La seconde expérience que nous relaterons a été faite la nuit, la malade endormie ; elle dormait depuis une demi-heure, le thermomètre dans le crâne, quand on prit les températures. Cerveau et rectum tendent d’abord à se refroidir ; les deux courbes descendent rapidement avec de petites oscillations. En A, la malade fait une inspiration profonde ; le refroidissement du cerveau se ralentit un peu, puis reprend. En B, un chien aboie, et le bruit est assez fort, mais ne réveille pas la malade ; la courbe thermique cérébrale monte de 0°,08 ; la courbe du rectum montre une élévation plus tardive et bien plus petite. En C, un assistant tousse ; la courbe du cerveau monte encore. En D, nouvel aboiement du chien ; la courbe du cerveau monte de 0°,01, mais la courbe du rectum ne varie pas. En E, la malade ronfle. En F, la malade est interpellée, et elle se réveille un peu ; le cerveau se réchauffe ; mais elle s’endort de nouveau à 11 h. 30, et la courbe du cerveau monte quand même, ce que Mosso explique en disant que le sommeil était devenu moins profond qu’avant. Cette seconde observation est incontestablement bien plus probante que la première.

Schleicher frères (p. 33-224).

PREMIÈRE PARTIE
EFFETS PHYSIOLOGIQUES DU TRAVAIL INTELLECTUEL

CHAPITRE PREMIER
INFLUENCE DU TRAVAIL INTELLECTUEL
sur le cœur

L’étude des effets physiologiques du travail intellectuel peut se diviser en deux parties distinctes, qui sont connues bien inégalement : la première de ces parties consiste dans la description des effets directement observables qui se produisent lorsqu’une personne fait un travail intellectuel ; ainsi, il y a, chez une personne qui fait des efforts intellectuels soutenus, un changement dans le rythme du cœur, un changement dans la sécrétion urinaire et dans la force musculaire. L’analyse de ces effets, leur description méthodique formeront le principal sujet des pages qui vont suivre. Pour que l’étude de ces modifications devienne scientifique, il faut et il suffit qu’on démontre qu’elles sont une conséquence du travail intellectuel.

La seconde partie de ces études n’est pas descriptive, mais explicative ; elle consiste à rechercher le comment, le mécanisme intime par lequel se produisent les effets physiologiques du travail intellectuel. Cette recherche est légitime. Il est bien évident que lorsqu’on a démontré que le travail intellectuel produit une élévation de température, ou, suivant les cas, une augmentation de la pression du sang, un affaiblissement de la force musculaire, etc., on n’a pas tout dit. On n’a pas expliqué comment un certain fonctionnement des centres nerveux de l’encéphale a provoqué ces conséquences physiologiques. La provocation, dans la plupart des cas, ne peut pas être directe, elle est indirecte, compliquée ; elle suppose des mécanismes intermédiaires. La recherche de ces mécanismes intermédiaires est certainement une des plus belles parties de la science. Malheureusement, sur beaucoup de points, elle est encore hypothétique. Aussi serons-nous forcé d’être brefs sur ces questions ; mais nous ne les laisserons pas entièrement de côté.

Nous examinerons d’abord les effets du travail intellectuel sur le cœur, parce que la circulation du sang, en y comprenant le cœur et les nerfs vaso-moteurs, est, dans tout l’organisme, la fonction qui se modifie le plus facilement sous des influences psychiques ; la circulation du sang constitue le réactif le plus sensible des excitations qui intéressent le système nerveux. Une émotion qu’une personne éprouve peut ne se manifester sur sa physionomie par aucun signe visible, ne produire aucune modification saisissable de la motilité ; mais si l’émotion est forte, le rythme du cœur sera changé, les nerfs vaso-moteurs seront excités, bref la circulation subira un retentissement.

Il résulte de cet état de choses un avantage et un inconvénient. L’avantage, c’est que le processus psychique le moins important, le plus faible, agit sur la circulation et la modifie, et que par conséquent l’étude de la circulation peut permettre de saisir les premiers effets, les effets les plus légers, du travail intellectuel ; l’inconvénient, c’est que par suite de la sensibilité très grande de la fonction circulatoire, elle se trouve dans un état extrêmement instable ; elle change d’un moment à l’autre, sans cesse modifiée par une foule d’influences, dont une bonne partie échappe à notre investigation, de sorte qu’au cours d’une expérience sur les relations du travail intellectuel et du pouls, on est exposé à l’erreur de prendre pour un effet du travail intellectuel une modification qui provient d’une autre cause, très légère, et ayant passé inaperçue.

Parmi ces causes modificatrices de la circulation qui peuvent passer inaperçues, il faut signaler en toute première ligne les changements dans la position du corps et les mouvements du corps. Est-on assis sur un fauteuil, le dos commodément appuyé sur le dossier de ce siège, le simple fait de redresser le buste ou de l’incliner en avant modifie le volume de la main ; et si, quittant la position assise, on se met debout, il résulte de cette station debout une augmentation si considérable de la pression du sang que jamais, à notre connaissance, dans les expériences les plus pénibles de calcul mental, on n’a atteint un tel chiffre de pression sanguine. Il faut avoir tous ces faits bien présents à l’esprit quand on recherche l’influence du travail mental sur la circulation du sang ; et pour éviter les causes d’erreurs provenant de ce chef, il faut exiger du sujet une immobilité absolue. On n’obtient cette immobilité, en général, que des personnes un peu habituées aux expériences et ayant appris à commander à leur corps ; le premier individu venu s’agite sur sa chaise, parle, se penche à droite et à gauche, et constitue un détestable sujet pour des recherches aussi délicates.

1o Vitesse du cœur. — La vitesse du cœur est, de tous les phénomènes circulatoires, celui qu’il est le plus facile d’étudier, au moins grossièrement, puisqu’il suffit de compter le pouls de l’artère radiale au poignet en regardant une montre à secondes pour savoir combien de fois le cœur d’une personne se contracte en un temps donné.

Le nombre de pulsations, chez un individu normal, est de 72 par minute ; il est un peu plus élevé chez les enfants. D’après des recherches récentes de Gilbert, voici le nombre de pulsations par demi-minute pour des enfants dont l’âge varie de six ans à seize ans.

Tableau de Gilbert sur le pouls par rapport à l’âge.
ÂGES NOMBRE de garçons étudiés. NOMBRE de filles étudiées. Nombre de pulsations en 30 secondes.
POULS des garçons. POULS des filles.
6 ans 43 48 53 50,5
7 46 50 49,5 50,8
8 49 44 47,4 51,0
9 52 48 45 48,2
10 47 61 44 45,8
11 52 45 44,2 43,8
12 54 57 44,4 41,3
13 51 50 45 43,2
14 48 42 43,4 44
15 50 41 41,5 42
16 33 40 42,6 43

Nous représentons ces résultats sur le graphique suivant :

Fig. 1. représentant le nombre de pulsations par demi-minute, chez des enfants d’âge différent. On remarque que le pouls est plus fréquent chez les enfants les plus jeunes. Il n’y a pas de différence nette entre les garçons et les filles.

Les chiffres du précédent tableau doivent être considérés comme un peu trop élevés ; ils ont été pris au cours d’expériences faites dans des écoles américaines. Or, les observations que nous avons faites personnellement sur des enfants dans les écoles nous ont prouvé qu’il suffit de leur adresser la parole et de tâter leur pouls pour produire une petite émotion qui accélère leur cœur ; cette accélération du cœur dure un temps très variable d’un sujet à l’autre ; il est à peu près impossible pour un expérimentateur étranger à l’école de recueillir le pouls normal des enfants.

La vitesse du cœur varie de plusieurs façons : il peut y avoir variation soit dans le rythme du cœur, soit dans le nombre de pulsations.

Le nombre des pulsations du cœur est susceptible de varier dans les deux sens de l’augmentation et de la diminution. Pour bien comprendre quel est l’effet du travail intellectuel sur la vitesse du cœur, il faut comparer cet effet à celui d’un autre facteur, par exemple le travail physique.

Le travail physique, quand il consiste dans un exercice de tout le corps, comme la marche, la course, la bicyclette, produit une accélération du cœur et aussi de la respiration. Tout le monde a pu observer sur soi-même qu’après une course rapide, on sent dans la poitrine le choc du cœur, qui précipite ses battements. Récemment, pour des expériences spéciales qui seront relatées ailleurs, nous faisions courir des enfants de douze ans sur une longueur de six cents mètres ; l’allure n’était pas bien vive, car cette distance était franchie en moyenne en cinq minutes. Cependant l’accélération du cœur était considérable, le cœur battait après la course 140 à 150 fois, tandis qu’avant la course il n’y avait que 80 à 100 pulsations par minute. Du reste, il faut bien remarquer que l’excitabilité du cœur n’est pas la même chez tous ; si deux personnes ou un plus grand nombre font ensemble une marche à pied, et ont soin de prendre leur pouls à intervalles réguliers, par exemple chaque demi-heure, on constate une accélération chez tous les marcheurs, mais elle est d’importance inégale. Dans une expérience que nous avons faite récemment sur sept personnes faisant ensemble une marche à pied de 8 kilomètres environ, sur terrain plat, de quatre à six heures de l’après-midi en été, un des marcheurs a eu un pouls de 88 pulsations au maximum, et un autre un pouls de 128 ; la marche a duré environ deux heures, avec une vitesse d’un kilomètre pour treize minutes. Il y a donc eu, pour un même travail mécanique accompli par ces deux personnes, un écart de 40 pulsations par minute.

Nous donnons dans le tableau suivant les résultats pour les sept personnes qui ont pris part à cette expérience :

SUJETS
Avant de partir à 3 h. 3/4.
À 4 h. 10 m. après 25 m. de marche.
À 4 h. 30 m. après 45 m. de marche.
À 4 h. 55 m. après 70 m. de marche.
À 5 h. 55 m. après un repos de 1 h.
À 6 h. 20 m. après 25 m. de marche.
À 6 h. 45 m. après 45 m. de marche.
Mad. (enfant). 68 96 100 104 » » »
L. B. (dame). 72 92 96 96 » » »
V. H. 76 86 76 76 68 84 88
A. B. 84 108 104 124 100 108 120
V. 88 92 96 104 88 100 108
C. H. (dame). 88 100 104 104 84 108 116
A. H. (dame). 92 106 128 108 96 110 112

Les chiffres du tableau précédent indiquent les nombres de pulsations par minute.

Le graphique suivant exprime la vitesse du cœur chez quatre des personnes précédentes ; nous avons porté en ordonnées le nombre de pulsations et en abscisses les différentes époques d’expériences. Ce graphique indique nettement qu’il y a des différences individuelles considérables pour les réactions du cœur sous l’influence d’un travail physique tel qu’une marche de vitesse moyenne sur un terrain plat.

Nous devons en conclure que l’on ne peut pas se contenter d’expériences faites sur un petit nombre de sujets, il faut, pour être sûr d’un résultat en psychologie, l’observer sur un nombre considérable de sujets.

Fig. 2. — Nombre de pulsations par minute chez quatre sujets (V. ; A. H. ; A. B. et V. H.) pendant une marche sur terrain plat. On remarque que les quatre courbes ne se développent pas parallèlement, c’est-à-dire que le pouls varie pendant la marche d’une manière différente suivant les sujets.

Les ralentissements du cœur sous l’influence de l’exercice physique sont beaucoup moins connus, ils sont même, peut-on dire, complètement ignorés. Il est de connaissance vulgaire que la marche et la course accélèrent le cœur, et on a une tendance à généraliser cette observation exacte, et à dire que tout exercice physique accélère le cœur. C’est absolument faux. Des expériences récentes faites par Binet et Vaschide ont prouvé que chez des enfants de douze ans un violent effort physique, par exemple une forte pression au dynamomètre, l’ascension d’une perche à la force des bras, produisent un ralentissement considérable du cœur ; à la descente de la perche, le cœur ne donne plus pendant 15 secondes que 10 battements, ce qui ferait 40 battements par minute, si cet état de ralentissement continuait ; mais il ne dure guère, fort heureusement. Chez l’adulte, on provoque aussi, par de vigoureux efforts physiques, le ralentissement du cœur, mais dans des proportions moindres.

Nous avons maintenant un terme de comparaison pour comprendre quels sont les effets du travail intellectuel sur la vitesse du cœur. Il y a plusieurs cas à distinguer, car ce terme très vague de travail intellectuel embrasse plusieurs opérations mentales de nature très différente. Lire un roman amusant, c’est faire du travail intellectuel ; résoudre un problème d’algèbre, c’est également travailler de tête, mais d’une tout autre façon ; il y a lieu aussi de distinguer suivant que l’effort mental est court, dure à peine quelques secondes ou une minute, ou bien se prolonge pendant plusieurs heures.

Le type du travail intellectuel court et intense, nous l’avons déjà dit, est le calcul mental ; tous ceux qui savent leur table de multiplication peuvent faire un peu de calcul mental. Ce sont des opérations qui exigent d’abord de la mémoire, pour retenir la donnée et les produits partiels, et aussi une concentration d’esprit et une force de combinaison. On peut graduer la difficulté en faisant exécuter des séries de multiplications dans lesquelles on augmente le nombre de chiffres des facteurs.

Un calcul mental durant de quelques secondes à trois ou quatre minutes a pour effet presque constant d’accélérer le cœur. Cette accélération a été observée par tous les auteurs qui s’en sont occupés, et les documents recueillis sur ce point sont tellement nombreux et concordants que ce fait peut être considéré comme certain. Pour permettre au lecteur d’en juger, nous publions trois tables empruntées aux recherches de différents auteurs ; la première est due à Gley[1], qui a fait les expériences sur lui-même, prenant son pouls carotidien pendant qu’il lisait de la géométrie ou de la métaphysique.

Influence du travail intellectuel sur le pouls.
(Tableau de Gley.)


GENRE DE TRAVAIL DURÉE DU TRAVAIL NOMBRE DE PULSATIONS par minute.
Repos. Travail. Différence.
Philosophie 15 minutes. 70 72 2
  78 81 3
  73 75 2
  68 70 2
  74 77 3
  75 77 2
  73 76 3
  82 82 0
  77 77 0
  80 82 2
  72 75 3
  75 77 2
Géométrie 10 minutes. 78 84 6
20 76 77 1
30 76 79 3
40 75 77 2
50 72 77 5


Le second tableau de chiffres relate des expériences que nous avons faites nous-mêmes au laboratoire de psychologie de la Sorbonne[2] ; nos sujets faisaient du calcul mental pendant qu’on recueillait leur pouls capillaire.

Influence du travail intellectuel sur le pouls.
(Tableau de Binet et Courtier.)
SUJETS. DURÉE du travail intellectuel. NOMBRE DE PULSATIONS par minute.
Avant. Pendant. Après.
E 55 sec. 79,5 102 96-90-87
E 90 75 99 90-81-69
C 80 70 75 75-69
C 150 70 75 68
Pi 40 72 74 76
Ph 60 72 80 77
F 42 70 78 73
H 90 72 72 72

Influence du travail intellectuel sur le pouls.
(Tableau de Mac Dougal[3].)
SUJETS AVANT PENDANT LE CALCUL MENTAL
A 62,5 67,5 80 85
B 72,5 72,5 74,5 75
C 77,5 77,5 82,5 85
C 75 82,5 75
D 57,5 65 62,5 62,5
D 65,5 70 75 75
E 60 65 67,5 65
E 75 77,5 80 75
F 50 55 60 60

On voit, d’après ces tableaux, que l’accélération du cœur produite par un calcul mental difficile peut être de cinq à vingt pulsations par minute ; le maximum d’accélération serait donc d’un quart ; c’est bien peu de chose, si on compare cette accélération à celle de la course. Nous avons par exemple observé sur l’un de nous (V. H.) qu’après une course rapide d’une dizaine de minutes le pouls était devenu de 160 au lieu de 80 par minute : ce qui représentait une augmentation égale au double.

Quand le travail intellectuel est terminé et que l’attention se relâche, il peut y avoir une prolongation de l’accélération, avant le retour à l’état normal ; ou bien il peut se produire au contraire, comme Mac Dougal l’a signalé récemment, un ralentissement du cœur, qui bat moins vite qu’à l’état normal ; les chiffres publiés par Mac Dougal montrent la réalité de ce ralentissement, qui du reste est peu de chose, car il se réduit à une dizaine de pulsations en moins par minute.

Nous devons rappeler, avant de quitter ce point, que le calcul mental, qui exige un sérieux effort intellectuel, s’accompagne en général d’un état émotionnel d’anxiété, tenant à la crainte d’oublier les données, et aussi à la crainte de ne pas trouver le résultat exact ; cet état émotionnel augmente d’intensité quand l’exercice de calcul mental se fait devant des témoins et avec une certaine solennité. Il est bien moindre, mais il n’en existe pas moins, lorsque le calculateur est seul : il faut tenir compte ici de nombreuses variétés individuelles.

Nous connaissons bien peu de travaux sur les effets produits par un travail intellectuel prolongé sur la vitesse du pouls. Nous ne pouvons citer qu’une expérience unique, due à Binet et Courtier. Comme cette étude a porté à la fois sur la circulation capillaire et sur la vitesse du pouls, nous en parlerons un peu plus loin, lorsqu’il sera question de la circulation capillaire.

Il suffira de dire ici que pendant une après-midi de travail intellectuel, la contention d’esprit tend à ralentir le pouls.

2° Rythme du cœur. — Tandis que la vitesse moyenne du cœur peut être appréciée et mesurée très simplement au moyen d’une montre à secondes, il faut, pour connaître la durée de chaque contraction, le rythme du cœur et sa force de contraction, employer des dispositifs spéciaux, qu’on ne trouve que dans les laboratoires, et qui sont tous empruntés à la physiologie. Les appareils dont on fait usage ont pour but d’inscrire le mouvement, c’est-à-dire de le transformer en un tracé indélébile qui en présente les principaux caractères moteurs. La plupart de ces appareils sont une application de la méthode graphique.

La méthode graphique, telle qu’on l’utilise journellement dans les laboratoires, comprend trois espèces d’organes : un organe destiné à recueillir le mouvement — un organe destiné à le transmettre à distance — un organe destiné à l’inscrire. Prenons l’exemple du cœur : nous cherchons à écrire ses battements à l’artère radiale, au poignet ; l’instrument destiné à recueillir les pulsations de l’artère s’appelle un sphygmographe. Voici à peu près comment est construit le sphygmographe à transmission de Marey. C’est une capsule métallique, appelée tambour, qui est fermée sur une de ses faces par une membrane de caoutchouc très mince ; la capsule est vide. Elle est montée sur un cadre métallique qui est fixé sur l’avant-bras par des liens circulaires. La membrane de caoutchouc est tournée en bas, vers l’artère ; au milieu de la membrane est collé un petit disque portant une tige T très légère dont l’extrémité arrondie s’applique sur l’artère à explorer. Cette extrémité s’articule avec l’extrémité d’un ressort qui comprime l’artère ; l’autre extrémité du ressort est fixée au cadre métallique ; le mouvement du pouls soulève le ressort, et, par l’intermédiaire de la tige T, détermine une poussée d’air dans le tambour.

Si le sphygmographe est bien ajusté, ce ne sera pas seulement la pulsation dans sa totalité qui déterminera une poussée d’air ; tous les changements, tous les accidents qui peuvent se produire pendant une pulsation, sa durée d’ascension et de descente, seront également recueillis. Le tambour porte un tube de métal qui s’ouvre à son intérieur et qui s’adapte à un tube de caoutchouc. Ce tube de caoutchouc est l’organe de transmission ;

Fig. 3. — Sphygmographe à transmission de Marey. En T la tige, dont une des extrémités, fixée à un ressort, s’appuie sur l’artère, et dont l’autre extrémité est fixée au centre de la membrane de caoutchouc du tambour (Marey).


c’est lui qui porte la poussée d’air avec tous ses détails de forme au point où se fait l’inscription. Le tube se termine dans une seconde capsule métallique, le tambour inscripteur ; ce second tambour présente, comme le premier, une membrane de caoutchouc très sensible aux mouvements de l’air qui se produisent dans l’intérieur du tambour. Au centre de la membrane est collé un disque d’aluminium qui est relié par une bielle à un levier appartenant au type des leviers du deuxième genre ; ce levier s’articule par une de ses extrémités à un point fixe placé dans le voisinage de l’axe. L’autre extrémité est munie d’une plume et elle écrit sur un cylindre les déplacements que le soulèvement de la membrane fait subir au levier ; le cylindre est recouvert d’une feuille de papier noircie avec une flamme fumeuse ; la plume, en s’appuyant sur le cylindre, enlève, par son frottement, le noir de fumée, et partout où elle entre en contact avec le cylindre, marque un trait blanc. Le cylindre tourne d’un mouvement uniforme. Si la plume du tambour inscripteur est immobile, elle inscrit une ligne droite.

Fig. 4, représentant l’ensemble de la méthode graphique. En C le cylindre tournant sur lequel écrit une plume ; cette plume se trouve reliée à la membrane de caoutchouc du tambour inscripteur T. Un tube de caoutchouc réunit le tambour inscripteur au tambour du sphygmographe.


Si le sphygmographe est appliqué sur une artère qui bat, à chaque pulsation de l’artère il se fait une poussée d’air qui chemine d’un tambour à l’autre, et qui, en arrivant au tambour inscripteur, soulève la membrane ; tous les déplacements de la membrane agissent sur le levier ; le levier amplifie le mouvement et l’inscrit sur le cylindre. À chaque pulsation, la plume est déplacée, et dès que la pulsation est terminée, la plume retombe à la ligne de repos. Connaissant la vitesse de rotation du cylindre, sachant par exemple qu’un centimètre correspond à une seconde, on peut connaître le nombre de pulsations par minute en lisant le graphique ; on peut savoir par quel intervalle de temps les pulsations sont séparées ; on peut connaître la durée de chacune d’elles.

Le graphique donne aussi la forme du mouvement ; il est bien intéressant de regarder la figure 5, qui reproduit la forme d’une pulsation radiale, et d’étudier en même temps sur sa propre artère radiale l’impression tactile que fait la pulsation sur le doigt.

Fig. 5. — Graphique du pouls de l’artère radiale. P est le sommet de la pulsation, R est le dicrotisme (Landois).


Il y a une foule de détails qui échappent à cette impression directe ; on sent purement et simplement un choc ; il faut être un médecin ou un physiologiste exercé pour savoir si l’artère est pleine ou vide, si le pouls est ample ou petit, dur ou mou, s’il présente plusieurs rebondissements. Au contraire le graphique montre clairement ces différents caractères. Il montre d’abord que le pouls est une onde formée d’une ligne d’ascension et d’une ligne de descente ; la ligne d’ascension est brusque et simple ; elle ne présente pas d’irrégularité sur son trajet ; elle se termine d’ordinaire par un sommet aigu ; la ligne de descente est toujours plus inclinée, c’est-à-dire plus lente que la ligne d’ascension ; en outre la ligne de descente présente, dans des points variables de son trajet, un ou plusieurs accidents, auxquels on donne le nom de dicrotismes. Ils consistent dans une ou plusieurs ondes très courtes, composées d’une ligne d’ascension et d’une ligne de descente.

L’onde principale du pouls correspond à la systole ventriculaire, c’est à-dire à la poussée du sang produite par la contraction des ventricules du cœur ; le pouls est un peu en retard sur le cœur, et ce retard est dû à la distance que l’impulsion doit franchir pour aller du cœur à l’artère dont on enregistre le pouls : le pouls de l’artère pédieuse est plus en retard que le pouls de l’artère carotide, parce que la distance est plus grande dans le premier cas que dans le second. Le graphique du pouls résulte de l’impulsion du cœur ; mais il faut ajouter que ce graphique exprime aussi l’état physique de l’artère, qui d’abord cède à ce choc, puis revient sur elle-même, et se rétracte après s’être distendue ; les petites lignes du tracé, malgré leur apparence simple, résument par conséquent plusieurs phénomènes compliqués. Une artère malade, sclérosée, par exemple, ne donnerait pas le même graphique qu’une artère saine, bien souple et bien élastique.

Les dicrotismes qui s’inscrivent sur la ligne de descente s’exagèrent pendant la fièvre et peuvent dans ce cas être perçus par le doigt ; les sphygmogrammes prouvent que le pouls normal est dicrote, quoique à un degré moins accentué ; on n’est pas encore entièrement d’accord sur le mécanisme de production du dicrotisme.

La méthode graphique nous donne la durée exacte des pulsations et de leurs intervalles, tandis qu’avec la montre à secondes on ne pouvait connaître que la vitesse moyenne du cœur. Voyons ce que la méthode graphique peut nous apprendre de nouveau en ce qui concerne l’influence du travail intellectuel sur le cœur.

Elle a été employée spécialement par Mentz[4] pour mesurer la vitesse du cœur pendant le travail intellectuel ; l’auteur a inscrit le pouls sur un cylindre enregistreur et a mesuré en millimètres la longueur de chaque pulsation ; les nombres du tableau suivant indiquent donc la longueur d’une pulsation en millimètres, par conséquent plus le pouls sera rapide plus cette longueur sera petite.

Tableau de Mentz.
Pouls pendant la multiplication de 15 par 15. 7,5 mm. Pouls pendant la multiplication de 19 par 19. 6,8 mm.
7,2 5,5
6,7 5,2
6,6 4,9
6,4 4,6
6,2 4,4

Ce tableau présente un avantage sur les précédents, puisqu’il indique non pas la vitesse moyenne du cœur pendant le calcul mental, comme le font les tableaux précédents, mais la durée de chaque pulsation pendant le calcul mental ; on peut de cette manière suivre exactement la marche du pouls pendant le travail intellectuel ;

Fig. 6. — Expériences de Mentz. Les deux graphiques représentent les durées successives des pulsations pendant le calcul mental. On voit que la durée des pulsations diminue pendant le calcul mental, c’est-à-dire que le pouls s’accélère.


nous donnons dans le graphique ci-dessus les longueurs des différentes pulsations exprimées en millimètres ; ce graphique montre nettement que la durée des pulsations diminue de plus en plus pendant le travail intellectuel court étudié par Mentz ; cette diminution est plus forte lorsque le travail a été plus difficile (produit ).

En général, d’après nos observations personnelles, si on prend la vitesse du pouls pendant un travail intellectuel un peu long, on n’observe pas des résultats aussi simples que ceux de Mentz.

Pour faire comprendre ce qui va suivre, il est important de rappeler l’existence des rythmes du cœur.

Pendant un état de repos, le cœur ne bat pas avec une vitesse constante, et les intervalles d’une série de pulsations ne sont pas rigoureusement égaux ; même chez un individu normal, il existe un rythme du cœur, plus ou moins prononcé, rythme qui consiste en un changement régulier de vitesse se reproduisant par période. Il y a principalement deux rythmes qu’on observe fréquemment : le premier est sous l’influence de l’acte respiratoire ; les pulsations correspondant à l’inspiration sont un peu accélérées par rapport aux pulsations qui correspondent à l’expiration. Mentz donne les chiffres suivants pour la durée des pulsations pendant l’inspiration et l’expiration ; ces chiffres représentent les longueurs de chaque pulsation en millimètres.

SUJETS INSPIRATION EXPIRATION
     
C. A. 
6,3 mm. 6,2 6,0 5,8 6,3
P. H. 
4,3 4,0 3,8 3,9 4,3
Ber. 
5,2 4,9 » 5,2 5,2
Ber. 
5,2 4,9 » 4,8 5,2

Nous avons observé récemment chez un jeune garçon de treize ans un rythme analogue, mais beaucoup plus accentué ; nous donnons un échantillon de ses tracés, en regrettant de n’avoir pas pris son pouls avec une vitesse de cylindre suffisante pour en calculer les durées (fig. 7 et 8). Il existe un autre rythme, qu’on ne peut pas attribuer, comme le précédent, à l’influence de la respiration, car il ne correspond pas à l’acte respiratoire ; sa durée totale comprend plusieurs respirations, en moyenne 3 ou 4 ; ce rythme commence par une accélération du cœur ; puis le cœur se ralentit progressivement, et ensuite il s’accélère de nouveau. Les pulsations sont petites pendant la période d’accélération ; elles deviennent plus grandes pendant la période de ralentissement.

Fig. 7. — Pouls capillaire pris chez un garçon de treize ans. On remarque que toutes les six ou sept pulsations il y a une ou deux pulsations qui sont plus lentes que les autres. Tous nos tracés se lisent de gauche à droite. Ils ont été reproduits par l’héliogravure.
Fig. 8. — Pouls capillaire de la main et respiration prise chez le même garçon que dans la figure précédente. On remarque qu’au moment de l’expiration la pulsation a une plus grande durée. (Les inspirations se font de haut en bas.)
Fig. 9. — Suite du tracé de la figure 8. L'enfant fait un calcul mental () ; pendant ce calcul (entre les deux croix) et un peu avant il relient sa respiration ; on voit que le rythme caractéristique du cœur disparait pendant le calcul mental et reparaît après. On remarque de plus une légère accélération du cœur pendant le calcul mental.

En ce qui concerne le rythme du cœur, nous observons, chez le jeune garçon qui présente un rythme très accentué en rapport avec la respiration, que lorsqu’il fait du calcul mental, ce rythme disparaît presque entièrement, et les pulsations deviennent presque équidistantes sur le tracé. Cela tient à ce que cet enfant a suspendu presque complètement sa respiration pendant le calcul ; et le cœur, se trouvant affranchi momentanément de l’influence respiratoire, a battu avec plus de régularité qu’à l’état normal.

Nous avons en outre fait dernièrement sur nous-mêmes des expériences relatives à la variation de la vitesse du pouls pendant le travail intellectuel ; pour pouvoir calculer avec plus de précision la durée de chaque pulsation, nous avons inscrit le pouls sur un cylindre noirci tournant assez vite (fig. 10), de sorte que chaque pulsation avait une longueur d’environ 50 millimètres. Nous donnons deux graphiques représentant les résultats obtenus ; on avait pris d’abord le pouls à l’état normal, 32 pulsations ont été inscrites, puis le sujet a fait du calcul mental () ; pendant ce calcul, il y a eu 52 pulsations ; ensuite le sujet s’est reposé ; il y a eu 45 pulsations pendant ce repos ; ensuite il a de nouveau fait un calcul mental plus difficile que le précédent () pendant lequel il y a eu 109 pulsations, enfin le sujet s’est reposé et on a encore inscrit 20 pulsations de repos. Nous avons mesuré la durée de chaque pulsation et nous avons construit une courbe en portant en abscisses les pulsations successives et en ordonnées les durées de ces pulsations.

Fig. 10. — Cette figure indique la forme des courbes que l’on obtient lorsque l’on inscrit le pouls avec une vitesse de cylindre de 56 millimètres par seconde. On voit que l’on peut facilement mesurer sur ce graphique la longueur de chaque pulsation.

Nous rapportons ici une partie de ce graphique (fig. 11), celle qui correspond à la pause de repos après le premier calcul, au deuxième calcul et enfin au repos après ce deuxième calcul. En observant ce graphique on est d’abord frappé de l’irrégularité de la courbe qui représente la durée des pulsations ; ce sont des irrégularités dues soit à l’influence de différentes phases de respiration, soit à d’autres causes.

Au commencement du repos les pulsations sont très courtes, par suite de l’influence du travail intellectuel (), qui précédait ce repos ; mais après une dizaine de pulsations, la courbe monte de plus en plus, ce qui indique que le cœur cesse d’être accéléré et revient à l’état normal. Lorsque le sujet fait le calcul mental (), pendant les dix à quinze premières pulsations il n’y a pas d’accélération des pulsations, mais ensuite la durée des pulsations diminue de plus en plus ; cette accélération du cœur se produit donc chez ce sujet d’une manière très lente, mais elle est continue. Lorsque le calcul est fini, et que le repos vient, la courbe monte rapidement, ce qui indique que l’accélération du cœur, produite par le calcul mental, disparaît, et le cœur tend à revenir à son état normal.

Voilà pour la direction générale de la courbe ; il faut aussi dire quelques mots de ses divers accidents. Ces accidents sont de deux sortes, ce sont des petites ondulations qui durent pendant 3 ou 4 pulsations ; ce sont en outre de grandes ondulations qui comprennent en moyenne 7 à 10 pulsations. Les premières ondulations sont sous l’influence des actes respiratoires ; les secondes en sont indépendantes, ou du moins elles durent beaucoup plus longtemps qu’un acte respiratoire. Pendant le travail intellectuel, chez M. A. B., nous voyons que ces ondulations des deux espèces diminuent beaucoup d’importance ; elles sont comme effacées par l’accélération du cœur.

Nous publions un second graphique du même genre, pris sur M. V. H.

Force propulsive du cœur. — Pour évaluer le travail du cœur, il faut connaître non seulement sa vitesse, le nombre de fois qu’il se contracte par minute, mais la force de ses contractions.

Les sphygmogrammes présentent des graphiques de la pulsation qui, à première vue, semblent pouvoir donner des renseignements sur la force du cœur ; en effet, la pulsation artérielle présente une certaine amplitude, qu’on peut mesurer en centimètres, par la distance entre la ligne au repos et la hauteur maxima que la plume trace dans la ligne d’ascension du pouls ; il y a des variations assez fortes d’amplitude sous l’influence de la respiration, chez un même individu et dans un même tracé ; ainsi le pouls est moins ample pendant l’inspiration que pendant l’expiration ; les différences d’amplitude du pouls artériel sont aussi très grandes d’un individu à l’autre, alors même qu’on les inscrit avec le même sphygmographe. Quelle importance faut-il donc attacher à ces différences d’amplitude ?

Tout d’abord, il est très important de faire remarquer que certains appareils graphiques ne permettent pas des applications comparables. Quelque soin qu’on y mette, on n’est jamais sûr d’avoir appliqué le sphygmographe deux fois de la même façon sur l’artère, et à plus forte raison sur les artères de deux individus différents. Le sphygmographe est, comme le cardiographe, dont nous parlerons dans un instant, un appareil compliqué et très difficile à bien appliquer ; de plus, les artères radiales ne sont pas disposées chez tous les individus de la même façon ; il en est de profondes et d’autres sont plus superficielles ; elles n’ont pas le même calibre et leurs parois n’ont pas la même résistance. De tout ceci, il faut conclure qu’on ne peut pas comparer un tracé sphygmographique à un autre tracé sphygmographique, surtout si les deux tracés proviennent d’individus différents. On doit seulement comparer, dans un même tracé, telle portion à telle autre.

Ajoutons que l’amplitude du pouls radial n’est nullement un indice de la force de contraction du cœur. Il est possible qu’un graphique très petit, de quelques millimètres de hauteur, soit produit par des contractions très fortes, et qu’au contraire un graphique très ample corresponde à des contractions très faibles. Cela tient à ce que la force propulsive du cœur n’est pas seule à agir sur l’amplitude du graphique du pouls ; il faut aussi tenir compte de la pression du sang, de la quantité de sang, de l’état des artères, etc. Ainsi, lorsqu’on tient pendant quelque temps la main élevée, ce qui produit une déplétion sanguine de cet organe, le graphique du pouls est plus grand que lorsque la main est placée plus bas ; il peut y avoir pendant la position élevée de la main augmentation du double de l’amplitude, ce qui certainement ne correspond pas à une augmentation équivalente de la force propulsive du cœur.

On ne réussit pas mieux, jusqu’ici, à connaître la force des contractions du cœur chez l’homme en appliquant un appareil appelé cardiographe sur la poitrine, entre le 4° et le 5° espace intercostal, dans la région où le cœur ébranle le plus fortement la poitrine à chacune de ses contractions.

Fig. 13. — Cardiogramme normal de l’homme. a b correspond à la systole auriculaire, b c à la systole ventriculaire, d à la fermeture des valvules aortiques, e à la fermeture des valvules de l’artère pulmonaire, e f à la diastole des ventricules (Landois).

