La Dioptrique (éd. Cousin)

Œuvres de Descartes, Texte établi par Victor CousinF. G. Levraulttome V (p. 3-153).

LA DIOPTRIQUE.

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DISCOURS PREMIER.

DE LA LUMIÈRE.

Toute la conduite de notre vie dépend de nos sens, entre lesquels celui de la vue étant le plus universel et le plus noble, il n’y a point de doute que les inventions qui servent à augmenter sa puissance ne soient des plus utiles qui puissent être. Et il est malaisé d’en trouver aucune qui l’augmente davantage que celle de ces merveilleuses lunettes, qui, n’étant en usage que depuis peu, nous ont déjà découvert de nouveaux astres dans le ciel, et d’autres nouveaux objets dessus la terre en plus grand nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant : en sorte que, portant notre vue beaucoup plus loin que n’avoit coutume d’aller l’imagination de nos pères, elles semblent nous avoir ouvert le chemin pour parvenir à une connoissance de la nature beaucoup plus grande et plus parfaite qu’ils ne l’ont eue. Mais, à la honte de nos sciences, cette invention, si utile et si admirable, n’a premièrement été trouvée que par l’expérience et la fortune. Il y a environ trente ans qu’un nommé Jacques Métius, de la ville d’Alcmar en Hollande, homme qui n’avoit jamais étudié, bien qu’il eût un père et un frère qui ont fait profession des mathématiques, mais qui prenoit particulièrement plaisir à faire des miroirs et verres brûlants, en composant même l’hiver avec de la glace, ainsi que l’expérience a montré qu’on en peut faire ; ayant à cette occasion plusieurs verres de diverses formes, s’avisa par bonheur de regarder au travers de deux, dont l’un étoit un peu plus épais au milieu qu’aux extrémités, et l’autre, au contraire, beaucoup plus épais aux extrémités qu’au milieu, et il les appliqua si heureusement aux deux bouts d’un tuyau, que la première des lunettes dont nous parlons en fut composée. Et c’est seulement sur ce patron que toutes les autres qu’on a vues depuis ont été faites, sans que personne encore, que je sache, ait suffisamment déterminé les figures que ces verres doivent avoir. Car, bien qu’il y ait eu depuis quantité de bons esprits qui ont fort cultivé cette matière, et ont trouvé à son occasion plusieurs choses en l’optique qui valent mieux que ce que nous en avoient laissé les anciens, toutefois, à cause que les inventions un peu malaisées n’arrivent pas à leur dernier degré de perfection du premier coup, il est encore demeuré assez de difficultés en celle-ci pour me donner sujet d’en écrire. Et, d’autant que l’exécution des choses que je dirai doit dépendre de l’industrie des artisans, qui pour l’ordinaire n’ont point étudié, je tâcherai de me rendre intelligible à tout le monde, et de ne rien omettre ni supposer qu’on doive avoir appris des autres sciences. C’est pourquoi je commencerai par l’explication de la lumière et de ses rayons ; puis, ayant fait une briève description des parties de l’œil, je dirai particulièrement en quelle sorte se fait la vision, et ensuite, ayant remarqué toutes les choses qui sont capables de la rendre plus parfaite, j’enseignerai comment elles y peuvent être ajoutées par les inventions que je décrirai.

Or, n’ayant ici autre occasion de parler de la lumière que pour expliquer comment ses rayons entrent dans l’œil, et comment ils peuvent être détournés par les divers corps qu’ils rencontrent, il n’est pas besoin que j’entreprenne de dire au vrai quelle est sa nature, et je crois qu’il suffira que je me serve de deux ou trois comparaisons qui aident à la concevoir en la façon qui me semble la plus commode pour expliquer toutes celles de ses propriétés que l’expérience nous fait connaître, et pour déduire ensuite toutes les autres qui ne peuvent pas si aisément être remarquées. Imitant en ceci les astronomes, qui, bien que leurs suppositions soient presque toutes fausses ou incertaines, toutefois, à cause qu’elles se rapportent à diverses observations qu’ils ont faites, ne laissent pas d’en tirer plusieurs conséquences très vraies et très assurées.

Il vous est bien sans doute arrivé quelquefois, en marchant de nuit sans flambeau par des lieux un peu difficiles, qu’il falloit vous aider d’un bâton pour vous conduire, et vous avez pour lors pu remarquer que vous sentiez, par l’entremise de ce bâton, les divers objets qui se rencontroient autour de vous, et même que vous pouviez distinguer s’il y avait des arbres, ou des pierres, ou du sable, ou de l’eau, ou de l’herbe, ou de la boue, ou quelque autre chose de semblable. Il est vrai que cette sorte de sentiment est un peu confuse et obscure en ceux qui n’en ont pas un long usage ; mais considérez-la en ceux qui, étant nés aveugles, s’en sont servis toute leur vie, et vous l’y trouverez si parfaite et si exacte qu’on pourrait quasi dire qu’ils voient des mains, ou que leur bâton est l’organe de quelque sixième sens qui leur a été donné au défaut de la vue. Et, pour tirer une comparaison de ceci, je désire que vous pensiez que la lumière n’est autre chose, dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’un certain mouvement ou une action fort prompte et fort vive qui passe vers nos yeux par l’entremise de l’air et des autres corps transparents en même façon que le mouvement ou la résistance des corps que rencontre cet aveugle passe vers sa main par l’entremise de son bâton. Ce qui vous empêchera d’abord de trouver étrange que cette lumière puisse étendre ses rayons en un instant depuis le soleil jusqu’à nous ; car vous savez que l’action dont on meut l’un des bouts d’un bâton doit ainsi passer en un instant jusques à l’autre, et qu’elle y devroit passer en même sorte, encore qu’il y auroit plus de distance qu’il n’y en a depuis la terre jusques aux cieux. Vous ne trouverez pas étrange non plus que, par son moyen, nous puissions voir toutes sortes de couleurs ; et même vous croirez peut-être que ces couleurs ne sont autre chose dans les corps qu’on nomme colorés que les diverses façons dont ces corps la reçoivent et la renvoient contre nos yeux : si vous considérez que les différences qu’un aveugle remarque entre des arbres, des pierres, de l’eau, et choses semblables, par l’entremise de son bâton, ne lui semblent pas moindres que nous sont celles qui sont entre le rouge, le jaune, le vert et toutes les autres couleurs ; et toutefois que ces différences ne sont autre chose en tous ces corps que les diverses façons de mouvoir ou de résister aux mouvements de ce bâton. Ensuite de quoi vous aurez occasion de juger qu’il n’est pas besoin de supposer qu’il passe quelque chose de matériel depuis les objets jusques à nos yeux pour nous faire voir les couleurs et la lumière, ni même qu’il y ait rien en ces objets qui soit semblable aux idées ou aux sentiments que nous en avons : tout de même qu’il ne sort rien des corps que sent un aveugle qui doive passer le long de son bâton jusqu’à sa main, et que la résistance ou le mouvement de ces corps, qui est la seule cause des sentiments qu’il en a, n’est rien de semblable aux idées qu’il en conçoit ; et, par ce moyen, votre esprit sera délivré de toutes ces petites images voltigeantes par l’air, nommées des espèces intentionnelles, qui travaillent tant l’imagination des philosophes. Même vous pourrez aisément décider la question qui est entre eux touchant le lieu d’où vient l’action qui cause le sentiment de la vue. Car, comme notre aveugle peut sentir les corps qui sont autour de lui, non seulement par l’action de ces corps lorsqu’ils se meuvent contre son bâton, mais aussi par celle de sa main lorsqu’ils ne font que lui résister, ainsi, faut-il avouer que les objets de la vue peuvent être sentis non seulement par le moyen de l’action qui, étant en eux, tend vers les yeux, mais aussi par le moyen de celle qui, étant dans les yeux, tend vers eux. Toutefois, pourceque cette action n’est autre chose que la lumière, il faut remarquer qu’il n’y a que ceux qui peuvent voir pendant les ténèbres de la nuit, comme les chats, dans les yeux desquels elle se trouve : et que, pour l’ordinaire des hommes, ils ne voient que par l’action qui vient des objets, car l’expérience nous montre que ces objets doivent être lumineux ou illuminés pour être vus, et non point nos yeux pour les voir. Mais, pourcequ’il y a grande différence entre le bâton de cet aveugle et l’air ou les autres corps transparents par l’entremise desquels nous voyons, il faut que je me serve encore ici d’une autre comparaison.

