppl. — État des corporations de la ville d’Angoulême. Arch. Départ., Charente, E. 2058.
  22. Les maris des filles des maîtres charrons ne feront qu’un demi-chef-d’œuvre. Règlement de la communauté des charrons d’Orléans. Arch. Départ., Loiret. Ibid.
  23. Une femme, Jeanne Ducharger, veuve d’un dentiste, est qualifiée drapière. Arch. Départ., Côte-d’Or, G. 127.
  24. Arch. Dép., Côte-d’Or, G. 127. Ibid.
  25. De Lespinasse. Ibid. Statuts des grainiers.
  26. Et aussi de leur richesse : Mme Campan nous les montre couverte de diamants ; Dancourt, dans La femme d’intrigues, nous présente une dame de la Halle pourvue de 400 000 livres.
  27. Ordonnance de 1608, renouvelée en 1694
  28. Ibid.
  29. Arch. Départ., Charente, E. 2059
  30. Arch. Départ., Charente, E. 1936.
  31. Arch. Départ., Rhône, B. 217-174.
  32. Arch. Départ., Indre-et-Loire, C. 441.
  33. Encyclopédie des arts et des sciences : boutonniers, passementiers et planches.
  34. Ibid. Cirier.
  35. Ibid. Eventaillistes.
  36. Ibid. Papetier et planches.
  37. Ballot. Les origines de l’industrie textile Lyonnaise. Revue d’Histoire de Lyon, 1914.
  38. Rallot. Loc. cit.
  39. Arch. Départ., Gard, C. 958.
  40. Arch. Com., Gard, E. 63.
  41. Cf. Levasseur. Histoire des classes ouvrières.
  42. Arch. Départ., Ardèche, C. 958.
  43. Arch. Départ., Calvados, C. 2815. Encyclopédie : Bas.
  44. Les classes rurales en Bretagne.
  45. Par exemple dans les établissements de Van Robais.
  46. Sée. Loc. cit.
  47. L’étude complète et approfondie de l’activité économique des femmes exigerait des monographies par corps de métiers ou par province. Les archives départementales et communales en fourniraient les éléments.
  48. Cf. Levasseur. Histoire des classes ouvrières.
  49. Arch. Départ., Indre-et-Loire, E. 469.
  50. D’après les évaluations d’Avenel.
  51. Arch. Départ., Indre-et-Loire, E. 441.
  52. Arch. Com., Dijon, G. 10.
  53. Édit sur l’abolition des corporations, jurandes et maîtrises (Isambert. Recueil des anciennes lois).
  54. Isambert. Ibid., T. XXII.
  55. 100 livres pour les couturières, 500 livres pour les faiseuses et les marchandes de mode et pour les lingères.
