La Femme et la Société française dans la première moitié du XVIIIe siècle/01

La Femme et la Société française dans la première moitié du XVIIIe siècle
Revue des Deux Mondes5e période, tome 49 (p. 309-343).
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LA FEMME
ET
LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIIe SIÈCLE

L’ENFANCE ET L’ÉDUCATION

Ce n’est pas seulement dans l’histoire politique, dans la fondation de la prépondérance française en Europe, que la première moitié du XVIIe siècle se distingue par une unité depuis longtemps reconnue. Dans la vie privée de nos ancêtres de cette époque, on n’est pas moins frappé de l’unité morale qui s’établit graduellement par l’apaisement des habitudes de violence développées au sein des guerres civiles, par le culte de la volonté, par la religion du devoir, par l’affectation de l’héroïsme dans la conduite et du purisme dans le langage. L’idéal intellectuel et moral de cette société, ses mœurs, sa sociabilité, sa littérature sont dus pour beaucoup à la place qu’elle a donnée à la femme. Si donc l’on pouvait suivre celle-ci dans les diverses situations où l’appelaient ses intérêts et ses devoirs, au foyer, à l’atelier, dans le monde, sur le théâtre, au couvent, etc., on aurait beaucoup fait pour la connaissance de la société elle-même. Pour savoir si une pareille entreprise, à coup sûr téméraire, est du moins réalisable, il n’y a qu’un moyen, c’est de la tenter, et c’est par l’éducation féminine, en la prenant tout à fait à son début, qu’il faut commencer.


Bien que la naissance d’une fille fût, pour nos ancêtres du XVIe et du XVIIe siècle, à quelque classe de la société qu’ils appartinssent, moins importante que celle d’un fils, elle n’était pas enregistrée avec moins de soin, moins de détails dans le livre de raison. Ce n’était pas seulement l’heure de l’accouchement qui y était consignée ; on y ajoutait souvent les circonstances atmosphériques, le cours et l’âge de la lune, le signe du zodiaque, le caractère heureux ou néfaste attribué par les almanachs au jour de l’événement.

Deux intérêts d’une égale urgence s’imposaient à la famille au sujet du nouveau-né : sa conservation, les premières précautions exigées par sa fragilité, puis son inscription dans la société chrétienne et civile, c’est-à-dire son baptême. Occupons-nous d’abord du second.

Rigoureusement le baptême devait avoir lieu le jour ou le lendemain de la naissance. C’est ce que prescrivent les statuts synodaux de plusieurs diocèses. Le nouveau-né était-il en péril de mort ou simplement trop faible pour pouvoir supporter le transport à l’église, il était ondoyé, soit par le prêtre qui y accomplissait plus tard les cérémonies accessoires du baptême, soit par la sage-femme. Par suite de ce devoir spirituel qui n’était pas le seul qu’elles fussent appelées à remplir, les sages-femmes relevaient de l’autorité ecclésiastique. Elles étaient nommées et assermentées par les curés.

Le pouvoir civil avait beau abandonner au clergé la mission de dresser les actes de naissance, il ne pouvait rester indifférent à la façon dont cette mission était remplie ; il y allait d’intérêts dont il avait à connaître : filiation, âge, parenté. On peut dire, sans calomnier les curés de cette époque, que son intervention, si légitime d’ailleurs en principe, était justifiée par l’incurie avec laquelle les registres baptistaires étaient tenus. Longtemps avant la période qui fait l’objet de notre étude, des dispositions avaient été prises pour assurer leur existence, leur conservation et leur authenticité. L’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 en avait prescrit la rédaction, avait exigé qu’ils fussent signés du curé ou de son vicaire et d’un notaire et en avait confié la garde aux justices royales, au greffe desquelles ils devaient être déposés chaque année. Ce dépôt ne fut pas effectué, car l’ordonnance de Blois de novembre 1579 le prescrivit de nouveau en imposant aux curés l’obligation d’attester en justice la vérité de leur contenu. Il faut croire que ces archives de l’état civil restèrent encore dans les paroisses, puisqu’une ordonnance de janvier 1629 répétait la même injonction. Encouragé par les protestations incessantes de ses évêques, le clergé paroissial n’en tint pas compte.

L’autorité publique, on vient de le voir, ne s’était pas montrée moins soucieuse de l’exactitude des faits inscrits dans les registres baptistaires que de leur conservation. Régulièrement, la teneur des actes de baptême devait comprendre le nom et le sexe de l’enfant, les noms des père et mère et ceux des parrain et marraine, mais leur rédaction n’était pas toujours aussi complète. Pour les enfans légitimes, la filiation était établie par la déclaration du père et de la mère ; pour les enfans naturels, on recevait celle qui était faite, au nom de la mère, par la sage-femme, le parrain ou la marraine, et on la recevait non seulement pour la filiation maternelle, ce qui était tout simple, mais aussi, lorsque le père ne reconnaissait pas l’enfant, ce qui était le cas le plus fréquent, pour la filiation paternelle. Il est vrai que le père, réel ou supposé, pouvait faire insérer dans le registre un acte de désaveu. Il faut ajouter que cette déclaration n’était pas suffisante pour établir l’état civil de l’enfant, qu’elle ne donnait à la mère qu’un titre à une provision alimentaire pour les premiers besoins de celui-ci, que c’est avec cette restriction que s’appliquait le brocard Virgini prægnanti creditur. L’insertion d’une pareille articulation dans un acte de naissance n’en constituait pas moins une présomption grave, un commencement de preuve par écrit. Il n’est pas besoin de signaler l’intérêt qui pouvait décider plus d’une fille-mère à tromper sur le véritable auteur de sa grossesse. En 1629, Marguerite Pradel dément, à la requête d’Antoine Lapeyre, l’attribution de paternité qu’elle lui avait imputée. Le 25 août 1633, une femme qui avait résidé à Mauves présente son enfant au baptême dans l’église de Notre-Dame de Nantes, et au curé qui lui demande pourquoi elle ne l’a pas fait baptiser à Mauves où elle a accouché, elle répond qu’on ne voulait le baptiser dans cette paroisse qu’à la condition de désigner pour père un autre que le vrai.

Si la société de l’ancien régime bravait l’abus inséparable de la présomption attachée au témoignage de la fille-mère, c’est qu’elle se préoccupait de lui assurer tout de suite des ressources, et elle s’en préoccupait, non seulement pour éviter une charge à la paroisse, mais plus encore pour ôter à la mère naturelle l’une des raisons qui pouvaient la pousser à se défaire de son enfant.

On redoute la clandestinité de la grossesse et de l’accouchement par la même raison qu’on favorise la recherche de la paternité. La femme qui dissimule sa maternité, qui ne fait pas connaître sa grossesse, qui ne la fait pas constater par témoins, ainsi que l’issue heureuse ou funeste de ses couches, est réputée, si son enfant meurt, coupable d’infanticide et, en conséquence, punie de mort. Les municipalités enjoignent aux sages-femmes de leur signaler les grossesses des femmes non mariées auxquelles elles sont appelées à donner leurs soins, de ne leur donner ces soins qu’avec leur autorisation, d’obtenir d’elles, au moment de l’accouchement, le nom du père.

Le baptême ne se conçoit guère sans parrain et sans marraine, et cependant il y avait bien des enfans auxquels ils manquaient, comme leur manquait aussi un père reconnu. C’étaient généralement les mêmes, de sorte que la parenté spirituelle faisait justement défaut à ceux qui se trouvaient déjà privés de la parenté légale. En revanche, pour ceux qui bénéficiaient de la première, il y avait parfois un peu d’excès, eu égard, du moins, aux obstacles qu’elle mettait au mariage. En 1546, Anna Furie eut cinq parrains et trois marraines. Généralement leur nombre ne dépassait pas un parrain et une marraine ou deux patrons et une patronne spirituels pour un garçon, deux patrons et une patronne pour une fille. On faisait quelquefois une classification dans les uns et dans les autres, on distinguait les grands et les petits compères, les principales et les petites marraines.

L’initiation à une religion qui ne distingue pas entre ses enfans était envisagée comme une occasion d’attester cette fraternité chrétienne. Ceux qui occupaient un rang élevé dans la société se prêtaient volontiers à tenir sur les fonts des nouveau-nés de la classe la plus humble, alors surtout qu’ils appartenaient à la famille de leurs serviteurs, de leurs tenanciers. Il n’y a là rien que de très naturel. Ce qui est plus digne de remarque, parce qu’il faut y voir un indice de l’égalité de mœurs que l’on rencontre souvent dans les sociétés hiérarchisées, de la facilité et de la cordialité des rapports entre les différentes classes, c’est que le contraire se produisait aussi, c’est que des familles aisées et même d’une haute situation sociale prenaient des pauvres pour servir à leurs enfans de répondans devant Dieu. Cet usage était si commun et il est si connu que nous n’en signalerons que deux exemples. En 1657 un enfant de la famille limousine des Nexon est présenté au baptême par « un petit pauvre » du village de Villotte et une pauvresse demeurant au bourg de Nexon, et, le 5 novembre 1592, ce sont des pauvres qui servent de père et de mère spirituels aux deux enfans jumeaux de Philibert-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur et de Marie de Luxembourg.

La différence de religion n’était pas incompatible avec le rôle de parrain et de marraine. On connaît des baptêmes catholiques où des protestans figurent eu cette qualité, et réciproquement. Il faut voir là une preuve de l’apaisement intermittent des passions religieuses.

En nous occupant du sacrement qui faisait du nouveau-né un chrétien, avant de parler des premiers soins matériels et du régime par lesquels on croyait alors assurer le mieux son existence et son développement, nous avons suivi l’ordre que la société de ce temps-là mettait dans ses préoccupations à son égard. Avant tout, elle songeait au salut de son âme. Sur l’hygiène du premier âge, nous serons bref, d’ailleurs, parce qu’une compétence spéciale serait nécessaire et chez l’auteur et chez les lecteurs pour permettre plus de détails.