Voyez une cuve, au temps de vendange, toute pleine de raisins à demi foulés, et dans le fond de laquelle on ait fait un trou ou deux, comme A et B[1], par où le vin doux qu’elle contient puisse couler. Puis pensez que, n’y ayant point de vide en la nature, ainsi que presque tous les philosophes avouent, et néanmoins y ayant plusieurs pores en tous les corps que nous apercevons autour de nous, ainsi que l’expérience peut montrer fort clairement, il est nécessaire que ces pores soient remplis de quelque matière fort subtile et fort fluide, qui s’étende sans interruption depuis les astres jusqu’à nous. Or cette matière subtile, étant comparée avec le vin de cette cuve et les parties moins fluides ou plus grossières tant de l’air que des autres corps transparents avec les grappes de raisins qui sont parmi, vous entendrez facilement que, comme les parties de ce vin, qui sont par exemple vers C, tendent à descendre en ligne droite par le trou A au même instant qu’il est ouvert, et ensemble par le trou B ; et que celles qui sont vers D et vers E tendent aussi en même temps à descendre par ces deux trous sans qu’aucune de ces actions soit empêchée par les autres, ni aussi par la résistance des grappes qui sont en cette cuve, nonobstant que ces grappes, étant soutenues l’une par l’autre, ne tendent point du tout à descendre par ces trous A et B, comme le vin, et même qu’elles puissent cependant être mues en plusieurs autres façons par ceux qui les foulent. Ainsi toutes les parties de la matière subtile que touche le côté du soleil qui nous regarde tendent en ligne droite vers nos yeux au même instant qu’ils sont ouverts, sans s’empêcher les unes les autres et même sans être empêchées par les parties grossières des corps transparents qui sont entre deux : soit que ces corps se meuvent en d’autres façons, comme l’air, qui est presque toujours agité par quelque vent, soit qu’ils soient sans mouvement, comme peut être le verre ou le cristal. Et remarquez ici qu’il faut distinguer entre le mouvement et l’action ou inclination à se mouvoir : car on peut fort bien concevoir que les parties du vin qui sont par exemple vers C tendent vers B, et ensemble vers A, nonobstant qu’elles ne puissent actuellement se mouvoir vers ces deux côtés en même temps, et qu’elles tendent exactement en ligne droite vers B et vers A, nonobstant qu’elles ne se puissent mouvoir si exactement vers l’A en ligne droite, à cause des grappes de raisins qui sont entre deux : et ainsi, pensant que ce n’est pas tant le mouvement comme l’action des corps lumineux qu’il faut prendre pour leur lumière, vous devez juger que les rayons de cette lumière ne sont autre chose que les lignes suivant lesquelles tend cette action. En sorte qu’il y a une infinité de tels rayons qui viennent de tous les points des corps lumineux vers tous les points de ceux qu’ils illuminent, ainsi que vous pouvez imaginer une infinité de lignes droites, suivant lesquelles les actions qui viennent de tous les points de la superficie du vin CDE tendent vers A ; et une infinité d’autres, suivant lesquelles les actions qui viennent de ces mêmes points tendent aussi vers B sans que les unes empêchent les autres.

Au reste, ces rayons doivent bien être ainsi toujours imaginés exactement droits, lorsqu’ils ne passent que par un seul corps transparent, qui est partout égal à soi-même ; mais lorsqu’ils rencontrent quelques autres corps, ils sont sujets à être détournés par eux, ou amortis en même façon que l’est le mouvement d’une balle ou d’une pierre jetée dans l’air par ceux qu’elle rencontre ; car il est bien aisé à croire que l’action ou inclination à se mouvoir, que j’ai dit devoir être prise pour la lumière, doit suivre en ceci les mêmes lois que le mouvement. Et, afin que j’explique cette troisième comparaison tout au long, considérez que les corps qui peuvent ainsi être rencontrés par une balle qui passe dans l’air sont ou mous, ou durs, ou liquides ; et que, s’ils sont mous, ils arrêtent et amortissent tout à fait son mouvement, comme lorsqu’elle donne contre des toiles, ou du sable, ou de la boue ; au lieu que, s’ils sont durs, ils la renvoient d’un autre côté sans l’arrêter, et ce en plusieurs diverses façons : car ou leur superficie est toute égale et unie, ou raboteuse et inégale ; et derechef étant égale, elle est ou plate ou courbée : et étant inégale, ou son inégalité ne consiste qu’en ce qu’elle est composée de plusieurs parties diversement courbées, dont chacune est en soi assez unie ; ou bien elle consiste, outre cela, en ce qu’elle a plusieurs divers angles ou pointes, ou des parties plus dures l’une que l’autre, ou qui se meuvent, et ce avec des variétés qui peuvent être imaginées en mille sortes. Et il faut remarquer que la balle, outre son mouvement simple et ordinaire, qui la porte d’un lieu en l’autre, en peut encore avoir un deuxième qui la fait tourner autour de son centre, et que la vitesse de celui-ci peut avoir plusieurs diverses proportions avec celle de l’autre. Or, quand plusieurs balles, venant d’un même côté, rencontrent un corps dont la superficie est toute unie et égale, elles se réfléchissent également et en même ordre, en sorte que, si cette superficie est toute plate, elles gardent entre elles la même distance, après l’avoir rencontrée, qu’elles avoient auparavant ; et, si elle est courbée en dedans ou en dehors, elles s’approchent ou s’éloignent en même ordre les unes des autres, plus ou moins, à raison de cette courbure. Comme vous voyez ici les balles A, B, C[2] qui, après avoir rencontré les superficies des corps D, E, F, se réfléchissent vers G, H, I.


Et, si ces balles rencontrent une superficie inégale, comme L ou M[3], elles se réfléchissent vers divers côtés, chacune selon la situation de l’endroit de cette superficie qu’elle touche. Et elles ne changent rien que cela en la façon de leur mouvement lorsque son inégalité ne consiste qu’en ce que ses parties sont courbées diversement. Mais elle peut aussi consister en plusieurs autres choses, et faire par ce moyen que, si ces balles n’ont eu auparavant qu’un simple mouvement droit, elles en perdent une partie et en acquièrent au lieu un circulaire, qui peut avoir diverse proportion avec ce qu’elles retiennent du droit, selon que la superficie du corps qu’elles rencontrent peut être diversement disposée : ce que ceux qui jouent à la paume éprouvent assez lorsque leur balle rencontre de faux carreaux, ou bien qu’ils la touchent en biaisant de leur raquette, ce qu’ils nomment, ce me semble, couper ou friser.


