Albert Méricant (p. 217-226).
Troisième partie


VII

L’HOMME PROPOSE


En quittant madame de l’Estorade. Jacques Bricheteau et Sallenauve retournèrent à Ville-d’Avray pour y dîner. Pendant le trajet, leur conversation fut largement défrayée par les commentaires que comportait l’assez triste tableau d’intérieur dont ils venaient d’être témoins. Au chalet, ils étaient attendus par une autre émotion.

Venue pendant l’absence de l’organiste, une lettre lui fut remise à son arrivée ; elle était de M. Saint-Estève.

« Il voyait bien, disait ce malheureux, que jamais monsieur de Sallenauve ne le recevrait en grâce, et il n’insistait plus pour obtenir la faveur d’une entrevue. L’affectation qu’on avait mise à ne lui point faire savoir la cérémonie préparée à Arcis, et qu’il avait connue seulement par le bruit public, lui donnait la mesure de la clémence à laquelle il devait s’attendre ; car enfin il ne se connaissait aucun tort avec Catherine Goussard, si ce n’est celui de l’avoir aimée comme jamais il n’avait fait d’aucune autre femme, et lui disputer la consolation de rendre les derniers devoirs à ses restes mortels lui avait semblé un procédé blessant et cruel. Afin de mieux dégrever monsieur de Sallenauve de sa présence, il venait d’envoyer sa démission à M. le préfet de police, et, après avoir réalisé tout ce qu’il possédait, il partirait pour l’étranger, emmenant avec lui Jacqueline Collin, qu’il avait décidée à le suivre. De cette manière, elle cesserait aussi de faire ombrage à celui qui, en effet, ne pouvait avoir de bons sentiments pour elle. Quant à lui, il pardonnait à cette femme en faveur du dévoûment sans mesure qu’elle lui avait montré dans toutes les circonstances de sa vie, et on ne trouverait pas mauvais, sans doute, qu’il en fît la compagne de ses derniers jours. Vieux restes impurs d’un déplorable passé, ils iraient ensemble pourrir et s’éteindre dans quelque coin ignoré ; mais, qu’elle qu’eût été la rigueur dont usait avec lui monsieur de Sallenauve, jamais il ne cesserait de le chérir et, à son heure suprême, il n’aurait pour lui que des paroles de bénédiction. »

Comme on s’en doute bien, Sallenauve se sentit très remué par cette lettre dont nous ne donnons ici qu’une sèche et froide analyse. Après la communication qu’il en avait reçue de Bricheteau, un nouveau conseil fut tenu entre les deux amis relativement au parti qu’il y avait à prendre vis-à-vis de cette douleur si humble et si résignée.

Pour parvenir à dominer la répulsion instinctive dont il ne pouvait se défendre, Sallenauve demanda encore quelques jours de répit, pendant lesquels il s’acclimaterait à l’idée d’une entrevue, et, en fin de cause, Bricheteau resta autorisé à prévenir M. Saint-Estève que, quelques jours plus tard, il irait le chercher pour le conduire au chalet.

Préoccupé de l’engagement qu’il venait de prendre, Sallenauve dormit mal, de telle sorte que, le lendemain, il fut peu matinal ; et, à son lever, il ne resta pas médiocrement surpris en apprenant que, mandé dès le grand matin, par un exprès, chez madame de l’Estorade, Bricheteau était parti pour Paris.

Quand l’organiste fut de retour :

— Que s’est-il donc passé chez la comtesse, demanda Sallenauve, pour qu’on soit venu vous déranger de si bonne heure ?

— Des choses effroyables, répondit Bricheteau : Naïs a voulu s’empoisonner.

— Vous ne parlez pas sérieusement ?