Le cardiographe est un tambour portant au centre de sa membrane de caoutchouc un bouton d’ivoire qu’on applique sur la poitrine et qui se trouve repoussé à chaque choc du cœur ; le cardiographe est relié par un tube de caoutchouc à un tambour inscripteur, selon la méthode ordinaire. Les cardiogrammes humains sont certainement des graphiques très intéressants, dont on a pu faire l’analyse en profitant de ce que les expériences de vivisection sur les animaux nous ont appris sur la physiologie du cœur. On sait que le point c du cardiogramme correspond à la systole des ventricules, que b correspond au premier bruit du cœur, et d e correspondent au deuxième bruit de fermeture des valvules aortiques et de l’artère pulmonaire et au deuxième bruit du cœur. Mais l’intensité de la contraction ne peut être donnée par l’amplitude du tracé. Le bouton du cardiographe n’est pas appliqué directement sur le muscle cardiaque ; il y a entre l’instrument explorateur et l’organe qu’il s’agit d’explorer un intermédiaire, une cloison, la paroi pleurale ; cette paroi n’est pas immobile, elle se déplace à chaque mouvement respiratoire, et par conséquent les rapports entre le cœur, la paroi et les cardiographes ne sont pas des rapports fixes. La grandeur du cardiogramme n’est qu’un à peu près, ce ne peut être une mesure de la systole.

L’accélération du cœur sous l’influence du travail intellectuel n’est pas plus expliquée jusqu’ici que l’accélération du cœur sous l’influence de la course. On sait que la vitesse du cœur peut être influencée de deux manières différentes, par une action du système nerveux et par une action mécanique, celle du sang. Le système nerveux exerce principalement son influence par les nerfs émanés du pneumogastrique et par les nerfs appartenant au grand sympathique ; les premiers produisent un ralentissement des mouvements du cœur, les autres sont des accélérateurs. On pourrait donc supposer que pendant le travail intellectuel le cœur est soumis à une influence excitatrice d’origine nerveuse. En outre, il paraît démontré par un grand nombre d’expériences (Marey) que les changements dans la pression du sang produisent secondairement des changements dans la vitesse du cœur ; le cœur bat d’autant plus fréquemment qu’il éprouve moins de peine à se vider, que la pression est plus basse ; une pression forte ralentit les battements du cœur. Il est probable que cette raison mécanique n’intervient pas ici pour accélérer le cœur, car, ainsi que nous le verrons plus loin, le travail intellectuel provoque une augmentation de pression qui a pour effet de créer un obstacle à la circulation et de ralentir par conséquent les battements du cœur. L’accélération du cœur pendant l’effort mental a donc lieu nonobstant ces raisons mécaniques, et elle a très probablement une origine nerveuse.


CHAPITRE II
INFLUENCE DU TRAVAIL INTELLECTUEL
sur la circulation capillaire[5]

Les vaisseaux sanguins forment la partie la plus considérable de nos tissus ; ces vaisseaux sont doués de parois musculaires, qui peuvent, sous l’influence des nerfs vasomoteurs qui se terminent dans ces parois, présenter des mouvements d’expansion ou de resserrement ; ces mouvements produisent des modifications importantes dans la circulation du sang, dans la quantité de sang qui circule, dans la pression du sang, dans la vitesse du courant ; il résulte aussi de ces mouvements des changements dans la coloration et dans la température des tissus ; enfin, il en résulte encore des changements dans le volume des organes ; par exemple si les artères et les artérioles de la main se resserrent, diminuent leur calibre sous l’influence des nerfs vaso-moteurs, qui déterminent une vaso-constriction — exemple qu’il est facile de réaliser en plongeant un instant la main dans l’eau froide — le cours du sang dans la main est ralenti, la pression artérielle augmente, la main devient blanche, exsangue, elle se refroidit et diminue de volume. Tous ces effets sont sous la dépendance d’une action des nerfs vaso-moteurs.

Les nerfs vaso-moteurs agissent, par voie réflexe, non seulement en réponse à des excitations extérieures comme celle du froid, mais à beaucoup d’excitations psychiques, surtout les excitations brusques et les émotions. Nous allons étudier comment ils se comportent sous l’influence du travail intellectuel.

Appareils. — Les changements de volume que notre corps présente d’une manière continue, par suite des dilatations et resserrements des vaisseaux sanguins, sont de valeur si faible qu’ils passent inaperçus à la vue aussi bien qu’au toucher ; il faut, pour les étudier, employer des appareils spéciaux, un peu compliqués, qui exigent pour la plupart les installations spéciales d’un laboratoire de physiologie. Ces appareils rendent visibles la dilatation et la constriction des membres, en faisant agir leur effet totalisé sur le niveau de l’eau contenue dans un tube d’étroit diamètre. C’est là le principe des appareils inventés par Piégu, Chelius, Fick, Mosso, François-Franck et ses élèves ; ces appareils consistent essentiellement dans des récipients pleins d’eau et en communication avec des tubes de verre ; on introduit la main, par exemple, ou le bras dans le récipient, qu’on ferme ensuite soigneusement ; et les augmentations et diminutions de volume de la main, agissant sur le liquide du récipient, et par là sur le liquide contenu dans le tube de verre, en élèvent et en abaissent le niveau. Piégu et Chelius[6] se sont contentés d’étudier de visu les oscillations de cette colonne liquide, et il est curieux qu’avec des moyens d’observation aussi grossiers ces auteurs aient pu analyser avec une grande approximation l’effet combiné qu’exercent sur le volume des membres le travail du cœur et les actes respiratoires.

Le physiologiste Fick a réalisé un grand progrès en appliquant à l’étude des changements de volume des membres, la méthode graphique, que Ludwig venait d’introduire en physiologie ; Fick plaça sur le liquide du tube un flotteur portant un stylet terminé par une plume ; celle plume frottait contre un cylindre tournant, recouvert de noir de fumée et placé verticalement, et inscrivait par conséquent sur ce cylindre la hauteur des oscillations du liquide et leur durée. Ces premiers tâtonnements de la méthode ont donné des résultats assez satisfaisants, si l’on en juge par les tracés que Fick a publiés ; nous signalerons notamment son tracé agrandi d’une pulsation[7].

Fig. 14. — Pléthysmographe de Fick composé d’un cylindre dans lequel la main et l’avant-bras du sujet sont engagés ; le cylindre, rempli d’eau, est en communication par l’ouverture O′ avec un tube en U (M) ; les oscillations du liquide dans la petite branche du tube en U sont transmises par un flotteur à un levier terminé par une plume qui écrit sur un cylindre tournant.

À partir de Fick commence la période contemporaine des recherches ; dans cette période il y a deux noms qui reviennent constamment, ceux de Mosso et de Fr.-Franck ; ces deux physiologistes ont inventé plusieurs appareils nouveaux et ils ont étudié les changements de volume des membres dans les conditions expérimentales les plus diverses. Quelques autres auteurs ont publié des travaux sur ces questions, mais leur rôle est resté secondaire.

Mosso[8], négligeant les variations brusques de volume qui se lisent sur les tracés, a voulu mesurer exactement les pertes ou augmentations de volume qui se font à la suite d’actions très lentes ;

Fig. 15. — Hydrosphygmographe de Mussa.


dans ce but, il a modifié l’ancien appareil de Piégu et de Chelius ; au lieu d’étudier les mouvements du liquide dans un tube vertical, qui ne peut pas donner les changements absolus de volume, puisque à mesure que le liquide s’élève dans le tube, la pression change dans le récipient, il a fait communiquer le manchon de verre où le bras est enfermé (A) avec un tube (a. a. D) plongeant dans une éprouvette (B) suspendue à une poulie par un contre-poids ; l’éprouvette plonge en partie dans un réservoir de liquide (c) ; elle plonge plus ou moins suivant que les changements de volume du bras font déverser de l’eau dans l’éprouvette ou laissent l’eau rentrer dans le manchon. Ces déplacements, écrits par une plume qui est fixée au contre-poids, peuvent indiquer les volumes d’eau déplacés, quand on connaît la densité du liquide dans lequel l’éprouvette plonge.


Fig 16. — Appareil volumétrique de François-Franck.
Fr.-Franck[9] s’est attaché de préférence à l’étude des variations brusques, qu’un tracé peut seul donner correctement. Son appareil (fig. 16) est une heureuse modification de celui de Fick ; il a substitué au flotteur muni d’une tige inscrivante la transmission par air et par membrane de caoutchouc. La main plonge dans un vase de verre cylindrique fermé en haut par une membrane de caoutchouc, à travers laquelle on a ménagé un orifice assez large pour l’introduction de la main ; sur cette membrane se rabat un opercule de cuivre à deux valves, qui enserre l’avant-bras. À l’intérieur de l’appareil est une traverse de bois qu’on serre avec la main et qui est destinée à donner à la main une position solide et à empêcher ses mouvements. Le vase, rempli d’eau, communique par un tube avec le tambour inscripteur (non représenté sur la figure) ; ce tube présente, tout près du vase, une dilatation en forme d’ampoule, destinée à éteindre les mouvements trop brusques d’ascension du liquide.

Pour supprimer différents inconvénients qui tiennent à la présence de l’eau dans le récipient, Fr.-Franck a eu aussi l’ingénieuse idée d’enregistrer directement au moyen d’un double levier amplificateur les changements de volume du doigt ; la pulpe du doigt reposant sur un plan résistant, on applique sur la face unguéale une tige verticale qui est en communication avec un système de leviers, et ceux-ci écrivent directement sur un cylindre, en les amplifiant, les déplacements de la tige verticale. Malheureusement cet appareil enregistre avec la plus grande facilité les déplacements involontaires de la main, qui s’inscrivent en même temps que les tracés volumétriques.

Dans ces dernières années, Hallion et Comte[10], deux élèves de Marey et de Fr.-Franck, ont imaginé des pléthysmographes nouveaux qui présentent de grands avantages et sont destinés, croyons-nous, à beaucoup étendre les applications de la pléthysmographie. Les appareils que nous venons de décrire jusqu’ici sont, pour la plupart, volumineux et difficiles à déplacer ; ce sont des immeubles. Les pléthysmographes nouveaux sont portatifs ; ils sont légers, commodes et d’une construction très simple.

Ils sont fondés sur le principe suivant : l’organe à explorer, par exemple la main, est enfermé avec une ampoule en caoutchouc dans une enveloppe commune et rigide, de telle manière que les changements de volume de l’organe et de l’ampoule se font dans l’ordre inverse ; la main, en se dilatant, comprime l’ampoule et en réduit le volume ; au contraire, quand la main se resserre, l’ampoule, par suite de son élasticité, reprend son volume. Ces changements de volume de l’ampoule peuvent être inscrits par la méthode graphique. Nous avons donné plus haut l’explication de cette inscription : un tube de caoutchouc relie l’ampoule à un tambour inscripteur : ampoule, tube et tambour forment un système clos, et, si on exerce une pression sur l’ampoule, une certaine poussée d’air est produite, se propage dans le tube, arrive au tambour à levier inscripteur dont elle soulève la plume.

La nouvelle méthode pléthysmographique de Hallion et Comte a l’avantage de s’appliquer à l’étude d’un grand nombre d’organes variés ; en changeant la forme des ampoules, on peut les adapter à des organes de forme bien différente : deux valves de caoutchouc servent à enserrer le rein, par exemple, ou une partie du poumon, et à inscrire les changements totaux qui se produisent dans la circulation de ces organes, quand on exerce des compressions sur leurs artères ou leurs veines ou quand on excite les filets nerveux qui s’y rendent (c’est là du reste le principe de l’oncographe de Roy). Nous n’avons à nous occuper ici que de l’étude des parties périphériques, la seule qui soit applicable à l’homme, et nous envisageons le cas particulier où l’on étudie les changements de volume de la main.

Fig. 17. — Pléthysmographe de caoutchouc de Hallion et Comte. Les doigts entourent un cylindre de caoutchouc et sont enveloppés d’une peau de gant. Le cylindre est en communication par un tube avec un tambour inscripteur (non représenté).


L’appareil employé (fig. 17) est un cylindre de caoutchouc ayant 9 centimètres de longueur ; les deux bases du cylindre sont fermées par des bouchons de liège ; à travers l’un des bouchons passe un tube de verre qui est relié à un tambour enregistreur ; le sujet entoure de ses doigts le cylindre de caoutchouc, en disposant sa main de manière à ce qu’une des bases du cylindre vienne s’appuyer sur la paume de sa main et que ses doigts convergent vers l’autre base, celle qui est traversée par un tube de verre. L’immobilité la plus grande de la main est recommandée au sujet ; il ne doit pas chercher à comprimer le cylindre ou à mouvoir ses doigts. La main une fois en place, on la coiffe d’une peau de gant en forme de cône, qui doit être assez étroite pour exercer une légère compression sur la main.

Le sujet laisse reposer sa main, dans une position naturelle et sans effort, sur une table placée devant lui ; lui-même est assis. On attend un moment pour que l’appareil s’échauffe ; puis on assure la transmission du cylindre de caoutchouc avec un tambour inscripteur et un cylindre tournant. Au bout de quelque temps, surtout si le sujet a les mains chaudes (en hiver on fait les expériences dans une pièce bien chauffée) et si l’heure du dernier repas n’est pas trop éloignée, on voit la plume du tambour inscrire avec beaucoup de délicatesse le pouls et les autres détails de la courbe volumétrique, détails que nous allons décrire dans un instant.

Il est probable que si l’on doit, après examen, trouver une utilité à faire de la pléthysmographie dans les écoles pour mesurer les effets du surmenage, on donnera la préférence aux pléthysmographes en caoutchouc de Hallion et Comte. Ils sont bien plus commodes que les pléthysmographes à eau ; ces derniers sont compliqués et délicats ; il faut constamment surveiller les fuites de l’eau et le refroidissement de l’eau qui baigne la main ; par suite de ce refroidissement la circulation de la main change, et, quelques minutes après le commencement de l’expérience, on n’est plus dans les mêmes conditions qu’au début, à moins qu’on n’ait pris des précautions spéciales pour conserver l’eau à une température constante. Ajoutons qu’il faut un temps assez long pour introduire la main dans l’appareil à eau et amorcer l’expérience. Aucun de ces inconvénients n’existe avec les pléthysmographes en caoutchouc ; d’abord pas de fuite d’eau à redouter, pas de refroidissement de l’eau. Ensuite, il suffit d’une demi-minute pour appliquer l’appareil ; enfin, et c’est là le point le plus important, on arrive, avec un peu d’habitude, à faire des applications comparables ; ceci revient à dire qu’en enlevant et remettant plusieurs fois de suite l’appareil, on peut avoir chaque fois le même tracé, ce qui permet de comparer le pouls capillaire d’un moment à l’autre et même après un long temps d’intervalle. Nous n’aurions pas pu connaître les effets d’une marche ou d’une course sur le pouls capillaire si nous nous étions servi des anciens pléthysmographes.

Ce qui démontre mieux que tout le reste que les pléthysmographes en caoutchouc sont devenus des appareils pratiques, c’est que nous nous en sommes servi dans les écoles : en deux matinées successives, nous avons pris le pouls capillaire de 45 élèves.

Tels sont les principaux dispositifs qui ont été employés pour enregistrer les changements de volume de la main, du bras et du pied. On a également étudié les changements de volume du cerveau chez des sujets qui, par suite d’un traumatisme ou d’une maladie, présentaient une brèche osseuse du crâne ; l’encéphale de ces sujets étant mis à découvert par cette perte de substance, on a étudié les changements de volume que l’encéphale subit sous différentes influences, comme le sommeil, les excitations des sens, la respiration et aussi le travail intellectuel. Les appareils utilisés ressemblent comme principe à ceux qui ont servi pour l’étude volumétrique de la main, sauf cette différence de détail que l’eau en a été exclue. On peut appliquer sur le cerveau ou les méninges, dans le cas de perte de substance, ou sur les cicatrices qui suivent les pertes de substance du crâne, ou encore sur les fontanelles pulsatiles des enfants, le bouton d’un tambour explorateur analogue à un cardiographe ; pour empêcher que ce tamhour inscrive les changements de position de la tête, on le solidarise en quelque sorte avec la tête en le fixant sur elle avec des courroies : le bouton du tambour est tourné vers la plaie, et appuyé sur la masse encéphalique. Toutes les fois que cette masse augmente de volume, elle fait une hernie à travers l’ouverture osseuse et détermine une poussée sur le bouton du tambour ; cette poussée, transmise par un tube de caoutchouc à un autre tambour, est inscrite sur un cylindre tournant qui enregistre ainsi une courbe fidèle des changements de volume du cerveau.

Fig. 18. — Appareil de Mosso pour recueillir les pulsations cérébrales à travers une brèche osseuse.

Un second procédé, qui a été souvent utilisé par Mosso, est encore plus simple ; Mosso recouvre la plaie d’une rondelle de gutta-percha (fig. 18), rendue bien adhérente et percée au centre d’un orifice par lequel passe un tube de verre ; ce tube de verre fait communiquer la plaie avec un tambour enregistreur, et ici encore une augmentation de volume du cerveau détermine directement une poussé de l’air dans le tube de verre, et cette poussée est inscrite par le tambour. La transmission par air permet d’inscrire graphiquement, comme nous l’avons montré précédemment, tous les changements de volume et même la forme de ces changements.

Fig. 19. — Figure schématique indiquant le dispositif employé par Mosso pour inscrire les changements du volume du cerveau chez un individu atteint d’une brèche crânienne.

Les courbes volumétriques. — Après la description des appareils, il faut indiquer quels sont les résultats que ces appareils fournissent.

Les changements de volume qui se produisent continuellement dans notre corps sont, avons-nous dit, sous l’influence de la circulation du sang.

Les changements de volume de la main, par exemple, expriment les changements dans la circulation de la main ; cette circulation spéciale est, on le sait, sujette à des variations très importantes ; suivant que la main est élevée ou abaissée, elle devient plus petite ou plus grande, par suite de la diminution ou de l’augmentation dans la quantité de sang qui est produite par le changement de position. Il y a dans le premier cas, quand la main est élevée, une constriction passive de la main ; lorsque la main est abaissée et tenue pendante, on dit qu’il y a dilatation passive. Ce sont des constrictions et dilatations mécaniques produites par le plus ou moins grand afflux de sang dans la main, et on les qualifie de passives pour les opposer à des changements de volume qui ont une tout autre cause, et qui sont produits par des actions réflexes.

Les changements par action réflexe sont sous la dépendance des nerfs dits vaso-moteurs, qui se rendent dans la tunique musculaire des artérioles. Lorsque, par suite de l’excitation de ces nerfs, la tunique musculaire se resserre, le sang est chassé des artères et l’organe s’anémie : c’est la constriction active ; lorsque la tunique musculaire se relâche, le sang augmente de quantité, et l’organe rougit : c’est la dilatation active.

La circulation périphérique est sujette à de nombreuses variations ; pendant l’heure qui suit le repas, ou après une marche, ou encore pendant le décubitus dorsal de la nuit, la circulation périphérique est active, on a le sang à la peau ; au contraire, en hiver, sous l’influence du froid, ou sous la douche, il arrive souvent que la peau pâlit par vasoconstriction réflexe. Enfin, suivant qu’on est debout, assis ou couché, la circulation capillaire se modifie.

Après ce rappel de notions physiologiques, jetons les yeux sur un cylindre enregistreur et voyons comment s’y inscrit la courbe volumétrique. Les auteurs ont publié des courbes d’aspect bien différent, et, il faut le dire, de valeur bien inégale ; un œil exercé distingue facilement les causes d’erreur qui sont marquées sur quelques tracés. La première qualité d’une courbe volumétrique doit être d’indiquer le tracé du pouls capillaire. Si la courbe est composée d’une ligne droite à peu près uniforme, et sans pouls capillaire, la raison de cette absence du pouls capillaire peut être double : ou bien le sujet qui a fourni cette courbe était en état de constriction, par suite de la froideur de ses mains ou de l’état d’émotion qu’il éprouvait, et cette constriction réflexe a supprimé son pouls ; ou bien — et cette seconde raison est plus souvent vraie que la première — le pléthysmographe qu’on a employé est défectueux, il est composé de parties nombreuses dont l’inertie s’oppose à l’inscription d’un mouvement aussi léger que celui du pouls.

On peut se demander pourquoi nous exigeons d’une courbe volumétrique qu’elle marque le pouls capillaire ; c’est parce que c’est le meilleur moyen d’éviter les causes d’erreur provenant d’un mouvement en totalité de la main ou des doigts dans l’appareil. Le moindre de ces mouvements altère la forme du pouls, et cette altération suffit à nous avertir qu’un mouvement s’est produit. En outre, dans les pléthysmographes en caoutchouc, où la transmission par air est parfaite, les mouvements artificiels de la main produisent des traits brusques. Si le pouls n’est pas inscrit par la courbe, des mouvements de la main ne peuvent pas l’altérer, et c’est une raison pour qu’on ne puisse pas les reconnaître sûrement ; ajoutons que dans le cas où on a employé un pléthysmographe à eau, les mouvements de déplacement de la main ne s’écrivent pas en traits brusques, ce sont des ondes arrondies, suivies souvent d’ondes secondaires et montrant que le liquide de l’appareil a opposé une inertie aux mouvements de la main. On peut se convaincre de la réalité de cette explication en interposant dans le tube en caoutchouc d’un pléthysmographe à air un tube de verre en U, rempli d’eau ou de mercure ; les mouvements de la main dans le pléthysmographe ne peuvent se transmettre au tambour inscripteur qu’après avoir passé par le tube en U et en avoir déplacé le liquide ; ce liquide interposé ralentit le mouvement et le déforme, et sur le cylindre on voit s’inscrire une série d’ondulations lentes, qui se succèdent en diminuant d’amplitude. Il est curieux de retrouver sur quelques tracés volumétriques publiés par les auteurs des ondes de ce genre, qui ont été attribuées à des changements de volume de la main, et qui très probablement sont dues aux oscillations qu’un mouvement brusque de la main a imprimées au liquide intérieur du pléthysmographe.

Fig. 21. — Pouls capillaire de la main pris chez un même sujet lorsque celui-ci est debout, couché et assis.

Revenons maintenant au pouls capillaire, que l’on doit trouver sur tout tracé volumétrique correct. Cette pulsation est dite capillaire parce qu’elle est produite par la poussée du sang, à chaque systole cardiaque, dans le réseau des artérioles de l’organe exploré ; et le pouls qui s’inscrit n’est pas celui d’une artériole quelconque, c’est le pouls de toutes les artérioles, c’est un pouls totalisé du membre. Nous avons figuré plus haut (voir fig. 5) le pouls des artères, notamment le pouls de l’artère radiale ; il est très analogue au pouls capillaire, mais les deux graphiques présentent cependant quelques différences ; le pouls capillaire a en général le sommet moins aigu, le dicrotisme moins accusé et placé moins bas sur la ligne de descente que dans le pouls radial.


Fig. 22. — Ce tracé indique nettement les différences entre le pouls radial et le pouls capillaire de la main. Le tracé supérieur correspond au pouls radial. On voit que le dicrotisme dans le tracé du pouls capillaire est placé moins bas que dans celui du pouls radial ; de plus, il est moins accentué dans le pouls capillaire et enfin le sommet de la pulsation n’est pas aussi pointu dans le pouls capillaire que dans le pouls radial.

La figure 22 permet d’en juger ; elle reproduit le pouls capillaire et le pouls radial pris simultanément sur la même main ; on voit que le pouls capillaire est, dans tous ses détails, plus émoussé que le pouls radial. Cette différence serait insignifiante si elle se reproduisait sur quelques tracés seulement, car on pourrait l’attribuer à une différence d’application des appareils, mais c’est une différence tout à fait constante.

Le pouls capillaire présente de bien grandes variétés de formes ; ces variétés dépendent d’une foule de causes, de l’heure de la journée, du repas, de la température, de l’état physique et moral de l’individu, et aussi de sa personnalité. Chaque personne a son pouls capillaire qui se distingue de celui des autres personnes par quelque particularité.

Fig. 23. — Série de tracés du pouls capillaire pris chez des enfants de douze à treize ans, le même jour, à la même heure, dans la même classe et avec le même appareil.


Pour donner une idée de cette variété des pouls capillaires, nous en publions ici quelques tracés pris sur des enfants (fig. 23).

Tous ces tracés ont été enregistrés avec le même appareil, mais à des heures différentes de la journée. Il y a, comme on le voit, des différences d’amplitude et aussi des différences de formes. Chez les enfants, la pulsation se termine souvent en plateau, au lieu de se terminer en pointe.


Fig. 24. — Cette figure est donnée pour montrer que les ondulations de la courbe du pouls correspondent aux respirations.

Beaucoup de tracés volumétriques présentent comme seul détail la pulsation capillaire. On trouve en outre, sur d’autres tracés (fig. 24), une onde un peu plus longue que celle du pouls ; c’est un soulèvement arrondi du tracé, sur lequel le pouls continue à se marquer ; ces ondes correspondent comme durée aux actes respiratoires ; à chaque inspiration la ligne générale du tracé s’élève un peu, et elle redescend pendant l’expiration. On donne à ce phénomène le nom d’oscillation respiratoire. Parfois l’oscillation est double, c’est-à-dire il y a deux oscillations pendant une respiration.

Enfin, on lit sur quelques tracés une ondulation de longueur plus grande, correspondant à trois ou quatre respirations ; c’est ce que Mosso a appelé les ondulations vaso-motrices. Il y a souvent des changements, dans le rythme du cœur, qui sont liés à ces divers ordres d’ondulations.

Tels sont les caractères normaux d’un tracé pléthysmographique, ceux qui se présentent pendant l’état de repos et en dehors de toute excitation spéciale.

Influence du travail intellectuel sur la quantité de sang dans le cerveau. — À l’étude de la circulation du sang dans le cerveau pendant le travail intellectuel se rattache le nom de Mosso, le célèbre physiologiste de Turin, qui le premier a vu clair dans cette question compliquée ; avec une grande sûreté et une belle richesse de méthode (pléthysmographes de divers ordres, balances, etc.), Mosso a étudié les changements de volume du cerveau chez les individus qui présentaient par accident des pertes considérables des os crâniens. Il a constaté que, pendant l’activité intellectuelle dépensée à faire un calcul mental, ou sous l’influence des émotions, le volume du cerveau augmente.

C’est une observation qui a été reproduite et confirmée depuis par beaucoup d’auteurs, et il n’y a pas lieu de douter de son exactitude. On avait objecté autrefois que ce changement de volume du cerveau pendant le travail intellectuel est peut-être dû à des changements de la respiration, qui se produisent pendant la fixation de l’attention ; mais il est avéré qu’alors même que la respiration ne se modifie pas, pendant un calcul mental, le cerveau n’en augmente pas moins de volume.

Le tracé suivant est un des plus beaux que Mosso ait publiés. L’expérience a été faite sur un paysan atteint de perte de substance du crâne ; on a enregistré simultanément le pouls cérébral et le pouls capillaire de l’avant-bras. Pour provoquer l’effort intellectuel, on a fait faire à ce paysan un calcul mental, en α ; peu après, la ligne générale du tracé cérébral s’est élevée et les pulsations ont eu plus d’amplitude ; il n’y a pas eu de variation importante dans la circulation de l’avant-bras, ce qui permet de conclure que le changement du tracé cérébral n’est pas dû à un changement dans l’impulsion cardiaque, car dans ce cas, il aurait retenti sur la circulation du bras.

Fig. 25. — Le tracé supérieur correspond au pouls cérébral ; le tracé inférieur au pouls capillaire de l'avant-bras. De α à ω le sujet a fait un calcul mental (8 X 12)• On remarque que la courbe du pouls cérébral s'élève pendant le calcul mental, et les pulsations augmentent d'amplitude, surtout au début du calcul. Dans le tracé du pouls de l'avant-bras, il n'y a presque pas de changement (Mosso).

Gley, par de nombreuses expériences faites sur lui-même, en enregistrant le pouls carotidien pendant la lecture, a confirmé et précisé cette observation[11] ; il a montré que l’augmentation de l’afflux de sang dans le cerveau ne tient pas à une suractivité du cœur, mais bien à une influence vaso-motrice, à une vaso-dilatation active des carotides. C’est du moins de cette manière qu’il interprète les très beaux tracés de pouls carotidien qu’il a enregistrés.


Fig. 26. — Graphiques du pouls carotidien pris par Gley sur lui-même. R indique les pulsations pendant le repos et T pendant le travail intellectuel.


Nous donnons une reproduction de ses tracés et un résumé de son interprétation (fig. 26). Les tracés montrent que pendant le travail intellectuel la pulsation carotidienne augmente d’amplitude et que ses dicrotismes deviennent plus accusés. L’auteur interprète ces changements de forme comme un signe de vaso-dilatation active de la carotide, parce que : 1° une augmentation d’amplitude correspond à une augmentation de dilatation artérielle ; 2° il y a une diminution de pression artérielle, puisque le pouls est devenu plus fréquent ; or, la diminution de pression a pour effet d’augmenter l’amplitude du pouls[12] ; 3° une diminution de tension artérielle peut expliquer l’accentuation du dicrotisme.

Des recherches ultérieures de Mosso lui-même[13], de Morselli et Bordoni-Uffreduzzi[14] de Fr. Franck[15], de Sarlo, de Binet et Sollier[16] et, enfin, les recherches toutes récentes de Patrizi[17] sur la circulation cérébrale, semblent avoir mis hors de doute ce premier fait, d’une importance capitale, que le cerveau augmente de volume pendant son état d’activité. C’est une notion qui ne sera plus ébranlée.

Un second fait a été bien étudié par Mosso et revu, sous des formes diverses, par ses successeurs : c’est que les perceptions inconscientes peuvent, comme les perceptions conscientes, provoquer un afflux de sang au cerveau. Mosso inscrivait le pouls cérébral d’un sujet endormi et constatait que toutes les fois qu’un bruit inopiné, bruit de parole, de porte, etc., se faisait entendre dans le laboratoire silencieux, le pouls s’élevait en dilatation sur le tracé, bien que le sujet ne se fût pas réveillé. Tamburini et Seppili[18] ont fait des observations analogues sur le pouls de l’avant-bras chez une femme hystérique qu’ils avaient endormie en léthargie, et qui semblait être séparée complètement du monde extérieur ; une piqûre d’épingle, l’articulation du nom de la malade, impressionnaient son pouls. Enfin, Hallion et Comte, tout dernièrement[19], ont répété, confirmé et étendu cette expérience, qu’ils ignoraient d’ailleurs, sur des hystériques de la Salpêtrière, mises en état de léthargie, et sur des hystériques anesthésiques totales ; la piqûre non vue et non sentie provoque une vaso-constriction, et une parole qui ne parait pas entendue amène le même effet.

Il ne résulte pas rigoureusement de ces expériences, cela va sans dire, que les impressions produites sur les hystériques ont été inconscientes au moment de leur production ; peut-être dans certains cas y a-t-il eu conscience fugitive, suivie d’oubli. Mais ce qu’on doit considérer comme prouvé, c’est que chez certains individus l’activité cérébrale peut continuer son office sans que leur conscience actuelle en donne le témoignage. Le témoignage de la conscience est moins sûr dans ce cas que celui du tracé.

Nous trouvons encore, dans cet ensemble de recherches, à citer un troisième fait bien intéressant pour la psychologie, c’est que le changement de volume du cerveau qui a lieu par excitation psychique ou travail intellectuel est lent à se produire ; le temps nécessaire à sa production dépasse de beaucoup le temps physiologique de perception. Aussi a-t-on été forcé d’admettre — et Morselli (cité plus haut) a insisté un des premiers sur ce point important — que l’hyperémie du cerveau n’est pas une cause, une condition de l’activité psychique, elle en est bien plutôt un effet, puisqu’elle suit la mise en jeu de cette activité.

Mosso partage vraisemblablement cette opinion. Dans son ouvrage populaire sur la Fatigue (p. 112 de la traduction française), Mosso admet que les phénomènes circulatoires n’ont pas, dans le travail intellectuel, l’importance qu’on leur a attribuée : « La cellule nerveuse, dit-il, a assez de matériaux de réserve pour subvenir aux actes de conscience sans avoir besoin d’une modification correspondante dans l’afflux du sang. On a vu, chez les personnes qui ont une lacune dans l’étendue des parois osseuses du crâne, le phénomène de l’attention commencer avant qu’il y eût le moindre changement dans la circulation cérébrale. »

C’est à cette conclusion que nous arrivons nous-mêmes d’une manière indépendante, en étudiant l’effet de la surprise sur le pouls de l’avant-bras ; ce n’est que deux secondes après qu’on a ressenti le choc de surprise que le pouls de l’avant-bras se modifie ; et, par conséquent, on ne saurait considérer avec Lange et James l’état de surprise comme ayant pour base la perception d’une modification vasomotrice. Enfin tout récemment Patrizi[20] a fait des expériences sur la circulation cérébrale pendant les temps de réaction, et les conclusions qu’il en tire sont une confirmation des précédentes. On sait que le tracé de la circulation cérébrale présente souvent de grandes ondulations, dites vaso-motrices, qui indiquent que la quantité de sang varie régulièrement d’un moment à l’autre dans l’organe. Patrizi inscrivait chez un jeune garçon atteint d’une brèche crânienne ces modifications de la circulation cérébrale, et en même temps il faisait faire à son sujet des temps de réaction. Lui-même donnait les signaux tout en surveillant la courbe circulatoire qui se traçait devant ses yeux sur un cylindre. Il avait soin de donner les signaux de réaction tantôt quand la courbe atteignait son maximum de hauteur, et tantôt quand la courbe descendait au minimum ; il pouvait ainsi avoir des temps de réaction exécutés pendant des états extrêmes d’anémie et d’hyperémie. Il a calculé la moyenne de durée pour ces deux genres de réaction et n’a pas trouvé de grande différence. Ainsi, 128 réactions ont été faites en concordance avec le volume cérébral maximum ; le temps moyen a été de 332 millièmes de seconde ; 116 réactions ont coïncidé avec le volume cérébral minimum ; le temps moyen a été de 345 millièmes de seconde. Une différence de 13 millièmes de seconde n’a aucune importance et ne signifie rien. Ces recherches démontrent donc encore une fois que dans les limites des conditions normales les changements de quantité de sang en circulation dans le cerveau ont moins d’influence qu’on ne l’avait supposé sur les phénomènes psychiques.

Telles sont à peu près, si nous ne nous trompons, les notions acquises aujourd’hui sur les changements de volume du cerveau pendant l’activité intellectuelle ; nous laissons de côté, bien entendu, beaucoup de recherches connexes, et notamment tout ce qui concerne l’échauffement de la masse cérébrale pendant le travail psychique, parce que l’étude de la température n’est pas notre sujet dans ce chapitre. Il reste à dire quelles sont les questions qui sont encore discutées. La principale est celle du mécanisme par lequel se fait l’afflux du sang au cerveau. Mosso, dans ses premières recherches, avait constaté une constriction de l’avant-bras correspondant à la dilatation cérébrale pendant que son sujet exécutait un calcul mental, et il en avait conclu l’existence d’un antagonisme entre le cerveau et le reste du corps. Ses expériences avec la balance, quoique moins probantes, parlaient dans le même sens. Puis d’autres auteurs ont discuté et expérimenté pour savoir si le cerveau est hyperémié par une dilatation active de ses vaisseaux, ou s’il se congestionne passivement par suite d’un afflux de sang chassé vers la tête par les autres organes du corps[21]. Aucune preuve péremptoire n’est venue trancher le débat. Mais ce qui paraît assez bien établi, c’est qu’on ne peut plus croire à un antagonisme entre la circulation du cerveau et celle des membres. Une foule d’épreuves sont en contradiction avec cette conception simpliste. Mosso lui-même l’abandonne aujourd’hui.

Dans son ouvrage récent sur la Température du cerveau[22], il a repris l’étude volumétrique du cerveau sur un individu dont les méninges étaient mises à nu par une plaie de l’occipital.

Il a fait sur ce sujet un grand nombre d’expériences de calcul mental, accompagnées de très beaux tracés (voir le chapitre xii) ; il prenait à la fois le volume du cerveau, celui de l’avant-bras et celui du pied. L’ensemble des tracés montre avec évidence que ces trois courbes sont, dans une large mesure, indépendantes les unes des autres.