Enfin, considérez que, si une balle qui se meut rencontre obliquement la superficie d’un corps liquide par lequel elle puisse passer plus ou moins facilement que par celui d’où elle sort, elle se détourne et change son cours en y entrant : comme par exemple si, étant en l’air au point A[4], on la pousse vers B, elle va bien en ligne droite depuis A jusques à B, si ce n’est que sa pesanteur ou quelque autre cause particulière l’en empêche ; mais, étant au point B, où je suppose qu’elle rencontre la superficie de l’eau CBE, elle se détourne et prend son cours vers I, allant derechef en ligne droite depuis B jusqu’à I, ainsi qu’il est aisé à vérifier par l’expérience. Or il faut penser en même façon qu’il y a des corps qui, étant rencontrés par les rayons de la lumière, les amortissent et leur ôtent toute leur force, à savoir ceux qu’on nomme noirs, lesquels n’ont point d’autre couleur que les ténèbres ; et qu’il y en a d’autres qui les font réfléchir les uns au même ordre qu’ils les reçoivent, à savoir ceux qui, ayant leur superficie toute polie, peuvent servir de miroirs, tant plats que courbés, et les autres confusément vers plusieurs côtés ; et que, derechef entre ceux-ci, les uns font réfléchir ces rayons sans apporter aucun autre changement à leur action, à savoir ceux qu’on nomme blancs ; et les autres y apportent avec cela un changement semblable à celui que reçoit le mouvement d’une balle quand on la frise, à savoir ceux qui sont rouges, ou jaunes, ou bleus, ou de quelque autre telle couleur : car je pense pouvoir déterminer en quoi consiste la nature de chacune de ces couleurs, et le faire voir par expérience ; mais cela passe les bornes de mon sujet. Et il me suffit ici de vous avertir que les rayons qui tombent sur les corps qui sont colorés et non polis se réfléchissent ordinairement de tous côtés, encore même qu’ils ne viennent que d’un seul côté.


Comme encore que ceux qui tombent sur la superficie du corps blanc AB[5] ne viennent que du flambeau C, ils ne laissent pas de se réfléchir tellement de tous côtés qu’en quelque lieu qu’on pose l’œil, comme par exemple vers D, il s’en trouve toujours plusieurs venant de chaque endroit de cette superficie AB qui tendent vers lui. Et même, si l’on suppose ce corps fort délié, comme un papier ou une toile, en sorte que le jour passe au travers, encore que l’œil soit d’autre côté que le flambeau, comme vers E, il ne laissera pas de se réfléchir vers lui quelques rayons de chacune des parties de ce corps. Enfin, considérez que les rayons se détournent aussi en même façon qu’il a été dit d’une balle quand ils rencontrent obliquement la superficie d’un corps transparent par lequel ils pénètrent plus ou moins facilement que par celui d’où ils viennent, et cette façon de se détourner s’appelle en eux réfraction.

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DISCOURS SECOND.

DE LA RÉFRACTION.

D’autant que nous aurons besoin ci-après de savoir exactement la quantité de cette réfraction, et qu’elle peut assez commodément être entendue par la comparaison dont je viens de me servir, je crois qu’il est à propos que je tâche ici tout d’un train de l’expliquer, et que je parle premièrement de la réflexion, afin d’en rendre l’intelligence d’autant plus aisée. Pensons donc qu’une balle étant poussée de A vers B[6] rencontre au point B la superficie de la terre CBE, qui, l’empêchant de passer outre, est cause qu’elle se détourne ; et voyons vers quel côté.


Mais afin de ne nous embarrasser point en des nouvelles difficultés, supposons que la terre est parfaitement plate et dure, et que la balle va toujours d’égale vitesse, tant en descendant qu’en remontant, sans nous enquérir en aucune façon de la puissance qui continue de la mouvoir, après qu’elle n’est plus touchée de la raquette, ni considérer aucun effet de sa pesanteur, ni de sa grosseur, ni de sa figure  ; car il n’est pas ici question d’y regarder de si près, et il n’y a aucune de ces choses qui ait lieu en l’action de la lumière, à laquelle ceci se doit rapporter. Seulement faut-il remarquer que la puissance, telle qu’elle soit, qui fait continuer le mouvement de cette balle est différente de celle qui la détermine à se mouvoir plutôt vers un côté que vers un autre, ainsi qu’il est très aisé à connoître de ce que c’est la force dont elle a été poussée par la raquette, de qui dépend son mouvement, et que cette même force l’auroit pu faire mouvoir vers tout autre côté aussi facilement que vers B ; au lieu que c’est la situation de cette raquette qui la détermine à tendre vers B, et qui auroit pu l’y déterminer en même façon, encore qu’une autre force l’auroit mue ; ce qui montre déjà qu’il n’est pas impossible que cette balle soit détournée par la rencontre de la terre, et ainsi que la détermination qu’elle avoit à tendre vers B soit changée, sans qu’il y ait rien pour cela de changé en la force de son mouvement, puisque ce sont deux choses diverses, et par conséquent qu’on ne doit pas imaginer qu’il soit nécessaire qu’elle s’arrête quelque moment au point B avant que de retourner vers F, ainsi que font plusieurs de nos philosophes : car, si son mouvement étoit une fois interrompu par cet arrêt, il ne se trouveroit aucune cause qui le fît par après recommencer. De plus, il faut remarquer que la détermination à se mouvoir vers quelque côté peut aussi bien que le mouvement, et généralement que toute autre sorte de quantité, être divisée en toutes les parties desquelles on peut imaginer qu’elle est composée, et qu’on peut aisément imaginer que celle de la balle qui se meut de A vers B est composée de deux autres dont l’une la fait descendre de la ligne AF vers la ligne CE, et l’autre en même temps la fait aller de la gauche AC vers la droite FE, en sorte que ces deux jointes ensemble la conduisent jusques à B suivant la ligne droite AB, Et ensuite il est aisé à entendre que la rencontre de la terre ne peut empêcher que l’une de ces deux déterminations, et non point l’autre en aucune façon : car elle doit bien empêcher celle qui faisoit descendre la balle de AF vers CE, à cause qu’elle occupe tout l’espace qui est au-dessous de CE ; mais pourquoi empêcheroit-elle l’autre qui la faisoit avancer vers la main droite, vu qu’elle ne lui est aucunement opposée en ce sens-là ? Pour trouver donc justement vers quel côté cette balle doit retourner, décrivons un cercle du centre B, qui passe par le point A, et disons qu’en autant de temps qu’elle aura mis à se mouvoir depuis A jusques à B, elle doit infailliblement retourner depuis B jusques à quelque point de la circonférence de ce cercle, d’autant que tous les points qui sont aussi distants de celui-ci B, qu’en est A, se trouvent en cette circonférence, et que nous supposons le mouvement de cette balle être toujours également vite. Puis, afin de savoir précisément auquel de tous les points de cette circonférence elle doit retourner, tirons trois lignes droites AC, HB et FE, perpendiculaires sur CE, et en telle sorte qu’il n’y ait ni plus ni moins de distance entre AC et HB, qu’entre HB et FE ; et disons qu’en autant de temps que la balle a mis à s’avancer vers le côté droit, depuis A l’un des points de la ligne AC, jusques à B l’un de ceux de la ligne HB, elle doit aussi s’avancer depuis la ligne HB jusques à quelque point de la ligne FE : car tous les points de cette ligne FE sont autant éloignés de HB en ce sens-là l’un comme l’autre, et autant que ceux de la ligne AC, et elle est aussi autant déterminée à s’avancer vers ce côté-là qu’elle a été auparavant. Or est-il qu’elle ne peut arriver en même temps en quelque point de la ligne FE et ensemble à quelque point de la circonférence du cercle AFD, si ce n’est au point D ou au point F, d’autant qu’il n’y a que ces deux où elles s’entrecoupent l’une l’autre, si bien que la terre l’empêchant de passer vers D il faut conclure qu’elle doit aller infailliblement vers F. Et ainsi vous voyez facilement comment se fait la réflexion, à savoir selon un angle toujours égal à celui qu’on nomme l’angle d’incidence ; comme si un rayon venant du point A tombe au point B sur la superficie du miroir plat CBE, il se réfléchit vers F, en sorte que l’angle de la réflexion FBE n’est ne plus ne moins grand que celui de l’incidence ABC.