  56. Arch. Départ., Somme, C. 254-255.
  57. Ibid.
  58. Ibid.
  59. Arch. Départ., Calvados, H. 1747.
  60. Arch. Départ., Haute-Loire, introduction.
  61. L’établissement de la soierie à Lyon (Revue de l’histoire de Lyon, 1914).
  62. Sinon dans les petites villes où les tailleurs continuent la lutte contre les corporations féminines.
  63. Mlle Bertin. Souvenirs.
  64. De Nouvion. Un ministre des modes sous Marie-Antoinette, 1911.
  65. Mme Campan. Loc. cit.
  66. Ibid.
  67. Loc. cit.
  68. Ibid.
  69. Mercier. Loc. cit.
  70. Ibid.
  71. Restif de la Bretonne. Les Parisiennes.
  72. Mercier. Loc. cit.
  73. Restif de la Bretonne. Les Parisiennes.
  74. Ibid.
  75. Mercier. Loc. cit.
  76. Restif de la Bretonne. Loc, cit.
  77. Ibid.
  78. Babeau. Domestiques et artisans.
  79. Cf. Martin Saint-Léon. Les corporations de métiers.
  80. Arch. Départ., Loiret, B. 1988.
  81. Marmontel : Mémoires.
  82. Mercier. Loc. cit.
  83. Ibid.
  84. Ibid.
  85. Arch. Com. Passim, série F.
  86. Arch. Départ., Gard, G. 713. — Arch. Dépar., Calvados, H, 133, suppl.
  87. Arch. Départ., Mayenne, C. 97-98.
  88. Arch. Départ., ibid. B. 133.
  89. Arch. Départ., Charente-Inférieure, B. 319.
  90. Arch. Départ., Calvados, C. 2849.
  91. Arch. Départ., Calvados, C. 3061.
  92. Ibid., Ille-et-Vilaine, B. 306.
  93. Arch. Départ., Ardennes, B. 15.
  94. Règlement royal du 16 juin 1779 qui mentionne facteurs et factrices. Dictionnaire de jurisprudence.
  95. De Coicy. Les femmes comme il convient de les voir. — Mercier. Loc. cit.
  96. Arch. Comm., Amboise, BB. 33.
  97. Arch. Départ., Meurthe-et-Moselle, B. 201 (Marguerite Carré à Lunéville ; Jeanne Lacour à Saint-Avold).
  98. Arch. Départ., Charente, E. 1909, B. 212.
  99. Arch. Départ., Loiret, B. 1918.
  100. Dictionnaire de jurisprudence : chirurgien.
  101. Mercier. Loc. cit.
  102. Arch. Comm., Grenoble, FF. 40.
  103. Arch. Départ., Meurthe-et-Moselle, Chabligny, Hatze, E. 3770.
  104. Annonces et affiches, 1763.
  105. Arch. Comm., Grenoble, FF. 46. Protestation des sages-femmes de la ville contre les femmes non qualifiées qui se mêlent d’accoucher.
  106. Arch. Départ., Aube, C. 352 ; Drôme, E. 7589.
  107. Arch. Départ., Drôme, E. 7589.
  108. Ardaschef. Loc. cit.
  109. Sorte de poupée articulée représentant une femme en état de grossesse.
  110. Cette date est la première où nous trouvons trace du passage de Mme Ducoudray dans une province.
  111. Arch. Départ., Ardennes, C 88.
  112. Arch. Départ., Meurthe-et-Moselle, E. 350.
  113. Arch. Départ., Côte-d’Or, E. ; Arch. Comm., Dijon, F. 19.
  114. Arch. Départ., Seine-Inférieure, C. 95.
  115. Arch. Départ., Gers, C. 21 ; Drôme, E. 12294 ; Gard, C. 710 ; Gironde, C. 3302-13. (Listes des femmes qui ont suivi les cours d’accouchements de Mme Ducoudray).
  116. Arch. Départ., Ardennes, C. 88.
  117. Arch. Départ., Seine-Inférieure, C. 95.
  118. Arch. Départ., Marne, C. 350.
  119. Arch. Départ., Gard, C. 710.
  120. Arch. Départ., Gers, C. 21.
  121. Arch. Départ., Gironde, C. 3302-03.
  122. Babeau. Le village sous l’ancien régime.
  123. Règlement organisant l’administration de l’hôpital général de Grenoble Arch. Départ., Isère, E. 24.
  124. Mémoires de Grosley, cité par Babeau : Domestiques et artisans.
  125. De Gallien. Loc. cit.
  126. Royer Collard. Mémoires, cité par Babeau, ibid.
  127. Mercier. Loc. cit.
  128. Mercier. Tableau de Paris.
  129. Mercier. Loc. cit.
  130. Ibid.
  131. Babeau. Domestiques et artisans.
  132. D’Argenson. Loc. cit. À côté de la nourrice en titre se trouvaient les remueuses, chargées de prendre l’enfant dans son berceau et de le lui passer. (Ibid.)