— Si vraiment ; hier soir, après le départ de madame de Camps, qui avait dîné chez son amie, monsieur Armand a de nouveau voulu régenter sa sœur ; l’explication, à ce qu’il paraît, a fini par devenir des plus vives, et, comme elle dura fort longtemps, on arriva à se dire des choses de la dernière violence. Rentrée dans sa chambre, la malheureuse enfant a passé une partie de la nuit dans une extrême agitation ; ensuite elle a écrit à sa mère, à vous ; et, sur le matin, elle a avalé le contenu d’un petit flacon de laudanum qu’elle avait détourné de chez madame de l’Estorade, à laquelle le docteur Bianchon avait prescrit ce médicament pour quelques accidents nerveux. Heureusement, la dose s’est trouvée insuffisante pour produire des désordres sérieux ; mais, ce qui est affreusement grave, c’est le côté moral de cette résolution.

— Les bras m’en tombent, dit Sallenauve, et vous croyez que la scène faite par M. Armand l’a poussée à cette pensée de suicide ?

— C’est-à-dire que cette scène a été la dernière goutte qui fait déborder le vase ; mais, malheureusement, de la lettre qu’elle vous avait écrite, il résulte que votre attitude en présence de l’annonce de son mariage a surtout contribué à la jeter dans le désespoir.

— Ai-je donc quelque chose à me reprocher ? demanda Sallenauve avec émoi.

— Rien, mon cher, absolument rien : vous avez été mis dans la nécessité d’aborder ce sujet délicat, et n’en avez parlé qu’avec un doute et une réserve très convenables ; d’ailleurs, qui pouvait soupçonner chez cette tête de dix-neuf ans une pareille profondeur d’impression ?

— Mais l’avenir, maintenant, dit Sallenauve, comment l’envisager ?

— C’est d’abord comme infirmier de la famille que madame de l’Estorade, répondit Bricheteau, m’avait fait appeler ; mais, une fois les accidents neutralisés, la question que vous venez de soulever, nous a, vous le pensez bien, grandement préoccupés. Que faire de cette folle ? comment s’assurer, bien que cela soit peu probable, qu’elle n’aura pas une rechute de cette pensée funeste ?

— Me dévouer ! dit Sallenauve ; mais le puis-je ? Suis-je pour elle un mari convenable ? En ferai-je la nièce de mademoiselle Jacqueline Collin ?

— Ceci, dit Bricheteau, ne l’arrêterait guère, et vous prendriez sur vous, pour calmer ses ardeurs de passion, de lui faire confidence de toutes les misères de votre naissance, elle n’en serait que plus empressée à vous vouloir. Il y aurait, à passer outre sur cette révélation, une senteur de sacrifice qui, pour une tête de cette espèce, ne serait qu’un attrait de plus. Mais épouser une fille de ce caractère, avec votre âge et votre nature sérieuse, c’est tout simplement vous préparer un enfer.

— Je vois la chose comme vous, répliqua Sallenauve ; cependant, en présence d’un pareil événement, me tenir coi, c’est impossible, madame de l’Estorade, j’en suis sûr, m’accusera d’un affreux égoïsme si je ne me rends pas à cette espèce de mise en demeure qui m’est signifiée par l’acte violent et désespéré de sa fille.

— Dites-moi, fit Bricheteau d’un air significatif, l’opinion de madame de l’Estorade, vous y tenez beaucoup ?

— Mais sans doute ; c’est une femme de la plus haute distinction, et l’on doit toujours tenir à l’estime des intelligences et des caractères de cette valeur.

— J’entends cela, dit l’organiste ; mais il y a tenir et tenir, et si, par exemple, madame de l’Estorade, avec laquelle vous avez été dans des rapports toujours un peu orageux, et quelquefois tendres, avait laissé dans votre esprit, peut-être même dans votre cœur, une trace d’une certaine profondeur, il est évident que la manière dont elle vous jugerait serait une question à vous préoccuper bien plus.

— Je vous avoue, dit Sallenauve, qu’au milieu des douloureuses préoccupations qui, dans ces derniers temps, ont rempli ma vie, j’ai peu pensé à faire l’examen de conscience que vous semblez provoquer ; mais, une chose bien certaine, c’est qu’à choisir entre la comtesse et sa fille, je n’hésiterais pas à me décider du côté de la première.

— Surtout, continua Bricheteau, si l’on pouvait vous affirmer que vous avez fait quelque impression sur l’esprit de la mère, et que, pour son compte, elle serait heureuse de vous voir pencher de son côté.