Pour l’allaitement maternel, il n’y a pas de doute à avoir. Autant il était préconisé par l’Eglise et par tous les auteurs qui ont écrit sur la pédagogie, Vives, Erasme, Scévole de Sainte-Marthe, autant il était peu en usage dans les classes élevées. Le peuple était seul à connaître la douceur de cette maternité complète. L’Eglise était si impérative sur ce devoir que certains théologiens allaient jusqu’à ranger parmi les péchés mortels l’abstention de la mère quand elle n’était pas motivée par une cause légitime. En général, sauf dans le peuple, les nouveau-nés étaient mis en nourrice à la campagne. Sur les caractères physiques qui distinguent une bonne nourrice, nous avons l’opinion de deux femmes qui ont été contemporaines et qui, par leur expérience comme par leurs écrits, avaient acquis une grande autorité gynécologique : la femme du médecin Jean Liebault et Louise Bourgeois dite Boursier, sage-femme de Marie de Médicis. Elles sont d’accord sur l’importance qu’il y a à ne pas prendre une nourrice rousse ou dont la vue soit défectueuse. La première ajoute que la nourrice doit avoir entre vingt-cinq et trente-cinq ans, la seconde qu’il faut regarder si ses dents sont blanches et bien rangées et s’enquérir si ses ascendans sont sains, présomptions dont on s’étonne que la première n’ait pas parlé, mais dont elle ne méconnaissait certainement pas la valeur. Le 25 janvier 1613, le bureau de l’Hôtel de Ville, pour prévenir de nouveaux cas de mortalité enfantine provenant de l’insuffisance du lait maternel, adjoignit deux nourrices au service des accouchées.

Au sujet de l’alimentation qui s’ajoutait au lait de femme et qui le remplaçait entièrement après le sevrage, nous signalerons l’abus de la bouillie à la campagne et l’habitude de certaines paysannes de donner aux nourrissons du vin et même de la soupe au vin. C’est Gui Patin qui nous révèle, avec sa verve incisive, ces pernicieuses pratiques et il motive longuement la condamnation absolue de la bouillie, dont l’usage lui paraît mauvais, même quand il ne va pas au point d’« en fourrer aux enfans jusqu’à la gorge, » comme font les nourrices aux champs. Il pousse même la prévention jusqu’à l’accuser d’être cause de la petite vérole et de lui donner une gravité souvent mortelle. Du bouillon, des œufs, voilà quelle est, pour lui, l’alimentation qui convient le mieux aux enfans en sevrage.

La nourrice restait souvent auprès de son ancien nourrisson en qualité de bonne d’enfant. Personne, pas même la mère, ne pouvait avoir plus d’influence sur sa première éducation que celle qui, l’ayant nourri, avait suscité et dirigé en lui le premier éveil, le premier développement de la sensibilité et de l’intelligence : « Je trouve, écrit Montaigne, que nos plus grands vices prennent leur pli de notre plus tendre enfance et que notre principal gouvernement est entre les mains des nourrices. » Les sentimens nés de cette pseudo-maternité engendraient souvent un attachement qui durait toute la vie, et le rôle que les littératures de tous les temps et de tous les pays ont donné à la nourrice auprès de l’enfant qu’elle a allaité n’a fait que reproduire une situation universelle. Pierre Larivey, dans sa comédie Le Fidèle, fuit dialoguer une jeune fille et son ancienne nourrice. La première reproche à la seconde les sentimens romanesques que les récits, tirés des poèmes d’aventures qu’elle a entendus de sa bouche, ont éveillés prématurément chez elle, et la seconde s’excuse par l’usage constant de ses pareilles de distraire de cette façon les heures d’insomnie des fillettes qui leur sont confiées. Pendant leur bas âge, les enfans étaient plus souvent avec des mercenaires qu’avec leurs parens. Aussi, en fondant, en 1634, une congrégation destinée à l’instruction des pauvres filles qui se proposaient d’entrer en condition. Barbe Martin, veuve de Nicolas Colbert, seigneur de Magneux-les-Fismes, avait-elle songé surtout à l’intérêt des enfans en bas âge à se trouver en rapport avec des servantes bien élevées.

Il y avait une chose qu’on ne croyait pas pouvoir commencer trop tôt à apprendre à l’enfant, c’était les bonnes manières. La petite fille n’avait pas encore accompli sa cinquième année qu’on lui faisait répéter les formules de politesse qu’elle devait employer pour parler à sa mère et elle était durement châtiée lorsqu’elle y manquait. C’est à Erasme, c’est-à-dire à une autorité bien antérieure à l’époque qui nous occupe, que nous empruntons ce fait, mais on sait combien se conservent les traditions et les formes du savoir vivre. Ce fut précisément Erasme qui les codifia, en 1530, dans son traité De civilitate morum puerilium, les popularisa et les imposa, par la vogue extraordinaire de son manuel, aux manuels suivans tels que ceux de Mathurin Cordier et de J.-B. de la Salle. Le grand antiquaire de Rotterdam est donc indirectement le père de tous les guides de civilité puérile et honnête qui ont paru jusqu’au temps qui nous intéresse inclusivement et, si ces guides n’ont fait que reproduire ses préceptes, c’est qu’ils étaient toujours observés, toujours considérés du moins comme les meilleurs.

Ce qui, dans ce code des bienséances, regarde les soins de la toilette, est si peu de chose qu’il n’y a pas à s’y arrêter. La tenue de l’enfant à table mérite, au contraire, d’être remarquée. Il mange au bout de la table tête nue, à la différence des grandes personnes qui sont couvertes, et il y garde le silence. Il ne s’y assoit que quand on le lui a commandé et n’y reste pas jusqu’à la fin. Quand il a suffisamment mangé, il ôte son assiette et s’en va après avoir fait une révérence à celui des convives qui occupe le rang social le plus honorable. Jusqu’à dix ans, il se retire dans sa chambre à sept heures du soir.

Mais elle était encore soumise à ces règles du savoir vivre que déjà la petite fille avait à remplir d’autres devoirs, éveillait d’autres préoccupations chez ceux qui s’intéressaient à elle. Elle avait cinq ou six ans, le temps était arrivé où l’éducation sérieuse allait commencer. Celle qu’ont reçue les générations qui se sont succédé depuis l’avènement de Henri IV jusqu’à la mort de Louis XIII a dû changer avec l’idée qu’on s’est faite du rôle de la femme dans la société.

Les femmes n’étaient pas restées étrangères à cette ardeur de savoir qui fut la noble passion de la Renaissance. « Que dirai-je, — écrit Rabelais, — les femmes et les filles ont aspiré à cette louange et manne céleste de bonne doctrine. » Beaucoup de contemporaines de Rabelais y atteignirent. Chez celles de Montaigne, de « la bonne doctrine » il ne resta souvent que l’affectation et le pédantisme. Même dans la seconde moitié du siècle, on savait gré aux femmes d’une culture raffinée. Elle valut à plusieurs demoiselles pauvres attachées au service de Catherine de Médicis un établissement pour lequel leurs pères n’avaient pas eu de dot à constituer. Tant d’exemples honorables pour l’instruction féminine n’avaient pu que lui assurer une faveur générale. Avaient-ils été jusqu’à triompher de la conception timorée, étroite, qu’on se faisait encore du rôle du sexe faible dans la société ? Nous ne le croyons pas. Erasme, qui nous a déjà révélé la place excessive du formalisme dans l’éducation de la jeune fille, censure l’opinion de ceux qui croient qu’il ne manque rien à cette éducation du moment où elle l’a conduite jusqu’au mariage en la préservant du commerce des hommes, et qui ne s’aperçoivent pas du danger que court son innocence avec de grossières servantes. Au préjugé qui trouve l’instruction déplacée chez elle, il oppose le sentiment des gens de bon sens qui y voient la meilleure école du jugement, la meilleure sauvegarde des mœurs. Ailleurs, il reconnaît les avantages de l’éducation ménagère, mais il met encore au-dessus le travail intellectuel, parce qu’il absorbe plus l’esprit, parce qu’il forme et moralise davantage. Erasme aurait-il été le lettré et l’érudit que l’on sait si, en rendant hommage à l’utilité de l’apprentissage de la vie domestique, il n’avait attribué à la culture intellectuelle une influence prépondérante sur la formation de l’esprit et du cœur ? El pourtant le programme de Vivès, qui est aussi un érudit et un lettré, ne fait aucune part aux connaissances que la science peut ajouter à celles qui viennent de la pratique du ménage et du monde. Sortons maintenant des cabinets des savans, interrogeons un homme d’action qui fut en même temps un homme cultivé. Tout en admirant les femmes de son siècle qui se sont fait une réputation par leur savoir, Agrippa d’Aubigné déclare à ses filles, qui l’ont consulté sur la question, qu’une instruction extraordinaire a, pour les filles de la classe moyenne à laquelle il appartient, plus d’inconvéniens que d’avantages ; que les devoirs de la vie conjugale et de la maternité en font perdre le fruit, car, comme il le dit avec grâce, « quand le rossignol a des petits, il ne chante plus ; » qu’elle rend vaine, fait dédaigner le ménage et le mari, rougir de la pauvreté et introduit la discorde dans l’intérieur. Il conclut que la haute culture doit être réservée aux princesses qui ont à gouverner les hommes, par exemple à une reine comme Elisabeth d’Angleterre. Concluons donc, à notre tour, que, si l’influence de la Renaissance, à la Cour d’abord et ensuite dans un certain nombre de centres intellectuels, multiplia les femmes instruites et même d’une instruction raffinée, la cause de l’instruction féminine, d’une instruction étendue et solide, ne triompha pas assez, au XVIe siècle, de préventions enracinées pour modifier le caractère et le niveau de l’éducation des filles de la bourgeoisie et de la noblesse.