D’une part, il peut arriver, en dehors du travail intellectuel et de toute cause connue, qu’il se produise une constriction des artérioles de la jambe, sans dilatation correspondante du cerveau ; d’autre part, quand, pendant le travail intellectuel, il y a une dilatation du cerveau et une constriction de l’avant-bras et du pied, l’augmentation de volume du cerveau atteint son maximum bien avant que le pied et l’avant-bras aient atteint leur minimum de volume ; en outre, l’augmentation du cerveau est tout à fait insignifiante par rapport à la constriction des autres parties du corps. Ces trois raisons sont les principales qui font admettre à Mosso que les théories des précédents auteurs, sur les relations de la circulation cérébrale et de la circulation des membres sont fausses. D’après l’une de ces théories, le cerveau qui travaille se dilaterait activement, attirerait le sang dans ses vaisseaux et produirait indirectement l’anémie du reste du corps ; interprétation inexacte, puisque la perte de volume de la main et du pied est beaucoup trop considérable pour être un effet indirect de la congestion du cerveau. D’après l’autre théorie, le cerveau serait dilaté passivement par le refoulement du sang qui est chassé de la périphérie par des vaso-constritions. Cette seconde théorie est peut-être moins fortement ébranlée par les expériences ; elle, est cependant peu vraisemblable, puisque des vaso-constrictions très accentuées des membres peuvent se produire sans déterminer un changement de volume du cerveau. Bref, Mosso conclut à l’indépendance des organes ; le cerveau posséderait un système vaso-moteur autonome qui aurait pour but de régler la circulation cérébrale dans la mesure où cela est nécessaire pour l’état fonctionnel de cet organe.

Enfin, dans un tout récent travail où il a examiné l’effet de la musique sur la circulation cérébrale d’un enfant ayant une brèche crânienne, Patrizi est arrivé à des conclusions sensiblement équivalentes sur l’indépendance de la circulation cérébrale. Pendant l’audition de la musique, il se produit constamment chez son sujet une dilatation du cerveau ; mais les changements de volume des membres sont extrêmement variables ; tantôt il y a dilatation du bras, tantôt constriction, tantôt il ne se produit aucun changement appréciable. Ces expériences pas plus que les précédentes ne peuvent être considérées comme définitives ; la matière est trop délicate et le nombre des sujets est trop restreint. Mais il nous semble que la théorie de l’antagonisme entre la circulation du cerveau et celle des membres perd beaucoup de chances d’être vraie.

Nous n’avons pas parlé, dans tout ce qui précède, des expériences sur les animaux. Il faut cependant rappeler que beaucoup de physiologistes, et notamment Wertheimer, ont réalisé des expériences dans lesquelles une constriction du territoire abdominal a provoqué une dilatation du cerveau (Arch. de Physiologie, 1893, 2, p. 297).

En résumé, voici les points qui paraissent acquis :

1° Augmentation de volume du cerveau pendant le travail intellectuel :

2° Cette augmentation de volume n’a pas lieu avant, mais quelque temps après le début du travail cérébral ; elle n’est pas une cause, mais un effet :

3° On ignore le mécanisme par lequel se fait l’augmentation de circulation dans le cerveau pendant le travail intellectuel.

Les recherches sur la circulation cérébrale ne peuvent offrir qu’une utilité indirecte à la pédagogie, puisqu’elles ne peuvent être faites que sur des sujets exceptionnels. Il faut cependant espérer que les résultats obtenus par ces recherches pourront, en nous faisant connaître ce qui se produit dans le cerveau pendant un effort mental, nous faire mieux comprendre les effets observables sur d’autres parties du corps.

Influence du travail intellectuel sur la circulation du sang dans la main. — Les auteurs qui ont contribué à l’étude de cette question sont nombreux ; il suffira de citer les noms de Mosso, Gley, Mac Dougall et les recherches de l’un de nous (Binet) en collaboration avec Courtier. Nous allons exposer les principaux effets qu’on observe, en envisageant deux formes principales de travail intellectuel, le travail court et intense, et le travail prolongé et modéré.

Travail intellectuel court et intense. — Le type de ce travail est, nous l’avons dit, une multiplication mentale. Ce n’est que deux à trois secondes après le début du travail intellectuel que ses effets se manifestent ; les expériences sur la circulation capillaire de la main pendant l’effort intellectuel confirment les observations de Mosso et de Morselli, que nous avons signalées plus haut ; le travail intellectuel n’est pas un effet de ce changement circulatoire, il en est la cause.

Dans la description qui va suivre, nous ferons une synthèse de tous les symptômes qui peuvent se produire ; ils ne se produisent généralement pas tous au même degré, chez un seul individu ; il y a de très grandes variations individuelles. Telle personne est remarquable par ses vasoconstrictions ; telle autre, par les modifications de son rythme respiratoire.

1° Le premier effet est une élévation du tracé capillaire ; cette élévation, signalée par Lehmann, est de nature inconnue ; elle manque chez beaucoup de sujets ; elle est, au contraire, très accentuée chez d’autres. Nous donnons un exemple pris chez Mme  Bil…, à qui on a fait répéter des séries de 8 chiffres prononcés devant elle (fig. 27) ; l’audition des chiffres à retenir exige un vigoureux effort intellectuel. Cette expérience a été faite vingt fois de suite, en laissant écouler entre chaque répétition un petit intervalle de repos. Nous constatons que l’élévation du tracé n’a manqué que trois fois sur les vingt expériences. Dans la figure, on voit que, pendant l’audition des chiffres, il y a eu une élévation du tracé ; puis un commencement de vasoconstriction se dessine.

Fig. 27. — Ascension du tracé capillaire au début du travail intellectuel. Expérience sur Mme  B… Le travail intellectuel consiste dans l’audition et la répétition de chiffres.

2° Le second effet de la concentration de l’attention est une vaso-constriction réflexe (fig. 28) ; elle manque, et même totalement, chez certains sujets, mais elle existe chez la plupart, elle apparaît quelques secondes après la concentration d’esprit et dure un temps variable ; elle peut persister pendant toute la durée du travail intellectuel, ou cesser quelques secondes après le début du travail intellectuel.

Fig. 28. — Vaso-constriction réflexe pendant un calcul mental, chez M. P… Le calcul mental a lieu entre les deux verticales. Le tracé capillaire présente une brusque descente au commencement de l’effort mental, qui consistait à multiplier 28 par 79. Le tracé radial, placé on dessous, épouse les oscillations du tracé capillaire, en les atténuant. La respiration est accélérée.

Nous avons dit plus haut ce que c’est qu’une vaso-constriction réflexe : c’est un état de contraction des fibres musculaires qui existent dans les parois des artérioles ; sous l’influence d’une excitation provenant des centres nerveux, ces fibres musculaires se contractent, et leur contraction a pour effet de diminuer l’ouverture, la lumière des artérioles dans lesquelles le sang circule. Il en résulte que le sang contenu dans les artérioles en est chassé vers les capillaires et les veines, et que le sang nouveau apporté par les grandes artères trouve devant lui un obstacle formé par le resserrement des artérioles : par conséquent la quantité de sang en circulation dans l’organe où la vaso-constriction se produit, diminue, l’organe s’anémie, il devient plus pâle, plus froid, plus petit.

La vaso-constriction réflexe de la main se manifeste sur les tracés par trois caractères principaux : il y a une descente du tracé, qui résulte de ce que le membre a diminué de volume, et il y a aussi un changement dans la grandeur et la forme du pouls capillaire.

Le changement dans la grandeur du pouls capillaire est un phénomène qui est en général très apparent, même sur de mauvais tracés. On peut dire d’une manière générale que le graphique du pouls se rapetisse pendant la vaso-constriction ; il peut diminuer à peine de grandeur, ou bien sa diminution peut être très appréciable, du tiers ou de moitié. Chez quelques personnes, le pouls pendant l’effort intellectuel diminue au point de disparaître complètement ; il est alors remplacé par une ligne droite à peine ondulée.

Nous donnons les tracés que nous avons obtenus chez six adultes et chez deux élèves de douze ans. Le rapetissement du pouls est très net (fig. 29, 30 et 31).

Fig. 29. — Vaso-constrictions réflexes produites par le calcul mental chez des adultes différents. Les croix blanches de gauche indiquent les moments auxquels les sujets ont commencé à faire un calcul mental. La deuxième croix correspond à la fin du calcul. On voit qu’il y a des différences individuelles très fortes et pour la forme du pouls capillaire et pour les modifications produites par le calcul mental.
Fig. 30 et 31. — Pouls capillaire de la main pris chez deux enfants de douze ans. On voit que pendant le travail intellectuel il se produit un ralentissement du pouls.

Quant à la forme du pouls, elle varie aussi pendant la vaso-constriction ; on peut surtout bien étudier ces variations sur les beaux graphiques, où le pouls capillaire présente une forme bien accusée. La vaso-constriction a parfois une tendance à accentuer les caractères de la pulsation ; la pointe devient plus aiguë et le dicrotisme prend une forme plus arrondie ; en outre, le dicrotisme est placé plus bas sur la ligne de descente. Ces changements de forme se reconnaissent si on compare la pulsation pendant le travail intellectuel à ce qu’elle était quelques secondes avant le début de ce travail. Mais ces changements de forme sont assez rares, et on perdrait son temps à les chercher sur le premier tracé venu.

On constate le plus fréquemment que, pendant le travail intellectuel, il se produit un effet inverse du précédent, un amollissement de la pulsation ; toutes les aspérités du graphique ont une tendance à s’émousser, et le dicrotisme prend une forme moins rebondie, plus oblique (fig. 32).

Fig. 32. — Figure schématique d’une pulsation montrant le changement dans la forme du pouls qui se produit pendant le travail intellectuel. Le tracé de droite correspond à la pulsation normale, le tracé de gauche indique la forme du pouls pendant le travail intellectuel. On voit comment le dicrotisme peut être amolli pendant le travail intellectuel.

Nous en donnons dans la figure 33 un bon exemple ; il s’agissait d’un calcul mental d’une difficulté modérée : 32 X 87.

Fig. 33. — Amollissement du dicrotisme pendant une expérience sur le travail intellectuel. M. C… Multiplication mentale de deux chiffres par deux chiffres. Le dicrotisme de la pulsation commence à s’atténuer 10 secondes environ après le commencement de l’effort intellectuel.

Antérieurement à l’expérience, le pouls était fort, avec dicrotisme rebondi et vitesse de quatre-vingts pulsations par minute. Quand le travail intellectuel commence, le pouls ne change pas de vitesse ; mais au bout de huit secondes, le dicrotisme à forme rebondie s’atténue et est remplacé par une ligne horizontale ; la transition se fait de la manière la plus graduelle, elle est complète à la trentième seconde ; à ce moment le pouls est devenu un peu plus rapide et il est de 84 pulsations par minute. Le travail intellectuel se termine au bout d’une minute, et la solution indiquée est juste. Aussitôt après, le cœur se ralentit, les pulsations ne sont plus que de 74 par minute ; ce ralentissement dure environ une minute, puis le cœur revient à son activité primitive de 80 pulsations par minute. Quant à la forme primitive de la pulsation, elle n’est reprise que trois minutes après la fin du travail intellectuel.

En résumé, un travail intellectuel court et intense produit successivement dans la circulation capillaire de la main : 1° une courte élévation du tracé ; 2° une vaso-constriction réflexe, qui s’exprime par une diminution de volume de la main et un rapetissement du pouls avec parfois accentuation de sa forme, et plus souvent un amollissement de la pulsation.

Pour comprendre la signification de ces effets physiologiques, il faut les comparer à ceux qui se produisent dans d’autres circonstances.

La vaso-constriction réflexe qui signale le début du travail intellectuel n’a rien de caractéristique, elle s’observe dans une foule de conditions ; on la provoque, par exemple, chez presque tous les sujets par une excitation brusque ; un son, une surprise, une émotion vive déterminent, comme un effort intellectuel, la descente du tracé (fig. 34). Quant à l’amollissement de la pulsation, qui se produit quelque temps après, et surtout quand l’effort mental a été intense, on l’observe encore dans les efforts musculaires énergiques, par exemple lorsque le sujet serre fortement un dynamomètre ; ce n’est pas un effet constant, mais on le remarque assez souvent ; au bout de quelques secondes d’effort physique, le dicrotisme de la pulsation s’aplatit et devient oblique (Fig. 35). Nous pensons que cet amollissement de la pulsation provient d’une augmentation de la pression sanguine. C’est un point sur lequel nous reviendrons bientôt.

Travail intellectuel intense, prolongé pendant plusieurs heures. — Les seules observations qui aient été faites sont celles de Binet et Courtier. Nous les résumons :

Il est assez difficile d’apprécier l’influence de ce travail intellectuel sur la circulation capillaire, parce que la circulation capillaire varie d’une heure à l’autre. Il faut donc commencer par étudier ces variations sur un sujet, et chercher si elles sont régulières ; puis on étudie chez ce même sujet si le travail intellectuel apporte quelques modifications dans la série.

Les effets du travail intense et prolongé ont été étudiés sur deux personnes, MM. C… et H… Chacun deux a passé une après-midi au laboratoire, depuis une heure de l’après-midi jusqu’à 8 heures, en consacrant tout son temps soit à une lecture très difficile, soit à la rédaction d’un travail original. Leur seul repos consistait à venir, d’heure en heure, aux appareils graphiques, où ils prenaient rapidement leur pouls capillaire. M. C. a répété deux fois cette épreuve. Pendant les jours précédents et les jours suivants, MM. C… et H… ont passé l’après-midi au laboratoire dans un désœuvrement complet, et ont pris également leur pouls capillaire d’heure en heure ; pour rendre toutes les conditions comparables, ils ont, chaque fois, à midi, déjeuné de la même quantité d’aliments solides et liquides.

Le travail intellectuel, prolongé pendant plusieurs heures, produit chez MM. C… et H… une diminution d’amplitude du pouls, avec une atténuation du dicrotisme et un déplacement du dicrotisme vers le sommet de la pulsation ; l’effet est de même ordre chez tous deux, mais plus accentué chez M. H… que chez M. C…

Chez M. H…, le pouls capillaire a été pris toutes les heures, depuis 2 heures et demie de l’après-midi jusqu’à 6 heures et demie ; à chaque épreuve, on l’a pris trois fois de suite, pendant deux minutes, en faisant les trois fois une application différente des appareils sur la main.

Voici les notes rédigées par le sujet lui-même, sur les deux jours d’épreuves qui eurent lieu le dimanche 10 mai et le mercredi 13 mai :

Dimanche, 10 mai 1896 :

Repas terminé à midi et demi. Une côtelette ; quatre œufs ; pain (pour 2 sous) ; 1/2 litre de lait ; un café ; une orange.

Travail intellectuel sérieux (Marey, Méthode graphique, p. 13 à 63).

Lorsqu’on traçait le pouls la deuxième fois (3 heures un quart), les mains étaient déjà anémiques, d’une couleur verdâtre, et n’avaient pas beaucoup de chaleur.

À 4 heures et demie à peu près, je commençais à avoir faim ; fatigue dans les bras.

Les yeux un peu fatigués à force de lire, mais la fatigue intellectuelle n’était pas bien marquée.

Pendant que le pouls se traçait sur le cylindre, je ne pouvais pas m’empêcher de penser aux conditions de l’expérience que nous faisions, à sa signification, sa valeur, etc.

Journée du 13 mai 1896 :

Le même repas que dimanche, 10 : une côtelette ; quatre œufs ; pour 2 sous de pain ; 1/2 litre de lait ; un café ; une orange.

Conditions physiques, intellectuelles et morales, à peu près les mêmes que la dernière fois.

Travail intellectuel continu étant défendu, nous cherchions à nous distraire le mieux possible (en causant, lisant des journaux humoristiques, en écoutant M. C..., qui jouait un peu du violon, etc., etc.).

J’ai remarqué qu’il y avait, jusqu’à la fin de l’expérience, dans mes mains beaucoup plus de sang qu’après le travail intellectuel, et qu’elles étaient par conséquent d’une couleur plus fraîche, plus rose et d’une température plus élevée.

Quant à la fatigue physique, qui était très marquée après le travail intellectuel, il n’y en avait pas aujourd’hui ; mais j’admets que cela tient, pour la plus grande partie, à la liberté de se mouvoir, qui était accordée aujourd’hui à tout le corps (les mains, les jambes, la tête, les yeux, la bouche, etc.) ; tandis que, pendant le travail continu, le corps et les membres étaient tout le temps dans à peu près la même position.

Vers la fin, une certaine fatigue psychique à cause de l’ennui.

La sensation de faim, qui apparaissait la dernière fois vers 4 heures et demie, se montrait aujourd’hui beaucoup plus tard et était presque imperceptible.

Fig. 36. — Expériences de travail intellectuel prolongé, sur M. H… Les tracés de gauche correspondent à une après-midi de repos ; ceux de droite, à une après-midi de travail intellectuel prolongé ; les tracés des deux journées ont été pris à quelques minutes près aux mêmes heures.

Voyons maintenant la forme du pouls (fig. 36) ; à 2 heures et demie (deux heures après le repas), le pouls est d’amplitude moyenne, dicrotisme à mi-chemin de la descente et bien accentué ; c’est le même pouls pour les deux jours. À 3 heures et demie, changement notable, le pouls du travail intellectuel est devenu beaucoup plus petit, presque filiforme ; le dicrotisme est tout à fait en haut ; grande différence avec le pouls du repos ; à 4 heures et demie, pouls filiforme, dicrotisme à peine distinct ; à 6 heures et à 7 heures, le pouls ne s’indique pour ainsi dire plus ; la comparaison de ces deux derniers tracés avec ceux du repos pris aux mêmes heures montre l’influence d’un travail prolongé. En ce qui concerne la vitesse du cœur, le tableau suivant résume les résultats.

On voit que le travail intellectuel a accentué le ralentissement normal du pouls, comme il a accentué le rapetissement de la pulsation ; l’accentuation a surtout été forte dans la première moitié de l’après-midi. Il faut tenir compte aussi de l’immobilité du corps, qui a été plus grande pendant le travail intellectuel que dans l’après-midi d’oisiveté.

Expériences sur le travail intellectuel prolongé (M. H.).
Nombre de pulsations par minute.

TRAVAIL INTELLECTUEL SANS TRAVAIL INTELLECTUEL
2 h. 1/2 83 pulsations. 2 h. 25 83 pulsations.
3 h. 3/4 67 3 h. 25 75
5 h. 64 4 h. 30 71
6 h. 66 5 h. 1/2 74
7 h. 63 6 h. 1/2 71

Chez M. C…, on relève exactement les mêmes effets, avec cette seule différence que le pouls ne disparaît pas entièrement à la fin de la journée de travail intellectuel, comme chez M. H… ; le dicrotisme s’atténue et remonte beaucoup plus vite que dans une journée d’oisiveté. Quant au ralentissement du pouls, il suit l’ordre suivant :

Expériences sur le travail intellectuel prolongé (M. C.)
Nombre de pulsations par minute.


TRAVAIL INTELLECTUEL SANS TRAVAIL INTELLECTUEL
2 h. 1/4 106 pulsations. 2 h. 20 96 pulsations.
3 h. 1/2 90 3 h. 1/5 88
4 h. 50 77 4 h. 20 80
6 h. 72 5 h. 1/2 79
7 h. 71 6 h. 40 82

Ces chiffres sont, tout à fait analogues à ceux que nous trouvons chez M. H…

Il est assez délicat d’interpréter ces différents résultats ; d’autant plus qu’une cause d’erreur s’est produite : l’immobilité du corps est venue s’ajouter à l’effet du travail intellectuel. Nous croyons cependant que c’est le travail intellectuel qui a eu une action prépondérante sur les tracés. Il a produit un ralentissement du cœur et une atténuation de la circulation capillaire périphérique.

En résumé, si nous faisons la synthèse de tous les effets produits par le travail intellectuel sur le cœur, la respiration et la circulation capillaire, nous trouvons que :

1° Un effort intellectuel énergique et court produit une excitation des fonctions, vaso-constriction, accélération du cœur et de la respiration, suivies par un ralentissement très léger de ces fonctions ; chez certains sujets, émoussement du dicrotisme.

2° Un travail intellectuel d’une durée de plusieurs heures avec immobilité relative du corps produit le ralentissement du cœur et une diminution de la circulation capillaire périphérique.

Ce contraste entre les effets d’un travail intellectuel court et ceux d’un travail intellectuel prolongé, nous le retrouverons à propos de l’exercice musculaire.

Conclusion pratique. — Les observations sur la circulation capillaire sont encore trop peu nombreuses pour qu’on sache le parti que la pédagogie pourrait en tirer. Ce que l’on connaît le mieux, ce sont les effets d’un effort intellectuel momentané, et ces effets sont ceux qui présentent le moins d’intérêt pour l’hygiène de l’esprit. Il faudrait surtout avoir une connaissance approfondie des effets produits par un travail de plusieurs jours ou de plusieurs semaines. On peut prévoir qu’on rencontrera dans ces recherches des difficultés tenant surtout aux changements de température ; un tracé pris l’hiver n’est guère comparable à un tracé de printemps ou d’été.


CHAPITRE III
INFLUENCE DU TRAVAIL INTELLECTUEL
sur la pression du sang[23]

Pour mesurer la pression du sang chez les animaux, on se sert d’un tube manométrique en U, rempli de mercure (fig. 37) ; la petite branche du manomètre, après s’être coudée à angle droit, se termine par un ajutage qu’on introduit dans l’artère où l’on veut mesurer la pression du sang. Dans la coudée à branche ouverte du manomètre, on place un flotteur qui inscrit les mouvements de la colonne liquide. Cette colonne liquide est refoulée par le sang à une certaine hauteur. La différence de niveau du mercure dans la grande et la petite branche du manomètre donne la mesure de la pression sanguine dans l’artère explorée.

Dans les grosses artères des mammifères la pression est de 140 à 160 millimètres de mercure.

La mesure de la pression du sang chez l’homme ne pouvant pas se faire au moyen d’une opération sanglante[24], on a pris un détour ; on mesure la pression par l’extérieur, en appliquant le manomètre ou des instruments analogues sur et non dans l’artère. Les différents procédés qui ont été imaginés consistent tous :
Fig. 37. — Inscription de la pression sanguine chez un animal, a a est une artère dans laquelle est introduite une canule ; cette canule communique avec un manomètre M, le sang refoule le mercure du manomètre jusqu’en c, le mercure monte jusqu’en s. La pression du sang est donc égale au poids d’une colonne de mercure égale à s c. (Landois.)
1° à employer une force qui supprime la pulsation du sang ; ou qui décolore les tissus, qui en un mot arrête la circulation du sang dans un organe facilement accessible, par exemple la main ou les doigts, et 2° à mesurer quelle est la pression minima nécessaire à cette suppression. Le dispositif employé a varié avec les auteurs, et aussi suivant qu’on veut mesurer la pression dans les artères ou dans les capillaires.

Un procédé qui paraît très simple pour mesurer la pression sanguine d’une artère consiste à charger de poids le ressort d’un sphygmographe quand il est en place sur l’artère ; on augmente progressivement la charge du ressort jusqu’à ce que la plume du sphygmographe cesse de se soulever ; le poids minimum nécessaire à cet effet mesure la pression du sang. Landois[25] rapporte que ce poids pour de jeunes étudiants en bonne santé est de 550 grammes en moyenne. On doit faire quelques réserves sur l’exactitude de ce procédé ; des conditions indépendantes de la pression, comme le calibre de l’artère, sa position superficielle ou profonde, l’état d’élasticité de ses parois font varier la valeur de la contre-pression nécessaire pour supprimer le pouls artériel. Ajoutons que le sphygmographe est un appareil très délicat, et on n’est jamais sûr de l’appliquer d’une façon identique chez deux sujets différents. C’est ce que prouvent bien les graphiques qu’on obtient. Aussi, nous pensons qu’employer le sphygmographe, appareil déjà difficile à manier, pour la mesure de la pression, opération qui est très délicate, c’est entasser difficulté sur difficulté.

Un autre procédé auquel se rattachent les noms de Marey, V. Basch, Potain et Bloch, consiste à exercer une compression sur l’artère radiale jusqu’à ce qu’on cesse de sentir les battements de l’artère ; on mesure alors cette compression, et on la considère comme égale à la pression sanguine, à laquelle elle fait équilibre. V. Basch a employé le dispositif suivant : il comprime l’artère avec une pelote remplie de liquide et en relation avec un manomètre à mercure. Tout en pressant avec cette pelote sur l’artère radiale, il interroge le pouls en aval, et il augmente graduellement, à la main, la compression, jusqu’à ce que le pouls cesse de se faire sentir ; on lit alors la pression indiquée par le manomètre. V. Basch a trouvé que la pression radiale est, chez l’adulte, égale à 155-165 millimètres de mercure. L’appareil de Potain est une légère modification du précédent. Celui de Bloch est un peu plus simple, mais il est fondé sur le même principe ; au lieu de comprimer l’artère avec une pelote, on la comprime avec un ressort à boudin, et, de plus, le doigt explorateur est placé, non en aval, mais directement sous le ressort ; le doigt comprime donc l’artère et en même temps il en perçoit les battements. Il y a là probablement une cause d’erreur, car l’état de sensibilité dans la pulpe du doigt doit être modifié quand le doigt est comprimé. Outre cette objection de détail, on doit faire à ces divers appareils, à celui de Bach comme à celui de Bloch, un reproche plus grave : c’est qu’ils confient à l’appréciation subjective de l’expérimentateur des phénomènes très délicats qui ne peuvent être mesurés que par des signes objectifs. L’état de fatigue de l’expérimentateur, sa distraction et d’autres causes qui lui sont personnelles, doivent, en modifiant sa propre sensibilité, changer les indications qu’il attribue à l’appareil. De plus, quand l’artère change de calibre, se rétrécit par exemple sous l’influence de la vaso-constriction, l’aire de la pulsation reçue par le doigt de l’expérimentateur diminue, et il en résulte un changement dans la sensation tactile qu’il reçoit : on ignore comment l’expérimentateur peut interpréter un changement de ce genre.

On a cherché à mesurer la pression dans les capillaires de l’homme en employant le procédé de la décoloration. On applique, par exemple, sur la peau, soit la peau du lobule de l’oreille, une lame de verre sur laquelle on exerce une compression croissante jusqu’à ce que les capillaires commencent à pâlir ; la pression produisant cet effet est considérée comme égale à la pression du sang dans les capillaires. C’est à J. v. Kries[26] qu’on doit les premières recherches dans ce sens. Bloch vient de les reprendre. On a trouvé que la pression dans les capillaires des doigts varie de 24 à 62 millimètres de mercure, suivant que la main est élevée ou pendante. La critique générale à faire à ce procédé est la même que nous avons formulée précédemment : la mesure de la pression repose sur une appréciation subjective. Lorsqu’on étudie des phénomènes aussi délicats que ceux de la pression et surtout ceux des changements de pression dans les artères et les capillaires, il faut recourir à un appareil qui exprime lui-même ces résultats, et qui les exprime soit par un chiffre, soit par un tracé. C’est là l’avantage du sphygmomanomètre de Mosso[27], appareil nouveau, qui est comme le perfectionnement d’un ancien appareil de Marey. Il est formé de tubes métalliques dans lesquels on introduit les doigts, comme on le voit dans la figure 38. En versant de l’eau dans le flacon D, on remplit ces tubes d’eau ; les doigts ne sont pas mouillés, car les ouvertures des tubes sont fermées par des doigts de gant qui rentrent à l’intérieur des tubes et coiffent les doigts introduits dans les tubes ; on voit sur le bord externe des tubes en a, b, c, d, l’extrémité des doigts de gant ;

Fig. 38. — Sphygmomanomètre de Mosso.


les tubes sont fixés sur une plate-forme N O q n en fer fondu, et la main du sujet est dans l’attitude indiquée par la figure, le dos de la main fixé au moyen d’une plaque de métal F arquée et rembourrée, qui glisse sur une colonnette J et H, et est fixée par une vis M. Un piston métallique E, qu’on élève et qu’on abaisse au moyen d’une vis K, peut exercer une pression sur l’eau, qui se transmet par le tube k l i aux doigts. L’eau monte dans le tube o p, et agit sur le manomètre à mercure L L, dont le niveau indique exactement la pression d’eau exercée sur les doigts ; en effet, chaque fois qu’on abaisse le piston E, celui-ci repousse le liquide qui remplit l’appareil et élève le niveau de la colonne manométrique. Un flotteur r, qui surmonte cette colonne, est muni d’une plume pouvant écrire sur un cylindre tournant les oscillations de la colonne.

Si on commence par une pression égale à 0 et qu’on l’augmente progressivement, on détermine un changement régulier dans l’amplitude de la pulsation ; elle est d’abord très petite, puis elle grandit, atteint un maximum, décroît de nouveau et finit par disparaître ; l’amplitude n’est donc pas en raison directe ou en raison inverse de la pression ; il y a un optimum de pression, égal en moyenne à 80 millimètres de mercure, pour lequel la pulsation atteint son maximum d’amplitude ; une pression plus faible et une pression plus forte ont également pour effet d’amoindrir le pouls.

Marey prend comme mesure de la pression du sang la contre-pression extérieure suffisante pour supprimer la pulsation. Mosso soutient au contraire que c’est la contrepression optima qui mesure la pression dans l’intérieur des artères. Peu nous importe ce point en litige, car en psychologie nous n’avons à rechercher que les changements dans la valeur de la pression, et ils peuvent être donnés par l’un ou l’autre de ces deux critériums.

La figure 39, empruntée à Mosso, indique quel est le genre de courbe que donne l’appareil. Dans cette courbe, le maximum d’amplitude du pouls correspond à une contre-pression de 80 mm.

Fig. 39. — Tracés de la pression avec le sphygnomanomètre (Musso).
A. conditions normales ; la hauteur maximum des pulsations se trouve entre 80 et 90 mm. B, après un bain chaud ; les pulsations atteignent leur maximum de hauteur à 60 millimètres.

Dans un travail récent fait par l’un de nous (Binet) en collaboration avec Vaschide, nous avons jugé, pour une foule de raisons, qu’on ne devait pas prendre une courbe en tournant soi-même avec la main la manivelle du piston ; à la main, le mouvement est très irrégulier, il n’a pas constamment la même vitesse, et il peut en résulter que le sujet éprouve dans les doigts une compression brusque qui attire et trouble son attention et qui a un autre inconvénient, celui de provoquer une vaso-constriction réflexe dans les doigts. Pour prouver la réalité de cette cause d’erreur, nous avons fait l’expérience suivante : le sujet a mis une seule main dans l’appareil, l’autre main était adaptée à un pléthysmographe à air. Brusquement, nous tournons le piston du sphygmomanomètre, et aussitôt le tracé du pléthysmographe a une descente brusque qui est l’indice d’une vaso-constriction. La figure 40 reproduit cette expérience.

Fig. 40. — Influence d’un changement brusque de pression sur le pouls. Le Tracé supérieur est celui du pouls capillaire ; le tracé inférieur est celui du sphygmomanomètre. On voit que la pression ayant été augmentée brusquement, il en est résulté une vaso-constriction.

Un autre inconvénient encore, et le plus grave de tous, que produit le mouvement du piston avec la main, est qu’on n’augmente pas dans toutes les expériences la pression avec la même vitesse ; le mouvement ne se fait pas avec la régularité d’un mécanisme. Or, comme on a toujours, dans ces sortes de recherches, à comparer deux expériences pour savoir dans laquelle la pression du sang a été la plus forte, cette comparaison est compromise si on n’est pas certain d’avoir changé les deux fois la pression de la même manière. Voici une expérience qui démontre qu’en faisant varier le mode de contre-pression extérieure, on obtient, des effets bien différents.

Fig. 41. — Expérience montrant les effets différents d’une pression graduelle et d’une pression constante de même valeur sur le pouls capillaire. Les chiffres indiqués au-dessous du tracé expriment la hauteur du mercure dans une des branches du manomètre ; il faut les doubler pour avoir la pression réelle. Dans cette expérience, on emploie d’abord une pression graduelle ; quand la contre-pression est un peu supérieure à 10 centimètres, le pouls disparait ; il n’en reste plus de trace à 12 centimètres. On augmente la pression jusqu’à 14 centimètres, puis à l’endroit marqué d’une croix, on arrête le moteur, et la pression devient constante. Presque aussitôt le pouls reparaît ; il est très apparent à 13,5 centimètres.

Nous prenons lentement une courbe de pression graduelle chez M. V… à 8 heures et demie du soir ; quand la colonne manométrique arrive à 120 millimètres, le pouls disparaît : on continue l’augmentation de pression jusqu’à 140 ; puis on arrête le moteur qui fait tourner le volant du piston ; la pression devient fixe ; au moment même où on arrête le moteur, il n’y a plus de pulsation sur le tracé, et par conséquent on pourrait, constatant que la contre-pression de 120 supprime le pouls, en conclure que la pression du sang est de 120 ; mais on attend un moment, en laissant subsister la contre-pression de 140 ; bientôt se fait un retour de la pulsation, qui grandit rapidement ; pendant cette apparition de la pulsation, la colonne de mercure descend un peu, arrive à 135 ; voilà donc une contre-pression de 135 qui laisse subsister la pulsation, tandis que celle de 120 la supprimait. Que conclure de là ? La pression du sang est-elle égale à 120, ou à 135 ? Nous l’ignorons.

Ces résultats montrent qu’il est impossible de mesurer d’une manière absolue la pression du sang avec le sphygmomanomètre. On ne peut la mesurer que d’une manière relative, et par conséquent il faut avoir une contre-pression qui soit bien réglée, automatique, pour uniformiser toutes les conditions d’expérience. Nous avons adopté un moteur à poids, ayant une force de 4 kilogrammes. Ce moteur est appliqué à la manivelle du piston ; le mouvement est bien uniforme, et l’expérience totale dure environ trois minutes.

Nous n’avons pas employé le flotteur inscrivant de Mosso pour les tracés que nous mettons sous les yeux du lecteur ; nous avons employé la transmission à air et les tambours inscripteurs ordinaires. Pour avoir un tracé rectiligne, et non un tracé ascendant, nous avons ménagé une fuite dans un tube de transmission, selon une méthode que nous avons décrite ailleurs[28].

Fig. 42. — Tracé sphygmomanométrique de l’état de repos. Sujet assis. Pression graduelle croissante de 0 jusqu’à 140 millimètres. Sujet M. V…

Voici une courbe d’état normal prise sur M. V… pendant qu’il était assis (fig. 42). La courbe a été prise avec une contre-pression croissante ; l’expérience a duré environ deux minutes. Au-dessous du tracé du pouls, nous indiquons par un chiffre la contre-pression subie à ce moment-là ; elle est indiquée en millimètres de mercure. On voit que le pouls cesse de se marquer entre 100 et 120 millimètres, soit à 110 : par conséquent ce nombre de 110 correspond, d’après Marey, à la pression du sang.

Pour étudier l’effet du travail intellectuel court — le seul expérimenté jusqu’ici — sur la pression du sang, nous avons procédé de la manière suivante. Nous avons pris le pouls sous des pressions croissant depuis 0 jusqu’à 140 millimètres de mercure : on fait d’abord cette exploration pendant que le sujet est à l’état de repos, sans excitation ni préoccupation d’aucune sorte ; ensuite on recommence la même expérience pendant que le sujet s’absorbe dans un calcul mental difficile ; on a de cette manière deux courbes à comparer, prises à quelques minutes d’intervalle ; la différence qu’elles présentent peut être mise au compte du travail intellectuel, à moins qu’une circonstance fortuite, une émotion, un frisson, un changement d’attitude, etc., n’empêche les deux expériences d’être comparables.

Le calcul mental devait durer pendant deux à trois minutes environ ; nous n’avons pas donné au sujet un calcul mental unique, parce que ce calcul aurait dû être très compliqué et très difficile pour durer aussi longtemps ; par conséquent un sujet qui n’a pas de dispositions exceptionnelles pour ce genre d’exercices, se serait embrouillé, aurait perdu les chiffres, et en fin de compte nous n’aurions pas eu la forte et régulière concentration d’esprit que nous désirions étudier. Il nous a paru meilleur de donner au sujet une série de multiplications faciles ; dès qu’il en avait terminé une, il disait la solution, et aussitôt on lui en donnait une seconde, puis une troisième. En général, pendant les deux à trois minutes que durait l’expérience, le sujet faisait trois multiplications, chacune de deux chiffres par deux chiffres. Très intéressé par la recherche, il a toujours fait un effort vigoureux, prouvé par l’exactitude des solutions indiquées. Il fermait les yeux, fronçait les sourcils et penchait un peu la tête en avant ; parfois, il a penché le corps en avant ; mais, comme cette attitude augmente la pression du sang dans la main, nous n’avons pas tenu compte des courbes où cette cause d’erreur s’était produite.