— Mon cher Bricheteau, dit Sallenauve, le marivaudage n’est guère dans vos habitudes, et, en tous cas, au milieu d’incidents si tristes, il serait fort peu de mise ; finissez-en donc, je vous prie, avec cette tournure alambiquée que, depuis un moment, vous vous étudiez à donner à notre conversation, et enfin, si vous êtes gros de quelques pensée secrète, veuillez la mettre mieux en lumière.

— Eh bien ! mon cher ami, dans la terrible perplexité où nous étions jetés, j’ai eu en effet une idée : épouser la mère, afin de ne pas épouser la fille ; voilà ce que j’ai imaginé pour vous ; et cela est tout à fait possible si vous donnez la main à cet arrangement.

— Mais cet arrangement n’arrange rien, et c’est plutôt le dernier coup de poignard porté au cœur de Naïs.

— Je crois que vous vous trompez : Naïs est une nature malheureusement trop impressionnable ; mais c’est, par cela même, une nature généreuse. Lors donc que madame de l’Estorade, la prenant à part, lui avouera que depuis longtemps elle vous aime, et que votre mariage avec une autre la mettrait au désespoir, ou je me trompe fort, ou ce parfum de sacrifice, comme je le disais tout à l’heure, portera à la tête de la petite personne. Dans l’idée de la courageuse renonciation qu’elle fera en faveur de sa mère, se rencontrera pour elle je ne sais quoi de flatteur et de consolant : elle n’aura point été dédaignée, ce sera elle qui disposera de vous et en fera le cadeau à sa rivale. Le cœur humain se paie parfaitement de ces creuses jouissances d’amour-propre, et c’est un piège honorable auquel il ne me paraît pas probable que la chère enfant puisse échapper.

— Mais l’impression de madame de l’Estorade sur cette combinaison aventureuse ? demanda Sallenauve.

— Madame de l’Estorade, répondit en riant l’organiste, trouve que je suis un homme de génie, et c’est aussi l’opinion de madame de Camps qui déjà a été consultée.

— Il est certain, dit Sallenauve, qu’il y a dans votre combinaison une grande finesse d’observation, et l’on doit s’étonner qu’ayant si peu pratiqué l’astronomie féminine, vous soyez arrivé à si bien calculer les mouvements de ces capricieuses planètes.

— C’est que peut-être les femmes, repartit Bricheteau, sont comme les tableaux qui se voient mieux à distance.

— Eh bien ! mon cher, puisque vous les jugez si bien, que pensez-vous au juste, des sentiments de madame de l’Estorade pour son complice dans ce nouveau sauvetage qu’il s’agit pour moi d’entreprendre au profit de Naïs ?

— Vous savez bien que l’éternelle prétention de madame de l’Estorade est une parfaite insensibilité ; c’est donc pour elle un coup de fortune que de paraître obligée de vous accepter, mais je puis vous affirmer de sa part une résignation si parfaite, que, sans le sombre entourage au milieu du quel elle a dû se montrer, on aurait parfaitement pu la prendre pour de la joie.

— Moi de mon côté, dit Sallenauve, je n’ai aucune répugnance à l’arrangement dont vous vous êtes ingénié, et, au milieu des mouvements mal définis de mon cœur, il s’en est quelquefois trouvé d’assez tendres pour la femme qui, en ce moment, m’est jusqu’à un certain point imposée. D’ailleurs, je vous l’ai dit souvent : une sorte de fatalité a toujours semblé nous attirer l’un vers l’autre, et j’ai trop été le jouet de cette force inconnue qu’on appelle la destinée, pour mettre en doute son existence. Mais j’ai vis-à-vis de madame de l’Estorade un devoir d’honneur à remplir : il faut qu’elle sache le fumier sur lequel je suis venu.