Quant à l’instruction populaire, on a lieu de croire qu’elle fut, dans la première moitié de cette période, très répandue. « Tout le monde, si pauvre qu’il soit, apprend à lire et à écrire, nous dit l’ambassadeur vénitien, Marino Giustiniano, en 1535. Les patronnes, les maîtresses de maison qui prenaient des petites filles en apprentissage ou pour leur service domestique, s’engageaient à les envoyer à l’école. C’est aussi à la première moitié du XVIe siècle, c’est à l’année 1520 qu’appartient un statut organique de l’enseignement primaire à Rouen et dans le diocèse qui a pour auteur le cardinal archevêque, Georges d’Amboise, et qui fut confirmé, en 1641, par son successeur, François de Harlay. On y voit qu’il y avait alors, dans cette région, des écoles de garçons et des écoles de filles. Les maîtres pouvaient bien enseigner les filles, mais séparées des garçons, dans des écoles différentes dont la distance est même déterminée. C’était, d’ailleurs, à la condition d’être mariés à des maîtresses brevetées. Maîtres et maîtresses passaient par conséquent des examens. L’enseignement de l’écriture et de l’arithmétique était réservé aux maîtres écrivains reçus à la maîtrise après avoir fait leur chef-d’œuvre. Les classes duraient, en été, de huit heures à onze heures du matin et de deux heures après midi jusqu’à cinq heures du soir ; en hiver, de huit heures et demie à onze heures el demie et de deux heures après midi à quatre heures. L’après-dîner du mercredi et du vendredi, on faisait le catéchisme. L’après-dîner du jeudi et du samedi, les élèves avaient congé. Il y avait plusieurs degrés d’enseignement et trois classes de professeurs. L’enseignement de la lecture, de la doctrine chrétienne et de la grammaire latine n’était donné que par des professeurs et ne s’adressait qu’aux garçons. L’écolage était de 20 sols par mois. D’autres cours, où figuraient, à l’exclusion de la grammaire latine, la lecture et l’instruction religieuse, étaient faits par des maîtres ou des maîtresses. L’écolage n’était que de 10 sols. Les cours des maîtres écrivains se divisaient en deux degrés, l’un où l’on apprenait à lire, à écrire et à chiffrer et pour lequel l’écolage s’élevait à 30 sols, l’autre qui se réduisait à l’écriture et à la lecture de la lettre moulée et pour lequel l’écolage était abaissé à 20 sols. Il n’est pas permis de douter que les filles fussent admises à ces cours, car ce n’était que là qu’elles pouvaient apprendre l’écriture et le calcul. Les enfans pauvres, reconnaissables à l’inscription : Pauvres de la ville de Rouen qu’ils portaient au chapeau, recevaient, dans les écoles des pauvres, une instruction gratuite. L’enseignement clandestin était défendu.

C’est encore à la première partie du XVIe siècle, non moins qu’à l’époque antérieure, qu’il faut appliquer le témoignage de l’évêque d’Evreux, disant, en 1576, qu’il n’y avait pas autrefois une paroisse un peu peuplée de son diocèse qui ne possédât une maison d’école et une fondation scolaire.

Le premier coup porté à l’enseignement populaire lui vint de la Réforme. Ce n’est pas que la nouvelle religion eût moins de zèle que l’ancienne pour cet enseignement. Tout au contraire, en faisant de la lecture et de l’étude des livres saints le premier devoir du chrétien, elle imposait à ses adeptes l’obligation de savoir lire et celle de se livrer, pour comprendre la parole de Dieu, à un véritable effort d’esprit. Mais la propagation des nouvelles doctrines ne pouvait, dans son ardeur agressive, séparer de l’Eglise l’enseignement populaire, et les coups dirigés contre la première ne pouvaient manquer d’atteindre le second parce que l’un et l’autre étaient unis aussi étroitement que le sont la pensée et le verbe, parce que cet enseignement était entièrement inspiré, distribué et surveillé par l’Eglise.

Pour l’éducation populaire, comme pour toutes les parties de sa mission que le clergé catholique eut à défendre contre les novateurs, la résistance partit du Concile de Trente. En 1542, l’assemblée conciliaire s’occupa de fortifier l’éducation cléricale en prescrivant l’ouverture de séminaires ou de collèges ecclésiastiques pour les enfans de douze ans sachant lire et écrire correctement. Pour assurer le recrutement de ces petits séminaires, elle créait, dans chaque paroisse, une école primaire gratuite, dont le maître était nommé par l’évêque sur la présentation du chapitre. Un autre décret, rendu en 1547, mit ces écoles gratuites sous l’autorité et à la charge des curés, contrairement aux droits des chantres et des écolâtres, ce qui donna lieu à de nombreux conflits et à de laborieuses transactions.

L’instruction populaire souffrit des guerres religieuses plus encore qu’elle n’avait souffert du prosélytisme protestant. Les seigneurs, le clergé, les communautés d’habitans s’approprièrent ou aliénèrent les maisons d’écoles et les biens affectés à leur dotation. Les populations se montrèrent en général réfractaires au paiement d’une contribution pour le rétablissement des écoles et à l’imputation sur le budget municipal ou hospitalier du traitement d’un instituteur. Le synode d’Évreux de 1576 oppose la mauvaise volonté des catholiques à l’égard des écoles primaires publiques au zèle des hérétiques qui font la guerre pour obtenir des écoles. Le triomphe du calvinisme à Nîmes, en supprimant l’enseignement dispensé par le clergé régulier et le clergé séculier, voua à l’ignorance, jusqu’à l’établissement des Ursulines en 1637, les filles du peuple que leurs familles ne pouvaient envoyer à Montpellier et à Avignon pour recevoir une éducation catholique. De Nîmes on peut rapprocher Draguignan au point de vue de l’ignorance. Bien que cette ville possédât, en 1566, une école de filles, les femmes de la bourgeoisie y étaient encore, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, incapables d’écrire leur nom. En 1639, à Sisteron, une seule institutrice devait suffire à l’enseignement féminin, et ce ne fut qu’au milieu du XVIIe siècle que l’arrivée des Visitandines, puis des Ursulines, mit les ressources pédagogiques en rapport avec les besoins. Les canons conciliaires, les mandemens épiscopaux de la seconde moitié du XVIe siècle attestent à la fois la ruine des écoles rurales et même urbaines, et le zèle du clergé à les rétablir. Tout à l’heure nous reproduisions les dispositions du statut organique promulgué, en 1520, par un archevêque de Rouen pour les écoles de son diocèse. Dans un mandement adressé par un de ses successeurs à ses suffragans, en 1581, il n’est question que d’écoles sans élèves, dépouillées de leurs revenus et de localités sans école. Le prélat ordonne à ses suffragans de rouvrir les anciennes, d’amener à restitution, par des censures, les usurpateurs et d’en créer là où il n’y en a pas. Les conciles de cette période montrent, à des degrés divers, une sollicitude constante pour l’enseignement primaire. Un concile tenu à Bordeaux un peu après 1583 arrête que toutes les paroisses ou, au moins, les paroisses un peu peuplées (celebriores) seront pourvues d’un maître d’école. Le concile de Bourges décrète, en 1584, qu’il y aura une école dans chaque paroisse et que l’enseignement élémentaire des filles sera confié à des veuves ou à des filles aptes à cette mission. Le concile d’Aire enjoint, en 1585, à l’évêque de créer le plus tôt possible dans les villes et les bourgs de son diocèse des écoles pour les deux sexes. Le synode d’Angers prescrit, en 1594, aux curés du diocèse de trouver dans leurs paroisses et de commettre une personne capable pour enseigner l’alphabet, les rudimens de la grammaire et le chant. Ils mettront leurs paroissiens en demeure de contribuer, suivant leurs facultés, au paiement de l’instituteur. Le synode d’Avranches ordonne, en 1600, la recherche et la restitution des fondations et des legs dont les écoles ont été spoliées et leur l’établissement dans les bâtimens qui leur avaient été affectés.

Dans les États généraux de 1560, de 1576 et de 1588, clergé, Noblesse, Tiers État rivalisèrent de zèle pour l’instruction populaire. Ce zèle, qui s’accrut avec chaque session, fut en grande partie efficace. Si le principe de l’obligation, dont la noblesse avait réclamé l’adoption aux États d’Orléans, ne passa pas dans l’ordonnance de 1561 rendue dans la même ville, celui de la gratuité y fut ratifié. Le vœu du Tiers de faire assurer l’instruction populaire par l’affectation d’une prébende canoniale à l’entretien d’un instituteur fut réalisé. Les États n’oublièrent pas celles qui n’avaient pas d’église cathédrale ou collégiale leur préoccupation s’étendit jusqu’aux villages.

Jusqu’à quel point les localités d’importance secondaire ont-elles profité des efforts du clergé et de la société civile pour réparer les effets des guerres religieuses sur l’enseignement primaire ? Il y a un texte qui, malgré son antériorité, paraît pouvoir fournir une réponse à cette question. En 1531 , l’archevêque de Toulouse faisait appel à la bonne volonté des curés et des vicaires pour suppléer jusqu’à un certain point à la diminution des écoles particulière à son diocèse. Eh bien, nous croyons que, dans nombre de paroisses, cette bonne volonté n’avait pas été en défaut. De tout temps, d’ailleurs, la vocation charitable commune à tant de femmes a suscité des associations qui n’ont voulu s’astreindre qu’à des vœux volontaires et ont tenu à rester dans le monde pour ne lui faire rien perdre de leurs vertus. Par leurs services, qui consistaient en partie à donner une instruction élémentaire aux filles des champs, elles ont rendu populaires les noms de filles dévotes et de béates. On peut faire remonter jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle les congrégations séculaires de filles dévotes appartenant au tiers ordre de Saint-François et de Saint-Dominique qui se livraient à l’enseignement dans les campagnes. C’était particulièrement en Bretagne que ce genre de dévouement se donnait carrière. Ces femmes ne vivaient pas toujours en communauté. Renonçant au mariage pour se vouer entièrement à l’éducation et au soin des malades, elles s’associaient, dans leur tâche pédagogique et dans leur ménage, une de leurs élèves qui partageait leur vie et leur succédait.

Ces réserves faites, on a le droit d’adopter comme conclusion sur l’état de l’enseignement populaire à la fin du XVIe siècle, la constatation faite par Henri IV dans des lettres patentes de juin 1590, à savoir que « l’ignorance prenait cours dans le royaume par la longueur des guerres civiles. »

Le lecteur pourrait croire, d’après ce qui précède, que le personnel enseignant relevait toujours de l’Eglise. Ce serait une erreur. A côté des écoles d’origine ecclésiastique, — petites écoles ou écoles de grammaire, écoles rurales abécédaires, — qui étaient souvent tenues par un prêtre à la nomination de l’évêque ou du curé, il y avait des écoles municipales. Aux Etats d’Orléans de 1560, le Tiers demanda que la nomination et la révocation de l’instituteur fussent décidées par l’accord du chapitre dont dépendait la prébende préceptoriale, de la municipalité et de quarante notables du voisinage. Aux premiers Etats de Blois de 1576, c’est seulement aux municipalités que le Tiers veut faire attribuer le choix de l’instituteur. Pour ceux de 1588, la nomination, dans les bourgs et les villages, appartient à l’évêque. Les archives municipales nous offrent beaucoup de traités passés par les villes avec des instituteurs qui, dès lors, doivent être considérés comme placés sous leur autorité. Pour ces traités, le pouvoir ecclésiastique n’était pas consulté. L’enseignement urbain tendait à devenir un service civil. Les administrations urbaines payaient à l’instituteur un traitement qui variait de 60 à 80, 100, 120, 180 livres, mais était généralement de 100 francs ; elles lui allouaient une rétribution scolaire, lui procuraient souvent un logement, qui était légalement à leur charge, quelquefois des fournitures en nature, telles que du bois de chauffage, et lui imposaient la gratuité pour les pauvres. L’Église n’en contribuait pas moins, dans les villes où il y avait une cathédrale ou une collégiale, aux frais de l’enseignement jusqu’à concurrence du revenu d’une prébende canoniale. C’est à cela que paraît s’être borné son concours pécuniaire. Le Tiers avait bien demandé, aux premiers Etats de Blois, que, là où il n’y avait pas de prébende préceptoriale, le revenu en fût remplacé par une taxe de 100 livres sur les bénéfices dont le produit dépasserait 1 000 livres, mais ce vœu n’avait pas été accueilli, pas plus que celui qui, aux Etats d’Orléans de 1560, avait demandé l’affectation aux écoles du revenu des confréries qui excéderait les besoins du service religieux. Dans les villages, l’instituteur resta, au contraire, l’homme du curé.