Venons maintenant à la réfraction ; et premièrement supposons qu’une balle poussée de A[7] vers B rencontre au point B, non plus la superficie de la terre, mais une toile CBE, qui soit si foible et déliée que cette balle ait la force de la rompre et de passer tout au travers, en perdant seulement une partie de sa vitesse, à savoir par exemple la moitié. Or, cela posé, afin de savoir quel chemin elle doit suivre, considérons derechef que son mouvement diffère entièrement de sa détermination à se mouvoir plutôt vers un côté que vers un autre, d’où il suit que leur quantité doit être examinée séparément ; et considérons aussi que des deux parties dont on peut imaginer que cette détermination est composée, il n’y a que celle qui faisoit tendre la balle de haut en bas qui puisse être changée en quelque façon par la rencontre de la toile, et que pour celle qui la faisoit tendre vers la main droite, elle doit toujours demeurer la même qu’elle a été, à cause que cette toile ne lui est aucunement opposée en ce sens là. Puis ayant décrit du centre B le cercle AFD, et tiré


à angles droits sur CBE les trois lignes droites AC, HB, FE, en telle sorte qu’il y ait deux fois autant de distance entre FE et HB qu’entre HB et AC, nous verrons que cette balle doit tendre vers le point I ; car, puisqu’elle perd la moitié de sa vitesse en traversant la toile CBE, elle doit employer deux fois autant de temps à passer au-dessous depuis B jusques à quelque point de la circonférence du cercle AFD qu’elle a fait au-dessus à venir depuis A jusques à B : et, puisqu’elle ne perd rien du tout de la détermination qu’elle avoit à s’avancer vers le droit en deux fois autant de temps qu’elle en a mis à passer depuis la ligne AC jusques à HB, elle doit faire deux fois autant de chemin vers ce même côté, et par conséquent arriver à quelque point de la ligne droite FE, au même instant qu’elle arrive aussi à quelque point de la circonférence du cercle AFD ; ce qui seroit impossible si elle n’alloit vers I, d’autant que c’est le seul point au-dessous de la toile CBE où le cercle AFD et la ligne droite FE s’entre-coupent.

Pensons maintenant que la balle qui vient de A vers D rencontre au point B, non plus une toile, mais de l’eau, dont la superficie CBE lui ôte justement la moitié de sa vitesse ainsi que faisoit cette toile ; et le reste posé comme devant, je dis que cette balle doit passer de B en ligne droite, non vers D, mais vers I : car premièrement il est certain que la superficie de l’eau la doit détourner vers là en même façon que la toile, vu qu’elle lui ôte tout autant de sa force, et qu’elle lui est opposée en même sens. Puis pour le reste du corps de l’eau qui remplit tout l’espace qui est depuis B jusques à I, encore qu’il lui résiste plus ou moins que ne faisoit l’air que nous y supposions auparavant, ce n’est pas à dire pour cela qu’il doive plus ou moins la détourner : car il se peut ouvrir pour lui faire passage tout aussi facilement vers un côté que vers un autre ; au moins si on suppose toujours comme nous faisons que ni la pesanteur ou légèreté de cette balle, ni sa grosseur, ni sa figure, ni aucune autre telle cause étrangère, ne change son cours ;


et on peut ici remarquer qu’elle est d’autant plus détournée par la superficie de l’eau ou de la toile, qu’elle la rencontre plus obliquement ; en sorte que si elle la rencontre à angles droits, comme lorsqu’elle est poussée de H[8] vers B, elle doit passer outre en ligne droite vers G, sans aucunement se détourner ; mais si elle est poussée suivant une ligne comme AB, qui soit si fort inclinée sur la superficie de l’eau ou de la toile CBE, que la ligne FE étant tirée comme tantôt ne coupe point le cercle AD, cette balle ne doit aucunement la pénétrer, mais rejaillir de sa superficie B vers l’air L, tout de même que si elle y avoit rencontré de la terre. Ce qu’on a quelquefois expérimenté avec regret, lorsque faisant tirer pour plaisir des pièces d’artillerie vers le fond d’une rivière, on a blessé ceux qui étoient de l’autre côté sur le rivage.

Mais faisons encore ici une autre supposition et pensons que la balle, ayant été poussée de A[9] vers B, est poussée derechef, étant au point B, par la raquette CBE, qui augmente la force de son mouvement, par exemple, d’un tiers, en sorte qu’elle puisse faire par après autant de chemin en deux moments qu’elle en faisoit en trois auparavant, ce qui fera le même effet que si elle rencontroit au point B un corps de telle nature qu’elle passât au travers de sa superficie CBE d’un tiers, plus facilement que par l’air. Et il suit manifestement de ce qui a été déjà démontré que, si l’on décrit le cercle AD comme devant, et les lignes AG, HB, FE, en telle sorte qu’il y ait d’un tiers moins de distance sans FE et HB qu’entre HB et AC, le point I, ou la ligne droite FE et la circulaire AD s’entre-coupent, désignera le lieu vers lequel cette balle, étant au point B, se doit détourner.

Or on peut prendre aussi le revers de cette conclusion, et dire que, puisque la balle qui vient de A en ligne droite jusqu’à B se détourne étant au point B et prend son cours de là vers I, cela signifie que la force ou facilité dont elle entre dans le corps CBEI est à celle dont elle sort du corps ACBE, comme la distance qui est entre AC et HB à celle qui est entre HB et FI, c’est-à-dire comme la ligne CB est à BE.

Enfin, d’autant que l’action de la lumière suit en ceci les mêmes lois que le mouvement de cette balle, il faut dire que, lorsque ses rayons passent obliquement d’un corps transparent dans un autre, qui les reçoit plus ou moins facilement que le premier, ils s’y détournent en telle sorte qu’ils se trouvent toujours moins incliné sur la superficie de ces corps du côté où est celui qui les reçoit le plus aisément que du côté où est l’autre ; et c’est justement à proportion de ce qu’il les reçoit plus aisément que ne fait l’autre. Seulement faut-il prendre garde que cette inclination se doit mesurer par la quantité des lignes droites, comme CB ou AH, et EB ou IG, et semblables, comparées les unes aux autres ; non par celle des angles, tels que sont ABH ou GBI, ni beaucoup moins par celle des semblables à DBI, qu’on nomme les angles de réfraction ; car la raison ou proportion qui est entre ces angles varie à toutes les diverses inclinations des rayons, au lieu que celle qui est entre les lignes AH et IG, ou semblables, demeure la même en toutes les réfractions qui sont causées par les mêmes corps. Comme, par exemple, s’il passe un rayon dans l’air de A[10] vers B,


qui, rencontrant au point B la superficie du verre CBR, se détourne vers I dans ce verre, et qu’il en vienne un autre de K vers B qui se détourne vers L, et un autre de P vers R qui se détourne vers S, il doit y avoir même proportion entre les lignes KM et LN, qu’entre AH et IG ; mais non pas la même entre les angles RBM et LBN, qu’entre ABH et IBG.