  133. Mercier. Loc. cit.
  134. C’est le cas pour le barreau ou la médecine.
  135. Cf. Thirion. La vie privée des financiers.
  136. Carré. Loc. cit.
  137. Bachaumont. Mémoires secrets. — Thirion. Ibid.
  138. Ibid.
  139. Mlle d’Epinay. Mémoires.
  140. Bachaumont. Loc. cit.
  141. Bachaumont. Mémoires secrets.
  142. Camille Piton. Paris sous Louis XV.
  143. Mercier. Tableau de Paris.
  144. Cf. Goncourt. Loc. cit.
  145. Ibid.
  146. Mercier. Loc. cit.
  147. Mercier. Ibid.
  148. Barbier. Journal. D’ailleurs des espionnes étrangères se glissaient parmi les prostituées.
  149. Mercier. Loc. cit.
  150. Mercier. Loc. cit.
  151. Ibid.
  152. Cependant, les adversaires du régime corporatif tiennent, nous l’avons vu, les entraves qu’il met au travail féminin pour l’une des causes de la débauche.
  153. Goncourt. Loc. cit.
  154. Dictionnaire de la police : Filles.
  155. Mercier. Loc. cit.
  156. Ibid.
  157. Arch. Départ., Côte-d’Or, C. 395.
  158. Par exemple à Limoges.
  159. Dictionnaire de jurisprudence : Filles.
  160. Arch. Comm., Gap. FF. 38.
  161. Arch. Départ., Puy-de-Dôme, C. 1196-97.
  162. Arch. Comm., Grenoble, BB. 121.
  163. Arch. Comm., Agen, FF. 52.
  164. Arch. Départ., Loiret, A. 1085.
  165. Arch. Départ., Gironde, C. 318.
  166. Règlement de l’hospice du Bon Pasteur. Dictionnaire de la police. Ibid.
  167. Restif de la Bretonne. Les Parisiennes.
  168. Sée. Les classes rurales en Bretagne du xvie siècle à la Révolution.
  169. Arch. Départ., passim, série E.
  170. Babeau. Paysans et artisans.
  171. Les archives de plusieurs villages lorrains signalent des femmes de corps. Arch. Départ., Meurthe-et-Moselle, B. 521-26. — Une femme de Fenestrange reçoit en autorisation de suivre son mari. Arch. Départ., Meurthe-et-Moselle, B. 693.
  172. Information constatant que Jeanne Diraison, veuve Périnnes, et ses enfants, ont quitté le lieu de Quermodran-Isellof sans acquitter leurs redevances. Arch. Départ., Côtes-du-Nord, B. 218.
  173. Par exemple : Testament de Marie Jourdan. Arch. Départ., Finistère, B. 291.
  174. Sée. Loc. cit.
  175. Arch. Départ., Eure-et-Loir, série G., passim.
  176. Arch. Départ., Seine-et-Oise, passim (particulièrement E. 4224).
  177. Assignation aux conseils pour réparer une église, par Esprit Brunelle et Marie Cave sa femme, co-fermiers et associés (1724). Arch. Départ., Vaucluse, B. 3206.
  178. Cf. Cordier. Le droit de famille aux Pyrénées, Paris, 1854, in-8°, et Arch. Départ., Cantal, E. 316.
  179. Babeau. Paysans et artisans.
  180. Restif de la Bretonne. Les Parisiennes.
  181. Arch. Départ., Seine-et-Oise, passim, série E.
  182. Arch. Départ., passim et particulièrement Cantal, E. 636, E. 696, E. 856, E. 866-68, E. 1432, et minute du terrier de Notre-Dame-de-Sales, E. 1490.
  183. Procès-verbaux de l’Assemblée provinciale du Berri, cités par Babeau (Paysans et artisans).
  184. Arch. Départ., Finistère, B. 291.
  185. Arch. Départ., Cher, E. 1434.
  186. Abatage de toutes les bêtes d’un marchand boucher à Marie-Geneviève Bequier, femme engagée. Arch. Départ., Cher, E. 2102.