Il ne faudrait pas croire qu’en attirant à lui l’enseignement, le pouvoir municipal ait eu l’intention de le soustraire à l’esprit confessionnel. Il n’en modifiait pas le programme et, souvent même, il le confiait à des ecclésiastiques. Il obéissait seulement en cela au sentiment que lui seul pouvait, en cette matière comme en toute autre, assurer les intérêts de ses administrés ; il cédait seulement à la tentation de tout faire qui distingue les pouvoirs locaux et dont les registres municipaux nous offrent tant d’exemples. Il n’en est pas moins vrai qu’il commettait par là une usurpation sur l’autorité spirituelle dont l’enseignement était considéré comme un apanage. Aussi la jurisprudence souveraine l’y déclarait incompétent et en déférait la direction aux évêques, même lorsque le traitement de l’instituteur était payé par la ville, l’enseignement dans les petites paroisses restant l’affaire des curés.

Nous avons déjà indiqué que l’enseignement primaire était gratuit pour les pauvres, soit qu’il leur fût donné, comme on l’a vu, dans des écoles particulières que l’on appelait écoles de pauvres, soit que les enfans d’indigens fussent mêlés aux autres et que la ville se bornât à payer, sur la caisse d’assistance, leurs frais d’écolage.

À côté des petites écoles, des écoles rurales abécédaires et des écoles municipales, il y avait des écoles privées qui, en passant sous la dépendance des corps de ville, entraient souvent dans cette troisième classe.

Les filles des classes aisées étaient mises dans des couvens, dans des pensionnats. Les premiers ne donnaient pas toujours la sécurité morale qu’on en attendait. Le régime des commendes, le désordre des guerres civiles y avaient introduit un grand relâchement. Il y en avait, cependant, où la régularité s’était conservée. On en trouvait même où s’était perpétuée la haute culture de la Renaissance, où les langues et les littératures anciennes et modernes occupaient les loisirs laissés par les devoirs religieux. Telle était l’abbaye de Saint-Louis de Poissy, illustrée, à l’époque qui nous occupe, par la science d’une Anne de Marquest. C’est là que la collaboratrice de saint Vincent de Paul, Louise de Marillac, plus tard Mme Legras, commença son éducation et apprit le latin. De onze à quatorze ans, Mme Acarie, en religion sœur Marie de l’Incarnation, fut élevée au couvent de Lonchamp. Anne de Gonzague fit à Faremoutiers, sous la direction de l’abbesse, Françoise de la Châtre, des études qui la préparaient surtout au gouvernement de l’abbaye et dont le latin fit partie. Mais le nombre était grand des maisons religieuses où la communauté était réduite à un chiffre dérisoire, où vivaient des pensionnaires qui n’avaient pas fait de vœux et échangeaient des visites avec la noblesse du voisinage. En plaçant leurs enfans dans ces maisons désertées et affranchies de toute discipline où elles descendaient au rôle de servantes, les familles n’avaient songé qu’à s’en débarrasser avec l’espoir qu’elles y prendraient le voile le plus tôt possible. Quand elles entraient dans un couvent sous le patronage d’une parente qui y était religieuse, les jeunes filles profitaient, au contraire, d’une éducation qui n’était pas toujours dirigée vers la vie monastique, et qui les préparait parfois, en leur apprenant la tenue des comptes d’une maison, la gestion d’une propriété rurale, la façon de traiter avec les fournisseurs, les fermiers et les ouvriers, au genre de vie auquel elles étaient appelées par leur naissance et leur condition. Quand la famille se séparait d’une fille et l’envoyait dans un couvent un peu éloigné, elle se substituait, dans ses soins et sa surveillance, une correspondante. L’éducation des pensionnats qui étaient tenus par de vieilles filles ou des veuves ne différait pas, comme esprit, comme programme et comme méthode, de celle des établissemens religieux. Ni ceux de ces établissemens qui prenaient des pensionnaires pour un but pédagogique, ni les pensionnats laïques n’étaient assez nombreux pour répondre aux besoins, car on voit les familles catholiques de Bordeaux confier leurs enfans à des maîtresses protestantes.

Nous finirons par l’éducation de famille. Moins que toute autre, à cause de la diversité que lui faisaient subir les circonstances de classe, de milieu, de situation, elle ne présente des conditions uniformes. À ces particularités il faut ajouter le caractère du père et de la mère, l’idée que l’un et l’autre se faisaient de l’éducation. Entre une mère comme la veuve du médecin de Henri IV, André du Laurens, ayant toujours la main leste pour punir chez ses filles un mensonge, une grossièreté envers une servante, ou même le simple fait de ne pas tenir les yeux baissés en marchant dans la rue devant elle, entre une mère qui ne passe rien et un père indulgent comme Montaigne, parce qu’ici comme toujours il se pique de suivre la bonne loi naturelle, il y a place pour bien des tempéramens. Il faut en croire la mère Marie-Angélique quand elle écrit que « les enfans du monde qui ont des mères bien sages ne parlent jamais devant elles que très bas et sont toujours dans la chambre de leur mère, » mais on peut, au contraire, attribuer à son rigorisme janséniste ce qu’elle dit « de la mollesse et du relâchement où sont à présent nourries les filles chrétiennes. » Si le plus souvent elle ne pouvait se passer ni des leçons des pédagogues de profession, ni de la surveillance des gouvernantes, la supériorité de l’éducation maternelle n’en était pas moins pleinement reconnue. « Il serait à souhaiter, dit Claude Joly, chantre de Notre-Dame de Paris et directeur des petites écoles, que, quand une fille commence à raisonner, sa mère lui servît de maîtresse… Si une mère ne peut pas enseigner elle-même sa fille, elle doit au moins, à toute heure, y avoir l’œil. » Ainsi c’est l’éducation elle-même que le directeur de l’enseignement primaire à Paris voudrait que la mère se réservât, et c’est en cas d’impossibilité qu’elle doit se borner à la surveillance. Le rôle du père et de la mère n’allait pas habituellement plus loin. La fille de Montaigne, Léonore, fut élevée par sa mère avec l’aide de gouvernantes. Pour l’instruction proprement dite, on dut avoir recours à des leçons particulières. L’enfant était née faible comme les autres enfans de Montaigne, qui moururent tous en nourrice, et se développa tardivement. Ce fut une raison pour la sortir peu et elle garda plus longtemps que d’autres la candeur de l’enfance. Son père se fit un devoir de ne pas intervenir dans une discipline pédagogique qu’il trouvait un peu artificielle, mais dont il se faisait scrupule de troubler l’esprit. Pourtant c’est à lui, non moins qu’à sa mère et à sa constitution délicate, que Léonore dut de ne pas connaître les verges. Les soins que prit Mme Acarie pour élever ses filles et particulièrement l’aînée, tels que son biographe contemporain, André Duval, nous les fait minutieusement connaître, se rapportent uniquement au développement moral et pratique et laissent supposer le concours de maîtresses compétentes pour l’instruction proprement dite. C’est, avec d’apparentes puérilités, une école propre à mûrir la conscience et le jugement, à apprendre l’humilité, la confiance filiale, la politesse pour les inférieurs, à former l’esprit de conduite, mais une école dont tout le fruit est destiné à Dieu, qui tend systématiquement vers la vie religieuse. On peut, à plus d’un point de vue, rapprocher de cette éducation celle que Françoise de Chantal donna à ses filles. D’abord le couvent en est aussi l’idéal. Ce n’est pas qu’on puisse les y conduire d’autorité « par des résolutions, mais seulement, — comme le veut son père spirituel, François de Sales, — par des inspirations suaves, » et la liberté que ce grand saint réclamait pour elles fut, en effet, si bien respectée que deux, sur trois, contractèrent mariage. Même prépondérance aussi des devoirs religieux et du travail manuel. Tout naturellement Jeanne-Françoise de Chantal voulut faire de ses filles ce qu’elle était elle-même. Mère si dévouée que François de Sales était obligé de modérer les excès de sa sollicitude ; ne quittant jamais l’aiguille, même pour recevoir les visiteurs, à moins que leur rang ne l’y obligeât ; administrant, du vivant même de son mari, qui s’en remettait à sa capacité, le patrimoine familial un peu ébréché ; surveillant sans cesse, à pied et à cheval, les bâtimens d’exploitation, les terres et les travaux ; réussissant, par son activité et son intelligence des affaires, à rembourser les dettes et à augmenter considérablement les revenus, cette veuve de vingt-huit ans (1600) se donna surtout pour tâche de former d’excellentes chrétiennes et des femmes actives. Cette tâche, il est vrai, elle ne l’acheva pas. Il arriva un moment où son impatience de se donner tout à fait à Dieu la lui fit déserter pour l’abandonner à son père, le président Frémyot. La postérité la verra toujours triomphant des cris et des supplications de son fils, Celse-Bénigne, enjambant le corps de l’adolescent qui s’était couché sur le seuil pour l’empêcher d’aller où Dieu l’appelait, et cette scène dramatique a bien l’air de démentir ce que nous venons de dire de son cœur de mère. Quelque jugement qu’on porte sur une victoire de la grâce si douloureuse à la nature, elle ne peut ôter à Françoise de Chantal le mérite de l’affection maternelle dont elle a fait preuve avant qu’elle ait eu lieu, ni infirmer ce que nous avons dit de l’esprit dans lequel elle a élevé ses filles. La femme que Mme Acarie et Françoise de Chantal ont en vue, c’est une femme qui travaille et qui prie, une femme dont l’activité, non moins sanctifiante que la prière, s’étend des occupations domestiques les plus humbles jusqu’à l’administration la mieux entendue des intérêts de la famille. N’en concluons pas pourtant que la seconde, pas plus que la première, soit restée indifférente pour ses filles à la culture de l’esprit. Ce qu’il faut dire pour l’une comme pour l’autre, c’est que cette culture fut assurée par des leçons particulières.