Si bien que vous voyez maintenant en quelle sorte se doivent mesurer les réfractions ; et encore que, pour déterminer leur quantité en tant qu’elle dépend de la nature particulière des corps où elles se font, il soit besoin d’en venir à l’expérience, on ne laisse pas de le pouvoir faire assez certainement et aisément depuis qu’elles sont ainsi toutes réduites sous une même mesure ; car il suffit de les examiner en un seul rayon pour connoître toutes celles qui se font en une même superficie, et on peut éviter toute erreur, si on les examine outre cela en quelques autres. Comme si nous voulons savoir la quantité de celles qui se font en la superficie CBR, qui sépare l’air AK du verre LI, nous n’avons qu’à l’éprouver en celle du rayon ABI, en cherchant la proportion qui est entre les lignes AH et IG. Puis, si nous craignons d’avoir failli en cette expérience, il faut encore l’éprouver en quelques autres rayons, comme KBL ; et, trouvant même proportion de KM à LN, que de AH à IG, nous n’aurons plus aucune occasion de douter de la vérité.

Mais peut-être vous étonnerez-vous, en faisant ces expériences, de trouver que les rayons de la lumière s’inclinent plus dans l’air que dans l’eau, sur les superficies où se fait leur réfraction ; et encore plus dans l’eau que dans le verre, tout au contraire d’une balle, qui s’incline davantage dans l’eau que dans l’air, et ne peut aucunement passer dans le verre : car, par exemple, si c’est une balle qui, étant poussée dans l’air de A[11] vers B, rencontre au point B la superficie de l’eau CBE, elle se détournera de B vers V ; et si c’est un rayon, il ira tout au contraire de B vers I. Ce que vous cesserez toutefois de trouver étrange, si vous vous souvenez de la nature que j’ai attribuée à la lumière, quand j’ai dit qu’elle n’étoit autre chose qu’un certain mouvement ou une action reçue en une matière très subtile, qui remplit les pores des autres corps ; et que vous considériez que, comme une balle perd davantage de son agitation en donnant contre un corps mou que contre un qui est dur, et qu’elle roule moins aisément sur un tapis que sur une table toute nue, ainsi l’action de cette matière subtile peut beaucoup plus être empêchée par les parties de l’air, qui étant comme molles et mal jointes ne lui font pas beaucoup de résistance, que par celles de l’eau qui lui en font davantage ; et encore plus par celles de l’eau que par celles du verre ou du cristal : en sorte que d’autant que les petites parties d’un corps transparent sont plus dures et plus fermes, d’autant laissent-elles passer la lumière plus aisément, car cette lumière n’en doit pas chasser aucunes hors de leurs places, ainsi qu’une balle en doit chasser de celles de l’eau pour trouver passage parmi elles.

Au reste, sachant ainsi la cause des réfractions qui se font dans l’eau et dans le verre, et communément en tous les autres corps transparents qui sont autour de nous, on peut remarquer qu’elles y doivent être toutes semblables quand les rayons sortent de ces corps et quand ils y entrent : comme si le rayon qui vient de A vers B se détourne de B vers I en passant de l’air dans le verre, celui qui reviendra de I vers B doit aussi se détourner de B vers A. Toutefois il se peut bien trouver d’autres corps, principalement dans le ciel, où les réfractions, procédant d’autres causes, ne sont pas ainsi réciproques. Et il se peut aussi trouver certains cas auxquels les rayons se doivent courber encorequ’ils ne passent que par un seul corps transparent ; ainsi que se courbe souvent le mouvement d’une balle, pourcequ’elle est détournée vers un côté par sa pesanteur, et vers un autre par l’action dont on l’a poussée, ou pour diverses autres raisons ; car, enfin, j’ose dire que les trois comparaisons dont je viens de me servir sont si propres, que toutes les particularités qui s’y peuvent remarquer se rapportent à quelques autres qui se trouvent toutes semblables en la lumière ; mais je n’ai tâché que d’expliquer celles qui faisoient le plus à mon sujet, et je ne vous veux plus faire ici considérer autre chose, sinon que les superficies des corps transparents qui sont courbées détournent les rayons qui passent par chacun de leurs points, en même sorte que feroient les superficies plates qu’on peut imaginer toucher ces corps aux mêmes points : comme, par exemple, la réfraction des rayons AB[12], AC, AD, qui, venant du flambeau A, tombent sur la superficie courbe de la boule de cristal BCD, doit être considérée en même sorte que si AB tombait sur la superficie plate EBF, et AC sur GCH, et AD sur IDK, et ainsi des autres ; d’où vous voyez que ces rayons se peuvent assembler ou écarter diversement, selon qu’ils tombent sur des superficies qui sont courbées diversement.


Et il est temps que je commence à vous décrire quelle est la structure de l’œil, afin de vous pouvoir faire entendre comment les rayons qui entrent dedans s’y disposent pour causer le sentiment de la vue.

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DISCOURS TROISIÈME.

DE L’ŒIL.

S’il était possible de couper l’œil par la moitié sans que les liqueurs dont il est rempli s’écoulassent, ni qu’aucune de ses parties changeât de place, et que le plan de la section passât justement par le milieu de la prunelle, il paraîtroit tel qu’il est représenté en cette figure[13].