Pendant le calcul mental, le tracé change un peu de longueur ; il résiste à une contre-pression plus forte que le tracé pris à l’état de repos. Ce sont des expériences que nous avons faites sur douze sujets jusqu’ici, et en aucun cas nous n’avons rencontré d’exception. La hausse moyenne de pression, pour un calcul mental difficile, a été de 20 millimètres de mercure (fig. 43).

Fig. 43. — Tracé sphygmomanométrique pris immédiatement après celui de la figure 42. Le sujet faisait un calcul mental compliqué : multiplication de trois chiffres par deux chiffres. Sujet assis. Pression graduellement croissanle de 0 à 140 millimètres. On remarque que le pouls disparaît environ à 125 millimètres, tandis qu’à l’état de repos, il disparait déjà à 110 millimètres ; il y a donc une augmentation nette de la pression sanguine sous l’influence du travail intellectuel.

Le nombre maximum qui ait été atteint est de 30 millimètres, il est tout à fait exceptionnel ; on l’a constaté un jour que M. V… a fait de tête des multiplications considérables pendant huit minutes, avec une très grande application d’esprit. L’augmentation de pression de 30 millimètres n’a lieu qu’au prix d’une concentration d’esprit considérable ; un travail psychique de peu d’intensité ne modifie pas sensiblement la pression ; aussi nous avons constaté chez M. V… que, pendant une expérience de temps de réaction simple et de choix, sa pression reste normale.

Nous donnons ci-après un tableau contenant les résultats d’une dizaine d’expériences sur le travail intellectuel. Les chiffres de pression de l’état de repos ont été pris immédiatement avant de faire faire le calcul mental :

Influence du travail intellectuel sur la pression du sang. — M. V
(La pression est indiquée en millimètres de mercure.)
  ETAT DE REPOS CALCUL MENTAL
Expérience 1          135 »
135 150
2 110 125
3          115 135
» 140
4         125 »
130 140
» 170
» 140
5 110 120
6 115 120
7 125 140
Valeur médiane 120 140

Prenons un exemple, pour mieux nous expliquer : dans l’expérience 4, on a pris d’abord deux fois de suite la pression de l’état de repos, soit 125, puis 130 ; ensuite on a pris trois fois de suite la pression du travail intellectuel, soit 140, 170 et 140.

Pour comprendre la signification de ce résultat, il faut le comparer à celui que donne le travail physique.

Nous avons étudié sous deux formes l’effet du travail physique sur la pression sanguine : 1° le sujet accomplissait un travail quelconque, montait un escalier, ou soulevait des haltères, et ensuite, dès que ce travail était terminé, il mettait les doigts dans l’appareil et on prenait la pression de son sang ; avec cette manière de procéder, on ne peut saisir que l’effet produit après la cessation du travail physique ; 2° le sujet, les mains dans l’appareil, exécutait un travail physique avec une autre partie de son corps, sans remuer les mains, et on mesurait la pression pendant le travail ; ainsi, le sujet assis soulevait une jambe ; cet effort devient très pénible au bout d’une minute et produit des mouvements ; un autre travail consiste dans la flexion de la jambe sur la cuisse pendant trois à quatre minutes ; un autre consiste à contracter violemment les muscles du cou ; nous avons eu recours à toutes ces expériences.

Le résultat commun à toutes les épreuves a été une augmentation notable de la pression sanguine, égale en moyenne à 30 millimètres de mercure ; c’est une augmentation plus considérable que celle du travail intellectuel. Ainsi, chez M. V…, une flexion forte de la jambe pendant quatre minutes augmente plus la pression sanguine que ne le fait un calcul mental prolongé pendant le même temps. C’est ce résultat que nous avons obtenu en six expériences, toutes concordantes. Le pouls devient plus petit que pendant l’état de repos. Les tracés pléthysmographiques montrent que, pendant ce genre d’expériences, le pouls devient plus petit avec une atténuation du dicrotisme. Nous avons répété un très grand nombre de fois cette expérience sur M. V… et sur d’autres sujets ; nous nous sommes préoccupés de toutes les causes d’erreur qui peuvent se produire, notamment les mouvements et les changements de position du corps ; toujours nous avons vu qu’un effort violent et fatigant, localisé dans les jambes, provoque une élévation de pression. L’effort durait environ quatre minutes, temps nécessaire pour prendre une pression graduellement croissante. Il y avait à la suite de cet effort une assez grande fatigue.

C’est dans ces conditions qu’a été pris le tracé aussitôt après celui du calcul mental (fig. 44). On voit que le travail physique produit une hausse de pression bien supérieure à celle du travail intellectuel.

Fig. 44. — Tracé sphygmomanométrique pris immédiatomont après celui de la figure 43. Le sujet fait un effort musculaire consistant à tenir la jambe soulevée pendant quatre minutes. Sujet assis. Pression graduellement croissante depuis 0 jusqu’à 180 millimètres. On remarque que, dans ce cas, le pouls ne disparaît qu'après une pression de 140 millimètres, tandis qu'à l’état de repos il disparaît environ à 110 millimètres, et pendant le calcul mental il disparaît à 125 millimètres environ.

Il existe une autre méthode pour mesurer la pression de sang avec le sphygmomanomètre. Cette méthode consiste à prendre une contre-pression quelconque et à la rendre constante pendant toute la durée de l’expérience. Voici quels sont les avantages de cette méthode : 1° on saisit la première modification produite par l’expérience, sans être obligé d’attendre plusieurs minutes, comme pour la pression graduellement croissante ; 2° on ne détourne pas l’attention du sujet par des changements de pression dans ses doigts ; 3° on ne provoque pas des phénomènes réflexes vaso-moteurs en changeant la pression. Seulement, ce procédé ne peut absolument pas nous faire connaître si la pression a changé et dans quel sens elle a changé. En effet, il nous montre seulement — quand il nous montre quelque chose — que le pouls a changé d’amplitude, qu’il a augmenté ou diminué. Or, il est très difficile d’attacher une signification précise à un changement d’amplitude du pouls ; cette signification varie avec tant de circonstances que nous ne pouvons pas l’indiquer dans une formule simple. Nous pensons qu’il sera utile d’exposer avec détails les expériences nombreuses que nous avons faites sur la pression constante, pour fixer l’interprétation des phénomènes. Nous aurons aussi, chemin faisant, à adresser quelques critiques à différents auteurs. Nous devons d’autant plus insister que la question n’a pas été traitée clairement par Mosso.

Voici le récit de quelques-unes de nos expériences. On sait que, lorsqu’une personne assise se met debout, son pouls capillaire, recueilli avec le pléthysmographe, diminue d’amplitude ; en outre, la pression du sang est augmentée par la station verticale. C’est ce que montrent les deux tracés suivants pris avec une pression graduelle sur une même personne, d’abord assise, puis debout.

Ces tracés sont choisis parmi une série de six, qui ont donné les résultats suivants : assis, 106 ; debout, 140 ; — assis, 130 ; debout, 170 ; — assis, 120. Chaque épreuve a duré quatre minutes.

Ces faits étant bien établis, nous recommençons l’expérience, seulement avec une pression constante. Voici comment nous procédons. Nous prenons le pouls avec le sphygmomanomètre pendant que la personne est assise ; puis nous la prions de se lever, sans sortir les mains de l’appareil ; elle reste debout trente secondes ; puis elle se rassied ; on a donc un tracé qui se subdivise en trois parties correspondantes : station assise, puis station debout, puis station assise. Nous prenons d’abord ce tracé avec une contre-pression de 70 millimètres (fig, 47), qui donne une pulsation très grande ; quand la personne se lève et reste debout, le pouls capillaire se rapetisse avec cette contre-pression, exactement comme il le fait si on prend un tracé pléthysmographique ; ce tracé sphygmomanométrique est donc, avec cette contre-pression, influencé par l’amplitude de la pulsation ; l’appareil ne donne pas davantage qu’un pléthysmographe, il fonctionne comme un pléthystnographe.


Maintenant, nous recommençons l’expérience avec une contre-pression beaucoup plus forte, de 120 millimètres, qui efface presque complètement le pouls quand le sujet est assis ; le sujet se lève, et aussitôt le pouls augmente énormément d’amplitude ; cette augmentation d’amplitude est bien sous l’influence de la station verticale, car elle cesse quand le sujet se rassied (fig. 48).

Fig. 48. — Même expérience que dans la figure précédente, avec cette différence que la contre-pression est de 120 millimètres. On voit que l'effet est contraire, c’est-à-dire que l'amplitude des pulsations augmente lorsque le sujet se met debout.


Voilà donc deux expériences qui sembleraient contradictoires, si on ne tenait pas compte de ce fait que la contre-pression a été bien différente dans les deux cas. Pour s’expliquer clairement cette différence, il faut se rappeler que la méthode des pressions croissantes montre qu’à 120 millimètres de contre-pression le pouls de la station verticale est conservé, tandis que celui de la station assise est détruit, et que, par suite, la station verticale augmente la pression (fig. 45 et 46).

Nous pouvons donc conclure de cette première expérience qu’avec une contre-pression faible le sphygmomanomètre fonctionne comme un pléthysmographe, tandis qu’avec une contre-pression très forte il fonctionne comme un manomètre. Si les indications prises avec une contre-pression faible et une contre-pression forte ont été, dans ce cas particulier, opposées l’une à l’autre, cela tient évidemment à ce que la station verticale a agi différemment sur la pression du sang et sur l’amplitude du pouls ; elle a produit une diminution d’amplitude du pouls et une augmentation de pression.

Prenons un second exemple, qui est analogue au précédent. L’expérience va consister à faire un effort très violent avec la jambe pendant que l’on a les mains dans le sphygmomanomètre. Les expériences faites avec le pléthysmographe montrent que cet effort musculaire diminue l’amplitude du pouls ; en outre, la courbe de pression graduelle avec le sphygmomanomètre montre — et nous avons déjà exposé la question avec tous ses détails — que la pression du sang augmente pendant l’effort musculaire. Que donne le sphygmomanomètre avec une pression constante ? Deux résultats absolument opposés, suivant qu’on emploie une contre-pression faible ou une contre-pression forte (fig. 49).

Fig. 49. — Tracé sphygmomanométrique pendant un effort musculaire (pression énergique du pied contre le sol). Le tracé inférieur correspond à une contre-pression constante de 70 millimètres, et le tracé supérieur à une contre-pression constante de 120 millimètres. On voit que dans le tracé inférieur l'amplitude du pouls diminue pendant l'effort et dans le tracé supérieur elle augmente. L'effet est donc inverse dans ces deux cas.


Avec la contre-pression faible, l’effort diminue l’amplitude de l’oscillation ; c’est, comme nous l’avons dit, que dans ce cas l’appareil fonctionne comme un pléthysmographe. Avec une contre-pression forte, l’effort produit une augmentation d’amplitude ; c’est que l’appareil fonctionne dans ce cas comme un manomètre. Les indications données par la contre-pression faible et la contre-pression forte sont différentes, pour l’effort musculaire comme pour la station verticale, parce que l’effort musculaire agit en sens opposé sur l’amplitude du pouls et sur la pression ; il diminue l’amplitude du pouls et il augmente la pression[29].

Nous avons à relater une troisième expérience, et, quoiqu’elle soit du même genre que la précédente, nous l’exposerons avec un plus grand nombre de détails ; il s’agit de l’effet du travail intellectuel, ou du calcul mental. Nos expériences ont été faites sur plusieurs personnes et notamment sur M. V… ; ce sujet, pendant qu’il exécute un calcul mental difficile, a parfois, mais non constamment, une pulsation capillaire rapetissée ; c’est ce qu’on constate chez lui soit en prenant son tracé capillaire avec un pléthysmographe pendant un calcul mental, soit en prenant dans les mêmes conditions un tracé de pression graduelle avec le sphygmomanomètre ; le pouls capillaire, sur ces deux genres de tracé, présente parfois une amplitude moindre que pendant l’état de repos ; parfois aussi il n’y a pas de changement. Nous savons en outre, par nos recherches indiquées plus haut, que le travail intellectuel augmente temporairement la pression du sang chez ce sujet. L’effet du travail intellectuel est donc, à ce point de vue, analogue à celui du travail musculaire ; il réduit la taille de la pulsation et augmente la pression. Cette analogie nous permet de prévoir ce qui se produira si on enregistre le pouls capillaire du travail intellectuel avec une contre-pression faible ou une contre-pression forte, chez M. V… Pour bien nous rendre compte de ces résultats, sept fois de suite nous avons invité M. V… à faire un calcul mental, les doigts étant soumis à une pression constante, et chaque fois la pression choisie a été différente ; le pouls capillaire, ce jour-là, avait peu d’amplitude, mais il n’importe. Examinons les tracés (fig. 50).

Fig. 50. — Série de tracés sphygmomanométriques pris pendant des multiplications mentales, avec des contre-pressions constantes de valeur différente. La pression est indiquée en centimètres par un chiffre placé à gauche, en dessous de chaque tracé. La multiplication est faite entre les deux traits verticaux.

Avec une pression constante de 40 millimètres, il ne se produit, par le fait du travail intellectuel, aucune modification ; avec une pression de 60, même résultat négatif ; avec une pression de 70 millimètres il y a une légère augmentation de la pulsation ; à 80 millimètres, il y a aussi une légère augmentation, non mesurable, mais visible à l’œil ; à 100 et à 120, l’augmentation est tout à fait nette, elle est du simple au double ; à 140, toute pulsation est supprimée.

Nous pouvons interpréter ces résultats de la manière suivante : chez ce sujet, le calcul mental, pendant cette expérience particulière, n’a amené aucun changement d’amplitude du pouls ; aussi, quand on a fait fonctionner le sphygmomanomètre avec une contre-pression faible — condition où il fonctionne comme un pléthysmographe — le calcul mental n’a produit aucun effet visible sur le tracé ; mais, avec des contre-pressions très fortes, l’instrument est devenu un manomètre, et il a indiqué qu’il se produisait un changement de pression. En somme, les tracés pris avec une contre-pression de 120 confirment complètement ceux qui ont été pris avec une pression graduellement croissante ; on se rappelle en effet que cette dernière méthode montre que le pouls capillaire, pendant le calcul mental, résiste à une pression de 120.

À plusieurs semaines d’intervalle, nous avons répété cette même expérience en profitant d’un jour où M. V… avait un pouls d’une amplitude très grande. Deux opérations de calcul mental ont été faites, l’une avec une contrepression faible, l’autre avec une contre-pression forte ; les résultats ont été analogues aux précédents, et encore plus démonstratifs. Nous nous bornons à les reproduire ici, sans parler d’autres épreuves du même genre qui ont été répétées à différentes reprises, une dizaine de fois, et ont toujours donné les mêmes tracés.

Fig. 51. — Tracé sphygmomanométrique pris avec une pression constante de 110 millimètres. Entre les deux traits verticaux, le sujet a fait un calcul mental ; on remarque que l’amplitude des pulsations a augmenté.

Explication de la figure 51. — Expérience sur M. V… On emploie une pression constante de 110 millimètres de mercure, et on inscrit le pouls pendant une demi-minute. Ensuite on donne au sujet la multiplication de 68 par 9, opération qu’il exécute pendant que le tracé s’écrit entre les deux lignes verticales ; il y a d’abord une très petite diminution de la pulsation ; puis elle grandit notablement, et cette augmentation d’amplitude se prolonge un peu quand la multiplication est terminée. Puis la pulsation se rapetisse. La contre-pression de l’appareil, comme cela arrive souvent, a un peu diminué à ce moment-là, elle est maintenant à 100 ; cette diminution de pression aurait plutôt pour effet de grandir la pulsation que de la diminuer ; elle ne constitue donc pas une cause d’erreur.

Fig. 52. Tracé sphygmomanométrique pris avec une pression constante de 70 millimètres. Le travail intellectuel n’a produit ici aucun effet appréciable.

Explication de la figure 52. — Pour ce tracé on a employé la pression optima de 70 millimètres ; le pouls a une plus grande amplitude que dans le tracé de la figure 51, pris quelques minutes auparavant. Le travail intellectuel, qui a eu lieu entre les deux barres verticales et a consisté à multiplier 37 par 22, n’a produit aucun changement appréciable dans l’amplitude du pouls.

Ajoutons que nous avons fait sur une autre personne, Mme  Bil…, une expérience encore plus démonstrative, en prenant à la fois le tracé de la main droite avec le sphygmomanomètre et le tracé de la main gauche avec un pléthysmographe (fig. 53 et 54).

Fig. 53. — Tracé pris pendant un calcul mental. Le tracé supérieur est le pouls capillaire de la main gauche. Le tracé inférieur est pris avec le sphygmomanomètre sur la main droite du sujet. La pression est constante et égale à 70 millimètres. L’amplitude du pouls dans le tracé inférieur diminue pendant le calcul mental. Dans le tracé supérieur, on remarque une vaso-constriction réflexe et une diminution de l’amplitude du pouls.
Fig. 54. — Même expérience que celle de la figure précédente, avec cette différence que la pression constante est de 130 millimètres. On voit dans le tracé sphygmomanométrique une augmentation de l’amplitude du pouls pendant le calcul mental. L’effet sur le pouls capillaire de la main gauche est le même que dans la figure précédente.


On récitait 7 à 8 chiffres, lentement, devant cette personne, et elle devait les répéter aussitôt après. Deux épreuves différentes ont été faites : dans l’une, la pression du sphygmomanomètre a été maintenue constamment à 70 millimètres, ce qui constitue la contre-pression optima pour ce sujet ; dans l’autre, la contre-pression constante a été de 130 millimètres, contre-pression qui efface complètement le pouls chez Mme  B… Or, que voyons-nous ? Dans les deux cas, l’effort mental a produit une vaso-constriction, bien visible sur le tracé pléthysmographique, où il y a une descente du tracé et un rapetissement de la pulsation ; l’effet de cette vaso-constriction sur la courbe de pression a été de sens opposé dans les deux expériences ; dans l’une, la première, où la contre-pression était optima, il y a eu un rapetissement des pulsations ; dans l’autre, la seconde, où la contre-pression écrasait le pouls, il y a une nette apparition des pulsations, pendant le calcul mental. On voit que ce sujet diffère du précédent seulement par ce fait que le calcul mental produit chez lui un rapetissement du pouls (vaso-constriction) ; il en est résulté qu’avec une contre-pression faible, — le sphygmomanomètre fonctionnant comme un pléthysmographe, — le seul effet du calcul mental a été ce rapetissement du pouls.

Ici doit trouver place une critique du travail de M. Kiesow, cité plus haut. Cet auteur est le seul qui ait étudié méthodiquement la pression du sang pendant le travail intellectuel, et nous regrettons beaucoup d’avoir à mettre en doute les résultats de son travail, et surtout de critiquer sa technique. Kiesow ne s’est pas demandé quelle est la contre-pression qu’il faut choisir pour enregistrer le tracé capillaire pendant le travail intellectuel : il ne discute pas la question, qui cependant, comme nous l’avons dit, est de la plus grande importance ; il a constamment choisi comme pression constante la contre-pression optima, celle qui donne au pouls son maximum d’amplitude.

Nous ne trouvons dans son travail aucune justification de son choix. Ce choix, il faut bien l’avouer, n’a pas été heureux, comme le montrent les nombreux tracés (1 à 6) insérés dans son travail. Dans ces tracés, on ne voit pas si le calcul mental a eu quelque influence sur la pression du sang, car l’amplitude du pouls ne présente aucun changement. Il est possible que, chez les individus qu’il a étudiés, le travail intellectuel ne produisît aucun effet sur la pression, parce que ce travail intellectuel n’était pas suffisamment considérable ; mais nous devons ajouter que, quand même la pression aurait été augmentée par le travail, cette augmentation n’aurait pas pu se voir sur les tracés de Kiesow, puisque cet auteur se servait du sphygmomanomètre comme d’un pléthysmographe, et non comme d’un manomètre. Ce qui nous paraît le plus vraisemblable, c’est que, chez les sujets du savant allemand, le calcul mental n’a produit aucun changement d’amplitude du pouls ; aussi les tracés ont-ils été négatifs, comme l’ont été ceux que nous avons pris sur M. V…, dans les mêmes conditions de contre-pression faible ; mais, si Kiesow avait employé une contre-pression très forte, les résultats eussent été bien différents. Ce qui prouve bien l’exactitude de notre interprétation, c’est que nous pouvons à volonté, avec le même sujet, avoir les résultats négatifs de Kiesow, ou, au contraire, des résultats positifs comme ceux publiés dans notre présent travail.

Conclusion. — Notre principale conclusion est que le sphygmomanomètre de Mosso, avec les quelques perfectionnements de technique que nous avons indiqués, est un appareil digne de devenir classique dans nos laboratoires ; nous prévoyons que, dans peu de temps, il sera employé aussi fréquemment dans les expériences de psycho-physiologie que l’ergographe du même auteur. C’est un grand honneur pour le physiologiste italien d’avoir doté la science de ces deux appareils, qui sont tous deux d’un maniement pratique et donnent des résultats simples. Aucun de ces deux appareils n’est fondé sur une découverte importante ; l’ergographe est un perfectionnement d’autres appareils antérieurement connus, et le sphygmomanomètre est aussi un perfectionnement des appareils imaginés par Marey pour la mesure de la pression sanguine chez l’homme. Le mérite de Mosso est d’avoir réalisé quelque chose de pratique, de commode et de précis.

Cet instrument ne peut servir, selon nous, comme le manomètre enfoncé dans l’artère, à donner la mesure absolue de la pression du sang. Outre que le principe sur lequel est fondé l’instrument n’a pas encore été démontré expérimentalement[30], il y a plusieurs raisons sérieuses, que nous avons indiquées plus haut, qui empêchent de connaître la valeur exacte de la pression sanguine. Mais, en revanche, le sphygmomanomètre nous paraît donner la mesure relative de la pression ; en termes plus précis, disons que l’instrument indique si la pression change chez un même individu, dans telles ou telles conditions ; il indique dans quel sens elle change, et quelle est l’importance du changement. En somme, c’est précisément là ce qui intéresse le plus un psycho-physiologiste.

Un autre désavantage du sphygmomanomètre, une autre de ces causes d’infériorité par rapport au manomètre, c’est qu’il constitue un appareil à indications lentes ; il n’enregistre pas le phénomène à mesure que celui-ci se produit ; nous avons vu tout ce qu’il faut faire pour arriver à une mesure de la pression ; le procédé que nous avons employé prend environ 4 minutes.

Parlons maintenant des résultats que nous avons obtenus. Nos expériences ont été limitées en nombre et en nature. Le temps nous a manqué pour faire des expériences prolongées, pour savoir par exemple quel est l’effet exercé sur la pression du sang par le travail intellectuel d’une journée entière, ou par une marche au pas gymnastique durant sept ou huit heures ; nous ne savons et nous ne prévoyons aucun des effets qui pourraient se produire dans ces conditions. C’est une étude qui reste entièrement à faire. Nos observations ont porté uniquement sur des épreuves courtes, durant de quatre à huit minutes au maximum.

Les indications données par l’appareil, dans nos diverses épreuves, ont toujours été d’une netteté parfaite, et sans aucune des obscurités qu’on rencontre à chaque pas dans l’étude de la circulation capillaire. La circulation capillaire présente un nombre considérable de modalités, chez les sujets en expérience, et la cause de ces modifications est presque toujours inconnue. Au contraire, les recherches sphygmomanométriques montrent simplement que certaines expériences font changer la pression ; on n’a donc affaire qu’à des augmentations ou à des diminutions des chiffres de la pression sanguine.

Un calcul mental difficile élève la pression de 20 millimètres de mercure ; un travail physique l’élève de 30 millimètres. Voilà à quoi se réduisent nos connaissances actuelles.

Il y aurait lieu de faire des expériences sur le travail intellectuel prolongé, pour voir si la fatigue mentale s’exprime bien dans les changements de pression du sang. Ces recherches pourraient être faites facilement dans les écoles ; quelques essais préliminaires nous l’ont montré.

Par quel mécanisme le travail intellectuel court et intense produit-il une augmentation de la pression du sang dans les mains ? C’est une question qui n’a pas encore été posée ; on ne peut faire encore que des hypothèses. Deux causes principales modifient la pression : l’action cardiotonique du cœur et le resserrement des vaisseaux. Dans le travail intellectuel court et intense, nous constatons qu’il se produit une constriction des vaisseaux périphériques, spécialement dans la main ; et cette action est capable de relever la pression ; seulement, c’est une action qui est généralement courte ; elle se produit surtout au début du travail intellectuel, et elle cesse quand le travail intellectuel dure encore. On ne peut donc pas attribuer un rôle unique à la vaso-constriction, puisqu’elle disparaît à un moment où la pression sanguine continue à être augmentée ; il est vrai qu’on ignore quel est l’état des vaisseaux dans les organes profonds. Rappelons enfin qu’une de nos figures a montré un parallélisme très frappant entre la vaso-constriction d’une main et l’augmentation de pression de l’autre main, dans une expérience très courte de travail intellectuel. D’autre part, nous savons que le cœur s’accélère pendant l’effort mental, mais comme nous ignorons si cette accélération est accompagnée d’une augmentation dans la force de contraction, nous ne pouvons pas dire encore quelle est la part du cœur dans l’augmentation de pression.

CHAPITRE IV
INFLUENCE DU TRAVAIL INTELLECTUEL
sur la température du corps et sur la production de chaleur

On possède en physiologie deux méthodes pour étudier la chaleur animale : la méthode du thermomètre et celle du calorimètre.

Le thermomètre, dont nous n’avons pas à rappeler ici la construction, sert à mesurer le degré de la température. Dans les observations sur l’homme, on se sert du thermomètre centigrade à mercure, avec des degrés divisés en dixièmes ; la graduation est comprise d’ordinaire entre 35° et 45° ; la colonne mercurielle doit avoir un petit diamètre ; quant au réservoir, s’il est grand, il augmente la sensibilité de l’instrument ; s’il est petit, il augmente la rapidité des indications. La plupart des thermomètres qui sont dans le commerce sont gradués inexactement ; quand on veut s’en servir pour une observation scientifique, il faut les comparer à un thermomètre étalon ; cette comparaison doit être faite non seulement pour tel degré de température, mais pour plusieurs degrés, car il est possible que la différence entre le thermomètre qu’on vérifie et le thermomètre étalon varie pour différents degrés et varie d’une manière très irrégulière. Enfin, il ne faut pas oublier que les thermomètres depuis longtemps en usage cessent d’être exacts.

Une mesure de la température sur l’homme doit prendre environ quinze minutes, et pendant les cinq dernières minutes la colonne mercurielle doit rester stationnaire. On note en même temps la température ambiante.

Grasset a montré dernièrement, dans des recherches sur des malades, qu’on peut tirer de curieuses indications de la rapidité d’ascension de la colonne mercurielle[31]. Nous avons fait nous-mêmes quelques observations curieuses sur ce point ; nous avons pris sur une dizaine d’enfants la température de la paume de la main, le thermomètre étant placé dans le poing fermé ; l’expérience était faite deux fois, la première pendant un état de repos, le sujet assis, et la seconde après une course de vitesse ayant beaucoup accéléré le cœur et la respiration. Le plus souvent le degré de la température dans la main est augmenté par la course, mais ce n’est pas constant ; il est arrivé plusieurs fois que le degré de température qu’on a relevé était le même avant et après la course. Les graphiques des figures 55 et 56 résument quelques-unes des observations que nous avons recueillies sur la température.

Fig. 55. — Graphique indiquant la vitesse d’ascension du thermomètre placé dans la paume de la main chez un garçon de douze ans ; le trait plein correspond à la vitesse d’ascension du thermomètre pendant que le sujet est à l’état de repos, le pointillé indique la vitesse d’ascension après une course de 600 mètres ayant duré cinq ou six minutes. On remarque que la température finale a augmenté seulement de deux dixièmes de degré, tandis que la vitesse d’ascension du thermomètre a beaucoup augmenté.

Fig. 50. — Graphiques équivalents à ceux de la figure précédente et pris chez un autre garçon. On remarque une grande différence entre les deux sujets pour la vitesse d’ascension du thermomètre. Dans les deux cas aussi la course a exercé une influence surtout sur la vitesse d’ascension du thermomètre.


Or, il s’est trouvé que la rapidité d’ascension du thermomètre a toujours augmenté après la course, et elle a augmenté même dans le cas où la course ne produisait aucun changement dans le degré thermométrique de la main. Nous nous bornons pour le moment à signaler ces observations ; elles sont encore trop peu nombreuses et trop peu variées pour qu’on puisse les interpréter ; nous pouvons cependant en tirer dès à présent la conclusion pratique qu’il est utile d’enregistrer, avec le degré de température, la rapidité d’ascension du thermomètre. Le chiffre indiquant en minutes la durée de l’ascension n’a qu’une valeur relative et dépend de la quantité de mercure contenue dans le thermomètre ; on doit par conséquent employer le même thermomètre pour avoir des chiffres comparables.

Comment peut-on mesurer la rapidité d’ascension de la colonne mercurielle ? On n’a pas encore construit jusqu’ici des thermomètres enregistreurs à mercure, et les essais qui ont été faits n’ont pas réussi. Le moyen le plus simple est de surveiller l’ascension de la colonne en ayant à la main une montre à secondes ; on note à mesure les dixièmes de degré et le moment précis où ils sont atteints ; mais c’est un procédé très fatigant, qui demande une grande contention d’esprit. Un autre procédé, beaucoup plus simple et plus exact, consiste à surveiller le thermomètre en faisant, avec une poire en caoutchouc ou avec un électro-aimant Deprez sur un cylindre tournant, des signaux à chaque dixième de degré qui est franchi par la colonne de mercure.

Nous ne faisons que signaler, parmi les appareils servant à mesurer le degré de la température, les aiguilles thermo-électriques ; ces appareils ont beaucoup plus de sensibilité que les thermomètres ordinaires, on a pu s’en servir pour évaluer jusqu’à 1/4000e de degré.

Les calorimètres sont fondés sur un principe tout différent de celui des thermomètres ; ils servent à mesurer la quantité de chaleur dégagée dans un temps donné par une partie ou par la totalité d’un organisme. La physique nous enseigne que la quantité de chaleur n’est pas nécessairement la même chose que le degré de température ; il y a des corps portés à un degré de température très élevé qui possèdent une quantité de chaleur moindre que d’autres corps présentant un degré moindre de température. Ainsi, pour élever d’un degré la température d’un kilogramme d’eau, il faut la même quantité de chaleur que pour élever de 9 degrés la température d’un kilogramme de fer. Les calorimètres sont des appareils clos, entourés de corps mauvais conducteurs : on y recueille toute la chaleur produite par un organisme, et on emploie cette chaleur à augmenter la température d’une certaine quantité d’eau ou d’air contenue dans le calorimètre ; c’est là le principe de bon nombre de calorimètres.


La température du corps humain dépend d’un si grand nombre de conditions, et varie avec un si grand nombre d’influences que les recherches de thermométrie humaine doivent être considérées comme des plus difficiles. Bien qu’on donne comme température normale de l’homme le chiffre de 36°,5, il ne faut pas oublier que la température varie suivant les régions du corps. Voici quelques chiffres :

Visage 
 31°      
Plante du pied 
 32°      
Milieu de la cuisse 
 34°,40
Creux poplité 
 35°      
Creux axillaire 
 36°,5   
Urine 
 37°,03
Bouche, sous la langue 
 37°,19
Rectum 
 38°,01
Sang 
 39°      

Notons, comme un fait qui intéresse particulièrement nos études, que la température de la peau du crâne est plus élevée dans la région frontale et dans la région pariétale que dans la région occipitale ; elle est aussi plus élevée du côté gauche que du côté droit. Nous aurons à revenir plus tard sur ce point.


Fig. 57. — Courbes représentant les variations de la température de l’homme pendant le jour et la nuit (Landois).
L…, d’après v. Liebermeister. — J…, d’après Jürgensen.

La température présente une périodicité diurne, qui a été étudiée par plusieurs auteurs. On a constaté que d’une manière générale la température est plus élevée pendant le jour que pendant la nuit (voir fig. 57) ; elle commence à s’élever vers six heures du matin ; elle continue à s’élever pendant toute la journée et atteint son maximum entre 5 heures et 8 heures du soir ; à partir de 8 heures du soir, elle descend régulièrement jusqu’à 6 heures du matin. La différence maxima entre les divers temps de cette période ne dépasse pas 1°,5. La moyenne de ces diverses températures, ou moyenne journalière, est de 37°,13 (prise dans le rectum).

La température périphérique, que l’on oppose souvent à la température centrale prise dans la bouche, dans l’aisselle ou dans le rectum, est beaucoup plus variable ; elle diffère, dans de larges proportions, d’un individu à l’autre ; chez le même individu, elle présente des courbes différentes d’un jour à l’autre ; ses oscillations dépendent de la température extérieure et aussi de l’influence du système nerveux vaso-moteur ; les vaso-constrictions et vaso-dilatations produisent des changements notables dans la température de la périphérie du corps.

Romer a étudié la courbe quotidienne de la température périphérique, mesurée dans la paume de la main, en la comparant à la courbe centrale chez le même individu. Les oscillations de la température palmaire sont énormes ; elles peuvent atteindre en une journée 6°. Pendant la nuit, la température est élevée ; elle commence à baisser vers 6 heures du matin et jusqu’à 10 heures ; puis elle présente une lente élévation, dont le maximum est atteint après le repas de midi. Il y a ensuite de 1 heure à 3 heures une descente ; à partir de 6 à 8 heures, survient une nouvelle élévation, et de 8 heures du soir jusqu’à 10 heures du matin la température reste stationnaire. La température périphérique, d’après Romer, baisse rapidement quand la température interne s’élève ; ainsi la température rectale est supérieure à la moyenne dans la journée, tandis que la température périphérique est, dans la journée, inférieure à la moyenne.

On a étudié jusqu’ici de deux manières l’influence du travail intellectuel sur la température du corps ; on a suivi cette influence sur la température périphérique et aussi sur la température centrale.

Influence du travail intellectuel sur la température périphérique. — C’est une question qui est encore à l’étude, et les observations recueillies jusqu’ici sont moins intéressantes par les chiffres qu’elles contiennent que par les causes d’erreur qu’elles ont mises en évidence. On a surtout fait de la thermométrie crânienne sur l’homme, dans l’espoir que cette thermométrie crânienne pourrait donner des indications sur la thermométrie cérébrale. Rappelons d’abord que Lombard, Broca, Maragliano, Gray ont constaté que la température du crâne n’est pas la même dans les diverses régions ; voici les différences observées :

  RÉGION FRONTALE
RÉGION PARIÉTALE
RÉGION OCCIPITALE
Gauche.
Droite.
Moyenne.
Gauche.
Droite.
Moyenne.
Gauche.
Droite.
Moyenne.
Broca » » 35,28 » » 33,72 » » 32,92
Gray 34,64 34,28 34,46 34,68 34,21 34,45 33,70 33,30 33,50
Asile de Reggio. 36,20 36,15 36,17 36,18 36,15 36,16 36,01 35,95 35,98
Maragliano 35,85 35,02 35,44 35,50 35,25 35,37 35,40 34,92 35,16

Ces tableaux montrent que, quoique les chiffres des différents auteurs diffèrent souvent de plusieurs degrés, il y a constamment une élévation de température plus forte dans la moitié gauche de la tête que dans la moitié droite.

Lombard, Broca, Maragliano, Amidon ont étudié chez l’homme la température crânienne pendant le travail intellectuel, et ils ont tous constaté que pendant le travail intellectuel la tête s’échauffe, surtout dans les régions antérieures. Mais cet échauffement du cuir chevelu concorde-t-il avec une augmentation de la température du cerveau ? Les précédents auteurs l’ont admis sans grande difficulté ; et cette concordance a paru si bien prouvée à l’un d’eux, Amidon, que cet auteur s’est fait fort de délimiter les centres moteurs corticaux en explorant la surface de la peau du crâne avec un thermomètre. Voici quelle était sa méthode : il maintenait pendant longtemps en contraction volontaire un membre, par exemple le bras gauche, et il trouvait que pendant cet effort la tête s’échauffait et que le maximum d’échauffement se produisait dans la moitié droite de la tête, en un point correspondant au centre moteur du bras gauche. Il a publié dans son travail une figure dans laquelle la topographie des centres moteurs corticaux est établie par cette méthode.