— Je n’y vois pas grand inconvénient, répliqua l’organiste ; selon toute apparence elle vous répondra que c’est du terreau qu’elles ont à leur pied, que sortent les plus splendides fleurs de nos jardins ; seulement, dans sa prompte résignation je ne vois pas comme dans celle qu’aurait eue Naïs, d’inquiétantes conséquences pour l’avenir. Ce ne sera pas une folle enfant entraînée, si l’on peut ainsi parler, au chat en poche de sa passion, ce sera une femme faite et réfléchie, sachant la valeur vraie de son acquisition et ne devant pas se soucier, après coup, des imperfections que vous aurez eu la loyauté de lui signaler.

— Alors, dit gaîment Sallenauve, à quand la noce ?

— Je vais écrire que ma combinaison vous agrée, répondit Bricheteau ; maintenant je crois que vous ferez bien de voir seul madame de l’Estorade ; quoique ne devant pas ignorer ce que vous avez à lui révéler, ne pas me trouver là pour l’entendre me paraît une nuance indiquée de la situation.

— J’irai tantôt, dit Sallenauve, annoncez ma visite.

Même dans l’entrevue qui en effet eut lieu dans la journée, madame de l’Estorade ne démentit pas son caractère. Sans dissimuler d’une manière absolue ses sentiments pour Sallenauve, ce qui eût été par trop désobligeant, elle eut soin de beaucoup parler du salut de sa fille, qui, par ce mariage, devenait assuré ; car elle avait eu avec elle une conversation confidentielle, et toutes les prévisions de Bricheteau s’étaient si bien réalisées, que Naïs s’était déclarée prête, pour, le jour même, à recevoir M. Félix de Restaud.

Mais quand Sallenauve en vint à sa confidence et qu’il eut longuement, et sans rien en dissimuler, exposé tous les malheurs de sa naissance, les neiges éternelles qui couronnaient la cime des Alpes l’Estorade commencèrent à se fondre.

— Ah ! monsieur, dit-elle, avec les larmes dans les yeux, au généreux confesseur de cette infamie, qu’il avait su si bien racheter, que je suis heureuse de ce que vous m’apprenez ! Tout le dévoûment ne sera donc pas de votre côté, et, chacun des jours de ma vie, j’aurai à vous prouver que je n’ai pas cru descendre en acceptant votre main. Si ma pauvre Louise de Chaulieu vivait pour recevoir ma confidence, ajouta-t-elle, comme je serais sûre, cette fois, d’être approuvée par elle !

Sallenauve crut devoir à sa délicatesse une dernière remarque :

— Veuillez pourtant, madame, dit-il, y réfléchir encore : le nom que vous consentez à porter n’est pas même le mien, et quoique tout le secret que je viens de vous confier paraisse solidement préservé, il est encore aux mains de M. de Rastignac et de Maxime de Trailles, qui, par un de ces accidents imprévus dont la vie est pleine, peuvent être amenés à fausser leur parole. Seul, j’ai d’avance pris mon deuil de ce malheur ; mais si vous deviez le partager…

M. de Rastignac, interrompit la comtesse, va devenir l’allié de notre famille ; il sera autant que nous intéressé à sa considération. Quant à M. de Trailles, il est si bas placé dans l’opinion, que M. de Rastignac, se chargeant pour vous de le démentir, personne ne croirait aux bruits répandus par cet homme. D’ailleurs, faut-il tout vous dire : je vous aime mieux, je crois, placé sous cette menace ; avant de vous savoir vulnérable par un côté, je trouvais en vous trop d’élévation ; vous me faisiez peur ; maintenant il y aura entre nous plus de cette égalité toujours désirable dans toute association.

À ce moment entra Naïs ; de son indisposition il ne lui restait plus qu’un peu de pâleur ; du reste elle était calme, et sur son visage éclatait ce contentement de l’âme que ne manquent jamais de créer la conscience d’une action généreuse et le sentiment d’un grand devoir accompli.

Prenant le ton d’une mère qui eût uni ses enfants :

— Eh bien ! dit-elle, tout est-il convenu, arrangé ?

— Oui, mon enfant, dit madame de l’Estorade, M. de Sallenauve sera ton beau-père ; mais il ne voudrait pas d’une méchante fille qui n’aurait pas pris avec elle-même l’engagement d’être raisonnable.