Plus tard Madeleine de la Vergne, qui deviendra Mme de La Fayette, sera élevée aussi au foyer domestique ; mais son père, en présidant, jusqu’à ce que sa fille atteignît quinze ans, à cette éducation qui en fit une femme très avisée dans la conduite de sa maison et de ses intérêts, ne pourra pas non plus se passer de maîtres et de maîtresses et, parmi ces maîtres, il y aura, pour lui enseigner le latin, des hommes comme Ménage et le Père Rapin.

A défaut du père et de la mère, cette surveillance, cette direction étaient exercées par une sœur aînée, par un parent, une parente, soit dans la maison même, soit chez celui ou chez celle qui assumait les devoirs de la paternité ou de la maternité. Par exemple, Madeleine de Scudéry, devenue orpheline de bonne heure, fut élevée avec soin à la campagne par un oncle et dut à ce parent et aussi à son séjour aux champs une instruction étendue où entrèrent bien des connaissances pratiques.

Ce n’était même pas toujours une parente qui se chargeait de l’enfant, elle était confiée parfois à une famille étrangère dont un rejeton venait prendre la place vacante au foyer. Cet échange était pratiqué assez communément dans le Limousin. On voyait, à cette transplantation, l’avantage de soustraire l’enfant à l’influence amollissante des gâteries dont il pouvait être l’objet, de le soumettre à une plus rude discipline, de le faire profiter, pour son éducation, sa formation pratique, son apprentissage professionnel, des ressources qu’il n’avait pas à sa disposition dans son milieu originaire.

Les familles de la bourgeoisie rémoise se séparaient aussi de leurs filles pour les mettre en apprentissage, non avec la pensée qu’elles exerceraient un jour le métier auquel elles s’initiaient, mais pour qu’elles devinssent par là des maîtresses de maison plus accomplies. Cet usage était si conforme à la préoccupation de préparer les deux sexes à la vie pratique qui commençait alors beaucoup plus tôt, qu’il existait probablement ailleurs qu’à Reims. Il est certain, du moins, que, dès le XVe siècle, les familles notables de la bourgeoisie parisienne plaçaient leurs filles chez des lingères, à la fois pour les empêcher de rester oisives, les dérouiller de la gaucherie inséparable d’un contact exclusif avec la famille, les rendre habiles dans la lingerie et leur donner une teinture du commerce.

Le lecteur connaît l’intérêt passionné que mettaient nos ancêtres de la seconde moitié du XVIIe siècle à la diffusion de l’enseignement primaire et il sait d’où venait surtout cet intérêt. Nous n’avons pas besoin de lui apprendre qu’il s’agissait surtout pour la société de ce temps-là, pour ses chefs spirituels et temporels, de sauver les âmes, de s’assurer la possession des esprits, d’imprimer dans les consciences certains principes de conduite. Les sectateurs des nouvelles doctrines ne comprenaient pas autrement l’objet essentiel de l’éducation. Aussi revendiquèrent-ils la liberté d’enseigner avec autant d’ardeur que l’orthodoxie en mit à défendre son monopole. L’enseignement était, pour eux, la forme la plus efficace de l’apostolat. Ce prosélytisme pédagogique s’exerçait dans des écoles clandestines, et, comme on les appelait, buissonnières qui furent interdites et traquées avec persévérance. Toutefois il y a toujours des lieux et des momens où les animosités les plus vives se refroidissent et arrivent à des compromis. C’est sous l’empire de la lassitude qui les avait amorties que fut rendu l’Édit de Nantes. La liberté d’enseignement y était réglée, comme toutes les questions qui divisaient les deux communions, par le privilège. Les dissidens ne pouvaient ouvrir des établissemens scolaires publics que là où l’exercice public de leur religion leur était également permis. En dehors de ces écoles confessionnelles qui s’établissaient parfois au mépris de la condition que nous venons de dire, ils avaient le choix d’élever leurs enfans chez eux, dans leurs croyances, ou de les laisser partager avec les élèves de la religion dominante les mêmes exercices et le même traitement. Plus d’une famille protestante ne se faisait pas scrupule de faire élever ses filles au couvent et dans la religion catholique. Tel fut le cas, par exemple, de la mère du Père Joseph, Marie de La Fayette. A Casteljaloux, en 1590, l’instituteur enseignait, dans la même école, les deux religions. Un candidat au poste d’instituteur au Buis (Drôme), qui était protestant, allant au-devant de l’objection qu’on pourrait tirer de sa religion, rassure les familles catholiques en déclarant qu’il instruira leurs enfans aussi bien que ceux des dissidens dans leur religion respective. Sous Louis XIII, dans les villes dont la population était mixte, les écoles publiques devinrent, comme les consulats, mi-parties, c’est-à-dire que le personnel enseignant appartenait à l’une et à l’autre des deux communions.

Nous venons de parler de l’Édit de Nantes. C’est de cette transaction imposée par Henri IV aux passions religieuses qu’on est convenu de faire partir la période de pacification intérieure, d’activité économique, d’essor moral qui a réparé le passé et fécondé l’avenir. Adoptons aussi ce relais historique, plaçons-nous en 1598 pour arrêter l’état où se trouvait l’éducation féminine, pour nous demander ce que les jeunes filles qui avaient achevé à cette date leur éducation pouvaient apporter à une société toute frémissante encore des convulsions qu’elle avait subies, impatiente de se fixer dans l’ordre, dans l’effort laborieux, de se tracer, pour se guider sur sa route, un idéal nouveau.

Les guerres d’Italie, la Renaissance avaient donné à la culture générale une impulsion dont l’instruction élémentaire elle-même s’était ressentie. Le prosélytisme religieux aurait dû être un stimulant de plus, mais, en réalité, il avait plus détruit que fondé, et les guerres religieuses, auxquelles il avait conduit, avaient arrêté et fait rétrograder l’élan qui s’était communiqué à tous les degrés du savoir. Si elles avaient réduit l’Université de Paris à la ruine des études et des collèges, on peut imaginer le tort qu’elles avaient pu faire à l’enseignement des filles auquel on attribuait beaucoup moins d’importance qu’à celui des hommes. Une foule de maisons religieuses étaient détruites, abandonnées ou tombées dans le désordre. La population rurale vivait dans une inquiétude constante. Elle n’était guère moins vive dans la noblesse terrienne qui s’était fortifiée dans ses châteaux et y offrait aux paysans un asile. « Je me suis couché mille fois chez moi, — écrit Montaigne qui, lui, n’avait jamais voulu fortifier le sien, — imaginant qu’on me trahirait et assommerait cette nuit-là. » « Les guerres civiles ont cela de pire, — dit-il ailleurs, — que les autres guerres de nous mettre chacun en échauguette en sa propre maison. » Les trêves locales n’étaient pas mieux respectées que les édits généraux de pacification. Nous en produirions mille exemples, si c’était ici le lieu de donner même un aperçu du pullulement de coups de main, de tueries et de mises à sac qui foisonnaient dans une société où, comme l’écrit, en 1574, l’ambassadeur vénitien Cavalli, « il n’y avait pas une province, par une région (terra), pas un village qui ne fût divisé en factions sanguinaires acharnées à se détruire.

Il y a, dans l’éducation féminine, quelque chose dont on a, dans tous les temps, senti l’importance et qui avait particulièrement souffert de cette ère d’alarmes et d’alertes perpétuelles : c’est le goût et la pratique entendue du ménage, l’art de tenir une maison. C’est encore Montaigne qui, dans son troisième livre écrit de 1580 à 1588, remarque l’indifférence et l’insuffisance de beaucoup de ses contemporaines en fait de connaissances ménagères : « La plus utile et honorable science et occupation à une mère de famille, c’est la science du ménage. J’en vois quelqu’une avare, de ménagères fort peu. C’est sa maîtresse qualité... Je vois avec dépit, en plusieurs ménages. Monsieur revenir maussade et tout marmiteux du tracas des affaires environ midi, que Madame est encore après à se coiffer et attifer en son cabinet. C’est à faire aux reines, encore ne sais-je... » Et enfin c’est à lui encore que nous empruntons la constatation de la difficulté de bien élever les enfans dans les circonstances où se trouve le pays : « Les enfans sont du nombre des choses qui n’ont pas fuit de quoi être désirées, notamment à cette heure qu’il serait si difficile de les rendre bons... »

Faut-il croire que les filles, en grandissant au sein d’émotions fréquentes, au spectacle de scènes de violence, avaient acquis du moins une résolution et une énergie précoces et rares, à tout âge, dans leur sexe ? Cela est fort vraisemblable et il y a même un passage de Montaigne — quel historien que ce moraliste ! — qui semble bien dire qu’au moment où il écrivait son troisième livre, l’éducation domestique tendait à développer l’assurance chez les filles avec autant de soin que l’éducation antérieure à leur apprendre la réserve et la timidité. Il se serait donc introduit, sous l’influence des guerres civiles, dans les habitudes, les allures et par suite le caractère des jeunes filles, une certaine virilité. On n’en continuait pas moins d’ailleurs à les élever pour plaire et pour se faire aimer, à entretenir chez elles le goût de la parure et la coquetterie en persistant à leur cacher le genre de succès, légitime et périlleux, qu’elles pouvaient devoir à leurs agrémens. L’auteur des Essais, dont la sincérité ne recule devant rien, ajoute que leur précoce pénétration se joue de ces précautions et que, sur ce qu’on leur dissimule avec tant de soin et qui les intéresse le plus, elles n’ont généralement rien à apprendre. Laissons là, une bonne fois, ce médisant, qu’on a tant de peine à quitter, et concluons que l’influence des guerres civiles n’avait pas été moins désastreuse pour l’éducation des filles que pour toutes les parties de la vie morale et sociale.

Le XVIe siècle touchait à sa fin quand l’idée de créer, pour l’éducation en commun de la jeunesse féminine, un personnel qui satisferait tous les scrupules et toutes les exigences du temps en fait de moralité et d’instruction, donna naissance, dans notre pays, à deux-congrégations religieuses : les Ursulines et les Augustines de Notre-Dame.