Bien que les résultats d’Amidon soient présentés avec l’appui d’un nombre très considérable d’expériences, leur exagération même a mis en garde les plus sceptiques, et on a senti le besoin de soumettre toute la question à un examen critique sérieux ; François-Franck[32], et ensuite Istamonoff[33], ont recherché expérimentalement dans quelle mesure une augmentation de chaleur du cerveau peut se transmettre à la surface extérieure de la tête ; et ils ont trouvé qu’il faut une augmentation de 3° de la température du cerveau pour élever d’un dixième de degré seulement la température de la tête. Or, comme une augmentation de 3° dans la température du cerveau est infiniment improbable, il en résulte que le thermomètre appliqué sur la tête ne peut rien nous apprendre sur les variations thermiques du cerveau.

Il paraît avéré que les vaisseaux sanguins du cuir chevelu se comportent d’une manière indépendante des vaisseaux sanguins du cerveau.

L’influence du travail intellectuel sur les autres températures périphériques et notamment sur celle de la main est une question qui a été un peu négligée, parce que les expérimentateurs ont eu l’idée préconçue que la température périphérique n’a rien de fixe, et qu’elle présente d’un sujet à l’autre, d’un moment à l’autre, et suivant les influences thermiques extérieures, des oscillations énormes. Cependant L. Couty[34], après une étude consciencieuse sur la température palmaire, qu’il a mesurée chez des étudiants en médecine et des infirmiers militaires, arrive à la conclusion que cette température, quoique très variable avec les divers individus, oscille pour chaque individu entre des limites assez étroites et constitue pour lui — Couty ne prononce pas le mot, mais il en a l’idée — une caractéristique physiologique. Le même auteur admet que le plus ou moins d’élévation de la température palmaire moyenne du chaque individu ne dépend ni de la constitution, ni du tempérament, ni de l’état de vigueur ou de faiblesse du sujet ; seul, le plus grand développement nerveux et intellectuel a paru, avoir une action constante sur l’état de la température périphérique. Cette affirmation est si curieuse, si inattendue, que nous avons tenu à la rapporter en employant les termes mêmes de l’auteur ; mais nous nous hâtons d’ajouter qu’elle ne nous paraît pas confirmée par les chiffres de son article. Il compare en effet, au point de vue intellectuel, un premier groupe de sujets, composés d’élèves en médecine et d’étudiants engagés volontaires, avec un second groupe formé d’infirmiers de visite et d’infirmiers d’exploitation, et il constate que la température palmaire des premiers est en moyenne plus élevée que celle des seconds, qui sont tous des individus moins instruits ; il oublie de remarquer — ce que ses tableaux montrent — que la température des premiers et des derniers n’a pas été prise aux mêmes époques de l’année et que les observations sont peu comparables.

Influence du travail intellectuel sur la température centrale. — Une demi-douzaine d’expérimentateurs ont étudié l’influence du travail intellectuel sur la température de l’aisselle et celle du rectum, et ils sont arrivés tous à peu près à la même conclusion, à savoir que des efforts d’attention soutenue, le calcul mental ou simplement la lecture, déterminent une augmentation de chaleur ; mais cette augmentation est toujours très légère ; Davy n’a observé qu’un demi-dixième de degré ; Speck a noté une augmentation d’un dixième et même de deux dixièmes. Une des expériences les plus complètes a été faite par Gley[35] sur lui-même, au lit, en prenant sa température rectale au moyen d’un thermomètre à mercure, dont la cuvette était assez grosse et dont la tige coudée montait assez haut pour que le sujet pût suivre lui-même la montée de la colonne de mercure ; le thermomètre était gradué de 35 à 42°, et chaque degré était divisé en 25 parties. Voici deux expériences faites avec ce dispositif :

La première commence au lit, à 7 h. 30 du matin ; les températures suivantes sont observées :

7 h. 30 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°32 Repos.
35 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°32
40 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°32
45 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°34
50 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°32
55 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°34
8 h. 05 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°34 Lecture.
10 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°36
15 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°40
20 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°40
25 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°42
30 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°46
35 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°48 Repos.
40 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°48
45 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°50
50 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°50
55 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°48
9 h. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°48

Dans cette expérience la lecture a coïncidé avec une augmentation de température égale à 1 dixième de degré ; la température a continué à augmenter quand le travail intellectuel était terminé. (Il consistait à lire un article de la Revue philosophique.) Puis la température est devenue stationnaire et enfin elle a commencé à redescendre. À 9 h. 50 elle était à 36°,36, et l’auteur refit une seconde expérience, consistant aussi dans une lecture de la Revue philosophique.

Voici les températures :

9 h. 50 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°36 Repos.
55 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°36 Lecture.
10 h. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°38
05 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°40
10 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°42
15 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°44
20 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°48
25 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°48
30 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°50
35 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°52
40 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°52 Repos.
45 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°52
50 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°52
55 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°52
11 h. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°52
05 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°52 Lecture.
10 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°52
15 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°54
20 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°56
25 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°54
30 .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 36°54

Les deux lectures successives qui ont eu lieu dans cette seconde partie de l’expérience ont chacune élevé la température du rectum. En résumé, ce travail intellectuel a provoqué une production de chaleur égale en moyenne à 15 centièmes de degré.

Ce résultat, comme tous ceux que nous donnons dans ce chapitre, n’a qu’une valeur empirique, car on ne sait pas au juste par quel mécanisme un travail cérébral produit un échauffement dans le rectum. Du reste, il paraît aujourd’hui démontré que la température du rectum peut rester stationnaire alors que la température du cerveau s’élève ; c’est ce qui ressort des expériences récentes de Mosso, qui a introduit des thermomètres à la fois dans le rectum et dans l’intérieur du crâne, en contact avec le cerveau ou les méninges, et a constaté à maintes reprises que les deux courbes de température ne se développent pas parallèlement.

Les recherches de Mosso, que l’on trouve exposées dans plusieurs recueils[36], ne sont pas faciles à résumer, parce que l’auteur leur a donné la forme d’un compte rendu très précis de toutes les observations qu’il a faites, et il semble avoir craint de condenser ses observations en quelques propositions générales. Il a employé pour mesurer la température du cerveau des thermomètres à mercure dont le réservoir cylindrique ne contenait que 4 grammes de mercure : sur ces thermomètres on pouvait lire avec des loupes spéciales le 0,002 d’un degré. Les expériences ont été faites sur des animaux et sur l’homme. Nous n’avons à parler ici que de ces dernières (p. 128 à 182 de l’édition italienne). Elles ont porté spécialement sur une petite fille de douze ans, Delphina Parodi, de Suse, qui venait se faire soigner à l’hôpital de Turin pour une fracture du crâne siégeant dans la région fronto-pariétale, et mettant à nu les méninges sur une longueur de 3 à 4 centimètres ; la plaie n’était pas saine, elle avait un aspect fongueux ; sur un point la dure-mère était perforée, et Mosso put profiter de la perforation pour y introduire une sonde jusqu’à une longueur de 8 centimètres ; ensuite un thermomètre fut poussé jusqu’à la scissure de Sylvius et mis en contact avec la surface même du cerveau : le thermomètre était plongé dans le crâne à une profondeur de 5 centimètres. On introduisit en même temps un autre thermomètre dans le rectum.

Deux ordres d’expériences furent faits sur cette enfant : d’une part, on étudia pendant son état de veille quel effet produisaient sur sa température cérébrale des mouvements, des actes d’attention ou des états émotionnels ; d’autre part, on l’a observée pendant qu’elle dormait et on a constaté l’influence des excitations extérieures sur la température de son cerveau. Les premières recherches ont donné de bien petits résultats, et cela n’est pas étonnant, les conditions expérimentales étaient si mauvaises. La malheureuse enfant était en proie à une terreur profonde quand on la transportait dans la salle d’expériences et qu’on commençait à enfoncer un thermomètre dans son crâne ; aussi, les petites opérations mentales qu’on la priait d’accomplir, comme de compter, et les mouvements qu’on lui disait de faire avec ses bras, dans l’espoir de faire élever la température de son cerveau, ne donnèrent aucun résultat appréciable parce que la malade y trouvait un soulagement à sa peur ; elle se disait sans doute que pendant qu’elle s’occupait à compter, on ne ferait pas sur elle quelque nouvelle opération chirurgicale. Cette remarque et cette interprétation appartiennent à Mosso ; cela suffit pour nous prouver qu’on ne pouvait faire aucune observation précise sur cette enfant pendant l’état de veille.

Fig. 58. — Température du cerveau et du rectum prise par Mosso sur une fille de douze ans. Le tracé supérieur correspond au rectum.

Nous donnons cependant, d’après l’auteur, le graphique de la température du cerveau et de celle du rectum pendant une partie d’une matinée. À 8 h. 35, le thermomètre est enfoncé de 5 centimètres dans la brèche crânienne, et aussitôt après un second thermomètre est enfoncé dans le rectum. La température du cerveau est enregistrée à 8 h. 45, soit dix minutes après l’introduction ; elle monte de 0°,20, tandis que le rectum se refroidit. Cet échauffement est dû peut-être à l’irritation mécanique produite par l’instrument, peut-être aussi à la peur. En A, la malade raconte son histoire, pendant deux minutes ; le cerveau continue à s’échauffer, et il y a un léger échauffement du rectum. En B, contractions de la mâchoire ; la température du cerveau reste stationnaire ; en C, la malade parle, la courbe du cerveau monte de 0°,01 ; en D, la malade serre avec les deux mains, point d’effet ; en E, on annonce à la malade qu’on va ouvrir sa plaie, point d’effet ; en F, la malade compte jusqu’à 100, légère élévation de 0°,01 ; en G, on menace la malade de la chloroformiser, il y a une élévation de température de 0°,01 pour le cerveau et pour le rectum. On voit par ces chiffres que l’influence de ces excitations a été très faible et souvent problématique.

Fig. 59. — Tracés de la température du cerveau et du rectum chez une fille de douze ans. L'expérience a été faite pendant que le sujet dormait (Mosso).

On voit par ce qui précède que l’influence du travail intellectuel sur la chaleur animale reste une des questions les moins étudiées. Tout ce qu’on sait est que le travail intellectuel augmente vraisemblablement la température du cerveau. Du reste, la question est, tant au point de vue théorique qu’au point de vue expérimental, une des plus compliquées de la physiologie. La chaleur animale que l’on mesure au thermomètre est une résultante de beaucoup de fonctions qui agissent tantôt dans un sens, tantôt dans un autre ; et c’est bien à propos de l’enregistrement de la chaleur que l’on comprend tout ce qu’il y a d’empirique à se borner à l’étude de la température dans un seul point. Tout d’abord la production de chaleur dans un organe en particulier est en relation avec l’intensité de fonctionnement de cet organe ; une glande s’échauffe pendant qu’elle sécrète, un muscle pendant qu’il se contracte. La combustion interstitielle des tissus est en outre modifiée par plusieurs facteurs, comme la richesse des matériaux nutritifs apportés par le sang à l’organe qui fonctionne, et aussi l’influence que le système nerveux exerce sur cet organe ; tout cela modifie dans une certaine mesure la production de chaleur. Après la production, une autre fonction intervient, la répartition de la chaleur entre des organes différents, ayant des températures différentes ; l’agent principal de cette répartition est le sang, dont la température est constamment très élevée ; le sang, par son afflux dans un organe, peut en élever la température, à moins, bien entendu, que cet organe présente une température plus élevée que le sang. Enfin, après la distribution de la chaleur, il faudrait pouvoir tenir compte de son émission au dehors, de sa propagation dans les milieux extérieurs, l’organisme pouvant soit rayonner une grande partie de sa chaleur, soit au contraire la conserver. La régulation de cette fonction importante se fait par les nerfs vaso-moteurs et par la respiration ; la dilatation vasomotrice des petits vaisseaux de la périphérie provoque un afflux abondant du sang à la périphérie, d’où résulte un refroidissement par rayonnement, tandis que dans une vaso-constriction réflexe, le sang est chassé des extrémités et conserve mieux sa température ; la respiration est aussi une fonction thermique ; en précipitant ses mouvements, elle provoque une augmentation dans le dégagement de vapeur d’eau, et un refroidissement du corps.

Les détails très simplifiés que nous venons de donner suffiront à montrer que l’étude de la température et des changements de température pendant le travail intellectuel présente un très grand nombre de difficultés.


CHAPITRE V
INFLUENCE DU TRAVAIL INTELLECTUEL
sur la respiration

On possède aujourd’hui en physiologie un grand nombre de méthodes et d’instruments permettant d’étudier dans tous ses détails la fonction respiratoire. Ces méthodes peuvent être divisées en trois catégories :

1° Il y a d’abord la méthode graphique consistant à enregistrer les changements de dimension que présente le thorax pendant les actes respiratoires. Au moyen de pneumographes de différents types, appliqués sur la poitrine, on inscrit le nombre des respirations par minute, ou pour un temps quelconque, la durée des différentes périodes — inspiration, expiration et pause — composant un acte respiratoire complet, l’intensité de ces mouvements, leur forme, leurs accidents.

2° Une seconde méthode consiste à mesurer avec des spiromètres et des gazomètres la quantité d’air utilisé dans la respiration ; on distingue la quantité maxima d’air qui peut être contenue dans les poumons, la quantité maxima qu’on peut expirer avec effort après une forte inspiration, et la quantité moyenne qui entre et qui sort à chaque respiration normale, ou pendant une expérience particulière.

3° Une troisième méthode consiste dans l’analyse chimique du gaz ayant servi à la respiration ; on dose l’oxygène, l’acide carbonique, et on peut se rendre compte de l’intensité des combustions qui se produisent au sein des tissus.

Jusqu’ici, la seule étude qui ait été faite sur les rapports du travail intellectuel et de la respiration est celle des mouvements respiratoires du thorax pendant que le sujet fixe son attention ou exécute un calcul mental ; quelques expériences éparses ont été faites sur la composition chimique des gaz de la respiration. On voit par conséquent combien il reste encore à faire.

Nombre de mouvements respiratoires. — Le nombre des mouvements respiratoires varie à peu près dans le même sens que le nombre des pulsations du cœur, et il y a parallélisme des plus frappants entre les deux fonctions ; la plupart des influences qui accélèrent les pulsations du cœur accélèrent aussi la respiration ; on peut ajouter aussi, le fait est moins connu, que les mêmes influences retardent la respiration et le cœur.

On observe seulement quelques différences individuelles ; chez certaines personnes, une des fonctions se modifie plus facilement que l’autre ; la respiration, en général, est plus sensible que le cœur aux causes d’excitation. En outre, ce qui constitue une différence générale, c’est que la respiration peut être modifiée directement par la volonté ; on peut suspendre la respiration ou la précipiter, tandis qu’on ne peut pas, en général, modifier directement, par un acte de volonté, le rythme du cœur. Cette circonstance peut devenir une cause d’erreur dans les expériences sur la vitesse de la respiration.

Le nombre de mouvements respiratoires par minute varie chez les adultes de 12 à 24 ; on peut retenir comme nombre moyen 15 ou 16 ; il y a donc en moyenne un mouvement respiratoire pour cinq pulsations.

Comme pour le cœur, la respiration est plus rapide chez les enfants que chez les adultes. Voici un tableau qui contient le nombre de respirations par minute pour des individus d’âges différents ; dans la troisième colonne nous donnons les noms des auteurs auxquels appartiennent les observations.

AGES NOMBRE de respirations par minute. AUTEURS
6 semaines 52 Salathé.
1 à 3 ans 35 à 40 Allix.
1 à 4   — 20 à 36 Monti.
2 à 5   — 20 à 32 Barthez et Rilliet.
5 ans 26 Quetelet.
6   — 20,6 Smith.
8   — 20,8 Id.
6 à 10 ans 20 à 28 Barthez et Rilliet.
6 1/2 à 14 ans 21,5 à 24,9 Rameaux
15 à 20 ans 20 Quetelet.
20 à 25   — 18,7 Id.
25 à 30   — 16 Id.
30 à 50   — 18,1 Id.

Chez un même individu le nombre de respirations par minute n’est pas un nombre fixe, il varie sous l’influence d’un grand nombre de causes extérieures ; nous rapportons brièvement ces variations pour qu’on ait un terme de comparaison avec les variations que l’on observe à la suite du travail intellectuel.

La position du corps influe sur le nombre de respirations ; d’après Guy les nombres de respirations sont : couché, 13 ; assis, 19 ; debout, 22.

Le nombre de respirations varie suivant les heures de la journée ; le tableau suivant contient les chiffres obtenus par Vierordt ; il a pris simultanément la respiration et le pouls ; nous transcrivons les deux ordres de résultats :

HEURES de détermination. RESPIRATIONS par minute. POULS par minute.
9 heures 12.1 73.8
10      11.9 70.6
11      11.4 69.6
12      11.5 69.2
12 h. 1/2 à 1 h. (déjeuner).    
1 heure 12.4 81.5
2      13 84.4
3      12.3 82.2
4      12.2 77.8
5      11.7 76.2
6      11.6 75.2
7      11.1 74.6

On voit que la respiration varie dans le même sens que le pouls.

Après les repas, la respiration s’accélère un peu. Une augmentation de la température externe diminue le nombre de respirations ; ainsi par exemple Vierordt a observé pour une température de 8°, 12,2 respirations par minute, et pour une température de 19° dans les mêmes conditions, 11,5 respirations.

Enfin, pendant le sommeil, la respiration devient plus lente, elle diminue chez l’adulte d’environ un quart.

Pour avoir un terme de comparaison permettant d’apprécier les effets du travail intellectuel, rappelons quels sont ceux du travail physique sur la respiration. On sait qu’une course de vitesse, en même temps qu’elle produit une accélération du cœur, produit une précipitation énorme des mouvements respiratoires, qui constitue bientôt, si on continue à courir, un état très pénible d’essoufflement ; et on est alors obligé de s’arrêter, non parce que les jambes sont fatiguées, mais parce que la respiration est à bout. De là cette expression pittoresque et très juste de Tissié : on marche avec ses jambes, on court avec ses poumons.

Ces effets sont connus ; ce qui l’est beaucoup moins, ce sont les ralentissements de la respiration pendant des efforts physiques locaux et violents.

Nous avons dit plus haut qu’une personne qui fait un violent effort ralentit son cœur ; il en est de même pour la respiration. Seulement le ralentissement respiratoire est plus difficile à observer que le ralentissement du cœur, parce que chez beaucoup d’individus chaque effort musculaire s’accompagne d’une inspiration, et que si les efforts musculaires se répètent souvent, ils produisent indirectement une accélération de la respiration.

Le travail psychique ne produit pas, cela va sans dire, des effets aussi accentués que le travail physique. On n’a étudié jusqu’ici que deux formes du travail psychique : l’une consiste dans le calcul mental court, durant quelques minutes, l’autre est la fixation de l’attention sur un stimulus extérieur.

Le calcul mental produit une accélération de la respiration, il provoque environ deux à quatre respirations supplémentaires par minute. L’accélération la plus forte que nous ayons observée dans une série d’expériences a été de 4,5. On peut se rendre compte des résultats en jetant les yeux sur le tableau suivant ; parmi les sujets ayant servi à nos expériences, il en est un qui est remarquable par la lenteur de ses mouvements respiratoires. Lorsque le calcul mental est terminé, la respiration reprend sa vitesse normale, parfois elle présente un léger ralentissement ; un ou deux actes respiratoires sont plus prolongés que les autres, et souvent le sujet fait une respiration profonde. Ce ralentissement respiratoire est à rapprocher du ralentissement du cœur, qui se manifeste aussi dans les mêmes conditions.

Influence du travail intellectuel court et intense sur le cœur et la respiration.
(Les chiffres se rapportent à une minute.)
SUJETS DURÉE du travail intellect. POULS RESPIRATION
Avant. Pendant. Après. Avant. Pendant. Après.
E . . . 55 sec 79,5 102 96-90-87 10,5 13,5-12 12-10,5
E . . . 90  —  75 99 90-81-69 12 15-12-13,5 13-10-10
C . . . 80  —  70 75 75-69   7,5 7,5-12-12 10,5-9
C . . . 150  —  70 75 68   9 9-13,5 9,5-9
C . . . 42  —    7,5 10,5 9,5
Pi . . . 40  —  72 74 76 15 18-18 12
Ph. . . 60  —  72 80 77 11,5 15-15 13-11,5
F. . . . 42  —  70 78 73 15 15 15
H . . . 90  —  72 72 72 13 13,5-15 11

Quelques auteurs ont observé que lorsque l’attention d’une personne est fixée par une excitation extérieure, il y a un léger ralentissement de la respiration ; mais les observations qu’on a faites sont encore peu nombreuses.

Forme de la respiration. — Outre le nombre des respirations par minute, on étudie le rythme et la durée des différentes phases de la respiration ; cette étude se fait en recueillant la courbe du mouvement respiratoire au moyen d’appareils spéciaux, appelés pneumographes ; ces appareils enregistrent les déplacements de la cage thoracique pendant l’acte respiratoire, ou les mouvements de l’air expiré.

Il suffit d’entourer le thorax d’une ceinture et de placer entre la poitrine et cette ceinture une ampoule de caoutchouc communiquant par un tube avec un tambour à levier enregistreur, pour constituer un très simple et très bon pneumographe ; à chaque inspiration, la poitrine s’élargit et presse l’ampoule de caoutchouc ; à chaque expiration, c’est l’effet contraire qui se produit, la poitrine se resserre et l’ampoule se dilate ; ces actions déterminent donc des poussées d’air en divers sens qui font mouvoir la plume du tambour et inscrivent les diverses excursions du thorax. Les pneumographes de Bert, de Marey et de Laborde sont fondés sur un principe analogue, avec une différence dans la disposition de l’ampoule de caoutchouc ; cette ampoule, qui est, suivant les appareils, un cylindre, un tambour ou un cône, est fixée aux deux extrémités de la ceinture entourant le thorax, de sorte que le mouvement d’expansion du thorax pendant l’inspiration produit une traction aux deux extrémités de l’ampoule et augmente le volume de celle-ci, tandis que dans le dispositif que nous avons décrit plus haut la dilatation du thorax produit au contraire une compression de l’ampoule ; mais les tracés ne diffèrent pas sensiblement.

Fig. 60. — Pneumographe de Marey. La ligne pointillée représente le thorax ; lorsque le thorax se soulève pendant l’inspiration, la ceinture qui entoure la poitrine tire sur les leviers ; cette traction est transmise par l’intermédiaire d’un système de leviers à la membrane de caoutchouc du tambour. (Marey.)

Ce qui est essentiel, c’est que le sujet en expérience ne soit pas trop serré dans la ceinture et que la compression ne produise pas une gêne qui pourrait altérer le rythme naturel de sa respiration. Il faut qu’on ne sente pas le pneumographe et qu’on respire comme si on n’en avait pas.

Un tracé de pneumographe, pris sur un adulte dont la respiration est calme et régulière, montre que tout acte respiratoire se compose de trois périodes : l’inspiration, l’expiration et la pause. En général, la durée de l’inspiration est un peu plus courte que celle de l’expiration ; la proportion est de 6 à 7 ; mais il y a beaucoup de variations individuelles. L’expiration et la pause expiratoire se relient l’une à l’autre d’une manière insensible, et on aurait de la peine à dire exactement où finit l’expiration et où commence la pause. Cette incertitude a fait admettre à quelques auteurs qu’il n’existe pas de véritable pause expiratoire. Le tracé du pneumogramme est parfois lisse, sans accidents ; parfois on y rencontre des irrégularités, dont les unes sont respiratoires, — par exemple l’interruption du tracé par la déglutition de la salive, — dont d’autres tiennent à ce que le pneumographe a enregistré des battements de cœur énergiques, ayant fortement ébranlé le thorax. Un déplacement des bras, un tressaillement réflexe peuvent aussi altérer le tracé, et on comprend qu’il faut exiger du sujet une immobilité absolue.

Le pneumogramme 1 de la figure 62 a été pris sur un adulte de vingt-cinq ans, avec le pneumographe de Marey appliqué sur la poitrine, à 2 centimètres au-dessous de la hauteur des seins. Le pneumogramme représente donc la respiration costale, il a enregistré le mouvement de soulèvement des côtes. Chez la femme, c’est le type costal de la respiration qui prédomine, tandis que chez l’homme c’est d’ordinaire le type abdominal ou diaphragmatique, ce qui tient à ce que le diaphragme joue le rôle le plus important. Au-dessous du pneumogramme une ligne droite, la ligne des temps, marque des repères toutes les cinq secondes, d’où on peut voir que la respiration était de 18 par minute. Le tracé se lit de gauche à droite. Les inspirations se marquent de haut en bas ; elles sont un peu plus brusques que les expirations ; les expirations se terminent insensiblement, mais on ne pourrait dire s’il existe réellement une pause expiratoire.

La longueur des lignes tracées sur le cylindre dépend de beaucoup de facteurs ; d’abord de la longueur de la plume (cette longueur était de 12 centimètres et demi dans le tracé précédent) et des dimensions du tambour inscripteur ; ensuite de la profondeur des respirations et de la pression exercée par le lien autour de la poitrine. Par suite de cette complexité de conditions, dont beaucoup restent indéterminées, on renonce le plus souvent à traduire en mesures les lignes d’un tracé ; nous ne pouvons dire par exemple que sur notre graphique une ligne d’inspiration de 3 centimètres correspond à une augmentation du diamètre transversal de la poitrine égale à tant de centimètres. Par conséquent, un tracé respiratoire ne peut même pas nous apprendre si la respiration d’un sujet a été superficielle ou profonde ; cette incertitude est très fâcheuse. Tout ce que le tracé nous apprend, ce sont les changements de profondeur qui se produisent au cours d’une expérience, les appareils restant en place. Si par exemple les inspirations ont été au début de 3 centimètres, et qu’à un certain moment elles n’aient plus été que de 2 centimètres, si d’autre part il ne s’est produit aucune fuite dans le tambour et le tube, si le sujet n’a pas changé de position du corps ou des bras, on pourra conclure du tracé que la respiration est devenue à un certain moment plus superficielle.

Le pneumogramme 1 de la figure 62 présente un caractère frappant, la régularité ; bien que la succession d’actes respiratoires qui le composent ne soit pas rigoureusement identique et n’ait pas des graphiques superposables, néanmoins il y a de grandes analogies de forme et d’amplitude. On ne peut inscrire une respiration aussi régulière que chez un sujet bien dressé, habitué à se surveiller. Chez le premier venu, l’application du pneumographe produit un état d’émotivité qui rend la respiration rapide et surtout irrégulière ; même quand cette première émotion s’est dissipée, la respiration ne retrouve pas nécessairement son rythme normal ; il suffit à un novice de fixer son attention sur la respiration pour respirer irrégulièrement ; il ne sait plus respirer s’il se regarde respirer (fig. 61).

Le mieux est alors de distraire le sujet et d’attirer son attention sur un autre point.

Fig. 61. — Tracé respiratoire donné par un débutant. On voit que les courbes sont très irrégulières ; cette irrégularité devient encore plus frappante si on compare ce tracé au tracé respiratoire de la figure 62, pris chez un sujet habitué à ce genre d’expériences.

Avant d’indiquer l’influence du travail intellectuel sur le rythme respiratoire, rappelons très brièvement quelle est l’influence du travail physique. Nous donnons sur la figure 62 le pneumogramme 3 du même adulte de vingt-cinq ans, après une course de vitesse ayant amené l’essoufflement. Le tracé a été pris avec la même longueur de plume et le même tambour que dans la figure 62, tracé supérieur. On voit tout de suite que la respiration a subi deux modifications, l’une de vitesse, l’autre d’amplitude. Au lieu de 18 mouvements respiratoires par minute, il y en a 23, L’amplitude a beaucoup augmenté, mais nous ignorons dans quelle mesure exacte l’ampliation du thorax a augmenté, le tracé ne nous permet pas de la calculer. En s’amplifiant, la respiration est devenue plus régulière. Ce changement ne se lit pas clairement ici, parce qu’il s’agit d’une personne qui avait à l’état normal une respiration très régulière ; il en serait tout autrement pour un individu qui, n’étant pas habitué aux expériences, donnerait une respiration irrégulière pendant un état de repos ; l’essoufflement régularise la respiration et la soustrait à tous les changements d’influence psychique. La course de vitesse a produit une autre modification respiratoire, elle a égalisé l’inspiration et l’expiration ; cette dernière est devenue aussi rapide que l’inspiration et la pause a été supprimée.

Nous ne nous attarderons pas sur les effets que l’effort physique local produit dans le mécanisme des mouvements respiratoires, la question est trop complexe pour être traitée ici accessoirement ; nous passerons tout de suite à l’étude du travail intellectuel. Cette question a été étudiée par plusieurs auteurs, Delabarre[37], Lehmann[38], Binet et Courtier[39] et enfin Mac Dougall[40] ; on a surtout envisagé les effets d’un calcul mental.

Nous mettons sous les yeux du lecteur le tracé 2 de la figure 62, qui a l’avantage d’avoir été pris sur le même sujet, avec le même pneumographe, le même tambour et la même plume que les tracés de repos et de course. De cette manière, la comparaison du travail intellectuel avec le repos et la course est beaucoup plus facile. On commence par prendre la respiration normale. Le tracé, comme toujours, se lit de gauche à droite ; la ligne des temps porte des repères marqués toutes les cinq secondes. Au point marqué d’une croix, on donne au sujet la multiplication suivante :  ; et il commence aussitôt à la faire mentalement. Ce travail lui a paru très pénible. Voici son observation, rédigée par lui-même aussitôt après :

« Lorsque j’entends les nombres dont il faut faire le produit, la première question que je me pose est de savoir comment je dois faire la multiplication ; quelques secondes suffisent pour décider de calculer d’abord le produit de 30 par 70, puis de retrancher 30 de ce produit, ce qui donnera le produit de 30 par 69 ; ensuite calculer le produit de 2 par 69 et l’ajouter au produit précédent.

Fig. 62. — Sujet V. H. Tracé de la respiration prise avec le pneumographe de Laborde. Le tracé supérieur indique la respiration normale prise avec une vitesse plus prande du cylindre que pour les deux autres tracés. La ligne des temps indique les durées des întervalles de cinq secondes. Les inspirations sont marquées de haut en bas. Le deuxième tracé est celui de la respiration pendant le calcul mental : ce calcul mental a duré soixante-dix secondes, il est limité sur le trace par les deux croix ; on voit que pendant le calcul mental la respiration est moins profonde et elle est un peu accélérée ; après le calcul mental la respiration devient plus profonde qu’à l’état normal. Le troisième tracé, pris avec la même vitesse de cylindre que le second, indique la respiration après une course de 300 mètres de vitesse moyenne. La respiration est bien plus ample et plus rapide qu’à l’état normal. Tous les trois tracés ont été enregistrés l’un à la suite de l’autre, avec les mêmes appareils restant en place ; ils sont donc rigoureusement comparables.

« Au commencement le calcul était facile : je trouve 30 par 70 égal à 2 100, puis en retranchant 30 je trouve 2 070 ; ensuite je calcule sans grande difficulté 2 fois 69 = 138 ; c’est à ce moment qu’est survenue une certaine émotion, parce qu’il m’a semblé que j’avais oublié le premier produit partiel ; un effort est nécessaire pour le retrouver, et cette partie du calcul est la plus difficile. »

Le travail a duré soixante-dix secondes, au bout desquelles la solution a été indiquée, soit 2 208. Pendant ces soixante-dix secondes, la respiration a été modifiée, et il est facile de se rendre compte de cette modification en comparant la respiration avant, pendant et après le calcul mental. D’abord, la respiration a été accélérée, elle a été de 26 pendant ces soixante-dix secondes, ce qui fait environ 22 pour une minute, alors que la respiration calme de ce sujet est de 18. C’est une accélération analogue à celle que produit une course de vitesse. En outre, l’amplitude du mouvement respiratoire est bien réduite ; les inspirations deviennent beaucoup moins profondes. Sur le graphique, la réduction d’amplitude est de moitié, mais nous avons dit pour quelle raison il est impossible d’en conclure que l’ampliation de la poitrine a diminué dans la même proportion. Le tracé permet seulement d’affirmer que la respiration est devenue beaucoup plus superficielle. Ce caractère est un de ceux qui distinguent le mieux les effets respiratoires du travail physique et ceux de l’activité intellectuelle. Toutes les fois qu’on fait un calcul mental, il y a une tendance à la suspension de la respiration, entrecoupée parfois par une inspiration profonde ; le thorax se meut beaucoup moins. Chez quelques personnes, la respiration peut devenir tellement superficielle qu’elle cesse presque de se marquer sur le tracé ; la figure 9 en est un exemple.

Enfin, après le calcul mental, le sujet précédent a eu une respiration augmentée.

La diminution d’amplitude de la respiration pendant le calcul mental a été signalée par Delabarre et Lehmann ; l’un de nous, en collaboration avec Courtier, en a donné plusieurs exemples. Nous montrons dans la figure 63 un exemple de cette modification de la forme de la courbe respiratoire, qui a été le seul effet visible du calcul mental chez le sujet.

Fig. 63. — Modification du rythme respiratoire pendant le travail intellectuel. Expérience sur M. C… Multiplication mentale entre les deux verticales. La respiration, pendant l’effort intellectuel, devient plus rapide et plus superficielle ; la cage thoracique s’agrandit moins. Le tracé supérieur est celui de la circulation capillaire ; celui de dessous est celui du pouls radial ; ces deux tracés présentent des modifications à peine sensibles pendant le calcul mental.

On remarque encore, dans quelques tracés, que le travail intellectuel produit une modification du type respiratoire consistant dans une altération de la longueur ordinaire des périodes. L’expiration tend à se raccourcir et la durée de la pause post-expiratoire se raccourcit aussi. Cette modification ne se voit pas nettement sur la figure 62.

Dans un travail récent, très instructif, mais qui manque malheureusement de figures, un psychologue américain, Mac Dougall, a mesuré la durée des différentes périodes de l’acte respiratoire pendant le travail intellectuel et pendant l’état de repos. Nous donnons ci-joint le tableau qui contient ces mesures :

SUJETS INSPIRATION PAUSE inspiratoire EXPIRATION PAUSE expiratoire. DURÉE totale de la respiration. PROFONDEUR
Etat de repos.
A. . . . 0,72 sec. 0,22 sec. 1,39 sec. 1,35 sec. 3,68 sec. 29 mm.
B. . . . 0,76   — 0,31   — 1,24   — 1,12   — 3,43   — 34   —
C. . . . 0,67   — 0,40   — 1,17   — 1,35   — 3,59   — 20   —
D. . . . 1,26   —     »     — 1,89   — 1,98   — 5,13   — 81   —
E. . . . 0,67   — 0,49   — 0,85   — 1,11   — 3,12   — 15   —
Travail intellectuel.
A. . . . 0,49   — 0,22   — 1,12   — 0.90   — 2,63   — 22   —
B. . . . 0,22   — 0,31   — 1,12   — 0,36   — 2,01   — 13   —
C. . . . 0,67   — 0,22   — 1,26   — 0,37   — 2,51   — 25   —
D. . . . 0,58   — 0,13   — 1,62   — 1,89   — 4,22   — 61   —
E. . . . 0,45   — 0,45   — 0,85   — 0,85   — 2,60   — 12   —

Les chiffres indiquent en fractions de seconde les durées de l’inspiration, de la pause qui sépare l’inspiration de l’air de son expiration, de l’expiration, de la pause après l’expiration, puis la durée totale d’une respiration et enfin la profondeur de la respiration en millimètres.

On voit donc nettement que la respiration s’accélère ; le raccourcissement porte sur toutes les phases de la respiration, mais c’est surtout l’inspiration et la pause après l’expiration qui deviennent plus courtes ; enfin la respiration devient plus superficielle.

Nous sommes obligés de faire un aveu d’ignorance en ce qui concerne les causes de l’accélération respiratoire dont nous venons de signaler la production sous l’influence d’un calcul mental. Les mouvements respiratoires subissent un grand nombre d’influences : 1° il y a d’abord l’influence nerveuse réflexe, dont le centre est dans la moelle allongée ; le centre respiratoire peut être modifié par le sang qui le traverse, par les sensations centripètes qui lui arrivent, ou par des influx nerveux provenant d’autres parties du névraxe ; 2° la respiration est également influencée par la composition chimique du sang et des gaz qui y sont dissous ; 3° elle est chargée de réglementer la chaleur du corps ; 4° elle obéit à des actions psychiques volontaires et à des actions inconscientes. Il est fort difficile de faire la part de ces différents facteurs.