— Je suis plus que raisonnable, chère maman, je suis heureuse, dit Naïs en se jetant dans les bras de sa mère ; et vous, monsieur, dit-elle ensuite à Sallenauve en lui tendant la main, vous me promettez d’être bon, bien affectueux pour elle ? D’abord je ne vous la donne qu’à cette condition.

— Soyez tranquille, dit Sallenauve, nous ferons deux bons ménages.

— Vous allez donc, maman, écrire à madame de Rastignac, pour lui dire que je donne mon consentement plein et entier, et qu’elle peut, quand elle le voudra, nous présenter monsieur son cousin.

On voyait que la pauvre enfant avait hâte de s’engager, comme pour se défendre de quelque rechute.

— Je ferai mieux que d’écrire à Augusta, répondit la comtesse, je vais aller moi-même chez elle, car j’ai à lui faire part de l’autre grand événement de ma vie.

Comme madame de l’Estordde achevait sa phrase, Lucas annonça M. le docteur Bianchon.

Après avoir salué la comtesse et Sallenauve :

— Eh bien ! notre malade, dit le médecin en s’adressant à Naïs, comment nous trouvons-nous ?

— Vaillante, comme vous voyez, répondit Naïs.

— Le facies est très bon, dit Bianchon ; voyons le pouls.

Pendant que Bianchon sa montre à secondes en main, s’occupait à compter les pulsations :

— Madame, dit Sallenauve, parlant bas à la comtesse, annoncer votre mariage aux Rastignac, c’est faire manquer celui de votre fille ; le secret que je viens de vous confier, il ne faut pas perdre de vue cette circonstance, Rastignac l’avait dérobé.

— Eh bien ! par cette raison-là même et après cette noirceur, répondit sur le même ton madame de l’Estorade, je trouve que je lui fais un honneur excessif en lui accordant la main de ma fille pour quelqu’un des siens. Après cela, si le mariage manque, qu’importe ! Naïs ne connaît pas même M. de Restaud ; on en dit sans doute beaucoup de bien, mais il y a aussi quelque chose sur le compte de sa mère ; nous trouverons certainement quelqu’un qui le vaille, en supposant que l’affaire vienne à se rompre.

— Pouls à l’état normal, dit Bianchon, ayant achevé son examen ; continuer pendant un jour ou deux l’usage de la limonade ; de la distraction, demain un peu d’exercice, et il n’y paraîtra plus.

— Docteur, dit madame de l’Estorade à Bianchon qui déjà s’en allait, car les soins de son immense clientèle ne lui laissaient jamais une minute à perdre, je compte tellement sur votre discrétion pour l’incartade de Naïs, que je vais d’office vous confier un autre grand secret : je suis sur le point de me remarier.

— Ma foi ! vous ferez bien, répondit Bianchon, car ce sera, à vrai dire, en premières noces ; et quel est l’heureux vainqueur ?

— Monsieur de Sallenauve, que j’ai l’honneur de vous présenter.

— Monsieur, dit le docteur à Sallenauve, je n’avais pas l’honneur de vous connaître, mais je suis heureux de me rencontrer avec un homme qui donnait à mon vieil ami Rastignac de si bonnes étrivières. Je regrette seulement que vous ayez trop tôt quitté la partie, vous en auriez peut-être fait un ministre honnête ; et comme, du reste, c’est un homme charmant, et que, sa politique à part, j’aime de tout mon cœur, sous votre férule éloquente il serait arrivé à une vraie perfection.

— Vous-même, monsieur, répondit Sallenauve, comment n’avez-vous pas eu l’idée de vous charger de cette éducation ? L’ambition parlementaire est devenue très à la mode chez messieurs vos confrères, mais eux, ce n’est pas le génie, dans l’acception la plus élevée du mot, qu’ils feraient entrer à la Chambre.

— Je me sauve, chère madame, dit Bianchon, au fond très sensible à la forme délicate du brevet de grand homme qui lui était décerné ; monsieur votre mari a une manière de dire des énormités, qui les ferait presque prendre pour argent comptant. Ma pudeur ne me permet pas d’en entendre davantage.

Et on n’eut pas le temps de le reconduire, tant il sortit rapidement.