La première eut une origine italienne, ayant été fondée, en 1587, dans la péninsule par sainte Angèle de Brescia et s’y étant développée sous le patronage de saint Charles Borromée. Elle semble s’être établie en 1592 en France, dans le Comtat Venaissin, à Avignon d’abord, puis à l’Isle-sur-Sorgue par le concours de César de Bus, le fondateur des Pères de la Doctrine chrétienne, de son collaborateur, le P. Romillion, de Françoise et de Catherine de Bermond, filles d’un trésorier général de France. La plus grande part dans cet établissement doit être faite à Françoise de Bermond et au P. Romillion, ancien huguenot devenu oratorien, voué avec ardeur aux œuvres d’enseignement.

Les petites communautés du Comtat érigées en congrégation, en 1598, par des bulles apostoliques, essaimèrent en Provence, en Dauphiné, en Languedoc, en Guyenne. Les filles d’un conseiller au Parlement de Dijon, Anne et Françoise de Xaintonge, introduisirent l’institut, en 1605 et 1606, à Dole et à Dijon.

En 1612, les sœurs de Sainte-Ursule s’établirent à Paris. A ce moment-là, elles étaient en train de se transformer, sous la pression des évêques, de simple congrégation qu’elles avaient été à l’origine en ordre religieux. Celles de Franche-Comté paraissent avoir été les seules qui n’aient pas adopté la clôture.

La mission éducatrice qu’elles s’étaient donnée répondait à un si grand besoin que leurs maisons se multiplièrent rapidement. Elles atteignirent en France, dans le cours du XVIIe siècle, le nombre de trois cent vingt et même de quatre cents.

Leur enseignement était gratuit et payant, gratuit pour les externes dont les parens étaient pauvres, payant pour les pensionnaires et les demi-pensionnaires qui appartenaient à des familles aisées. Malgré les pensions payées par les élèves de cette catégorie, leurs ressources étaient modestes parce que leurs dots ne dépassaient pas 3 à 4 000 francs et ne s’élevaient en général qu’à 1 200 ou à 2 500, et elles devaient ajouter à leurs revenus par des travaux de lingerie et de broderie. Elles en avaient d’autant plus besoin qu’elles acceptaient souvent, pour s’établir dans une ville, la condition de n’y pas faire de quêtes, de ne pas y accepter de dons, de ne prétendre à aucune subvention municipale.

Les matières de l’enseignement des externes comprenaient l’instruction religieuse, la lecture, l’écriture, le calcul, le travail ménager. Nous pouvons, à l’aide du règlement scolaire des Ursulines de Dôle qui fut arrêté en 1623, deux ans après la mort d’Anne de Xaintonge et d’après ses vues, nous faire une idée précise de leur esprit et de leur méthode pédagogiques. Ce règlement trace les devoirs de la surveillante générale ou préfectrice des études et ceux des maîtresses et, par ces derniers, nous fait connaître le programme de chaque classe. La préfectrice veille au respect du plan général d’études, répartit les enfans entre les classes de façon que chacune ne compte pas plus de trente ou trente-cinq élèves, décide du passage des élèves de l’une dans l’autre, note les absences, fixe les jours de confession et désigne les élèves qui sont en état de communier.

M. l’abbé Morey, qui a reproduit ou analysé ce règlement scolaire, et qui s’en est servi, concurremment avec d’autres sources d’information, n’a pas toujours distingué nettement les époques ni les deux ordres d’enseignement, l’enseignement primaire, donné gratuitement aux externes, l’enseignement secondaire, donné aux pensionnaires. Certaines règles leur étaient communes, par exemple la prescription de traiter les enfans avec douceur, l’interdiction des verges et de la baguette dont l’usage est permis pourtant par les constitutions révisées de 1640, mais est réservé à la supérieure ou à la maîtresse générale et ne doit être pratiqué que sur la main ; la précaution de ne jamais laisser les filles seules ni en tête à tête, mais de les grouper par trois ; l’importance prépondérante donnée à l’instruction religieuse, peut-être l’habitude des récapitulations générales périodiques qui devait être en vigueur avant d’être introduite, en 1650, dans le règlement ; celle de demander aux enfans de rendre compte de vive voix et par écrit de ce qu’elles ont appris. Les travaux ménagers paraissent bien s’être bornés, pour les externes et pour les pensionnaires, aux ouvrages de femmes avec cette différence que, pour les premières, ils ne comprenaient que des travaux utiles, au nombre desquels était la confection et que, pour les secondes, on y ajoutait des travaux d’agrément. On apprenait à lire la lettre moulée dans les livres, l’écriture à la main dans les titres de famille et les actes notariés, le latin dans les livres liturgiques. L’enseignement secondaire comprenait des leçons d’économie domestique. Elles enseignaient à tenir la comptabilité d’une maison, à écrire des lettres d’affaires. Les Ursulines ouvrirent aussi des patronages pour les filles du peuple, des crèches ou des salles d’asile pour les enfans des deux sexes.

Si l’on considère l’extension et l’unité qu’elles donnèrent à l’éducation féminine, le bonheur avec lequel elles réalisèrent l’idée que s’en faisaient les familles de ce temps-là, les maîtresses qu’elles ont fournies aux écoles rurales, le modèle qu’elles ont offert à d’autres congrégations enseignantes, telles que les Augustines de Notre-Dame et les dames de Saint-Cyr, on peut leur faire honneur d’avoir les premières servi, avec autant de largeur et d’opportunité, ce grand intérêt public.

On était au début du XVIIe siècle et la congrégation de Notre-Dame naissait à peine quand sa fondatrice, Alix Le Clerc, alla se rendre compte, avec une de ses compagnes, de la façon dont les Ursulines de Paris conciliaient la clôture avec l’externat et recueillir, en suivant leurs exercices, tout ce que la nouvelle, communauté pouvait leur emprunter. Le 8 décembre 1603, le cardinal-légat de Lorraine, faisant droit à la requête d’Alix Le Clerc et de ses collaboratrices, les autorisa à s’associer, sans autre lien que des devoirs communs de retraite, de piété et de chasteté, pour enseigner gratuitement en Lorraine des filles de toute condition. Le premier établissement fut à Mataincourt au diocèse de Toul, où habitaient Alix Le Clerc et ses auxiliaires et dont le curé, Pierre Fourier, était entièrement dévoué à l’œuvre. Elle n’obtint qu’en 1616 de Paul V le droit d’avoir des externes. Par la même bulle, le Souverain Pontife l’autorisa à adopter la règle de Saint-Augustin et à joindre le titre de chanoinesses régulières de Saint-Augustin à celui de congrégation de Notre-Dame qu’elle avait déjà. Les élèves se distinguèrent dès lors, comme chez les Ursulines, en externes gratuites et en pensionnaires payantes.

Le programme des Augustines avait aussi beaucoup d’analogie avec celui des Ursulines. Le catéchisme, la lecture, l’écriture, l’arithmétique, le travail à l’aiguille y étaient inscrits. Leur méthode se distinguait par l’emploi de l’enseignement simultané que Pierre Fourier fut le premier à appliquer. A l’ouvroir, où les travaux d’agrément, la tapisserie, la dentelle, avaient leur place à côté du raccommodage et de la couture, l’activité était stimulée par l’attribution d’une partie du prix des ouvrages à celles qui en avaient le mérite. On faisait faire aux élèves des quittances, des factures, des compositions de style. A la préfectrice des études que nous avons rencontrée chez les Ursulines correspondait chez les Augustines la mère intendante. C’est une inspectrice, une surveillante, qui rend constamment compte à la mère supérieure de ce qu’elle observe et qui est toujours attentive au perfectionnement des études. Les écoles des Augustines réunissent des enfans dont l’âge va de cinq ans et demi ou six ans à dix-huit. Les classes duraient de huit heures à dix et de une heure à quatre pour les externes et à trois pour les pensionnaires. L’enseignement était gratuit, mais les dépenses faites pour les internes étaient remboursées par les familles. Il était divisé en trois classes. La discipline et l’émulation étaient entretenues par les places assignées sur les bancs depuis le banc d’honneur jusqu’au banc des paresseuses et des indociles et aussi, dans les cas graves, par un certain nombre de coups de verge sur la main. Comme les maisons d’Ursulines, celles des Augustines étaient des écoles normales d’où sortaient des institutrices laïques qui allaient ouvrir dans les villes et les villages des écoles primaires.

De Mataincourt, les Augustines se répandirent d’abord en Lorraine. Leur premier établissement, dans la France proprement dite, fut fondé à Châlons en 1613, avant même qu’elles eussent obtenu l’autorisation, qui ne leur fut accordée que deux ans après, d’en avoir dans notre pays. La congrégation se propagea surtout dans la région voisine de celle où elle avait pris naissance.

L’institut de la Visitation a rivalisé, en importance pédagogique, avec les Ursulines et les Augustines. En le fondant à Annecy, en 1610, François de Sales et Françoise de Chantal ne l’avaient pas destiné à l’enseignement. Ce fut, pour ainsi dire, sans le vouloir et sous la pression de la faveur dont jouissait de plus en plus l’éducation féminine congréganiste qu’il ajouta l’enseignement à sa vocation primitive. Un certain nombre de filles de dix à douze ans, entrées, dès le début, dans les couvens de l’Institut à titre de postulantes, ouvrirent la voie à des pensionnaires qui ne venaient lui demander qu’une éducation chrétienne et non un asile contre les passions et les orages du monde. L’œuvre de François de Sales et de Françoise de Chantal n’eut pas d’autres élèves que des pensionnaires appartenant à la classe aisée et ne concourut pas, comme les Ursulines et les Augustines, à la diffusion de l’enseignement populaire et gratuit. Vers 1635, il y avait des internats dans presque tous les couvens de l’ordre. C’est avec intention que nous employons ces dernières expressions. A cette époque, en effet, la Visitation, qui n’avait été d’abord qu’une congrégation, était devenue, en adoptant la clôture et les vœux solennels, un ordre monastique.

Quand un grand besoin social se fait sentir, quand ce besoin croit avoir trouvé, pour se satisfaire, la forme la mieux appropriée, on voit naître une émulation qui s’ingénie à la diversifier, à la perfectionner. On voulait des femmes instruites, mais on les voulait instruites comme des éducatrices religieuses peuvent instruire, c’est-à-dire avec la préoccupation dominante de régler la vie, de fortifier contre les entraînemens, d’apprendre les bienséances nécessaires pour assurer à chacun son autonomie sociale. Des congrégations se fondent exprès pour enseigner, d’autres ajoutent cette tâche à la vocation spirituelle et charitable qu’elles se sont déjà donnée, les unes et les autres se disputent la confiance des familles. Chacune apporte dans sa mission éducative un esprit particulier. La Visitation, par exemple, distille pour ses élèves le miel nourrissant et suave que la force et l’onction de son fondateur et de sa fondatrice lui ont infusé. Le premiers tiers du XVIIe siècle voit se succéder les sœurs de Notre-Dame de l’Observance ou du Sacré-Cœur, les Filles de la Croix, les Filles de Notre-Dame, les sœurs du Bon Pasteur, les sœurs de Sainte-Geneviève, les sœurs de Saint-Joseph, les sœurs de la Présentation, les Filles de la Providence, les Calvairiennes, etc. Beaucoup de ces associations se sont formées spécialement dans l’intérêt de la classe populaire à laquelle elles procurent l’instruction ménagère et professionnelle.