Quantité d’air utilisée par la respiration. — Pour déterminer l’état de la respiration d’un individu il ne suffit pas de connaître le nombre de ses mouvements respiratoires et sa courbe pneumographique, il faut encore savoir la quantité d’air expirée ou inspirée et puis déterminer la composition chimique des gaz expirés. Ces déterminations doivent être faites pour compléter les données que nous avons décrites précédemment.

Il n’existe pas encore d’étude sur l’influence que le travail intellectuel exerce sur la quantité d’air utilisée par la respiration ; mais pour montrer l’importance de ces déterminations nous donnerons quelques chiffres indiquant les variations de cette quantité sous l’influence d’autres conditions extérieures.

D’après Regnard, un homme de 160 centimètres de taille et de 60 kilogrammes de poids, faisant douze respirations par minute à l’état de repos, inspire pendant une minute 6 000 centimètres cubes.

D’après Vierordt, à chaque inspiration un adulte inspire 500 centimètres cubes.

Enfin, d’après Smith, un adulte inspire par minute :

Couché 
7 373 centimètres cubes.
Assis 
8 733
Marchant avec une vitesse de 3,2 km. par heure 
13 091
Marchant avec une vitesse de 4,8 km. 
16 844
Grand effort de course 
30 401
Sommeil 
5 767

On voit que les variations sont très considérables ; l’avantage de cette méthode sur la méthode graphique, dans laquelle on inscrit la courbe pneumographique, est que ces chiffres ont une signification précise, tandis que les mesures du graphique n’ont qu’une valeur relative.

Composition chimique des gaz expirés. — L’air que l’on inspire se compose dans les cas normaux d’azote et d’oxygène ; la proportion en poids est 23 p. 100 d’oxygène et 77 p. 100 d’azote ; la proportion en volume est 20,96 p. 100 d’oxygène et 79 p. 100 d’azote.

La composition du gaz expiré à l’état de repos est en moyenne en volumes : 15,4 p. 100 d’oxygène, 79,3 p. 100 d’azote et 4,3 p. 100 d’acide carbonique ; la température de ce gaz est égale environ à 36°,3.

Cette composition des gaz expirés varie beaucoup suivant les conditions. Ainsi elle varie avec les heures de la journée ; voici quelques chiffres de Vierordt ; le tableau indique le volume d’une expiration, le volume des gaz expirés en une minute, le volume de l’acide carbonique expiré en une minute et enfin la proportion de l’acide carbonique :

HEURES VOLUME d’une expiration en cm. c. QUANTITÉ des gaz expirés en une minute cm. c. QUANTITÉ d'acide carbonique par minute cm. c. PROPORTION d’acide carbonique p. 100.
9 h. du matin 
503 6 090 264 4,32
10 
529 6 295 282 4,47
11 
534 6 155 278 4,51
12 
496 5 578 243 4,36
12 1/2 à 1 h. déjeuner 1 h. après-midi 
513 6 343 276 4,35
516 6 799 291 4,27
516 6377 279 4,37
517 6 179 265 4,21
521 6 096 252 4,13
496 5 789 238 4,12
7 h. après-midi 
489 5 428 229 4,22

La composition des gaz est différente la nuit et le jour ; ainsi, d’après Pettenkofer et Voit, pendant un jour durant de 6 heures du matin à 6 heures du soir, un homme de vingt-huit ans et de 60 kilogrammes de poids a absorbé 234gr,6 d’oxygène et dégagé 532gr,9 d’acide carbonique ; pendant ce jour il n’a presque pas travaillé ; la nuit suivante, de 6 heures du soir à 6 heures du matin, il a absorbé 474gr,3 d’oxygène et a dégagé 378gr,6 d’acide carbonique.

Un autre jour, le même individu, en travaillant physiquement beaucoup pendant la journée, a absorbé 294gr,8 d’oxygène et dégagé 884gr,6 d’acide carbonique ; la nuit qui suivit ce jour, il a absorbé 659gr,7 d’oxygène et dégagé 391gr,6 d’acide carbonique.

On voit donc que le travail fait pendant le jour retentit non seulement sur la composition des gaz expirés pendant le jour, mais aussi sur ceux expirés pendant la nuit qui suit ce jour. C’est un résultat très important qui indique que l’état de repos après un travail n’est nullement identique à l’état de repos après une journée de repos. Il faudrait faire des expériences dans ce sens en cherchant l’influence produite par le travail intellectuel.

Quelques expériences partielles ont été faites pour déterminer l’influence d’un travail intellectuel sur la composition des gaz expirés. Liebermeister[41] a fait des expériences sur un médecin de quarante-deux ans, ayant 177 centimètres de taille, qui avait la faculté de pouvoir s’endormir à volonté à toutes les heures du jour ; les expériences étaient faites de 4 à 8 heures de l’après-midi, à deux jours différents.

Nous donnons dans le tableau suivant les occupations du sujet et la quantité d’acide carbonique expiré pendant ces occupations ; enfin dans la dernière colonne se trouvent la proportion d’acide carbonique expiré rapportée à une demi-heure :

OCCUPATIONS Acide carbonique dégagé. Acide carbonique dégagé rapporté à une demi-heure.
  Grammes. Grammes.
1/2 heure couché tranquillement 15,62 15,6
1/4 chant 10,41 20,8
1/4 lecture 9,33 18,7
1/2 sommeil 12,35 12,3
1/2 heure sommeil 12,67 12,7
1/2 12,30 12,3
1/4 lecture 9,43 18,9
1/4 chant 10,20 20,4
1/2 couché tranquillement 14,67 14,7

On voit que pendant le chant ou la lecture la quantité d’acide carbonique dégagé augmente sensiblement. Ce sont des résultats intéressants qui engagent à entreprendre de nouvelles recherches sur le même sujet.

Enfin Speck[42] a fait des expériences sur l’influence du travail intellectuel sur la composition des gaz expirés ; nous ne connaissons son travail que par une analyse et ne pouvons pas donner de détails ; il a trouvé que pendant une minute la quantité d’oxygène absorbé et d’acide carbonique dégagé étaient

  Oxygène absorbé. Acide carbonique.
À l’état de repos 
0,456 gr. 0,553 gr.
Pendant le travail intellectuel. 
0,507 gr. 0,583 gr.

Il y a plus d’oxygène absorbé pendant le travail intellectuel et aussi plus d’acide carbonique dégagé qu’à l’état de repos.

Au point de vue pratique les expériences sur la composition chimique des gaz de la respiration sont très instructives pour le pédagogue. En effet, une des questions les plus importantes de l’hygiène est l’aération des classes ; or comment pouvoir régler une aération rationnelle si on ne sait pas les quantités d’acide carbonique dégagées après tel ou tel autre travail intellectuel ou physique ? On a dans les traités d’hygiène scolaire calculé la grandeur des classes, le nombre de mètres cubes d’air nécessaire pour un élève, la quantité de mètres cubes d’air qui doivent être échangés par la ventilation pendant une heure ; or pour tous ces calculs on s’est servi jusqu’ici des données expérimentales sur la composition chimique des gaz expirés à l’état de repos par des enfants d’âges différents. C’est là une erreur de méthode très grave ; nous avons montré précédemment que sous l’influence d’un travail intellectuel la composition des gaz de la respiration change notablement ; il faudrait refaire tous les calculs que l’on a faits dans les traités d’hygiène en prenant pour point de départ les données sur la composition chimique des gaz de la respiration, soit après un travail intellectuel, soit après un travail physique.

La question de l’aération des classes est très importante : en effet déjà la présence de 1 p. 1000 d’acide carbonique dans l’air est considérée en hygiène comme nuisible à l’organisme, et on cherche maintenant à construire les écoles de manière qu’après une heure de classe cette proportion ne dépasse pas 1 p. 1000 ; or, cette proportion très faible d’acide carbonique est rapidement atteinte lorsque la ventilation n’est pas suffisante. Nous donnons ci-après quelques chiffres que nous empruntons à des travaux d’hygiène scolaire suédoise[43], où ces questions sont mieux étudiées que dans d’autres pays.

Voici les résultats des calculs faits pour déterminer le nombre de mètres cubes d’air qui doivent être renouvelés par ventilation pour un seul élève pendant une heure, afin que la proportion d’acide carbonique de l’air de la classe ne dépasse pas 1 p. 1000 ; les calculs sont faits dans deux cas, lorsque la classe a une grandeur telle que pour chaque élève il y a 5 mètres cubes d’air, et lorsqu’il y a 10 mètres cubes par élève. Dans la deuxième colonne se trouve indiqué après combien de minutes l’air de la classe contiendrait 1 p. 1000 d’acide carbonique s’il n’y avait pas de ventilation. Enfin, comme base de ces calculs, les auteurs suédois ont admis que les jeunes enfants dégagent chacun par heure 0mc,012 d’acide carbonique, les élèves plus âgés en dégagent 0mc,15, enfin les adultes 0mc,020.

VOLUME d'air par élève. JEUNES ENFANTS
ENFANTS AGÉS
ADULTES
Nombre de minutes pour atteindre 1 p. 1 000 d’acide carbonique. Nombre de mètres cubes à renouveler par ventilation par élève. Nombre de minutes pour atteindre 1 p. 1000 d’acide carbonique. Ventilation nécessaire par individu. Nombre de minutes pour atteindre 1 p. 1000 d'acide carbonique. Ventilation nécessaire par individu.
Mètres cubes. Minutes. M. cubes. Minutes. M. cubes. Minutes. M. cubes.
5 15 19,6 12 24,8 9 33,2
10 30 16,0 24 22,4 18 32

On voit donc qu’il faut, chez les jeunes élèves, lorsqu’il y a 5 mètres cubes d’air par élève, renouveler par la ventilation pendant une heure 19mc,6 d’air pour chaque élève. Il est certain que si on prenait comme base des calculs précédents la composition des gaz expirés pendant un travail intellectuel ou physique, les résultats seraient différents. Or, lorsqu’on construit des écoles on se fonde sur des calculs pareils aux précédents, et ils sont, comme on le voit, insuffisants et ne répondent guère aux exigences.

Il est par conséquent très important pour l’hygiène scolaire de connaître la composition des gaz expirés pendant le travail intellectuel ou physique. Ces études ne pourront être faites que dans des écoles par des personnes compétentes ; elles prendraient très peu de temps et ne gêneraient en rien les classes ; les résultats que l’on pourrait obtenir seraient d’une application pratique immédiate, puisqu’on pourrait dire exactement la valeur de la ventilation nécessaire après telle ou telle leçon. Espérons que des recherches de ce genre seront bientôt entreprises dans les écoles.


CHAPITRE VI
INFLUENCE DU TRAVAIL INTELLECTUEL
sur la force musculaire

Jusqu’ici, aucun auteur n’a traité dans son ensemble cette grande question ; on ne trouve dans la littérature que des études partielles, portant seulement sur une certaine forme du travail intellectuel ou sur un certain aspect de la force musculaire, et c’est bien à tort que des pédagogues et des physiologistes se sont hâtés de fonder sur ces études incomplètes des conclusions générales.

Le système neuro-musculaire dépense son activité sous deux formes qui sont profondément distinctes ; il y a d’abord l’activité volontaire et consciente, il y a ensuite l’activité réflexe, inconsciente, involontaire, automatique. Cette première distinction doit être introduite dans notre étude, et il faut envisager à part les effets du travail intellectuel sur l’activité volontaire et sur l’activité réflexe.

Le travail intellectuel aussi, nous l’avons remarqué souvent, présente plusieurs différences de degré et de nature. L’effort intellectuel court ne se confond pas avec le travail prolongé pendant toute une après-midi ou toute une semaine, et il faut aussi distinguer de ce travail intellectuel prolongé l’état psycho-physiologique stable qui se crée chez un individu adonné pendant toute sa vie aux travaux intellectuels. Cette dernière question présente un intérêt philosophique évident, puisqu’elle revient à se demander dans quelle mesure le développement de l’intelligence peut se concilier avec le développement des forces physiques.

Bien que nous soyons loin de pouvoir traiter à l’heure actuelle tous les points de ce vaste programme, il nous a paru bon de l’esquisser, à titre de suggestion pour des investigations nouvelles.

Influence du travail intellectuel sur l’activité automatique du système neuro-musculaire. — Les documents concernant cette question sont très peu nombreux. On s’est borné jusqu’ici à observer quelques-uns des effets produits par un travail intellectuel court, une lecture, un calcul mental, ou aussi une idée fixe. De ces études incomplètes est sortie la conclusion que tout effort d’esprit agit sur les muscles, que tout phénomène psychologique produit un état moteur particulier, auquel participe l’organisme entier. Sur ce thème on a joué un nombre infini de variations. Il faut rattacher à cet ordre d’idées une théorie nouvelle de l’attention, qui a été surtout exposée en France par Th. Ribot : la nature motrice de l’attention. Cet auteur soutient que l’attention, non seulement agit sur des muscles, ceux de la respiration, par exemple, ou du sourcil, mais encore qu’elle est un mécanisme moteur, qu’elle consiste dans une coordination de muscles. On est bien étonné de lire des affirmations aussi absolues ; et on cherche en vain sur quelles preuves elles s’appuient.

Malgré ce manque de preuves précises, la théorie de Th. Ribot a été acceptée, en France du moins, par un grand nombre de pédagogues et de médecins ; on voit citer cette théorie comme une théorie démontrée, basée sur des faits précis. Nous ne nous arrêterons pas sur des discussions de théorie, notre but est de rapporter les faits acquis qui doivent être admis par tout le monde, quelle que soit la théorie que l’on partage, et ce n’est qu’après avoir décrit ces faits d’observation précise que l’on devrait chercher à en déduire des théories et des explications sur les effets de l’attention.

Les recherches de laboratoire faites sur des adultes sont celles qui doivent nous inspirer le plus de confiance ; il faut les faire passer avant les recherches sur des malades, et surtout avant les recherches sur les hystériques.

Un auteur allemand, Heinrich[44] a étudié l’influence produite sur les muscles de l’œil par la fixation de l’attention sur des impressions sensorielles et par un calcul mental. Ce sont surtout les variations de la largeur de la pupille et du degré d’accommodation du cristallin que l’auteur a étudiées ; on mesurait la grandeur de la pupille et le rayon du cristallin au moyen d’un ophtalmomètre. Comme la grandeur de la pupille varie beaucoup avec l’éclairage, il fallait rendre celui-ci aussi constant que possible. Les expériences étaient faites dans une chambre noire, dont on réglait l’éclairage avec un volet qu’on ouvrait plus ou moins. Le sujet arrivait toujours à la même heure, on lui bandait l’œil droit et on fixait sa tête pour éviter tous les déplacements. Les observations étaient toutes faites sur l’œil gauche seulement.

Le sujet devait porter son attention soit sur un point fixé devant lui, soit sur un objet éclairé qui lui était présenté dans la vision indirecte sous un angle plus ou moins grand, soit enfin sur des calculs qu’il devait faire mentalement. Pendant tous ces actes, il devait fixer un certain point placé devant lui. Les objets que l’on présentait dans la vision indirecte étaient des lettres écrites sur des cartons carrés blancs de 2 à 4 centimètres de côté ; on les présentait du côté temporal à une certaine distance de l’œil. Les expériences ont montré que la pupille s’élargit lorsqu’on porte son attention sur un objet situé dans la vision indirecte, et elle s’élargit encore plus lorsqu’on fait un calcul mental. Voici quelques chiffres recueillis :

  FIXATION centrale. OBJET sous un angle de 50°. OBJET sous un angle de 60°. OBJET sous un angle de 70°. CALCUL mental.
Diamètre de la pupille. Millimètres. Millimètres. Millimètres. Millimètres. Millimètres.
3,14 3,69 4,12 3,32 4,39

Quelques expériences faites par Mentz sur le diamètre de la pupille ont aussi montré que pendant un travail mental la pupille s’élargit.

Cet élargissement de la pupille n’est pas le seul changement qui se produit dans les muscles de l’œil pendant un calcul mental. En effet, les expériences de Heinrich, dans lesquelles il a déterminé le rayon de courbure du cristallin, ont montré que la courbure diminue lorsque l’on fixe l’attention sur un objet dans la vision indirecte, et elle diminue encore plus lorsque l’on fait un calcul mental ; cette diminution de courbure du cristallin pendant le calcul mental est très forte et supérieure à celle produite par la vision d’un point très éloigné, ce qui est la diminution la plus forte qui puisse être donnée dans l’acte de la vision.

Voici quelques chiffres qui indiquent les valeurs du rayon de courbure du cristallin en millimètres :

CONDITIONS D’EXPÉRIENCE RAYON
Le sujet fixe un point à une distance de 32cm,2 
10,69 millim.
En fixant ce point, le sujet porte son attention sur un objet sous un angle de 40° 
12,34
En fixant ce point, le sujet porte son attention sur un objet sous un angle de 70° 
12,04
En fixant ce point, le sujet fait du calcul mental 
12,10
Le sujet fixe un point à une distance de 15 mètres 
17,06
Le sujet fixe un point à une distance de 384 centimètres 
15,48
Calcul mental pendant la fixation du point à 384 centimètres 
19,10

Enfin l’auteur a aussi observé l’état de convergence des yeux et il trouve que pendant le calcul mental les yeux tendent vers la position parallèle et divergent même quelquefois.

En somme, l’examen de l’œil pendant un travail intellectuel court a montré qu’il se produit des effets de relâchement musculaire dans tous les muscles de l’œil ; ainsi la pupille s’élargit, le cristallin s’aplatit et les yeux tendent vers une position divergente. Ce sont précisément des phénomènes inverses de ceux de l’accommodation.

Des résultats analogues aux précédents ont été obtenus par Mac Dougall[45] pour les muscles des doigts ; cet auteur a trouvé que pendant le calcul mental, les doigts qui sont un peu courbés avant le calcul se détendent légèrement, il semble qu’il y ait aussi un relâchement pour les muscles des doigts.

Un autre genre d’influence produite par la fixation de l’attention sur le système musculaire est la production de mouvements très faibles des membres et surtout des mains ; par exemple, lorsqu’on porte son attention sur un objet qui se déplace, on a une tendance à faire des mouvements avec la main ; ces mouvements inconscients ont été étudiés par quelques auteurs américains ; nous ne nous y arrêtons pas, puisque cette question sort du cadre de notre étude.

À ces questions, on pourrait rattacher aussi beaucoup d’études faites sur des malades, des hystériques, des individus nerveux et d’autres encore ; ces études ont montré que certaines personnes, quand elles ont une idée dans l’esprit, ne peuvent pas s’empêcher de la traduire inconsciemment par des gestes, des mouvements, des attitudes ; et il arrive parfois qu’un expérimentateur adroit et bien dressé devine, à certains gestes ou seulement à certains mouvements fibrillaires de la main, ce que pense une personne. Tout ceci appartient à l’histoire des mouvements inconscients, qui comprend la divination de pensée, le cumberlandisme, les tables tournantes et une bonne partie du spiritisme et de l’hystérie ; mais nous pensons que ces phénomènes s’éloignent un peu de ceux que nous étudions ici, puisqu’ils ne sont pas produits par un vrai travail intellectuel, mais par une idée obsédante, et qu’ils n’ont aucun rapport avec la pédagogie. On peut leur donner le nom de mouvements expressifs, car ils expriment la nature de l’idée qui possède un individu.

Influence du travail intellectuel sur l’activité volontaire du système neuro-musculaire. — Disons d’abord par quels procédés on mesure ordinairement la force musculaire d’une personne. L’instrument de mesure le plus connu est assez ancien : c’est le dynamomètre. Il est composé d’une ellipse en acier bien trempé ; on place l’ellipse dans la paume de la main, on l’entoure de ses doigts, et on serre de toutes ses forces, progressivement, sans à-coup ; une aiguille, courant sur un courant gradué qui est fixé à l’ellipse, indique dans quelle mesure on a rapproché, par l’effort de pression, les deux branches du dynamomètre. L’instrument permet d’évaluer la force des fléchisseurs des doigts, et cette évaluation est indiquée sur le cadran en kilos.

Fig. 64. — Dynamomètre communément employé pour mesurer la force des muscles fléchisseurs de la main.

On peut aussi employer cet instrument à mesurer la force d’autres groupes musculaires. On le fixe avec une chaîne à un arbre, ou à un poteau, par exemple, et on tire sur une autre chaîne terminée par une poignée et fixée également au dynamomètre, ce qui donne la force de traction transversale. En fixant le dynamomètre au sol, on peut mesurer de la même manière la force de traction verticale, ou force rénale.

Le dynamomètre présente de grands avantages, mais il renferme plusieurs causes d’erreur ; la principale est l’inhabileté des personnes qui s’en servent. Il faut veiller à ce que le sujet presse sur le dynamomètre avec la deuxième phalange des doigts, et non avec la première ou la troisième phalange. Des expériences nombreuses nous ont montré que c’est avec la deuxième phalange que l’on produit le maximum d’effort.

La force musculaire de pression progresse avec l’âge ; voici quelques chiffres qui indiquent cette progression ; ce sont des kilos, mais il ne faut pas y attacher grande importance ; quoique certains dynamomètres aient été étalonnés avec grand soin, leur échelle doit être considérée comme conventionnelle ; on ne doit donc tenir compte que des relations entre les différents nombres.

Nous donnons dans le tableau suivant les nombres obtenus par Gilbert sur la force dynamométrique du poignet chez les garçons et les filles[46].

Tableau de Gilbert. Force dynamométrique du poignet.
ÂGES GARÇONS FILLES ÂGES GARÇONS FILLES
  Kilogr. Kilogr.   Kilogr. Kilogr.
6 ans. 4,5 4,0 13 ans. 13,0 10,0
7   —   6,2 5,0 14   —   14,1 10,6
8   —   7,0 6,0 15   —   18,7 11,8
9   —   8,1 6,0 16   —   22,0 12,4
10   —   9,8 7,5 17   —   25,3 12,8
11   —   10,3 8,0 18   —   25,3 14,0
12   —   12,0 8,1 19   —   27,0 14,0

On voit que les filles sont plus faibles que les garçons ; la différence est petite jusqu’à onze ans, et elle croît de plus en plus à partir de cet âge.

Pour un adulte, la force moyenne de pression de la main droite varie de 30 à 40 kilos, et la main gauche est généralement inférieure de 5 kilos à la main droite. Ces chiffres peuvent servir à savoir si une personne est supérieure, inférieure ou égale à la moyenne des individus, au point de vue de la force musculaire de la main.

La force de flexion de la main ne peut pas être considérée, sans autre examen, comme mesurant la force musculaire du corps tout entier ; ce serait supposer qu’il existe un rapport harmonieux entre tous les muscles, ce qui n’est pas vrai. On doit compléter l’exploration des forces de la main par celle d’une autre partie du corps, par exemple la force de traction verticale, dans laquelle intervient l’énergie des masses musculaires du dos. Voici quelques chiffres relatifs à la force de traction verticale.

Force de traction verticale, d’après Gilbert.
ÂGES GARÇONS FILLES ÂGES GARÇONS FILLES
  Kilogr. Kilogr.   Kilogr. Kilogr.
6 ans. 33,8 25,4 13 ans. 94,3 69,8
7   —   42,2 32,2 14   —   107,1 76,2
8   —   51,7 36,3 15   —   130,1 81,6
9   —   58,9 45,8 16   —   138,4 78,4
10   —   68,5 44,5 17   —   158,9 81,2
11   —   78,0 52,2 18   —   171,9 82,6
12   —   85,7 58,5 19   —   171,9 88,4

Ici comme précédemment on voit que la différence entre les garçons et les filles devient forte seulement après l’âge de dix ans ; de plus, la force des garçons augmente continuellement jusqu’à l’âge de dix-huit ans, tandis que, pour les filles, elle n’augmente que jusqu’à l’âge de quatorze à quinze ans et reste stationnaire ensuite.

Le dynamomètre donne l’énergie musculaire momentanée. En physiologie, et aussi dans le langage courant, on distingue deux espèces d’épreuve : celles de force et celles de fond. Ces dernières expriment la durée maxima de l’effort, l’endurance, la résistance à la fatigue, toutes qualités qui sont bien distinctes de l’énergie de l’effort momentané. Pour étudier l’endurance, on peut employer aussi le dynamomètre : seulement, au lieu de faire presser l’instrument une seule fois, on demande au sujet une série de pressions, dix par exemple de chaque main, en faisant alterner chaque fois. Il existe un instrument qui a été spécialement inventé pour mesurer l’endurance, c’est l’ergographe[47]. Cet instrument, du à Mosso, a l’avantage de faire travailler isolément une petite partie du corps, un groupe restreint de muscles, ceux d’un seul doigt ; à ce doigt est attachée une corde qui sert à soulever un poids ; à chaque flexion, on soulève le poids.

Fig. 65. — Support de l’ergographe de Mosso. La main et le bras du sujet sont placés dans une position intermédiaire entre la pronation et la supination ; l’avant-bras est fixé par les coussinets mobiles C et D, le dos de la main repose sur le coussin fixe A ; le sujet enfonce l’index et l’annulaire dans les tubes G et K, de sorte que le médius peut se mouvoir librement dans l’intervalle entre les deux tubes G et K.


L’ergographe se compose de deux parties : l’une qui sert de support à la main, l’autre qui inscrit les flexions du doigt. Le support est une plaque de fonte sur laquelle sont fixés deux coussinets destinés à recevoir le poignet de la main (A) et l’avant-bras (B). Deux autres coussinets, qui sont mobiles (C et D), embrassent le poignet et l’immobilisent. Enfin, à la partie antérieure du support, sont fixés deux tubes de cuivre (G. H), dans lesquels on enfonce l’index et l’annulaire de la main ; le médius, avec lequel on travaille, reste libre. Ces tubes de cuivre peuvent être avancés ou reculés ; ils contiennent dans leur intérieur une plaque mobile servant de point d’appui au bout des doigts. La plaque de fonte servant de support est un peu oblique, pour que la main et le bras du sujet soient dans une position intermédiaire à la pronation et à la supination. Cette position est la moins fatigante de toutes.

Fig. 66. — Curseur enregistreur de l’ergographe de Mosso. La corde S est attachée à la 3e phalange du médius ; à la corde T est suspendu le poids. La plume PQ écrit sur un cylindre tournant.

La seconde partie de l’appareil est le curseur enregistreur. Il se compose d’une plate-forme XY sur laquelle sont montées deux colonnettes ML qui portent deux tringles d’acier NN’; sur celles-ci glisse un curseur métallique ORPQ, qui porte la plume pour inscrire les mouvements du doigt. Le curseur est relié par des crochets à deux cordes ; l’une S est attachée au médius ; l’autre T, après s’être réfléchie sur une poulie, se termine par le poids à soulever.

Le poids qu’on attache est de 2, 3 ou 5 kilogrammes. On comprend tout de suite que le doigt, en se fléchissant, tire sur la corde et soulève le poids, et que le curseur qui se trouve sur le trajet est déplacé sur les tringles de cuivre ; la longueur de son parcours est égale à la longueur de l’ascension du poids ; par conséquent, si on connaît le poids soulevé et si, d’autre part, on mesure le chemin parcouru, on peut évaluer en kilogrammètres le travail mécanique exécuté par le doigt en se fléchissant.

Le curseur écrit son déplacement sur un cylindre tournant très lentement ; la longueur des lignes des tracés est égale à la longueur de l’ascension du poids. On fait l’expérience en suivant les battements d’un métronome réglé pour battre un coup chaque deux secondes. On fléchit le doigt chaque deux secondes en soulevant le poids, puis on le laisse retomber ; les tracés successifs s’inscrivent en lignes droites les uns à côté des autres sur le cylindre qui tourne très lentement. On continue à soulever le poids jusqu’à ce qu’on soit immobilisé par la fatigue, ce qui arrive plus ou moins vite suivant les individus.

Nous donnons deux tracés, pris, l’un sur une femme, l’autre sur un homme, tous deux jeunes gens de vingt-quatre ans ; on voit qu’à mesure que les flexions se répètent, le poids est soulevé à une hauteur moindre ; la fatigue qui succède à des efforts intenses produit une incapacité de faire des flexions vigoureuses. Les deux personnes se sont fatiguées d’une manière différente : chez l’une, la fatigue s’est fait sentir presque dès le début, mais elle a été légère ; chez l’autre, la fatigue a été plus tardive et aussi plus brusque. Mosso a donné à ces courbes les noms de courbe de fatigue ou de courbe d’épuisement. Il assure que la courbe d’un individu est à peu près constante d’un jour à l’autre, et même à plusieurs années d’intervalle.

On mesure le travail du doigt à l’ergographe comme on mesure un travail mécanique, en multipliant la longueur par le poids. Dans la première figure, le poids était égal à 4 512 grammes, la somme de hauteurs de soulèvement est de 426 millimètres, donc le travail mécanique calculé en kilogrammètres est égal à 1 922 kilogrammètres. Dans le second tracé le poids est égal à 3 535 grammes, la somme des hauteurs à 539 millimètres, donc le travail à 1 805 kilogrammètres.

Fig. 67. — Courbe ergographique donnée par un homme ; le poids est de 4 512 grammes ; il est soulevé par le médius de la main gauche. Le tracé se lit de droite à gauche.
Fig. 68. — Courbe ergographique donnée par une femme ; le poids est de 3 535 grammes ; il est soulevé par le médius de la main gauche. Le tracé se lit de droite à gauche.

Nous pensons qu’on peut faire quelques critiques à ce calcul. Pour l’admettre, il faudrait admettre aussi que le premier centimètre parcouru par le poids est équivalent comme travail au troisième centimètre, et qu’en d’autres termes un sujet qui avec le doigt fléchi soulèverait 100 fois un poids à 25 millimètres ferait le même travail physiologique que s’il le soulevait 50 fois à 50 millimètres. C’est possible ; mais ce n’est pas prouvé.

On peut faire une seconde objection au principe même de l’ergographe. Le poids à soulever reste le même d’un bout à l’autre de l’expérience ; c’est par exemple 5 kilos, poids qu’on choisit habituellement pour un adulte. Or, aux premières flexions, ce poids est insuffisant pour certains individus, qui pourraient soulever un poids plus lourd ; d’autre part, quand la fatigue arrive et que le sujet ne peut plus soulever seulement d’un millimètre le poids de 3 kilos, il pourrait cependant donner encore un travail mécanique considérable si on allégeait le poids ; ce sujet n’est pas, comme on le dit toujours, complètement épuisé.

Enfin, pour terminer, nous remarquerons que l’ergographe présente une imperfection de détail qui, pratiquement, peut avoir des conséquences graves. Le doigt qui travaille n’est pas suffisamment isolé. Au début, on se contente de fléchir le médius et on fait l’expérience correctement ; mais bientôt, quand la fatigue se fait sentir, on opère des tractions avec le poignet et tout le bras. Cette cause d’erreur peut être évitée par des sujets adultes qui savent s’observer ; mais dans des expériences faites sur des élèves d’écoles et de lycées, il serait chimérique de compter sur cette auto-surveillance. Nous avons eu l’occasion de faire des recherches ergographiques sur une centaine d’élèves dans les écoles[48], et très rapidement nous nous sommes aperçus que l’ergographe de Mosso encourage la fraude. Nous y avons obvié en fixant le médius dans un tube formé de deux parties, dont l’une est fixe, dont l’autre est mobile autour de la première, de façon à imiter l’articulation du doigt. Ce dispositif, sans être parfait, évite plusieurs causes d’erreur (fig. 69).

Dernièrement, nous (Binet et Vaschide) avons fait construire (chez Collin, à Paris) un ergographe à ressort, pour éviter les inconvénients produits par la constance du poids à soulever.

Fig. 69. — Dispositif employé pour fixer le médius et pour rendre les flexions du médius plus uniformes.

Après cette description des appareils, passons aux observations et expériences qui ont été faites. Nous trouvons ici, comme pour les recherches précédentes, le travail intellectuel court, qui se distingue à peine d’une fixation de distinguer l’attention, et le travail intellectuel prolongé.

Travail intellectuel court. — Les recherches n’ont pas porté précisément sur ce point particulier, mais sur des points voisins. On a surtout recherché quel est l’effet des excitations des sens sur la force volontaire, et c’est tout à fait secondairement qu’on rapproche des excitations des sens l’effort d’attention et le travail intellectuel proprement dit.

En outre, les observations qui ont été prises l’ont été sans cette méthode, ce soin de la répétition, cette minutie qui caractérisent les recherches de laboratoire. Aussi les résultats que nous allons résumer présentent-ils quelque incertitude.

La force musculaire que nous pouvons dépenser au dynamomètre est caractéristique pour chacun de nous ; chacun de nous donne un chiffre moyen de pression ; mais ce chiffre varie légèrement sous l’influence de plusieurs circonstances ; par exemple l’heure de la journée a de l’importance ; si on explore la force d’un individu à différentes heures de la journée, on trouve qu’elle varie assez régulièrement, et des physiologistes (Patrizi, Lombard) ont pu dessiner la courbe journalière de la force musculaire. L’état momentané de repos et de fatigue, la disposition morale, la présence de tel ou tel témoin — surtout d’un témoin de sexe différent — peuvent soit augmenter, soit diminuer le chiffre moyen de pression. Chez certains malades, chez les hystériques, il a été constaté à maintes reprises par Féré qu’une excitation brusque des sens peut doubler momentanément la force musculaire de pression. Ainsi, une hystérique donnait 30 kilogrammes au dynamomètre ; si on approchait de ses narines un flacon de musc, en la priant de serrer le dynamomètre pendant qu’elle sentait l’odeur, elle donnait une pression de 50 kilogrammes. Sur des sujets analogues, on a pu voir que toutes les excitations des sens, à la condition d’être courtes et intenses, provoquent cette augmentation temporaire de la force musculaire. On a aussi observé que chez des personnes non hystériques on peut provoquer des réactions analogues.

Féré écrit[49] : « Sous l’influence du travail intellectuel, la force dynamométrique augmente, et dans des proportions d’un sixième, d’un cinquième, d’un quart même, suivant que l’attention a été fixée d’une façon plus ou moins soutenue. Dans un bon nombre d’explorations, j’ai noté une tendance à l’égalisation entre les deux mains, c’est-à-dire que la main gauche, qui est plus faible que la droite de 10 kilogrammes environ, gagne souvent plus que la droite sous l’influence de l’excitation psychique provoquée par le travail intellectuel. Cette exagération de l’énergie est du reste momentanée ; elle cesse en général quelques minutes après la cessation de l’excitation provoquée. Ces expériences… montrent que l’exercice momentané de l’intelligence provoque une exagération momentanée de l’énergie des mouvements volontaires. »

Cette intéressante conclusion devrait engager les auteurs à reprendre en détail l’étude de la question.

Il semble que rien n’est plus simple que de savoir si une influence quelconque augmente ou diminue la force musculaire : on fait presser le dynamomètre, puis on fait agir l’excitation, puis on fait presser de nouveau le dynamomètre. Sans doute, ce procédé expéditif est suffisant pour les cas où l’excitation produit une augmentation énorme de la force musculaire ; mais l’augmentation énorme ne se manifeste guère que chez les hystériques, qui à la première épreuve n’ont pas donné leur maximum de force. Chez le sujet normal, il est bien rare de provoquer, par quelque moyen que ce soit, des augmentations de force musculaire égales à 30 kilogrammes. Nous n’en connaissons pas d’exemple. Le plus souvent, ce sont des modifications légères et difficiles à observer parce qu’elles ne sortent guère des limites des causes d’erreur. Voici par exemple une de ces causes d’erreur, qu’il est utile de signaler. Dernièrement, nous avons fait avec M. Vaschide des explorations dynamométriques sur 42 jeunes gens de seize à dix-huit ans, élèves-maîtres dans une école normale d’instituteurs. Chacun d’eux a pressé vingt fois le dynamomètre, dix fois de chaque main, les deux mains alternant ; c’était pour la première fois qu’ils se servaient de l’instrument. Nous avons fait la moyenne de chaque épreuve et obtenu ainsi une courbe représentant le développement de la force musculaire pendant cette expérience de vingt pressions. Or, nous voyons que pour la main droite la première partie de la courbe est en ascension, ce qui veut dire que les premières pressions vont en augmentant. Si on avait intercalé un travail intellectuel ou une excitation des sens entre les premières pressions, on aurait cru pouvoir en conclure que c’étaient ces facteurs qui avaient déterminé une augmentation de force musculaire, et c’eût été une erreur.