ABCB est une peau assez dure et épaisse, qui compose comme un vase rond dans lequel toutes ses parties intérieures sont contenues. DEF est une autre peau plus déliée, qui est tendue ainsi qu’une tapisserie au dedans de la précédente. ZH est le nerf nommé optique, qui est composé d’un grand nombre de petits filets dont les extrémités s’étendent en tout l’espace GHI, où, se mêlant avec une infinité de petites veines et artères, elles composent une espèce de chair extrêmement tendre et délicate, laquelle est comme une troisième peau qui couvre tout le fond de la seconde. K, L, M sont trois sortes de glaires ou humeurs fort transparentes, qui remplissent tout l’espace contenu au dedans de ces peaux, et ont chacune la figure en laquelle vous la voyez ici représentée. Et l’expérience montre que celle du milieu L, qu’on nomme l’humeur cristalline, cause à peu près même réfraction que le verre ou le cristal ; et que les deux autres, K et M, la cause un peu moindre, environ comme l’eau commune, en sorte que les rayons de la lumière passent plus facilement par celle du milieu que par les deux autres, et encore plus facilement par ces deux que par l’air. En la première peau, la partie BCB est transparente et un peu plus voûtée que le reste BAB. En la seconde, la superficie intérieure de la partie EF, qui regarde le fond de l’œil, est toute noire et obscure ; et elle a au milieu un petit trou rond FF, qui est ce qu’on nomme la prunelle, et qui paroît si noir au milieu de l’œil quand on le regarde par dehors. Ce trou n’est pas toujours de même grandeur, et la partie EF de la peau en laquelle il est, nageant librement dans l’humeur K, qui est fort liquide, semble être comme un petit muscle qui se peut étrécir et élargir à mesure qu’on regarde des objets plus ou moins proches, ou plus ou moins éclairés, ou qu’on les veut voir plus ou moins distinctement : et vous pourrez voir facilement l’expérience de tout ceci en l’œil d’un enfant ; car si vous lui faites regarder fixement un objet proche, vous verrez que sa prunelle deviendra un peu plus petite que si vous lui en faites regarder un plus éloigné, qui ne soit point avec cela plus éclairé ; et derechef, qu’encore qu’il regarde toujours le même objet, il l’aura beaucoup plus petite, étant dans une chambre fort claire, que si en fermant la plupart des fenêtres on la rend fort obscure ; et enfin, que demeurant au même jour et regardant le même objet, s’il tâche d’en distinguer les moindres parties, sa prunelle sera plus petite que s’il ne le considère que tout entier et sans attention. Et notez que ce mouvement doit être appelé volontaire, nonobstant qu’il soit ordinairement ignoré de ceux qui le font ; car il ne laisse pas pour cela d’être dépendant et de suivre de la volonté qu’ils ont de bien voir ; ainsi que les mouvements des lèvres et de la langue qui servent à prononcer les paroles se nomment volontaires, à cause qu’ils suivent de la volonté qu’on a de parler, nonobstant qu’on ignore souvent quels ils doivent être pour servir à la prononciation de chaque lettre. EN, EN, sont plusieurs petits filets noirs qui embrassent tout autour l’humeur marquée L, et qui, naissant aussi de la seconde peau en l’endroit où la troisième se termine semblent autant de petits tendons par le moyen desquels cette humeur L, devenant tantôt plus voûtée, tantôt plus plate, selon l’intention qu’on a de regarder des objets proches ou éloignés, change un peu toute la figure du corps de l’œil. Et vous pouvez connoître ce mouvement par expérience ; car si, lorsque vous regardez fixement une tour ou une montagne un peu éloignée, on présente un livre devant vos yeux, vous n’y pourrez voir distinctement aucune lettre jusqu’à ce que leur figure soit un peu changée. Enfin, OO sont six ou sept muscles attachés à l’œil par dehors, qui le peuvent mouvoir de tous côtés, et même aussi peut-être, en le pressant ou retirant, aider à changer sa figure. Je laisse à dessein plusieurs autres particularités qui se remarquent en cette matière et dont les anatomistes grossissent leurs livres, car je crois que celles que j’ai mises ici suffiront pour expliquer tout ce qui sert à mon sujet, et que les autres que j’y pourrais ajouter, n’aidant en rien votre intelligence, ne feraient que divertir votre attention.

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DISCOURS QUATRIÈME.

DES SENS EN GÉNÉRAL.

Mais il faut que je vous dise maintenant quelque chose de la nature des sens en général, afin de pouvoir d’autant plus aisément expliquer en particulier celui de la vue. On sait déjà assez que c’est l’âme qui sent et non le corps : car on voit que, lorsqu’elle est divertie par une extase ou forte contemplation, tout le corps demeure sans sentiment, encore qu’il y ait divers objets qui le touchent. Et on sait que ce n’est pas proprement en tant qu’elle est dans les membres qui servent d’organes aux sens extérieurs qu’elle sent, mais en tant qu’elle est dans le cerveau, où elle exerce cette faculté qu’on appelle le sens commun ; car on voit des blessures et maladies qui, n’offensant que le cerveau seul, empêchent généralement tous les sens, encore que le reste du corps ne laisse point pour cela d’être animé. Enfin, on sait que c’est par l’entremise des nerfs que les impressions que font les objets dans les membres extérieurs parviennent jusques à l’âme dans le cerveau : car on voit divers accidents qui, ne nuisant à rien qu’à quelque nerf, ôtent le sentiment de toutes les parties du corps où ce nerf envoie ces branches sans rien diminuer de celui des autres. Mais, pour savoir plus particulièrement en quelle sorte l’âme, demeurant dans le cerveau, peut ainsi, par l’entremise des nerfs, recevoir les impressions des objets qui sont au dehors, il faut distinguer trois choses en ces nerfs, à savoir, premièrement, les peaux qui les enveloppent, et qui, prenant leur origine de celles qui enveloppent le cerveau, sont comme de petits tuyaux divisés en plusieurs branches qui se vont épandre çà et là par tous les membres en même façon que les veines et les artères ; puis, leur substance intérieure qui s’étend en forme de petits filets tout le long de ces tuyaux depuis le cerveau, d’où elle prend son origine, jusques aux extrémités des autres membres où elle s’attache, en sorte qu’on peut imaginer en chacun de ces petits tuyaux plusieurs de ces petits filets indépendants les uns des autres ; puis, enfin, les esprits animaux, qui sont comme un air ou un vent très subtil, qui, venant des chambres ou concavités qui sont dans le cerveau, s’écoule par ces mêmes tuyaux dans les muscles. Or les anatomistes et médecins avouent assez que ces trois choses se trouvent dans les nerfs ; mais il ne me semble point qu’aucun d’eux en ait encore bien distingué les usages ; car, voyant que les nerfs ne servent pas seulement à donner le sentiment aux membres, mais aussi à les mouvoir, et qu’il y a quelquefois des paralysies qui ôtent le mouvement sans ôter pour cela le sentiment, tantôt ils ont dit qu’il y avait deux sortes de nerfs, dont les uns ne servaient que pour les sens, et les autres que pour les mouvements ; et tantôt, que la faculté de sentir était dans les peaux ou membranes, et que celle de mouvoir était dans la substance intérieure des nerfs, qui sont choses fort répugnantes à l’expérience et à la raison : car qui a jamais pu remarquer aucun nerf qui servît au mouvement sans servir aussi à quelque sens ? Et comment, si c’était des peaux que le sentiment dépendît, les diverses impressions des objets pourraient-elles par le moyen de ces peaux parvenir jusqu’au cerveau ? Afin donc d’éviter ces difficultés, il faut penser que ce sont les esprits qui, coulant par les nerfs dans les muscles, et les enflant plus ou moins, tantôt les uns, tantôt les autres, selon les diverses façons que le cerveau les distribue, causent le mouvement de tous les membres, et que ce sont les petits filets dont la substance intérieure de ces nerfs est composée qui servent aux sens. Et d’autant que je n’ai point ici besoin de parler des mouvements, je désire seulement que vous conceviez que ces petits filets, étant enfermés, comme j’ai dit, en des tuyaux qui sont toujours enflés et tenus ouverts par les esprits qu’ils contiennent, ne se pressent ni empêchent aucunement les uns les autres, et sont étendus depuis le cerveau jusqu’aux extrémités de tous les membres qui sont capables de quelque sentiment, en telle sorte que, pour peu qu’on touche et fasse mouvoir l’endroit de ces membres où quelqu’un d’eux est attaché, on fait aussi mouvoir au même instant l’endroit du cerveau d’où il vient, ainsi que, tirant l’un des bouts d’une corde qui est toute tendue, on fait mouvoir au même instant l’autre bout : car, sachant que ces filets sont ainsi enfermés en des tuyaux, que les esprits tiennent toujours un peu enflés et entr’ouverts, il est aisé à entendre qu’encore qu’ils fussent beaucoup plus déliés que ceux que filent les vers à soie, et plus faibles que ceux des araignées, ils ne lairroient pas de se pouvoir étendre depuis la tête jusques aux membres les plus éloignés sans être en aucun hasard de se rompre, ni que les diverses situations de ces membres empêchassent leurs mouvements. Il faut, outre cela, prendre garde à ne pas supposer que, pour sentir, l’âme ait besoin de contempler quelques images qui soient envoyées par les objets jusques au cerveau, ainsi que font communément nos philosophes ; ou du moins il faut concevoir la nature de ces images tout autrement qu’ils ne font : car, d’autant qu’ils ne considèrent en elles autre chose, sinon qu’elles doivent avoir de la ressemblance avec les objets qu’elles représentent, il leur est impossible de nous montrer comment elles peuvent être formées par ces objets, et reçues par les organes des sens extérieurs, et transmises par les nerfs jusqu’au cerveau ; et ils n’ont eu aucune raison de les supposer, sinon que, voyant que notre pensée peut facilement être excitée par un tableau à concevoir l’objet qui y est peint, il leur a semblé qu’elle devoit l’être en même façon à concevoir ceux qui touchent nos sens par quelques petits tableaux qui s’en formassent en notre tête : au lieu que nous devons considérer qu’il y a plusieurs autres choses que des images qui peuvent exciter notre pensée, comme, par exemple, les signes et les paroles, qui ne ressemblent en aucune façon aux choses qu’elles signifient. Et si, pour ne nous éloigner que le moins qu’il est possible des opinions déjà reçues, nous aimons mieux avouer que les objets que nous sentons envoient véritablement leurs images jusqu’au dedans de notre cerveau, il faut au moins que nous remarquions qu’il n’y a aucunes images qui doivent en tout ressembler aux objets qu’elles représentent, car autrement il n’y auroit point de distinction entre l’objet et son image, mais qu’il suffit qu’elles leur ressemblent en peu de choses ; et souvent même que leur perfection dépend de ce qu’elles ne leur ressemblent pas tant qu’elles pourroient faire, comme vous voyez que les tailles douces, n’étant faites que d’un peu d’encre, posée çà et là sur du papier, nous représentent des forêts, des villes, des hommes, et même des batailles et des tempêtes, bien que, d’une infinité de diverses qualités qu’elles nous font concevoir en ces objets, il n’y en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement la ressemblance, et encore est-ce une ressemblance fort imparfaite, vu que, sur une superficie toute plate, elles nous représentent des corps diversement relevés et enfoncés, et que même, suivant les règles de la perspective, souvent elles représentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres cercles, et des carrés par losanges que par autres carrés, et ainsi de toutes les autres figures ; en sorte que souvent, pour être plus parfaites en qualité d’images et représenter mieux un objet, elles doivent ne lui pas ressembler. Or il faut que nous pensions tout de même des images qui se forment en notre cerveau, et que nous remarquions qu’il est seulement question de savoir comment elles peuvent donner moyen à l’âme de sentir toutes les diverses qualités des objets auxquels elles se rapportent, et non point comment elles ont en soi leur ressemblance. Comme, lorsque l’aveugle, dont nous avons parlé ci-dessus, touche quelques corps de son bâton, il est certain que ces corps n’envoient autre chose jusqu’à lui, sinon que, faisant mouvoir diversement son bâton, selon les diverses qualités qui sont en eux, ils meuvent par même moyen les nerfs de sa main, et ensuite les endroits de son cerveau d’où viennent ces nerfs ; ce qui donne occasion à son âme de sentir tout autant de diverses qualités en ces corps qu’il se trouve des variétés dans les mouvements qui sont causés par eux en son cerveau.