On ne peut constater le succès de l’enseignement congréganiste, qu’il s’adressât au peuple ou aux sphères supérieures, sans se demander s’il ne s’explique pas en partie par l’insuffisance des autres institutions pédagogiques. Cette question met en cause les petites écoles, c’est-à-dire les établissemens qui, sous l’autorité de l’épiscopat et du clergé séculier, avaient, de tout temps et un peu partout, dispensé l’enseignement primaire. Organe de la doctrine catholique au même titre que la chaire elle-même, l’école qui avait eu pour berceau la maîtrise cantorale n’avait pu rester fidèle, à travers tant de siècles, au désintéressement, au dévouement qui l’avait élevée à la hauteur d’un sacerdoce. Ce sacerdoce, l’esprit mercenaire l’avait fait dégénérer en un office vénal, il avait amené ceux qui l’exerçaient à se soustraire à l’obligation de la gratuité qui était due aux enfans pauvres, à faire passer leur profit avant leurs devoirs. Quand l’école n’était pas fermée aux indigens, ils y étaient fort négligés. Les familles qui étaient en état de payer la rétribution scolaire étaient, à cet égard, les complices du personnel enseignant, car elles n’aimaient pas pour leurs enfans, le contact de camarades d’une condition inférieure, souvent mal vêtus. Le nouveau ou la nouvelle titulaire d’une licence d’enseigner avait beau jurer qu’il n’avait rien payé à son prédécesseur, personne n’ignorait que ces licences étaient vendues. On rencontrait, aux heures de classes, des maîtres et des maîtresses allant donner en ville de lucratives leçons, vaquant à leurs affaires particulières, de sorte que le mari, suppléant la femme, faisait la leçon aux filles et que la femme, suppléant le mari, faisait la leçon aux garçons. Avec l’autorité qui appartient à un réformateur de l’éducation populaire, Pierre Fourier remarque, en 1627, les dispositions perverses et le langage grossier des enfans, l’avidité des maîtres et des maîtresses laïques qui, pour ne pas perdre leurs élèves, pour en avoir un plus grand nombre, réunissent dans les mêmes classes les garçons et les filles et tolèrent leur indiscipline. Il faut se représenter le maître d’école, dans beaucoup de petites paroisses rurales, sous les traits d’un campagnard qui tenait l’emploi de sacristain, balayait et entretenait l’église, chantait au lutrin, sonnait les cloches, enterrait les morts et se mêlait de près aux commérages, aux coteries, aux plaisirs des paysans. Ce magister factotum a survécu assez longtemps à l’ancien régime pour que beaucoup de nos lecteurs aient pu le connaître. L’école de village laissait souvent, d’ailleurs, de bons souvenirs aux écoliers et aux écolières, surtout quand le pédagogue était un prêtre qui tempérait de cordialité paternelle, de dévouement évangélique, la, rusticité bourrue inséparable du milieu : « O mon ami, dit un vigneron manceau, Tienot, à son voisin, que nous avions un bon magister bon prêtre ! — Il m’est avis, lui répond ce voisin Matelin, qu’il ne prenait aucun salaire pour nous montrer. — Cela est vrai qu’il n’exigeait rien ; mais, si on lui présentait quelque chose, il ne le refusait pas. Aussi était-il si pauvre qu’il n’avait rente ni revenu. »

Les congrégations enseignantes ne paraissent pas avoir porté tout de suite ombrage à la suprématie sur l’instruction primaire dont jouissait le dignitaire du chapitre qui dirigeait la maîtrise. Elles avaient pour elles la faveur publique, l’approbation royale et apostolique ; elles s’annonçaient comme poursuivant un but exclusivement charitable ; enfin l’insuffisance des institutions d’enseignement féminin était trop criante pour ne pas imposer tout d’abord silence à des réclamations intéressées. C’est la multiplication des écoles de charité fondées dans les paroisses parisiennes par les soins des curés et confiées à des congrégations qui paraît avoir suscité le conflit entre le chantre et ces curés.

Les plus anciens établissemens scolaires de ce genre ne semblent pas remonter au delà de 1639, de 1642 et de 1646. En 1639, Vincent de Paul obtint du chantre Michel Le Masle l’autorisation d’en ouvrir deux pour les enfans pauvres de la paroisse Saint-Laurent, un pour les garçons, l’autre pour les filles. C’est aussi avec l’agrément du chantre que Louise Bellanger, veuve de François Parvison, réunit, en 1642, quarante pauvres filles de la paroisse Saint-Eustache sans recevoir, pour les instruire, d’autre rémunération que celle qui lui était payée par la confrérie de Notre-Dame de Bon-Secours érigée dans cette église. Quand Pierre Marlin, son curé, créa le 23 mars 1646, pour les enfans de ses paroissiens pauvres, trois écoles de garçons et trois écoles de filles, il soumit entièrement les maîtres et les maîtresses aux statuts des petites écoles. Les Filles de Sainte-Geneviève avaient donné, au début de leur établissement, en 1636, l’exemple de cette déférence ; elles s’étaient fait délivrer par l’autorité cantorale des lettres de provision qui leur assignaient, pour l’exercice de l’enseignement, deux quartiers, celui de Saint-Nicolas du Chardonnet et celui des Fossés-Saint-Victor.

Les conditions dans lesquelles s’ouvrirent les premières écoles libres ne firent donc que confirmer les droits du chantre. Il n’y avait qu’à continuer dans cette voie ; le privilège traditionnel de ce dignitaire ecclésiastique, les besoins de plus en plus sentis de l’instruction populaire y auraient trouvé également leur compte. Mais le zèle du bien ne s’astreint pas longtemps au respect des droits acquis. Dès 1637, l’archevêque Gondi était obligé de lancer un mandement où il renouvelait la défense d’enseigner sans la permission du chantre. Il y ajoutait celle de s’adresser, pour des leçons particulières, à des maîtres et à des maîtresses qui ne seraient pas pourvus de l’investiture cantorale. Notre travail s’arrête au moment où le conflit s’engage. Il ne souleva pas d’ailleurs de question de principe. Il est vrai que la liberté des pères de famille dans le choix des maîtres y fut invoquée, mais elle ne se liait pas, pour les parties, au droit d’exercer une préférence entre deux enseignemens d’un esprit distinct, car il va sans dire que, dans les écoles paroissiales comme dans les petites écoles, il ne s’agissait que d’un enseignement chrétien.

Il nous faut revenir maintenant, avec plus de détails, sur l’état, le programme et la méthode de l’éducation féminine à partir de l’époque où la fondation des congrégations enseignantes lui a donné un plus grand essor. On connaît déjà, à ses deux degrés, celle que donnaient les Ursulines et les Augustines de Notre-Dame, qui devancèrent les autres et obtinrent plus particulièrement la confiance des familles. Ici, c’est surtout de l’instruction primaire que nous allons nous occuper, telle qu’on la recevait dans les petites écoles ou écoles de grammaire et dans les écoles de charité ou écoles congréganistes.

Personne, on le sait, n’avait qualité pour enseigner sans lettres de maîtrise de l’évêque ou du dignitaire ecclésiastique auquel était commise la direction des établissemens scolaires, grand vicaire, doyen, chantre, écolâtre, capiscol. Dans les paroisses rurales, les maîtresses étaient nommées par les curés. En 1608, l’évêque de Paris, Henri de Gondi, en fait une condition. Les lettres de maîtrise qui, à Paris, devaient être renouvelées annuellement au synode général du 6 mai, n’étaient accordées qu’après examen. Avant de se présenter à l’examen, à la réception et au serment, la candidate s’assurait par une transmission, qui passait pour être gratuite, mais qui était faite, en réalité, à titre onéreux, une des places de maîtresses qui, à Paris et ailleurs, étaient limitées. La requête était communiquée au promoteur de l’officialité et au syndic de la confrérie, entre les mains duquel la nouvelle titulaire versait les droits d’admission. Si, en effet, les maîtres et les maîtresses des petites écoles ne formaient pas et ne pouvaient pas former une communauté, parce qu’ils n’y avaient pas été autorisés par lettres patentes et que leurs fonctions étaient annuelles, ils s’étaient constitués en confrérie et les syndics que cette confrérie avait mis à sa tête s’étaient ingérés de lever des taxes sur ses membres, soit à titre de droits d’entrée, soit pour les frais des services célébrés à Saint-Merry le dimanche et à la Saint-Nicolas. Ils s’étaient même arrogé une certaine autorité sur les petites écoles. Un arrêt du parlement du 28 juin 1625 régla l’administration de la confrérie de façon à faire entièrement respecter l’autorité du chantre.

Chaque quartier de Paris avait sa petite école et n’en avait qu’une. Il en résultait qu’elles n’étaient pas assez rapprochées pour que chacune ne pût pas réunir un nombre suffisant d’élèves. Les statuts de 1357, confirmés en partie au XVIIe siècle, prescrivaient d’ailleurs entre elles une distance de vingt maisons qui, au XVIe siècle, dans la province métropolitaine de Rouen, était, on l’a vu, fixée à cinquante maisons au moins. Outre la rétribution scolaire et le prix de la pension pour les filles que les maîtresses prenaient chez elles, celles-ci recevaient une rétribution annuelle de 100 sols, à laquelle contribuaient tous les habitans de la paroisse. Elles apposaient à leur porte ou à leurs fenêtres des enseignes dont le libellé était réglementairement conçu comme il suit : « Céans on tient petites écoles. X — le nom de la maîtresse, — maîtresse d’école qui enseigne à la jeunesse le service, c’est-à-dire le service divin, — à lire, écrire et former les lettres, la grammaire, l’arithmétique et le calcul, tant au jet qu’à la plume, et prend des pensionnaires, » Elles ne pouvaient employer de monitrices, — ce qui implique la. pratique de l’enseignement mutuel, — qu’avec l’autorisation du chantre, sous peine de révocation et d’une amende de 10 livres. Les classes réunissaient quelquefois de 100 à 120 élèves, mais ce chiffre était considéré, à bon droit, comme excessif et celui de soixante, adopté comme règle par l’Ecole paroissiale (1634), l’est encore, L’autorité de ce manuel pédagogique ne doit pas moins le faire considérer comme normal. En se proposant, ainsi qu’on l’a vu plus haut, de ne pas dépasser celui de trente à trente-cinq, les Ursulines avaient mieux compris l’intérêt des maîtresses et des élèves. Les écoles étaient inspectées par le chantre. L’année scolaire commençait à la Saint-Remi (1er octobre).