Il est évident que pour voir clair dans ces questions, on doit commencer par déterminer, au moyen d’expériences nombreuses, la courbe typique de développement de la force musculaire pendant une série de pressions, et on n’arrive à cette courbe qu’après avoir supprimé les effets de l’exercice et aussi de l’émotivité. Voici à peu près comment on devrait procéder. Il faudrait d’abord, première condition, opérer sur de grands nombres, au moins sur 100 sujets, car un fait n’est vrai que s’il se répète sur beaucoup d’individus. On prendrait à part chacun de ces 100 sujets, et on leur ferait donner vingt pressions espacées par trois à cinq minutes de repos. Quelques jours après, on reprendrait l’expérience ; on dresserait la courbe de la deuxième journée, on la comparerait à celle de la première journée. On laisserait passer encore plusieurs jours, on reprendrait ensuite l’expérience, on dresserait la troisième courbe. Enfin, dans une quatrième séance, on introduirait une variante, on intercalerait du calcul mental entre chaque pression ; puis on tracerait encore une fois la courbe de la force musculaire. On aurait ainsi recueilli quatre courbes ; il resterait à les comparer, pour savoir si elles diffèrent et si la différence produite par le travail intellectuel est de même nature et de même degré que les variations des courbes normales, sans travail intellectuel, prises dans des conditions identiques. C’est une recherche que nous nous proposons de faire.

Travail intellectuel prolongé. — Nous pouvons renouveler ici les objections que nous venons de formuler plus haut. Il n’existe point de recherches méthodiques sur les effets du travail intellectuel prolongé sur la force musculaire. Nous ne possédons encore que des observations individuelles, et avec quelque soin qu’elles aient été recueillies, elles ne suffisent vraiment pas pour établir des règles générales.

Les recherches dont le récit va suivre ont toutes été faites avec l’ergographe de Mosso : cet ergographe, qui, sauf quelques erreurs de détail signalées plus haut, est un très bon instrument, a été adopté dans beaucoup de laboratoires de physiologie, et on l’a employé à beaucoup de recherches diverses : étude comparée de la force musculaire dans les deux mains, influence de la marche, du vin, du lait, du thé, du café, des poisons, des extraits d’organe sur la force musculaire, etc., etc. En ce qui concerne le travail intellectuel, les documents sont beaucoup moins nombreux. Ils ont été recueillis en majorité par Mosso. Nous lui devons trois observations principales :

La première, la plus curieuse, a été publiée dans le mémoire original où l’ergographe est décrit pour la première fois. Elle est décrite sous ce titre : Influence de la fatigue psychique sur la force des muscles. Le sujet est le docteur Maggiora[50], professeur d’hygiène à l’Université de Turin ; la fatigue psychique qu’il éprouvait résultait des examens qu’il faisait passer aux élèves de l’Université[50].

Les tracés que nous publions abrégeront notre description. Le tracé 1 (fig. 70) est donné avant les examens, le doigt soulevait un poids de 2 kilogrammes. Il y a eu cinquante-cinq contractions.

« À 2 heures, commencent les examens. Le docteur Maggiora en fait subir onze, ce qui constitue un travail intense, durant trois heures et demie et sans intervalle de repos. De plus, outre la fatigue résultant de l’obligation où il était d’interroger et de diriger l’examen, il y avait aussi l’émotion de sentir la responsabilité de son propre enseignement en présence de collègues compétents qui assistaient comme membres de la Commission examinatrice et qui pouvaient le juger. »

Après l’examen, Maggiora inscrit le tracé de la figure 70, qui montre un grand affaiblissement de la force musculaire ; la première contraction et la seconde sont encore très fortes ; la seconde est même plus forte que la seconde d’avant l’examen ; mais la force décroît rapidement.

Fig. 70. — Tracés ergographiques de Maggiora. Le tracé 1 est donné à l’état de repos. Le tracé 2 est pris à 5 h. 45 du soir, après avoir fait subir des examens depuis trois heures. Le tracé 3 est pris à 7 heures et demie, enfin le tracé 4 est pris à 9 heures du soir. Ces courbes indiquent l’influence du travail intellectuel prolongé sur la force musculaire volontaire.

Ce qui nous semble surtout diminué, ce n’est pas la force du premier effort, c’est la qualité d’endurance. À bien regarder ce tracé 2 de la figure, on a la conviction qu’il réunit deux états moteurs différents, une surexcitation de l’effort momentané, surexcitation qui est très courte, et une diminution de l’effort continué. À 7 heures du soir, on prend le tracé 3, qui a les mêmes caractères que le précédent, et à 9 heures on prend le tracé 4, qui est analogue.

En constatant cette diminution considérable de la force musculaire à la suite d’un travail du cerveau, on pourrait penser que la fatigue est centrale et dépend de l’état des centres moteurs du cerveau. Mais Mosso a montré que la question est beaucoup plus complexe, et que les muscles, excités directement par l’électricité, donnent moins de travail ergographique après le travail intellectuel qu’avant.

Fig. 71. — Courbes ergographiques de Maggiora obtenues en faisant soulever au médius un poids de 500 grammes par l’excitation électrique des muscles. Le tracé 1 est obtenu à 9 heures du matin. De 2 heures à 5 heures et demie de l’après-midi, Maggiora faisait passer des examens ; le tracé 2 est pris à 3 heures et demie et enfin le tracé 3 à 7 heures du soir. On voit que sous l’influence du travail intellectuel les muscles eux-mêmes se fatiguent considérablement.


La figure 71 a été obtenue en faisant tenir à un doigt de la main gaucbe (Maggiora) un poids de 500 grammes, et en appliquant le courant induit de l’appareil de Du Bois-Reymond sur les muscles fléchisseurs des doigts. En 1, tracé obtenu à 9 heures du matin, avant l’examen. Depuis 2 heures de l’après-midi et jusqu’à 5 heures et demie, le docteur Maggiora interroge onze élèves. À 5 heures et demie, on inscrit le deuxième tracé de la figure. Ici encore nous voyons que la force des muscles est diminuée ; au lieu de cinquante-deux contractions qu’il faisait le matin, le docteur Maggiora n’en fait plus que douze après les examens. La fatigue n’est donc pas simplement centrale, elle a gagné les nerfs moteurs et les muscles. Ajoutons à cette description une remarque qui a, semble-t-il, échappé à Mosso. Nous ne trouvons pas dans la figure 71 la surexcitation courte qu’on pouvait observer, dans la figure 70, après le surmenage ; le deuxième tracé de la figure 71 est dans toutes ses parties moins haut que le premier tracé de la même figure. Ceci donnerait à penser — si le fait était constant, ce qui est à voir — que la surexcitation de l’effort momentané, après le travail cérébral, dépend des centres moteurs du système nerveux et n’appartient pas aux muscles.

En rapportant les observations précédentes, Mosso dit que les recherches analogues faites sur lui-même ne donnèrent pas des résultats aussi évidents que chez Maggiora, bien que chez lui aussi on vît une diminution de la force après les examens. Il est cependant regrettable que Mosso n’ait pas reproduit ses propres tracés. Il nous semble que ce qu’il importe de connaître, ce ne sont pas des résultats exceptionnellement brillants, mais des résultats moyens, qui s’appliquent à la grande majorité des individus.

Dans les tracés de Maggiora nous voyons que c’est surtout le nombre des soulèvements du poids qui est modifié, la hauteur des premiers soulèvements est même augmentée. Cette observation se trouve en rapport avec une hypothèse intéressante qui a été développée par Kræpelin et Hoch[51] dans un travail récent ; ces auteurs déduisent d’un certain nombre d’expériences qu’en lisant le tracé ergographique il faut séparer le nombre de soulèvements du poids et la somme des hauteurs de soulèvement, car il y a des causes qui influent sur le nombre sans modifier la somme des hauteurs, et il y a d’autres causes qui influent sur la somme des hauteurs de soulèvement sans produire un changement du nombre de soulèvements. En examinant de plus près ces différentes causes, les auteurs arrivent à la conclusion générale qui, si elle était vraie, aurait une importance pratique très grande, à savoir que la hauteur des soulèvements dépend de l’état des muscles, tandis que le nombre de soulèvements dépend du système nerveux central ; par conséquent, on aurait là un moyen permettant de séparer l’influence produite par certaines causes sur les muscles, de celle produite sur les centres nerveux. Bien que ce soit une hypothèse, elle est fondée sur des observations, et nous rapporterons ici ces observations, puisque si l’hypothèse précédente n’est pas exacte entièrement, elle pourrait contenir une part de vérité, qu’il est important de connaître. Voici ces observations :

L’exercice acquis en faisant tous les jours des expériences augmente surtout le nombre de soulèvements ; il influe bien un peu au début sur la hauteur des soulèvements, mais cette influence est bien plus faible que la première.

Au contraire, la fatigue produite en faisant des expériences toutes les dix minutes, diminue d’abord la hauteur des soulèvements, et seulement après vient une diminution du nombre de soulèvements.

Si on fait les expériences après un repas on voit que la hauteur des soulèvements augmente, tandis que le nombre ne varie pas ou même diminue un peu.

Les dispositions de travail, variables suivant les heures de la journée, influent surtout sur le nombre de soulèvements, sauf après les repas.

On remarque donc que les causes telles que la fatigue et les repas qui influent surtout sur les muscles (?) produisent une modification de la hauteur des soulèvements ; tandis que les causes comme l’exercice acquis de jour en jour et les dispositions générales pendant la journée influent surtout sur le nombre de soulèvements.

Une question importante se pose ici : A-t-on le droit de séparer l’action des muscles de l’action des centres nerveux ? Les expériences nombreuses de Mosso et de ses élèves, ainsi que celles de Waller, décident cette question dans le sens affirmatif.

On peut produire un mouvement de flexion du médius en excitant, par un courant électrique, le muscle directement ou le nerf moteur qui y aboutit. Or, si on fait des soulèvements volontaires de poids jusqu’à épuisement complet, il est encore possible d’obtenir des soulèvements par l’excitation électrique ; inversement, si le muscle est épuisé par les excitations électriques, on peut encore soulever le poids par des contractions volontaires. De plus, si après avoir fait quelques soulèvements volontaires, on produit un certain nombre de soulèvements par l’excitation électrique et qu’ensuite on fasse de nouveau des mouvements de flexion volontaire, ces derniers mouvements seront plus intenses que les soulèvements avant les contractions électriques, par conséquent la volonté s’est reposée pendant que le muscle travaillait sous l’influence des excitations électriques. L’inverse n’a pas lieu ; une série de soulèvements volontaires intercalés entre deux séries de soulèvements électriques n’augmente pas la force de ces derniers ; enfin il n’est pas possible d’obtenir par une excitation électrique une force de soulèvement aussi grande que par la volonté. Tous ces résultats semblent montrer qu’on doit séparer, dans l’acte de soulèvement d’un poids, d’une part l’action du muscle, et d’autre part cette action nerveuse centrale que l’on désigne par le nom d’impulsion volontaire.

L’hypothèse de Kræpelin et Hoch n’est donc pas, comme on le voit, présentée sans arguments ; seulement, comme l’importance de la question est très grande, on ne peut pas se décider à admettre une hypothèse aussi générale à la suite d’expériences faites sur un petit nombre de sujets. Il serait intéressant de poursuivre ces recherches, de modifier les différentes conditions d’expérience et surtout de faire les expériences sur beaucoup de sujets.

Dans quelques-uns de ses livres de vulgarisation Mosso est revenu sur cette question des rapports entre la fatigue psychique et le travail d’un doigt à l’ergographe ; par suite de l’importance très grande de la question, nous transcrivons ici ces observations nouvelles.

Ces observations sont intéressantes puisqu’elles montrent qu’il peut y avoir des différences individuelles ; de plus, pour un même individu la réaction peut être différente suivant les circonstances. Nous citons textuellement les paroles de Mosso[52] :

« Des expériences que j’ai faites sur la fatigue il résulte qu’il n’en existe qu’une seule espèce : la fatigue nerveuse. C’est du moins là le phénomène prépondérant, et la fatigue des muscles n’est au fond qu’un phénomène d’épuisement nerveux.

« La complication des phénomènes réside surtout en ce que ceux-ci sont sentis différemment par les divers individus. J’ai pu me convaincre, en étudiant la force musculaire chez plusieurs de mes collègues quand ils venaient de faire une leçon, quelle grande différence on constate d’un sujet à l’autre. Chez le professeur Aducco, le cours qu’il vient de faire a pour résultat d’amener une excitation nerveuse qui augmente sa force musculaire. J’ai constaté plusieurs fois ce fait lorsqu’il me suppléait à l’Université.

« Chez le professeur Aducco une excitation telle que celle qu’entraîne un discours solennel ou une leçon augmente la force musculaire ; mais la fatigue intellectuelle et les émotions prolongées diminuent au contraire la force des muscles, et finalement, à une surexcitation de la force nerveuse succède les jours suivants une dépression de cette force. »

Une seconde observation est celle sur le Dr Maggiora, le même qui a donné les courbes précédentes après avoir fait passer des examens. Les deux courbes suivantes ont été prises, la première avant une leçon faite par Maggiora, et la deuxième après cette leçon.

On voit qu’avant la leçon le sujet a soulevé le poids quarante-huit fois, la somme de hauteur de soulèvement est égale à 2 343 millimètres et les premiers soulèvements sont de 63 à 65 millimètres.


Fig. 72. — Tracé ergographique donné par Maggiora à l’état de repos avant son cours. Il y a 48 soulèvements, les premiers soulèvements sont de 60 à 65 millimètres et la somme totale des soulèvements est égale à 2 343 millimètres.

Après la leçon il a soulevé le poids seulement trente-sept fois, la somme des hauteurs de soulèvement est de 1 646 millimètres, et les premiers soulèvements ont comme précédemment 64 millimètres. Par conséquent, par suite de la fatigue intellectuelle produite par la leçon, le nombre de soulèvements et la somme des soulèvements ont diminué sensiblement, tandis que les premiers soulèvements étaient aussi forts après la leçon qu’avant ; c’est en somme une confirmation du même fait observé après les examens.

Fig. 73. — Tracé ergographique de Maggiora obtenu après la leçon. Les premiers soulèvements sont de 64 millimètres, le nombre de soulèvements est égal à 37 et la somme totale des hauteurs de soulèvement est de 1 646 millimètres. Par conséquent, sous l’influence de la leçon, ce sont le nombre de soulèvements et la somme des hauteurs qui diminuent.

Enfin la troisième observation rapportée par Mosso dans son livre sur la fatigue est celle de Patrizi ; cette observation a été faite avant et après une leçon de physiologie que le Dr  Patrizi a prononcée en remplaçant Mosso. L’observation est intéressante, nous la transcrivons presque complètement :

« À 5 heures j’étais déjà debout, et ce repos d’une si courte durée n’avait pas été compensé par un sommeil calme. Le thermomètre traduisit mon agitation, car au lieu de trouver 36°,9 comme température rectale, il y avait 37°,8. Je me levai et cherchai à surmonter mon émotion croissante et à tromper l’ennui des quatre interminables heures qui me séparaient de l’instant solennel, en donnant les dernières retouches aux dessins qui devaient servir à la démonstration. Mais c’est difficilement que j’arrivai à corriger le tremblement de ma main, et le pinceau laissait des lignes inégales et ondulées.

« Vers 10 heures, la température était toujours 37°,8. Je pris à 10 heures et demie le tracé du pouls de l’avant-bras droit avec l’hydrosphygmographe. En comparant ce tracé à ceux des jours suivants, on voyait réellement que le pouls était plus fréquent : cent quinze pulsations au lieu de soixante-dix-huit ; le tracé ascendant de la systole était plus vertical, le tracé descendant plus rapide, et le dicrotisme plus manifeste. Ces caractères différentiels avec le pouls normal étaient plus accentués après la leçon, parce que le dicrotisme était beaucoup plus marqué ; c’était un indice certain du relâchement des parois vasculaires.

« À 10 heures 27 minutes, peu d’instants avant d’entrer en chaire, le nombre des battements cardiaques s’était accru. Il y en avait cent trente-six par minute. Le nombre des mouvements respiratoires complets montait à trente-quatre. J’éprouvais une sensation de pression et d’étranglement à l’épigastre, et la salivation s’était un peu accrue, de telle sorte que j’étais obligé de cracher un peu.

« J’entrai, et après avoir parlé soixante-dix minutes, marchant et gesticulant avec vivacité, en partie pour dissimuler mon embarras, je sortis à moitié couvert de sueur, et un grand soupir s’échappa de ma poitrine. Je pris de nouveau le pouls dans les mêmes conditions que précédemment, les pulsations étaient au nombre de cent six par minute. La température était montée à 38°,7. Avec l’ergographe, en soulevant un poids de 3 kilogrammes, je ne pus exécuter qu’un travail de 4kg,50, alors que deux heures auparavant, lorsque mon agitation était à son comble, j’avais accompli un travail de 5kg,95. On voit que je n’étais pas encore entré dans la phase de dépression nerveuse, parce que ce travail de 4kg,50, accompli immédiatement après la leçon, est encore supérieur au travail normal accompli à la même heure, celui-ci n’étant que de 4kg,35. Je sentis que mon exaltation nerveuse allait disparaître et faire place à la dépression. Je traînais la jambe comme si je venais de faire une longue course. Je m’endormis bientôt d’un sommeil profond et continu qui dura deux heures et restaura mes forces. »

Toutes ces observations montrent donc qu’il faut distinguer les influences produites sur la force musculaire par un travail intellectuel sans accompagnement émotionnel de celles que produit un travail intellectuel accompagné d’émotions fortes, comme dans le cas du Dr  Patrizi. Il semble que lorsque le travail intellectuel agit seul pendant une heure à peu près, il se produit une diminution de la force musculaire ; tandis que lorsqu’il y a travail intellectuel avec émotion, il se produit d’abord une augmentation de la force musculaire, et ce n’est qu’après un certain intervalle que la force diminue et tombe au-dessous de la valeur normale.

Deux autres auteurs, Keller[53] et Kemsies[54], ont fait quelques expériences ergographiques sur des élèves ; il est à regretter que ces auteurs n’aient rapporté leurs résultats que très sommairement, de sorte que l’on ne peut guère juger comment les expériences étaient faites. Le résultat qu’ils ont trouvé tous les deux est que la force musculaire diminue après les différentes leçons, et de plus que la valeur du travail musculaire donné à l’ergographe varie beaucoup d’un jour à l’autre. Nous transcrivons les chiffres rapportés par Kemsies pour un élève de quatorze ans qui soulevait un poids de 2 550 grammes :

Mercredi à 3 heures après-midi. 
2,058 kg. m.
Jeudi à 2 heures 
1,02 (un peu fatigué).
Jeudi à 6 heures 
1,22 (un peu fatigué).
Vendredi à 3 heures 
0,867 (un peu fatigué).
Vendredi à 6 heures 
0,740 (fin des études).
Samedi à 8 heures du matin 
1,173 (un peu fatigué).
Samedi à 2 heures 
0,867
Samedi à 6 heures 
0,842 (fin des études).
Lundi à 6 heures 
1,275
Mardi à 8 heures du matin 
2,130
Mardi à 2 heures 
1,700

Ces chiffres isolés ne peuvent conduire à aucune conclusion ; nous les rapportons pour montrer qu’il y a là tout un sujet d’études importantes qui doivent vivement intéresser le pédagogue. Nous répétons pour ces expériences la même chose que ce que nous avons dit pour les autres expériences sur la circulation du sang et sur la respiration : elles sont faciles à faire dans les écoles, elles prennent peu de temps et peuvent conduire à des résultats pratiques importants.

En résumé, le fait qui paraît être établi positivement est que le travail intellectuel produit une modification de la force musculaire ; cette modification est différente suivant que le travail est court ou qu’il est prolongé, suivant que le travail est accompagné d’un état émotionnel ou non. En étudiant les modifications produites par le travail intellectuel sur la force musculaire il faut distinguer deux genres d’efforts : premièrement l’effort maximum que l’on peut donner une fois au dynamomètre, c’est l’épreuve de force ; et deuxièmement la quantité des efforts successifs que l’on peut donner à des intervalles rapprochés, c’est l’épreuve de fond.

Il semble — c’est un fait qu’il faut encore contrôler par de nouvelles expériences — que sous l’influence d’un travail intellectuel court la force musculaire augmente ; que sous l’influence d’un travail intellectuel d’une heure sans accompagnement émotionnel la force musculaire diminue, et cette diminution porte sur l’épreuve de répétition, c’est-à-dire sur l’épreuve de fond. Enfin il semble qu’après un travail intellectuel d’une heure accompagné d’une émotion excitante la force musculaire augmente, mais quelque temps après elle tombe au-dessous de la normale.


CHAPITRE VII
INFLUENCE DU TRAVAIL INTELLECTUEL
sur les échanges nutritifs

Nous avons montré dans les chapitres précédents que le travail intellectuel amène des changements bien déterminés dans la circulation du sang, dans la respiration et dans la production de chaleur de l’organisme ; ce sont là des influences qu’il importe de connaître, qui nous font mieux comprendre les effets nuisibles produits par le surmenage intellectuel, mais qui n’ont pas encore de portée pratique pour le pédagogue. Dans le présent chapitre nous sommes en présence d’une question non seulement intéressante au point de vue théorique, mais aussi très importante pratiquement, c’est la question de l’influence produite par le travail intellectuel sur les échanges nutritifs de l’organisme.

L’importance pratique de cette question pour le pédagogue est évidente ; en effet, la nutrition est la fonction de l’organisme qui se trouve à la base de toutes les autres fonctions ; une nutrition normale est la condition première d’une bonne santé ; l’activité d’un organe quelconque dépend de l’état de la nutrition de cet organe ; d’une part, si la nutrition n’est pas suffisante, l’organe ne peut plus travailler aussi bien qu’à l’état normal, et d’autre part tout travail prolongé, toute dépense d’énergie amène certaines modifications dans les échanges nutritifs, et pour réparer ces modifications un simple repas ne suffit souvent pas, il faut intervenir en activant la nutrition.

La réglementation de l’alimentation est une des questions les plus difficiles de l’hygiène scolaire ; il faut d’abord donner aux enfants une nourriture suffisante pour réparer leurs forces et pour les rendre capables d’exécuter un travail intellectuel et physique tel que celui qu’ils ont à faire à l’école ; en outre il faut tenir compte de la répartition des classes, dans une journée ; ainsi il est évident qu’il doit y avoir des différences dans la facilité de travail avant le déjeuner et après le déjeuner ; l’heure des repas, la quantité de nourriture et sa composition doivent influer sur le travail intellectuel que l’on fait après ces repas, et inversement l’organisme doit avoir besoin d’une nourriture différente après plusieurs heures de travail intellectuel assidu et après un repos de quelques heures. Faut-il donner au déjeuner la même nourriture que pour le dîner, ou bien faut-il donner pour l’un plus que pour l’autre ? Combien de temps de récréation faut-il laisser écouler entre la fin d’un repas et le commencement des classes ? Faut-il mettre les leçons les plus difficiles avant, ou après les repas ? Doit-on mettre les classes de gymnastique avant, ou après les repas ? etc.

Voilà quelques-unes des nombreuses questions pratiques qui se présentent et auxquelles nous ne pouvons pas pour le moment donner de réponse précise. Nous voyons que dans chaque pays on accepte un système différent ; en France, on a en général trois heures de classe le matin, puis vient le déjeuner suivi d’un repos d’environ une heure ; enfin il y a deux ou trois heures de classe l’après-midi. En Allemagne, on a dans les lycées cinq heures de classe le matin (de 8 heures à 1 heure), puis vient le déjeuner, et dans l’après-midi on travaille bien moins. Enfin en Russie, après trois heures de classe le matin vient le déjeuner ; une demi-heure après les classes recommencent.

Quel est le système le plus rationnel ? quel est celui qui répond le mieux aux conditions de l’hygiène de l’esprit et du corps ? On n’en sait rien pour le moment. Seulement, si on ne peut pas encore donner de réponse précise à ces différentes questions, on peut dès maintenant indiquer des méthodes d’étude qui permettront un jour d’arriver à des résultats pratiques d’une grande importance. Il faut poursuivre ces recherches, et pour pouvoir le faire il faut absolument que ces recherches soient encouragées par l’administration ; des personnes compétentes doivent avoir l’autorisation de faire dans les écoles des expériences inoffensives sur les élèves. Ces expériences sont faciles à faire, elles ne prennent pas beaucoup de temps et ne peuvent par conséquent pas amener de dérangements dans les classes.

Comment étudier l’influence produite par le travail intellectuel sur les échanges nutritifs ? La question est très compliquée ; il est en effet difficile de déterminer la quantité et la qualité de la nourriture qui convient le mieux à un individu donné après un travail intellectuel ou après un repos : il est impossible de se fier à l’appétit, puisqu’il varie beaucoup suivant les circonstances et que le moindre effort de volonté, la connaissance seule que l’on est en expérience, suffisent pour modifier l’appétit d’un individu. D’autre part, une nourriture insuffisante ou trop forte ne se fait sentir le plus souvent qu’après un intervalle prolongé.

Il semblerait donc que l’on devrait renoncer à étudier expérimentalement l’influence produite par le travail intellectuel sur la nutrition chez des individus isolés.

Ce serait une conclusion erronée, puisque nous sommes en réalité en possession de deux procédés qui permettent d’étudier l’influence cherchée. Si l’on ne peut pas, par suite des complications et des variations fortuites, étudier la quantité de nourriture qui convient le mieux après un travail intellectuel et après un repos chez un individu pris isolément, on peut faire cette détermination chez un groupe d’individus qui se trouvent dans des conditions égales, qui mènent la même vie, qui travaillent et se reposent aux mêmes heures ; en effet, les variations fortuites existent pour eux aussi bien que pour chaque individu, mais elles se détruisent les unes les autres, et si on prend le total de nourriture consommée par ce groupe uniforme d’individus, soit après un travail intellectuel assidu, soit après un repos prolongé, il est très probable que la différence de la consommation exprimera l’influence produite par le travail intellectuel.

Il faut, bien entendu, que les conditions soient aussi comparables que possible dans les deux cas ; il faut refaire l’expérience plusieurs fois, et c’est seulement si les résultats concordent qu’on pourra affirmer avec certitude que l’on a trouvé une certaine influence produite par le travail intellectuel sur la nutrition.

La première des conditions, c’est de donner la même nourriture toutes les fois ; elle doit non seulement avoir la même composition, mais de plus il faut qu’elle soit préparée toujours de la même manière. Ajoutons que cette nourriture ne doit pas être limitée en quantité, il faut qu’elle soit à discrétion ; ce n’est qu’à cette condition que l’on verra si l’on a plus ou moins mangé après le travail intellectuel.

Les premières recherches faites par l’un de nous (Binet), d’après cette méthode, ont donné des résultats intéressants que nous rapporterons plus loin. Avant d’en parler, indiquons la seconde méthode ; elle est plus ancienne que celle que nous venons de décrire : c’est l’étude de la sécrétion urinaire.

La sécrétion urinaire. — On sait que lorsqu’un organe quelconque fonctionne, il se forme dans cet organe des produits de désassimilation ; des substances chimiques nuisibles à l’organisme s’accumulent dans cet organe ; le sang enlève ces substances nuisibles, ces poisons de l’organisme, comme on les appelle, il les entraîne avec lui et les met en contact avec les parois de certaines glandes, dont les plus importantes sont les reins ; la fonction de ces glandes consiste surtout à laisser passer à travers leurs parois les substances nuisibles entraînées par le sang ; c’est ainsi que par filtration à travers les parois des reins s’accumulent la plupart des composés chimiques renfermés dans l’urine. On comprend donc facilement que si une cause quelconque produit dans l’organisme une accumulation d’une certaine substance, cette substance apparaîtra, soit sous une forme pure, soit sous forme de composé, dans l’urine ; on pourra donc, par l’examen de l’urine, constater la production dans l’organisme de ladite substance. En somme, toute variation de la composition de l’urine indique une variation dans les échanges nutritifs de certains organes. L’analyse de l’urine pourra donc servir à constater une modification produite sur les échanges nutritifs.

Le deuxième procédé d’étude consiste donc à analyser l’urine, soit à des jours de repos, soit à des jours de travail intellectuel, et à observer les différences de composition qui dépendent de ces conditions.

Ce procédé a été employé par plusieurs auteurs depuis 1853, mais les résultats obtenus par des auteurs différents ne concordent pas entre eux ; souvent même il y a des contradictions évidentes. Ces différences dans les résultats tiennent à la difficulté de rendre les conditions d’expérience bien égales ; en effet, une des premières difficultés est l’alimentation ; le genre et la quantité d’aliments que l’on prend influent beaucoup sur la composition de l’urine ; il faut donc choisir un certain régime bien déterminé et se soumettre pendant plusieurs jours à ce régime alimentaire. Le choix de ce régime est très difficile, il faut qu’il ne soit ni trop abondant ni insuffisant ; on a cru voir une preuve que la quantité d’aliments correspond exactement aux besoins de l’organisme, lorsque le poids du corps reste constant pendant toute la durée de l’expérience ; mais il est évident que c’est une preuve bien incertaine, ce n’est qu’une indication approximative.

Chaque auteur, en se soumettant aux expériences, a choisi un régime alimentaire différent ; on devait donc s’attendre à obtenir des résultats variant d’un auteur à l’autre. Une seconde cause de variabilité des résultats est le nombre trop faible d’individus soumis aux expériences. En général, chaque auteur n’a fait les expériences que sur lui-même, pour la raison bien simple qu’il est difficile d’exiger de quelqu’un qu’il se soumettre à un régime alimentaire particulier pendant une série de jours, qu’il travaille à certains jours et se repose à d’autres.

Passons rapidement en revue les résultats obtenus par les différents auteurs.

Mosler[55] a fait le premier des expériences sur l’influence produite par un travail intellectuel sur la composition des urines ; il se soumit à un régime alimentaire uniforme et trouva que sous l’influence d’un travail intellectuel l’acide phosphorique de l’urine augmente considérablement ; c’est surtout l’acide phosphorique uni aux terres qui augmente de quantité.

Hammond[56] reprit les expériences, il se soumit pendant dix jours à un régime spécial ; il trouva que sous l’influence du travail intellectuel la quantité totale de l’urine augmente ; de plus la composition de l’urine change : l’urée, le chlorure de sodium, l’acide phosphorique et l’acide sulfurique augmentent de quantité.

Byasson[57] refit avec soin les expériences ; on peut dire que c’est le premier auteur qui ait étudié soigneusement la question de l’influence produite par le travail intellectuel et physique sur la sécrétion urinaire.

Les expériences ont été faites pendant neuf jours de suite ; le régime alimentaire régulier auquel l’auteur s’était soumis comprenait par jour 1 500 centimètres cubes d’eau et 750 grammes d’un pain particulier, préparé de la manière suivante : 1 kilogramme de farine de blé, 6 œufs, 125 grammes de beurre, 60 grammes de sucre, une petite quantité de sel et puis la quantité nécessaire d’eau. Le poids de l’auteur était resté constant et égal à 53 kilogrammes pendant toute la durée des expériences. Les heures de coucher et de lever étaient toujours les mêmes : 11 heures du soir et 7 heures du matin.

Les 4e, 5e et 8e jours étaient des jours de repos ; l’auteur ne faisait ces jours-là que quelques analyses chimiques le matin.

Les 1er , 2e et 7e jours, il faisait pendant cinq à six heures du travail musculaire ; ce travail consistait à bêcher, marcher, monter et descendre un escalier.

Les 3e, 6e et 9e jours, il faisait six à sept heures de travail intellectuel, consistant en lecture attentive, rédaction, résolution de problèmes de mathématiques, etc.

Le tableau suivant contient les résultats obtenus ; les chiffres du tableau indiquent la composition moyenne des urines par jour ; chaque colonne contient les moyennes prises sur trois jours de repos, ou trois jours de travail intellectuel, ou trois jours de travail musculaire.

Tableau de Byasson. Composition moyenne de l’urine par jour.
  REPOS TRAVAIL intellectuel. TRAVAIL musculaire.
Quantité totale de l'urine par jour 
1 157   1 320   752  
Densité 
1,010   1,010   1,016  
Acidité exprimée en potasse anhydre 
0,117    0,117    0,300  
Urée 
20,46     23,88     22,89    
Acide urique 
0,132    0,136    0,222  
Acide phosphorique anhydre 
1,5080 1,9777 1,4779
Acide sulfurique anhydre 
0,4646 0,9424 0,3878
Chlore 
1,2239 0,4169 0,8792
Chaux 
0,1264 0,1242 0,1251
Magnésie 
0,1099 0,1153 0,1173
Potasse 
0,2531 0,2674 0,2943

On voit d’abord que la quantité d’urine est plus considérable les jours de travail intellectuel que les jours de repos ; au contraire elle est bien inférieure les jours de travail musculaire ; ceci tient probablement à une transpiration abondante pendant le travail musculaire.

L’acidité de l’urine ne varie pas sous l’influence du travail intellectuel, et elle augmente considérablement à la suite d’un travail musculaire.

La quantité d’urée augmente après les deux genres de travaux, mais cette augmentation est plus forte sous l’influence du travail intellectuel.

La quantité d’acide urique ne varie pas après le travail intellectuel, elle augmente sous l’influence du travail musculaire.

L’acide phosphorique augmente à la suite d’un travail intellectuel, il diminue un peu après un travail musculaire.

Il en est de même pour l’acide sulfurique.

La quantité de chlore diminue après un travail musculaire et elle diminue encore plus après un travail intellectuel.

Les variations de chaux, de magnésie et de potasse sont très faibles.

Tels sont les résultats obtenus par Byasson. Il faut d’abord remarquer qu’il s’était soumis à un régime alimentaire très artificiel, et on peut se demander si sous un autre régime il aurait obtenu des résultats analogues aux précédents. De plus, les méthodes d’analyse employées par l’auteur ne sont pas très exactes, de sorte que l’on ne doit tenir compte que des variations assez fortes.

Wood[58] fit des expériences sur lui-même en 1869 ; il étudia surtout les variations dans la quantité d’acide phosphorique, et il distingua l’acide phosphorique uni aux terres de celui qui est uni aux métaux alcalins.

On a vu que, d’après Mosler, c’est surtout l’acide phosphorique uni aux terres qui augmente sous l’influence d’un travail intellectuel. Les recherches de Wood ont donné des résultats opposés à ceux de Mosler : la quantité totale d’acide phosphorique de l’urine ne varie pas ; il se produit une légère augmentation des phosphates alcalins et une diminution de 20 à 40 p. 100 de phosphate terreux.

Nous nous arrêterons plus longuement sur les deux dernières recherches faites sur ce sujet, ce sont celles de Mairet et de Thorion.

Mairet[59] a étudié seulement les variations de la quantité d’azote et d’acide phosphorique dans l’urine. Des expériences parallèles ont été faites, d’une part pour étudier l’influence de l’alimentation sur la composition de l’urine, et d’autre part l’influence produite par un travail musculaire ou intellectuel. Bien que l’influence produite par le travail musculaire n’entre pas directement dans le plan de notre livre, nous rapporterons ici les expériences de Mairet, puisqu’on peut de cette manière avoir un point de comparaison entre les influences du travail intellectuel et celles d’un travail physique.

L’étude de l’influence produite par le travail intellectuel a été faite sur deux personnes, dont l’une était l’auteur lui-même. Chez l’un des sujets il n’a été fait qu’une seule série de six jours d’expériences : les trois premiers jours étaient sans travail intellectuel, et, les trois derniers jours, le sujet faisait des traductions allemandes et anglaises pendant cinq heures par jour. Le régime alimentaire était toujours le même, c’était un régime mixte se composant des trois repas suivants :

Premier repas. — 150 grammes de chocolat au lait et 50 grammes de pain.

Deuxième repas. — 170 grammes de soupe à la paysanne ; 100 grammes de pain ; un œuf sur le plat ; 30 grammes de viande de mouton ; 50 grammes de pommes de terre ; un peu de confiture.

Troisième repas. — 150 grammes de soupe grasse ; 110 grammes de pain ; 50 grammes de viande de bœuf rôti ; 70 grammes de pommes de terre frites ; 10 grammes de fromage.