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DISCOURS CINQUIÈME.

DES IMAGES QUI SE FORMENT SUR LE FOND DE L’ŒIL.

Vous voyez donc assez que, pour sentir, l’âme n’a pas besoin de contempler aucunes images qui soient semblables aux choses qu’elle sent ; mais cela n’empêche pas qu’il ne soit vrai que les objets que nous regardons en impriment d’assez parfaites dans le fond de nos yeux, ainsi que quelques-uns ont déjà très ingénieusement expliqué par la comparaison de celles qui paroissent dans une chambre lorsque l’ayant toute fermée, réservé un seul trou, et ayant mis au-devant de ce trou un verre en forme de lentille, on étend derrière à certaine distance un linge blanc sur qui la lumière, qui vient des objets de dehors, forme ces images ; car ils disent que cette chambre représente l’œil ; ce trou, la prunelle ; ce verre, l’humeur cristalline ou plutôt toutes celles des parties de l’œil qui causent quelque réfraction ; et ce linge, la peau intérieure, qui est composée des extrémités du nerf optique.

Mais vous en pourrez être encore plus certain, si prenant l’œil d’un homme fraîchement mort, ou au défaut celui d’un bœuf ou de quelque autre gros animal, vous coupez dextrement vers le fond les trois peaux qui l’enveloppent, en sorte qu’une grande partie de l’humeur M[14] qui y est demeure découverte, sans qu’il y ait en rien d’elle pour cela qui se répande ; puis l’ayant recouverte de quelque corps blanc qui soit si délié que le jour passe au travers, comme, par exemple, d’un morceau de papier ou de la coquille d’un œuf RST, que vous mettiez cet œil dans le trou d’une fenêtre fait exprès, comme Z, en sorte qu’il ait le devant BCD tourné vers quelque lieu où il y ait divers objets, comme VXY, éclairés par le soleil, et le derrière où est le corps blanc RST, vers le dedans de la chambre P où vous serez, et en laquelle il ne doit entrer aucune lumière que celle qui pourra pénétrer au travers de cet œil, dont vous savez que toutes les parties depuis C jusques à S sont transparentes.

Figure 14.


Car cela fait, si vous regardez sur ce corps blanc RST, vous y verrez, non peut-être sans admiration et plaisir, une peinture qui représentera fort naïvement en perspective tous les objets qui seront au dehors vers VXY, au moins si vous faites en sorte que cet œil retienne sa figure naturelle, proportionnée à la distance de ces objets : car, pour peu que vous le pressiez plus ou moins que de raison, cette peinture en deviendra moins distincte ; et il est à remarquer qu’on doit le presser un peu davantage et rendre sa figure un peu plus longue lorsque les objets sont fort proches que lorsqu’ils sont plus éloignés. Mais il est besoin que j’explique ici plus au long comment se forme cette peinture, car je pourrai par même moyen vous faire entendre plusieurs choses qui appartiennent à la vision.

Considérez donc premièrement que, de chaque point des objets VXY, il entre en cet œil autant de rayons qui pénètrent jusqu’au corps blanc RST que l’ouverture de la prunelle FF en peut comprendre, et que, suivant ce qui a été dit ici dessus tant de la nature de la réfraction que de celle des trois humeurs K, L, M, tous ceux de ces rayons qui viennent d’un même point se courbent en traversant les trois superficies BCD, 123 et 456, en la façon qui est requise pour se rassembler derechef environ vers un même point ; et il faut remarquer qu’afin que la peinture dont il est ici question soit la plus parfaite qu’il est possible, les figures de ces trois superficies doivent être telles, que tous les rayons qui viennent de l’un des points des objets se rassemblent exactement en l’un des points du corps blanc RST ; comme vous voyez ici que ceux du point X s’assemblent au point S, ensuite de quoi, ceux qui viennent du point V s’assemblent aussi à peu près au point R, et ceux du point Y au point T ; et que réciproquement il ne vienne aucun rayon vers S que du point X, ni aucun vers R que du point V, ni vers T que du point Y, et ainsi des autres. Or, cela posé, si vous vous souvenez de ce qui a été dit ci-dessus de la lumière et des couleurs en général, et en particulier des corps blancs, il vous sera facile à entendre qu’étant enfermé dans la chambre P, et jetant vos yeux sur le corps blanc RST, vous y devez voir la ressemblance des objets VXY.