La classe du matin ouvrait à huit heures et fermait à onze ; celle de l’après-midi durait de deux heures à cinq, en été, et à quatre en hiver. Les élèves avaient congé ou récréation l’après-midi du jeudi, quand il ne tombait pas de fête dans la semaine.

Il n’y a pas à s’étendre sur la façon dont on apprenait à lire. Nous possédons sur ce sujet une méthode pour les petites écoles du diocèse de Bayeux, qui entre dans les détails les plus précis. mais elle accompagne une lettre pastorale, qui est de 1690 et n’appartient pas par conséquent à l’époque qui nous occupe. Nous ne nous ferons pas, toutefois, scrupule de nous en servir parce qu’elle ne doit pas différer beaucoup de celle qui était en vigueur quarante ans plus tôt. Les enfans étaient rangés, suivant le degré où ils étaient parvenus, sur quatre ou cinq bancs. Les plus avancés, ceux qui apprenaient à lire le français et la lettre écrite, à écrire et à compter, occupaient le premier. Sur le second se plaçaient ceux qui lisaient assez bien dans leurs Heures. Le troisième réunissait ceux qui ne savaient qu’épeler et assembler les mots. Le quatrième se composait de ceux qui apprenaient leurs lettres et s’exerçaient à former les syllabes. Les élèves lisaient dans le même livre, les plus avancés dans le Pédagogue chrétien ou le catéchisme du diocèse par exemple, ceux du second degré dans les Heures diocésaines, ceux du troisième ou du quatrième dans des alphabets. L’enseignement de la lecture était simultané, chaque élève lisant tout bas ce que l’une de ses compagnes lisait tout haut et, pour s’assurer que l’attention était générale, la maîtresse faisait continuer la lecture à haute voix par une enfant dont le tour n’était pas arrivé. Les leçons étaient courtes, elles ne duraient pas au delà de deux pages pour les élèves du premier degré et d’une page pour les autres. Les statuts des Augustines de Notre-Dame recommandent de veiller à l’observation de la ponctuation, de rectifier l’accent local et la mauvaise prononciation et, dans les petites écoles, on y veillait aussi.

On n’enseignait l’écriture qu’à celles qui savaient lire. Les maîtres-écrivains, pour faire briller leur habileté et se rendre nécessaires, en avaient fait une calligraphie difficile. Erasme critiquait déjà le luxe de fioritures auquel ils se livraient. Ils s’étaient séparés en 1570 des maîtres d’école et dès lors, ils avaient toujours tendu à s’assurer le monopole de cet enseignement, à le faire séparer, à leur profit, des attributions des maîtres et des maîtresses de l’enseignement primaire. En 1578, ils introduisirent une instance pour leur faire interdire complètement les leçons d’écriture, mais ils furent déboutés par un arrêt du 15 janvier 1580. En 1598, ils obtinrent du Châtelet une sentence qui ne permettait aux maîtres d’école d’enseigner à écrire que par monosyllabes, mais cette sentence ne fut pas confirmée par le Parlement qui défendit seulement à ceux-ci de se livrer à cet enseignement d’une façon spéciale. C’est grâce à cette spécialité à laquelle ils joignaient celle de l’arithmétique, et où ils atteignaient naturellement un plus grand degré de perfection, que les maîtres-écrivains conservèrent la préférence d’une partie du public. Souvent on se passait d’eux, mais leur art n’en paraissait pas moins digne de grands efforts à cause du prestige que lui avaient donné leurs ancêtres, les scribes du moyen âge et de la difficulté même qu’ils s’appliquaient à y maintenir. On peut juger de cette difficulté par le chef-d’œuvre que la corporation demandait au candidat à la maîtrise, et qui consistait à fournir des échantillons de son savoir faire dans dix genres de calligraphie différons. De ces types variés plusieurs n’étaient en usage que dans certaines administrations ; l’écriture courante ne connaissait que la française ou ronde et l’italienne ou bâtarde. Sous Louis XIII, le Parlement de Paris voulut faire fixer ces types vulgaires. Il demanda aux maîtres-écrivains d’en adopter et de lui en soumettre des modèles et décida, par un arrêt du 26 février 1633, que ces modèles de ronde et de bâtarde exécutés par deux calligraphes célèbres, Louis Barbedor et Le Bé, seraient exclusivement employés. Tout en restant bien loin de la dextérité technique des maîtres-écrivains, beaucoup de maîtresses, dans les écoles urbaines, écrivaient assez bien pour donner à leurs élèves une écriture passable. Quand elles en étaient incapables, elles se servaient d’exemples imprimés ou à la main, ou elles avaient recours à une maîtresse plus habile, quelquefois même à un maître-écrivain, qui donnait la leçon devant elles.

Les enfans apprenaient à compter au jet et à la plume. Pour le calcul au jet, on se servait de trente-six jetons qui, suivant leur position sur une table divisée en colonnes, représentaient des quantités différentes en livres, sols et deniers.

L’orthographe qu’on enseignait était, en l’absence de règles absolues, l’orthographe usuelle. On a tout dit sur son irrégularité et cependant, longtemps plus tard, Mme de Maintenon trouvait qu’on y attachait encore, ainsi qu’à l’écriture, trop d’importance.

Il est impossible d’entrer dans le détail des exercices religieux dont la place était pourtant si grande dans l’éducation féminine. Contentons-nous de dire que, dans les écoles paroissiales et les petites écoles, on faisait le catéchisme deux fois par semaine et que les catéchismes diocésains remplacèrent, à mesure qu’ils furent rédigés, les divers catéchismes généraux qui s’étaient partagé la faveur publique, tels que ceux de Bellarmin, de Canisius, de César de Bus, de Ledesma, de Richelieu. Dans les établissemens de la Visitation, saint François de Sales avait fixé l’âge de la première communion à onze ans au plus tard, sauf pour les enfans arriérés.


Qu’avait pu faire cette éducation des jeunes filles des différentes classes qui l’avaient reçue, quel rôle les avait-elle préparées à jouer dans la société où elles allaient entrer ? Remontant au delà de la période qui, rigoureusement, limite notre étude, nous avons montré l’enthousiasme intellectuel de la Renaissance impuissant à triompher des idées traditionnelles sur l’éducation et la mission sociale de la femme, l’importance constante attachée à l’instruction populaire, envisagée surtout comme sauvegarde de la foi, cette instruction de plus en plus atteinte par le prosélytisme protestant et les guerres religieuses et, au moment où elles finissent, puisant dans l’esprit congréganiste une vigueur nouvelle. Mais, qu’il périclite ou qu’il soit florissant, l’enseignement féminin s’inspire de la même idée et s’applique avec prédilection au même but : la méfiance de la nature féminine, la préoccupation de la prémunir contre les entraînemens, de tenir toujours les jeunes filles occupées, à la fois pour les protéger contre les tentations de l’oisiveté et pour les préparer à gagner leur vie et à tenir leur intérieur. La plupart des œuvres populaires du milieu du XVIIe siècle font une place au travail ménager et professionnel. La couture, le travail manuel ; les ouvrages de femmes font partie du programme des Filles de la Croix, des Filles de Sainte-Geneviève, de la Congrégation de Saint-Joseph. Les pauvres filles que la charitable veuve Rousseau, — Marie de Gournay, — faisait élever gratuitement au faubourg Saint-Germain par des maîtresses qui prirent plus tard le nom de Sœurs de l’instruction chrétienne, leur devaient surtout un gagne-pain. L’orphelinat de la Miséricorde plaçait ses pensionnaires en apprentissage. La Compagnie du Saint-Sacrement mettait aussi en apprentissage des enfans sur lesquels elle exerçait une surveillance et un patronage. Elle songeait à établir à Paris des cours de coiffure, de blanchissage et des cours d’infirmières. Les Filles de Sainte-Marthe, vulgairement appelées les Magneuses, établies à Reims en 1634, s’étaient donné pour tâche de dresser des servantes offrant aux familles des garanties de moralité et de savoir faire. Il existait dans chaque paroisse de cette ville, sous le nom de Chartrerie, une maison de charité où les enfans pauvres apprenaient des métiers. En 1633, ces écoles d’arts et métiers furent réunies et devinrent un hospice général consacré à l’enseignement manuel. Enfin nous rappellerons que les deux ordres enseignans qui attiraient le plus d’élèves ainsi que les couvens des autres n’avaient oublié dans leur programme pédagogique ni les travaux de femme, ni l’économie domestique.

Ce qui manque le plus dans le plan d’études de l’instruction secondaire, c’est, — tous les lecteurs en auront fait la remarque, — la culture intellectuelle proprement dite, les connaissances dont l’importance a pu paraître parfois si grande qu’elle a semblé faire oublier que l’objet de l’éducation est moins de remplir l’esprit que de le fortifier, moins de fortifier l’esprit que de former le cœur et de tremper le caractère, moins de savoir que de bien faire. Il est certain que ce qu’on appelle l’instruction a bien l’air d’être sacrifiée la connaissance et à l’accomplissement des devoirs religieux d’abord, ensuite à un apprentissage de la vie pratique où le savoir vivre, où certains arts d’agrément peuvent être considérés comme usurpant la place de notions que nous jugeons plus sérieuses et plus utiles. Il y a là plus qu’une apparence, il y a une vérité ; mais cette vérité, il ne faut pas l’exagérer. La rareté des textes ne peut pas toujours être invoquée contre l’existence et l’extension d’une institution, d’un usage. Si loin qu’ils soient de satisfaire notre curiosité, ils nous autorisent à ranger le latin, l’italien, la géographie, la composition littéraire, le chant, la danse au nombre des matières et des arts qui entraient dans l’éducation. Il n’en reste pas moins vrai qu’après la formation de la conscience, exercée et affermie par des instructions et des pratiques religieuses, l’éducation féminine, dans la première moitié du XVIIe siècle, visait plus à faire des ménagères et des maîtresses de maison, respectueuses des convenances sociales, que des femmes instruites.


G. FAGNIEZ.