  187. Arch. Départ., Seine-et-Oise, E. 4274.
  188. Arch. Départ., Savoie, introduction.
  189. Levasseur. Histoire des classes ouvrières.
  190. Arch. Départ., Charente, E. 408.
  191. Arch. Départ., Cher, B. 1625.
  192. Ordonnances royales de 1680 et 1688.
  193. Vol avec effraction commis par Françoise Amit dans l’Orangerie de l’évêque de Sarlat (Arch. Départ., Dordogne, B. 1674).
  194. Arch. Départ., Finistère, B. 865.
  195. Arch. Départ., Finistère, B. 868-70.
  196. Babeau. Loc. cit.
  197. Arch. Départ., Morbihan, E. suppl. 821
  198. Arch. Départ., Tarn, B. 928.
  199. Arch. Départ., Dordogne, B. 533.
  200. Ibid., B. 1527.
  201. Arch. Départ., Charente, B 998.
  202. Arch. Départ., Dordogne, B. 1434.
  203. Arch. Départ., Basses-Alpes, B. 618.
  204. Arch. Départ., Dordogne, B. 1506.
  205. Arch. Départ., Puy-de-Dôme, E. 6678.
  206. Arch. Départ., Puy-de-Dôme, C. 911.
  207. Dubédat. Histoire du Parlement de Toulouse.
  208. Arch. Départ., Calvados, G. 2644.
  209. D’Argenson. Loc. cit.
  210. Arch. Départ., Calvados, G. 2664.
  211. Funck Brentano. Inventaire des archives de la Bastille.
  212. Mercier. Tableau de Paris.
  213. Cf. Hertaut. Les enlèvements d’enfants en 1720 et'Texte en italique 1750. L’auteur ne met pas suffisamment en lumière le rôle des femmes (Revue Historique, janvier, 1922).
  214. D’Argenson. Loc. cit.
  215. Mercier. Loc. cit.
  216. Lasserre. Participation collective des femmes à la Révolution.
  217. Funck Brentano. Les Lettres de cachet.
  218. Ibid. et d’Argenson. Loc. cit.
  219. Funck Brentano. Loc. cit.
  220. Ibid.
  221. Ibid.
  222. Ibid.
  223. Funck Brentano. Loc. cit.
  224. Arch. Départ., Ille-et-Vilaine, C. 1284.
  225. Cf. Supra.
  226. Arch. Départ., Corrèze, B. 655.
  227. Arch. Départ., Mayenne, B. 1673.
  228. Arch. Départ., Drôme, B. 48.
  229. Cependant un gentilhomme fut décapité pour crime de rapt. Corrèze, B. 347.
  230. Arch. Départ., passim, série B.
  231. Arch. Départ., Aube, G. 4184.
  232. Arch. Départ., Corrèze, B. 655.
  233. Arch. Départ., Drôme, E. 7941.
  234. Arch. Départ., Meurthe-et-Moselle, B. 5979.
  235. Arch. Départ., Indre, H. 100.
  236. Arch. Départ., Nièvre, B. 219.
  237. Arch. Départ., Puy-de-Dôme, C. 1324.
  238. Arch. Départ., Ardennes, B, 567.
  239. Arch. Départ., Vaucluse, B. 2265.
  240. Arch. Départ., passim.
  241. Ibid.
  242. Arch. Départ., Puy-de-Dôme, C. 1324.
  243. Ibid.
  244. Arch. Départ., Dordogne, B. 1890-96.
  245. Arch. Départ., Isère, E. 77 et 78.
  246. Elles se montaient, pour cette seule généralité, à 63 939 livres. Arch. Départ., Puy-de-Dôme, C. 1324.
  247. Arch. Départ., Isère, E. 27-28.
  248. Arch. Départ., Puy-de-Dôme, C. 1329.