dit Pierre Elzéar
Henry Kistemaeckers (p. 147-151).
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XIII



Plongé dans une rêverie amère, Stéphane demeura seul.

— Ah ! se disait-il, comme cette nuit a été longue, longue et affreuse ! Je voyais Jacques à mon chevet, avec ses yeux sans regard et son sourire triste… Misérable traître que je suis ! Je me suis demandé s’il existait un moyen d’expier mon crime. Il n’en existe pas. Il y a des souillures qu’aucun repentir ne peut laver. Dès que j’aurai tenté de le sauver, il faudra que je meure… Oh ! Dieu ! je pourrai mourir !

Et son pâle visage, marbré par l’insomnie, s’éclaira d’une joie suprême. Il aperçut tout à coup la boîte de pistolets laissée sur la table par Daniel, toute ouverte. Il fit pour n’y point toucher un effort violent. Il recula de quelques pas. Tous ses traits se contractèrent, tordus par un désespoir muet :

— Mais non, se disait-il, non… même alors il faudra attendre. Je n’aurai pas le droit d’en finir encore. Jacques pourrait deviner… Ah ! qu’il ignore tout du moins… qu’il ignore toujours !… C’est bien assez de mon remords sans son désespoir. Je partirai…, je chercherai un prétexte…, un nouveau voyage… Il m’embrassera une dernière fois… et, quand je serai loin… oh ! alors ! — C’est lui !

Jacques, en effet, appuyé au bras de Suzanne, venait de descendre sur la terrasse.

Blanche les rejoignit presque aussitôt, appelée par son père.

— Vous êtes là, Stéphane ? demanda Roland.

— Oui, répondit-il.

L’aveugle avait pris les mains de sa fille dans les siennes :

— Mes enfants, dit-il doucement, s’adressant à Blanche et à Stéphane, j’ai quelque chose de sérieux à vous dire. À quoi bon des paroles inutiles ? Vous vous aimez ; je le sais.

Stéphane ne trouva pas une parole.

Blanche avait tressailli.

— Mon père… dit-elle, en levant sur Jacques un regard douloureux.

Suzanne se mordait les lèvres jusqu’au sang.

Roland continua :

— Je ne veux pas être un obstacle à votre bonheur. Quand voulez-vous vous marier ?… Oh ! je ne vous demande pas de répondre tout de suite. Causez un peu ensemble, je vous en prie. Nous allons vous laisser. Il n’y a rien de tel que des amoureux pour s’entendre. Vous arrangerez mieux que personne vos petites affaires. Votre décision sera la nôtre ; n’est-ce pas, Suzanne ?

— Mais… bégaya celle-ci, frémissante de haine contenue.

— Viens… viens… disait Jacques en l’entraînant. Les parents ne font jamais que des sottises…

Et, comme Blanche allait les suivre :

— Restez, mademoiselle, je vous en prie, dit humblement Stéphane.

Elle resta.