Voici maintenant les résultats obtenus en moyenne par jour :

Composition de l’urine d’après Mairet.
  EAU AZOTE ACIDE phosphorique total. ACIDE PHOSPHORIQUE
uni aux terres. uni aux alcalis.
Repos 
1 068 13,57 1,71 0,49 1,22
Travail intellectuel 
947 12,07 1,57 0,50 1,07
Différence 
— 121 — 1,50 — 0,14 + 0,01 — 0,15

On voit donc que sous l’influence du travail intellectuel la quantité d’eau diminue, l’azote diminue, l’acide phosphorique uni aux alcalis diminue, tandis que l’acide phosphorique uni aux terres ne varie pas. Rappelons que ce sont des influences produites par un travail assez facile ne durant que deux heures le matin et trois heures l’après-midi. Les expériences que l’auteur a faites sur lui-même sont plus nombreuses. Il a, d’une part, étudié l’influence produite par un travail intellectuel pendant des régimes alimentaires différents ; d’autre part, il a étudié l’influence produite par un travail intellectuel plus ou moins long.

Deux régimes alimentaires différents ont été choisis par Mairet ; avec chacun de ces régimes, l’auteur a fait les expériences pendant une série de jours ; la composition des repas pris chaque jour pendant chacun des régimes se trouve donnée dans le tableau suivant :

1er REPAS 2e REPAS 3e REPAS
Régime alimentaire mixte.
  Gr.   Gr.   Gr.
Chocolat 150 Soupe paysanne 170 Soupe grasse 150
Pain 40 Pain 120 Pain 110
    Jambon 30 Viande de bœuf 50
    1 œuf au plat » Pommes de terre 70
    Viande de mouton 40 Fromage 20
    Pommes de terre 50    
    Fromage 20 Eau et vin pour 24 heures 1 100
    Une pomme »
    Café noir »    
Régime alimentaire végétal.
Chocolat 150 Bouillon aux pommes de terre 200 Bouillon gras 200
Pain 40 Pain 60
    Pain 60 Pommes de terre 100
    Macaroni 150 Pois chiches 80
    Pommes de terre 80 Fromage 20
    Fromage 20    
    Une pomme » Eau et vin en 24 heures 1 100
    Café noir »

Avec le régime alimentaire mixte, l’auteur est resté au repos quatre jours de suite, puis il a travaillé pendant les quatre jours suivants ; ce travail consistait dans la rédaction de questions médicales pendant sept heures par jour ; les deux jours suivants l’auteur a fait du travail intellectuel durant dix heures par jour.

Les résultats des expériences sont contenus dans le tableau qui suit :

Composition de l’urine d’après Mairet.


  EAU AZOTE ACIDE PHOSPHORIQUE
Total. uni aux terres. uni aux alcalis.
Repos 
1 195 24,54 2,15 0,50 1,65
Travail intellectuel de 7 heures 
1 246 22  2,03 0,52 1,53
Travail intellectuel de 10 heures 
1 410 21,08 1,83 0,58 1,27
Différence entre le travail intellectuel de 7 heures et le repos 
+ 51 — 2,54 — 0,10 + 0,02 — 0,12
Différence entre le travail intellectuel de 10 heures et le repos 
+ 215 — 3,46 — 0,30 + 0,08 — 0,38

On voit qu’avec le régime alimentaire mixte le travail intellectuel diminue la quantité d’azote de l’urine, il diminue la quantité d’acide phosphorique uni aux alcalis et n’influe presque pas sur l’acide phosphorique uni aux terres. De plus le tableau précédent montre que ces influences sont plus fortes pour le travail intellectuel de dix heures que pour le travail de sept heures.

Avec le régime alimentaire végétal, l’auteur a fait des expériences pendant une série de six jours ; les trois premiers jours étaient des jours de repos, les trois suivants comprenaient sept heures de travail intellectuel par jour. Les résultats obtenus sont contenus dans le tableau suivant :

  EAU AZOTE ACIDE PHOSPHORIQUE
Total. uni aux terres. uni aux alcalis.
Repos 
1 660 10,82 1,59 0,43 1,16
Travail intellectuel de 7 heures 
1 633 8,45 1,60 0,51 1,10
Différence 
— 27 — 2,37 + 0,01 + 0,08 — 0,6

On voit que sous ce régime, comme précédemment, la quantité d’azote diminue sous l’influence du travail intellectuel, celle de l’acide phosphorique uni aux alcalis diminue un peu, celle de l’acide phosphorique uni aux terres augmente un peu.

Enfin, l’auteur s’est soumis aussi à un régime de diète, dans lequel pendant trente-six heures il n’a pris que 200 grammes de bouillon de viande ; l’expérience a été faite à deux reprises, une fois avec repos, et une autre fois, dix jours après, avec un travail intellectuel de sept heures. Les résultats obtenus concordent avec ceux que nous avons indiqués plus haut ; les voici :

  EAU AZOTE ACIDE PHOSPHORIQUE
Total. uni aux terres. uni aux alcalis.
Repos 
525 12,13 1,39 0,26 1,13
Travail intellectuel 
570 10,71 1,34 0,35 0,99
Différence 
+ 45 — 1,42 — 0,05 + 0,09 — 0,14

Ainsi dans ce cas aussi la quantité d’azote et d’acide phosphorique uni aux alcalis diminue sous l’influence du travail intellectuel, tandis que la quantité d’acide phosphorique uni aux terres augmente un peu.

Comme comparaison donnons les résultats des expériences faites sur l’influence produite par un travail musculaire sur la composition de l’urine.

Ce travail musculaire consistait à monter des paillassons ; ce travail nécessitait la station verticale, un va et vient autour du métier, des mouvements de flexion du tronc, enfin et surtout la mise en activité des muscles des bras et du thorax. Il est à noter que jamais ce travail n’a produit chez les personnes en expérience de transpiration forte. La durée de ce travail était égale à sept heures, dont trois le matin et quatre l’après-midi.

Les individus étaient soumis pendant une série de jours soit à un régime mixte, soit à un régime végétal. Chaque série comprend seize jours, dont les huit premiers sans travail et les huit suivants avec travail musculaire.

Les tableaux suivants résument les résultats obtenus pour deux sujets.

  AZOTE ACIDE PHOSPHORIQUE
Total. uni aux terres. uni aux alcalis.
1er  sujet. Régime mixte.
Repos 
22,58 1,85 0,48 1,37
Travail musculaire 
23,57 2,20 0,49 1,71
Différence 
+ 0,99 + 0,35 + 0,01 + 0,34
Régime végétal.
Repos 
19,30 1,90 0,43 1,45
Travail musculaire 
22,21 2,32 0,45 1,86
Différence 
+ 2,91 + 0,42 + 0,02 + 0,41

Pour le deuxième sujet, les résultats sont donnés dans le tableau suivant :


  AZOTE ACIDE PHOSPHORIQUE
Total. uni aux terres. uni aux alcalis.
2e sujet. Régime mixte.
Repos 
21,17 2,11 0,54 1,57
Travail musculaire 
22,55 2,27 0,53 1,74
Différence 
+ 1,38 + 0,16 — 0,01 + 0,17
Régime végétal.
Repos 
21,36 2,03 0,51 1,52
Travail musculaire 
24,68 2,37 0,45 1,92
Différence 
+ 3,32 + 0,34 — 0,06 + 0,40

On voit donc que l’influence produite par le travail musculaire est bien différente de celle produite par le travail intellectuel. En effet, sous l’influence du travail musculaire la quantité d’azote augmente, celle de l’acide phosphorique uni aux alcalis augmente aussi, tandis que la quantité d’acide phosphorique uni aux terres ne varie presque pas. De plus les variations sont plus fortes lorsque le sujet est soumis au régime végétal que pendant le régime mixte.

En résumant les influences produites par le travail intellectuel et musculaire sur la quantité d’azote et d’acide phosphorique dans l’urine, nous obtenons le tableau suivant :

  AZOTE ACIDE PHOSPHORIQUE
Total. uni aux terres. uni aux alcalis.
Travail intellectuel 
Diminué. Diminué. Normal Diminué.
Travail musculaire 
Augmenté. Augmenté. Augmenté.

Ce sont, on le voit, des influences tout à fait contraires. L’auteur discute longuement la raison des différents changements observés. Ces discussions reposent sur de pures hypothèses et sont sujettes à caution ; nous nous contenterons par conséquent de les indiquer très brièvement.

Le travail intellectuel entraîne, comme nous l’avons vu, une diminution de la quantité d’azote. Or, on sait que l’azote que l’on trouve dans les urines dépend beaucoup des aliments ingérés et de la décomposition des matières albuminoïdes. Comme l’alimentation a été la même les jours de repos que les jours de travail intellectuel, on ne peut pas rapporter la diminution de l’azote de l’urine à une variation dans la nourriture ; il faut donc l’attribuer à une moindre décomposition des matières albuminoïdes.

On ne peut pas, d’après l’auteur, rattacher la diminution de la décomposition des matières albuminoïdes à une variation des échanges nutritifs qui se passe dans le système nerveux ; il faut donc conclure que sous l’influence du travail intellectuel la nutrition générale de l’organisme se ralentit. C’est une conclusion qui paraît probable et qui se trouve bien d’accord avec les études récentes de Binet sur la consommation du pain pendant l’année scolaire ; de même ce résultat concorde aussi avec ceux qui ont été obtenus sur l’influence qu’un travail intellectuel prolongé produit sur la circulation du sang.

La discussion faite par Mairet de la cause qui amène une diminution de la quantité d’acide phosphorique uni aux alcalis et une légère augmentation de l’acide phosphorique uni aux terres nous paraît moins convaincante que la précédente. Il attribue, d’une part, la diminution de l’acide phosphorique uni aux alcalis à la diminution de la nutrition générale, et d’autre part il attribue cette diminution à l’activité du cerveau ; le cerveau emploie, d’après lui, de l’acide phosphorique pour travailler ; hâtons-nous de dire que cette dernière conclusion n’est pas prouvée, elle ne peut être admise que sous forme de conjecture.

Les méthodes chimiques employées par Mairet pour l’analyse de l’urine ne sont pas très précises ; elles ont été critiquées par Thorion[60], qui a repris l’étude de l’influence produite par le travail intellectuel sur les urines.

Nous rapporterons les résultats obtenus par cet auteur. Il a analysé aussi complètement que possible l’urine ; c’est un avantage sur le travail de Mairet ; mais d’autre part il n’a étudié l’influence du travail intellectuel que pour un seul régime alimentaire.

Les expériences ont été faites par l’auteur sur lui-même pendant onze jours de suite. Le régime alimentaire auquel il s’est soumis est le suivant. Il y a eu deux repas par jour ; à midi : viande de bœuf (exempte d’os, graisse, aponévroses, tendons), 150 grammes ; haricots secs, 100 grammes ; graisse, 40 grammes (20 grammes de beurre et 20 grammes de saindoux) ; fromage, 20 grammes ; pain, 150 grammes ; vin rouge à 10°,5, 500 centimètres cubes ; eau, 500 centimètres cubes.

À 7 heures et demie : viande de bœuf, 150 grammes ; pommes de terre, 200 grammes ; beurre, 20 grammes ; fromage, 20 grammes ; pain, 150 grammes ; vin rouge 500 centimètres cubes ; eau, 1 000 centimètres cubes ; eau-de-vie à 45°, 22 centimètres cubes.

Ce régime a été choisi de telle manière que le poids total du corps (73 kilogrammes) n’a pas varié pendant les onze jours d’expérience.

Le sommeil a toujours duré de 10 heures et demie du soir à 6 heures et demie du matin. Toutes les causes d’excitation nerveuse ont été évitées.

Les 2e, 3e, 6e, 7e, 8e, et 11e jours étaient des jours de repos ; ces jours-là l’auteur faisait des analyses des urines et calculait les résultats de ces analyses ; c’était bien un certain travail intellectuel, mais comme l’auteur était habitué à faire ces analyses, ce travail lui était très facile ; le reste du temps de la journée il demeurait en repos.

Les 1er , 4e,5e, 9e, et 10e jours étaient des jours avec travail intellectuel ; entre les analyses des urines l’auteur travaillait ces jours pendant cinq à huit heures ; ce travail consistait dans la lecture de livres scientifiques, la correction des épreuves, la composition et la résolution de problèmes d’algèbre.

Passons aux résultats : nous donnons dans le tableau suivant les valeurs moyennes des analyses des urines pour les jours de repos et pour les jours de travail intellectuel.

  REPOS TRAVAIL intellectuel. DIFFÉRENCE
Quantité totale de l’urine en 24 heures 
1 518 cc. 1 678 cc. 160 +
Densité de l’urine 
1,0184 1,0168 0,0016
Quantité de chlore 
6,08 gr. 6,26 gr. 0,18 +
Soufre total en acide sulfurique 
2,79 2,66 0,13
Acide phosphorique total 
2,4168 2,2971 0,0197
Chaux 
0,144 0,192 0,048 +
Magnésie 
0,128 0,140 0,012 +
Azote total en urée 
33,68 34,05 0,37 +
Urée 
31,49 30,65 0,84
Acide urique 
0,825 0,845 0,02 +

On voit par le tableau précédent que le travail intellectuel augmente le volume de l’urine, il augmente la quantité de magnésie et surtout celle de chaux ; il diminue la densité de l’urine et la quantité d’acide sulfurique. Les autres substances ne présentent pas de variation bien nette ; il faut noter que l’acide phosphorique total ne varie presque pas sous l’influence du travail intellectuel ; mais il est probable que les composés phosphoriques changent ; ainsi il est probable, d’après l’auteur, que la quantité des phosphates terreux augmente, tandis que celle des phosphates alcalins diminue.

Si maintenant on compare les résultats trouvés par différents auteurs, on voit qu’ils ne concordent pas les uns avec les autres ; cela tient d’abord à ce que chaque auteur a choisi un régime alimentaire différent, puis il est probable que les différences individuelles doivent être considérables ; enfin les méthodes d’analyse employées n’ont pas toujours été assez précises[61].

La conclusion générale qui résulte de ces expériences est que le travail intellectuel influe sur la composition de l’urine d’une manière assez notable ; cette influence est très complexe ; il y a d’abord, comme l’ont trouvé tous les auteurs, une augmentation de la quantité totale de l’urine et une diminution de la densité de l’urine. Il faut rapprocher cette augmentation de la quantité de l’urine des expériences faites sur la pression du sang par Binet et Vaschide, qui ont vu que la pression du sang augmente dans la main après un travail intellectuel (voir chap. v). Si cette augmentation de la pression du sang dure pendant la journée entière et existe aussi bien pour les vaisseaux sanguins qui entourent les reins, il en résulterait une augmentation de la quantité totale de l’urine, comme le montrent les expériences de physiologie faites sur des animaux. Mais hâtons-nous de dire que rien ne nous permet d’affirmer que la pression du sang dans l’artère rénale augmente en même temps que la pression dans les vaisseaux sanguins de la main.

La plupart des auteurs ont, de plus, observé que sous l’influence d’un travail intellectuel la composition des phosphates de l’urine change ; il semble que les phosphates alcalins diminuent de quantité, tandis que les phosphates terreux ne varient pas ou augmentent un peu.

Les recherches précédentes n’épuisent guère la question de l’influence produite par un travail intellectuel sur la composition de l’urine ; il faut poursuivre des expériences sur cette question[62] et chercher à discuter les résultats avec plus de soin qu’on ne l’a fait jusqu’ici. Ces expériences ne peuvent certainement être faites que dans des laboratoires sur un nombre limité de sujets ; il semblerait donc qu’elles ne peuvent pas avoir de portée générale pour la pédagogie ; ce serait là une conclusion erronée ; en effet, on peut espérer par l’examen des urines arriver à déterminer les influences que le travail intellectuel produit sur la nutrition de l’organisme ; on peut même, en poursuivant ces recherches, déterminer les procédés qui doivent être employés pour réparer aussi bien que possible les modifications produites par le travail intellectuel dans la nutrition générale ; ce sont là des questions d’une portée générale dont la résolution doit avoir un retentissement sur l’hygiène scolaire.

Une erreur générale commise par tous les auteurs qui ont étudié l’influence produite par le travail intellectuel sur la composition de l’urine, est qu’ils ont pris l’urine totale rendue en vingt-quatre heures et ont fait l’analyse de cette urine totale ; or, sur ces vingt-quatre heures il n’y en avait que sept ou huit pendant lesquelles l’individu faisait du travail intellectuel ; il est donc probable que la composition de l’urine varie d’une manière différente suivant les heures de la journée. Il faudrait, dans les recherches de ce genre, recueillir l’urine d’heure en heure, noter toutes les heures ce que l’on avait fait et analyser les quantités d’urine rendues toutes les heures ; de cette manière on verra d’abord avec quelle rapidité l’influence du travail intellectuel se fait sentir sur la composition de l’urine ; de plus, on pourra suivre pas à pas la marche de cette influence et voir après quel intervalle de repos l’urine reprend sa composition normale. Voilà des questions urgentes, qu’il est facile d’étudier puisque l’on connaît les méthodes qu’il est nécessaire d’employer, et il est possible que l’étude de ces questions permette de jeter quelque jour sur la question si importante du surmenage intellectuel. En effet, en discutant la question du surmenage intellectuel, la première chose que l’on se demande est le mode et la rapidité de la réparation des effets produits par le travail intellectuel ; il faut donc, pour chaque fonction physiologique et psychologique, étudier quel est le repos nécessaire pour ramener l’état de cette fonction à sa valeur normale. Il faut en effet se rappeler que le surmenage survient dans des cas où l’individu ne s’étant pas reposé suffisamment reprend le travail.

Ces études de laboratoire sur la composition de l’urine doivent aller parallèlement avec les études sur la consommation des élèves dans des écoles qui ont un internat. Nous passons aux résultats obtenus par Binet sur la consommation du pain.


Consommation du pain. — Ce ne sont encore que des résultats partiels ; les renseignements recueillis jusqu’ici proviennent des écoles normales d’instituteurs et d’institutrices, écoles qui existent en France dans chaque département ; ce sont des internats ; l’âge des élèves est en moyenne de seize à dix-huit ans ; les études durent trois ans ; elles comprennent les lettres, les sciences, la gymnastique ; on travaille onze à douze heures par jour, on n’est admis à l’école qu’après un examen sérieux ; il y a à chaque fin d’année un examen de passage, et l’examen de sortie est un concours dont le résultat présente pour les élèves une importance pratique de première ordre ; en sortant de l’école ils sont nommés instituteurs primaires ; les notes de l’école ont une grande influence sur leur placement.

Nous avons demandé dans quatre de ces écoles normales supérieures un relevé exact de la consommation du pain pendant toute la durée d’une année scolaire, depuis octobre jusqu’à juillet. Les documents nous ont été fournis de la manière suivante : pour l’école normale d’instituteurs de Versailles, directement par l’économe, M. Provost, que nous connaissons personnellement et qui nous a donné la première idée de ces recherches ; pour l’école d’institutrices du même département, par l’intermédiaire de l’inspecteur d’académie ; pour les deux écoles d’un département des Vosges, par l’intermédiaire de l’inspecteur d’académie[63]. Chaque école nous a fourni le relevé du pain pendant deux années.


Voici sous quelle forme les calculs ont été faits :

Il faut d’abord savoir que le pain est donné à discrétion aux élèves : on calcule la consommation totale du pain pour un mois, et on divise ce total par le nombre de jours du mois, on a de cette manière la quantité consommée par jour ; ce dernier chiffre étant divisé par le nombre des élèves, on obtient la consommation moyenne par tête. Pour que le calcul soit exact, on tient compte des absences, des congés, des maladies, des demi-jours de congé où les élèves n’ont pris qu’un repas sur deux.

Dans le nombre total des personnes ayant consommé figurent les professeurs et les domestiques, qui sont nourris à l’école ; il ne peut en être autrement puisque les professeurs mangent à la table commune, et que d’autre part on ne tient pas un compte spécial de la quantité de pain consommée par les domestiques. C’est donc une cause d’erreur, mais elle n’est pas considérable, car les professeurs et domestiques ne représentent guère plus qu’un dixième des élèves ; ainsi dans une école de soixante-quinze élèves, le personnel enseignant qui est nourri à l’école, joint aux domestiques, forme un total de sept personnes.

Une autre cause d’erreur à redouter, et qui serait infiniment plus grave que la précédente, serait l’inexactitude des documents qui nous ont été fournis. Nous avons attiré spécialement l’attention de MM. les inspecteurs sur ce point délicat, et ils nous assurent que le travail qu’ils ont fait faire est absolument consciencieux et digne de toute confiance. Du reste, nous avons entre les mains un moyen de contrôle ; nous n’avons qu’à comparer entre eux les divers documents, puisqu’ils parviennent de sources tout à fait différentes ; nous avons eu la satisfaction de constater que la concordance existe.

Nous avons pris le pain comme exemple de la consommation, d’abord parce que le pain a toujours joué un rôle important dans l’alimentation des internats, ensuite parce que c’est un aliment d’une composition connue, qui change peu suivant les époques de l’année, et enfin et surtout parce qu’il était impossible de faire l’analyse des autres aliments servis aux élèves.

Nous mettons sous les yeux du lecteur quatre courbes : deux proviennent de documents fournis par l’école d’instituteurs de Mirecourt, et deux par l’école d’institutrices d’Épinal ; les courbes formées de lignes pleines se rapportent à l’année 1895-1896, et les courbes formées de lignes pointillées correspondent à l’année 1896-1897 ; ces dernières sont incomplètes, les deux derniers mois font défaut ; ils n’avaient pas encore été calculés au moment où les documents nous ont été adressés.

Fig. 74. — Graphiques de la consommation du pain dans les écoles normales d’instituteurs et d’institutrices pendant une année scolaire. Le trait plein correspond à l’année 1895-96, et le trait pointillé à l’année 1896-97. On voit que les courbes descendent depuis octobre jusqu’en juillet, c’est-à-dire que la consommation du pain diminue pendant l’année scolaire.

La consommation moyenne du pain, telle qu’elle ressort de ces courbes, a été de 750 grammes par jour pour les garçons, et de 550 pour les filles. Ces chiffres sont un peu supérieurs à ceux qui récemment ont été calculés par Lapicque et Richet[64] en prenant pour base des calculs la consommation totale de pain à Paris ; ces auteurs trouvent en moyenne 520 grammes de pain par jour pour chaque personne.

La direction générale des deux courbes est la descente ; la diminution de la quantité consommée est d’environ 200 grammes pour les garçons et de 100 grammes pour les filles. Cette diminution se fait graduellement, avec quelques irrégularités que l’on peut attribuer à des changements de température, ou à d’autres causes inconnues ; mais si grandes qu’elles soient ces irrégularités ne masquent nullement la direction descendante des courbes ; et comme la descente commence avec l’année scolaire, en octobre, et atteint son maximum vers la fin de l’année scolaire, en juillet, il est extrêmement probable qu’elle est sous l’influence du travail des études, et aussi de l’état émotionnel que les élèves éprouvent à l’approche des examens, qui ont une si grande importance pour leur avenir. Nous supposons qu’un autre groupe d’individus de même âge qui ne feraient pas de travail intellectuel dans les mêmes conditions, ne présenterait pas une diminution de la consommation de pain, diminution commençant en octobre et croissant jusqu’en juillet. Des documents[65] qui nous ont été fournis sur l’alimentation des femmes emprisonnées dans une maison centrale nous montrent aussi des courbes irrégulières, mais ces courbes ne présentent nullement une direction descendante d’octobre en juillet.

Ces chiffres nous montrent par conséquent que le travail intellectuel prolongé ralentit l’appétit, et très probablement aussi la nutrition. Il y aurait lieu maintenant de rechercher si la diminution de la consommation du pain coïncide avec d’autres résultats expérimentaux, comme une diminution du poids du corps et de la force musculaire.

Poids du corps. — Quelques auteurs ont étudié si l’augmentation du poids et de la taille des enfants était la même en hiver et en été ; ces études doivent être mises à côté de l’étude sur la consommation du pain, puisqu’il est probable que l’augmentation de poids chez les enfants va parallèlement avec la consommation totale. Donnons les résultats de quelques-unes de ces recherches.

Wretlind[66] a fait peser les enfants des écoles de filles de Gottenburg à la fin des études, en juin, et après les vacances, en septembre ; le tableau suivant indique l’augmentation de poids des enfants de différents âges pendant les trois mois de vacances d’été et pendant les neuf mois de l’année scolaire.

AGES NOMBRE d'élèves pesés.

MOYENNE de l'augmentation de poids par élève.
RAPPORT entre les deux accroissements.
En septembre. En juin. Pendant 3 mois de vacances. Pendant 9 mois de vacances.
      Grammes. Grammes.  
7 ans. 41 80 506 1 602 3,1
8 105 134 680 1 640 2,4
9 161 207 854 1 730 2,0
10 189 263 1 071 1 912 1,8
11 256 243 1 160 2 469 2,1
12 246 237 1 517 3 098 2,0
13 240 266 2 095 2 529 1,2
14 252 235 1 975 3 030 1,5
15 178 221 1 959 1 713 0,9
16 83 76 1 424 1 521 1,0
17 19 15 1 364 425 0,3

Si l’accroissement pendant l’hiver était le même que pendant les vacances, le rapport qui se trouve indiqué dans la dernière colonne du tableau précédent devrait toujours être égal à 3. On voit que c’est seulement pour les enfants de sept ans que ce rapport est égal à 3,1 ; pour les autres enfants il est moindre. Par conséquent les enfants au-dessus de huit ans augmentent plus rapidement en poids pendant les vacances d’été que pendant les neuf mois de l’année scolaire. Pour déterminer la cause de ce retard dans l’accroissement de poids pendant l’hiver il aurait fallu faire des expériences sur des enfants qui ne vont pas à l’école et mènent la même existence toute l’année ; ce sont des conditions très difficiles à réaliser.

Des expériences analogues ont été faites par Vahl au Danemark ; il pesait les enfants au commencement d’octobre et au commencement d’avril. Les résultats obtenus concordent avec ceux de Wretlind ; les enfants augmentent plus de poids pendant les six mois d’été que pendant les six mois d’hiver ; la différence est environ égale à un tiers.

Voici les résultats obtenus par cet auteur :

AGES NOMBRE d’enfants. AUGMENTATION DE POIDS
DIFFÉRENCE
Pendant l’hiver Pendant l’été.
    Grammes. Grammes.  
4 ans. 80 616 824 + 208
5 166 769 948 + 179
6 222 786 1 041 + 255
7 227 846 1 109 + 263
8 229 909 1 215 + 306
9 210 1 011 1 339 + 328
10 185 1 220 1 458 + 238
11 157 1 487 1 870 + 383
12 133 1 772 2 176 + 404
13 100 2 095 2 393 + 298
14 61 1 611 2 648 + 1 037
15 17 1 734 1 721 13

On voit que les différences sont positives, c’est-à-dire que les élèves augmentent plus de poids d’avril à octobre que d’octobre à avril.

Des résultats analogues aux précédents ont été obtenus par Malling-Hansen[67] et par Schmidt-Monnard[68] ; ce dernier auteur a étudié pendant plus d’une année comment varient le poids et la taille des enfants. Vingt enfants de un à deux ans et cent quatre-vingt-dix de deux à treize ans ont été soumis aux épreuves ; on déterminait le poids et la taille toutes les trois semaines.

Les mesures ont montré que l’augmentation de poids est la plus forte dans la deuxième moitié de l’année ; elle atteint son maximum en août et septembre. De février en juin le poids augmente très peu, en mars on observe même une légère diminution de poids. Ces variations ne se produisent pas chez les plus jeunes enfants.

En ce qui concerne la taille, elle augmente peu de septembre jusqu’en janvier, plus de février en juin, et enfin l’augmentation de la taille est maximum en juillet et août ; par conséquent la taille et le poids ne croissent pas tout à fait parallèlement, il y a des divergences.

L’auteur compare ces résultats avec les données statistiques sur le nombre des différentes maladies des enfants pendant les diverses époques de l’année, et il trouve que la période de croissance maximum coïncide avec la période où le nombre des maladies est minimum.

Enfin dernièrement Binet a recueilli des chiffres sur la diminution du poids chez des élèves de l’école normale d’instituteurs de Versailles après les examens. Ces élèves avaient été pesés en mai et l’ont été de nouveau après les examens au commencement d’août. Sur vingt élèves il y en a douze dont le poids a diminué après les examens ; chez trois élèves il est resté le même, et enfin seulement chez six élèves il a augmenté. Ces faits confirment complètement les résultats obtenus sur la consommation du pain pendant les études.

En somme, l’étude des échanges nutritifs a montré que le travail intellectuel produit une influence considérable sur la nutrition de l’organisme. Il se produit, à la suite d’un travail intellectuel de plusieurs heures, un ralentissement de la nutrition, et lorsque le travail intellectuel a une durée de plusieurs mois, ce ralentissement de la nutrition se fait d’une part sentir sur la quantité d’aliments absorbés, et d’autre part sur la diminution de poids du corps.


  1. Gley. Étude expérimentale sur l’état du pouls carotidien pendant le travail intellectuel. Paris, 1881
  2. Binet et Courtier. Effets du travail intellectuel sur la circulation capillaire. Année psychologique, III, p. 42-64.
  3. Mac Dougal. The physical Characteristics of Attention. Psychological Review, mars 1896, p. 158-180.
  4. Mentz. Die Wirkung akustischer Reize auf Puls und Athmung. Philosophische Studien, XI, 1895.
  5. Une partie importante des documents de ce chapitre est empruntée aux recherches de Binet et Courtier sur la circulation capillaire. Année psychologique, II et III.
  6. Vierteljahr. f. d. prakt. Heilkunde von d. Med. Facultät in Prag. B. XXV-XXVI, 1850. Les détails que nous donnons sont empruntés à une thèse de A. Suc, Paris, 1879.
  7. Comptes rendus du laboratoire de Fick, Zurich, 1869.
  8. Sulla circolazione del sangue del cervello dell’ uomo, Memorie R. Accad. dei Lincei, V, 1879, chap. vii.
  9. Le volume des organes dans ses rapports avec la circulation du sang. Trav. lab., II, p. 7, Paris, Masson.
  10. Arch. de physiologie, 1894, n° 2, p. 381.
  11. Étude expérim. sur l’état du pouls carotidien pendant le travail intellectuel, Paris, 1881.
  12. Ce second raisonnement ne nous parait pas absolument rigoureux ; nous verrons que pendant le travail intellectuel la pression du sang augmente.
  13. La temperatura del cervello ; le chapître xii contient plusieurs expériences pléthysmographiques.
  14. Sui cangiamenti della circolazione cerebrale prodotti dalle diverse percezioni simplici (Arch. di psychiatria, 1884).
  15. Article Cerveau, du Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales.
  16. Arch. de Physiologie, 1895.
  17. Rivista musicale italiana, III, 2, 1896.
  18. Tamburini e Seppili, Ricerce sui fenomeni di moto…, etc. (Riv. speriment. d. fren., Reggio-Emilia, 1882).
  19. Arch. de Physiologie, 1895, p. 90.
  20. Voir l’analyse dans l’Année psychologique, III, p. 359.
  21. Mosso a exposé brièvement cette discussion dans son livre sur la Température du cerveau, cité plus haut.
  22. Voir Année psychologique, I (1894), p. 300, 1895.
  23. Une grande partie de ce chapitre est prise du travail de Binet et Vaschide publié dans l’Année psychologique, t. III, p. 127.
  24. On a pu mesurer avec le manomètre la pression sanguine d’un homme pendant une opération d’amputation : à l’artère humérale, la pression était de 110 à 120 millimètres de mercure. Chez un enfant, on a pu mesurer aussi la pression avant l’amputation de la cuisse ; elle était de 100 à 160 millimètres de mercure dans l’artère tibiale antérieure. (Physiologie de Landois, p. 153.)
  25. Traité de Physiologie humaine, trad. franc, Paris, 1893, p. 153.
  26. Arbeiten aus der physiologischen Anstalt zu Leipzig. 1875, p. 69.
  27. Arch. ital. de Biologie, p. 177, 1895.
  28. Année psychologique, II, p. 782.
  29. Cette affirmation ne s’applique, bien entendu, qu’aux personnes qui nous ont servi de sujets.
  30. En effet, il n’est pas prouvé que la pression nécessaire pour supprimer le pouls soit égale à la pression sanguine.
  31. Association pour l’avancement des Sciences. Session de Grenoble, 1885, 13 août. Voir aussi Intermédiaire des Biologistes, n° 4, 1897.
  32. Art. Encéphale du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales.
  33. Pflüger’s Arch., Bd. 38, 1886, p. 113.
  34. Arch. de physiologie, janvier et mars 1880.
  35. Richet. La chaleur animale, p. 98.
  36. La temperatura del cervello. Studi termometrici, Milano, 1894. — Die Temperatur des Gehirns. Leipzig, 1894. — Philos. Trans. of the R. Soc. of London, 1892, vol. 183. — Conf. I. Soury, Rev. Philos., 1897, XLIII, p. 388.
  37. Revue philosophique, 1892.
  38. Philosophische Studien, 1894.
  39. Année psychologique, II.
  40. Psychological Review, 1896, mars.
  41. Handbuch der Pathologie und Therapie des Fiebers. 1872.
  42. Arch. für experimentelle Pathologie und Pharmakologie, vol. 15, 1882, p. 138.
  43. Axel Key. Schulhygienische Untersuchungen, 1886, p. 189.
  44. Heinrich. Die Aufmerksamkeit und die Funktion der Sinneorgane. Zeitschr. für Psychologie u. Physiol. d. Sinnesorg., vol. IX et XI.
  45. Psychological Review, mars 1896, p. 158.
  46. Studies in Psychology. Univers. of Iowa, 1897, p. 1-40.
  47. Arch. ital. de Biologie, XIII, 180, p. 125.
  48. Ces expériences, faites avec M. Vaschide, seront bientôt publiées.
  49. Sensation et mouvement, p. 7.
  50. a et b Arch. ital. de biologie, XIII, 1890, p. 153.
  51. Hoch et Kræpelin. Uber die Wirkung der Theebestandtheile auf körperliche und geistige Arbeit (Psychologische Arbeiten, 1, 1895.)
  52. Mosso. La fatigue intellectuelle et physique, p. 136.
  53. Keller. Pädagogisch-psychometrische Studien (Biologisches Centralblatt. 1894.)
  54. Kemsies. Zur Frage der Ueberbürdung unserer Schuljugend (Deutsche medicinische Wochenschrift, 1896, 27.
  55. Mosler. Beiträge zur Kenntniss der Urinabsonderung bei gesunden, schwangeren und kranken Personen. Dissertat. Giessen, 1853.
  56. Hammond. American Journ. of med. Sciences. 1856.
  57. Byasson. Essai sur la relation qui existe à l’état physiologique entre l’activité cérébrale et la composition des urines. Thèse de Paris, 1868.
  58. Wood. Recherches sur l’influence de l’activité cérébrale sur l’excrétion de l’acide phosphorique par le rein (Proceedings of the Connecticut medical Society, 1869).
  59. Mairet. Recherches sur l’élimination de l’acide phosphorique chez l’homme sain, l’aliéné, l’épileptique et l’hystérique. Paris, Masson, 1884.
  60. Thorion. Influence du travail intellectuel sur les variations de quelques éléments de l’urine à l’état physiologique. Paris, Baillière, 1893.
  61. Ces différences individuelles ont été constatées par Stcherbak. Arch. de médec. expérim., 1893.
  62. L’un de nous (V. Henri) poursuit en ce moment des recherches en ce sens.
  63. Nous prions MM. les inspecteurs d’Académie et MM. les économes de Versailles et des Vosges de bien vouloir accepter nos vifs remerciements.
  64. Dictionnaire de physiologie de Richet, art. Aliment, t. I, p. 294-381.
  65. Nous adressons nos plus vifs remerciements à M. l’inspecteur C. Granier, qui a eu l’amabilité de nous procurer ces documents.
  66. Wertlind. Jakttagelser rörande helsotillstandet i nägra af Göteborgs flickskolor. 1878.
  67. Mailing-Hansen. Ueber die Periodicität im Gewicht der Kinder an täglichen Wägungen wahrgenommen. Kopenhagen, 1883 et 1880.
  68. Schmidt-Monnard. Ueber den Einfluss der Jahreszeit und der Schule auf das Wachstham der Kinder (Jahrbuch für Kinderheilkunde). 1895.