Figure 14.


Car premièrement la lumière, c’est-à-dire le mouvement ou l’action dont le soleil ou quelque autres des corps qu’on nomme lumineux, pousse une certaine matière fort subtile, qui se trouve en tous les corps transparents, étant repoussée vers R par l’objet V, que je suppose, par exemple, être rouge, c’est-à-dire être disposé à faire que les petites parties de cette matière subtile, qui ont été seulement poussées en lignes droites par les corps lumineux, se meuvent aussi en rond autour de leurs centres, après les avoir rencontrées, et que leurs deux mouvements aient entre eux la proportion qui est requise pour faire sentir la couleur rouge, il est certain que l’action de ces deux mouvements ayant rencontré au point R un corps blanc, c’est-à-dire un corps disposé à la renvoyer vers tout autre côté sans la changer, doit de là se réfléchir vers vos yeux par les pores de ce corps, que j’ai supposé à cet effet fort délié et comme percé à jour de tous côtés, et ainsi vous faire voir le point R de couleur rouge. Puis la lumière étant aussi repoussée de l’objet X, que je suppose jaune, vers S, et de Y, que je suppose bleu, vers T, d’où elle est portée vers vos yeux, elle vous doit faire paroître S de couleur jaune, et T de couleur bleue ; et ainsi les trois points R, S, T, paroissant des mêmes couleurs, et gardant entre eux le même ordre que les trois V, X, Y, en ont manifestement la ressemblance. Et la perfection de cette peinture dépend principalement de trois choses, à savoir de ce que la prunelle de l’œil ayant quelque grandeur, il y entre plusieurs rayons de chaque point de l’objet, comme ici XB14S, XC25S, YD36S, et tout autant d’autres qu’on en puisse imaginer entre ces trois y viennent du seul point X ; et de ce que ces rayons souffrent dans l’œil de telles réfractions, que ceux qui viennent de divers points se rassemblent à peu près en autant d’autres divers points sur le corps blanc RST ; et enfin de ce que, tant les petits filets EN que le dedans de la peau EF, étant de couleur noire, et la chambre P, toute fermée et obscure, il ne vient d’ailleurs que des objets VXY aucune lumière qui trouble l’action de ces rayons : car, si la prunelle était si étroite qu’il ne passât qu’un seul rayon de chaque point de l’objet vers chaque point du corps RST, il n’auroit pas assez de force pour se réfléchir de là dans la chambre P vers vos yeux. Et la prunelle étant un peu grande, s’il ne se faisoit dans l’œil aucune réfraction, les rayons qui viendroient de chaque point des objets s’épandroient çà et là en tout l’espace RST, en sorte que, par exemple, les trois points VXY enverroient trois rayons vers R, qui, se réfléchissant de là tous ensemble vers vos yeux, vous feroient paraître ce point R d’une couleur moyenne entre le rouge, le jaune et le bleu, et tout semblable aux points S et T, vers lesquels les mêmes points VXY enverroient aussi chacun un de leurs rayons. Et il arriveroit aussi quasi le même, si la réfraction qui se fait en l’œil étoit plus ou moins grande qu’elle ne doit, à raison de la grandeur de cet œil ; car, étant trop grande, les rayons qui viendroient par exemple du point X s’assembleroient avant que d’être parvenus jusqu’à S comme vers M ; et, au contraire, étant trop petite, ils ne s’assembleroient qu’au-delà, comme vers P, si bien qu’ils toucheroient le corps blanc RST en plusieurs points, vers lesquels il viendroit aussi d’autres rayons des autres parties de l’objet. Enfin, si les corps EN, EF n’étoient noirs, c’est-à-dire disposés à faire que la lumière qui donne de contre s’y amortisse, les rayons qui viendroient vers eux du corps blanc RST pourroient de là retourner, ceux de T vers S et vers R, ceux de R vers T et vers S, et ceux de S vers R et vers T, au moyen de quoi ils troubleroient l’action les uns des autres ; et le même feroit aussi les rayons qui viendroient de la chambre P vers RST, s’il y avoit quelque autre lumière en cette chambre que celle qu’y envoient les objets VXY.

Mais, après vous avoir parlé des perfections de cette peinture, il faut aussi que je vous fasse considérer ses défauts, dont le premier et le principal est que, quelques figures que puissent avoir les parties de l’œil, il est impossible qu’elles fassent que les rayons qui viennent de divers points s’assemblent tous en autant d’autres divers points, et que tout le mieux qu’elles puissent faire c’est seulement que tous ceux qui viennent de quelque point, comme de X, s’assemblent en un autre point, comme S, dans le milieu du fond de l’œil ; en quel cas il n’y en peut avoir que quelques-uns de ceux du point V qui s’assemblent justement au point R, ou du point Y qui s’assemblent justement au point T ; et les autres s’en doivent écarter quelque peu tout à l’entour, ainsi que j’expliquerai ci-après. Et ceci est cause que cette peinture n’est jamais si distincte vers ses extrémités qu’au milieu, comme il a été assez remarqué par ceux qui ont écrit de l’optique ; car c’est pour cela qu’ils ont dit que la vision se fait principalement suivant la ligne droite qui passe par les centres de l’humeur cristalline et de la prunelle, telle qu’est ici la ligne XKLS, qu’ils nomment l’essieu de la vision. Et notez que les rayons, par exemple ceux qui viennent du point V, s’écartent autour du point R d’autant plus que l’ouverture de la prunelle est plus grande : et ainsi que, si sa grandeur sert à rendre les couleurs de cette peinture plus vives et plus fortes, elle empêche en revanche que ses figures ne soient si distinctes, d’où vient qu’elle ne doit être que médiocre. Notez aussi que ses rayons s’écarteroient encore plus autour du point R qu’ils ne font, si le point V d’où ils viennent étoit beaucoup plus proche de l’œil, comme vers 10, ou beaucoup plus éloigné, comme vers 11, que n’est V à la distance duquel je suppose que la figure de l’œil est proportionnée ; de sorte qu’ils rendroient la partie R de cette peinture encore moins distincte qu’ils ne font. Et vous entendrez facilement les démonstrations de tout ceci, lorsque vous aurez vu ci-après quelles figures doivent avoir les corps transparents, pour faire que les rayons qui viennent d’un point s’assemblent en quelque autre point, après les avoir traversés. Pour les autres défauts de cette peinture, ils consistent en ce que ses parties sont renversées, c’est-à-dire en position toute contraire à celle des objets, et en ce qu’elles sont appetissées et raccourcies les unes plus, les autres moins, à raison de la diverse distance et situation des choses qu’elles représentent quasi en même façon que dans un tableau de perspective. Comme vous voyez ici clairement que T, qui est vers le côté gauche, représente Y, qui est vers le droit ; et que R, qui est vers le droit, représente V, qui est vers le gauche ; et, de plus, que la figure de l’objet V ne doit pas occuper plus d’espace vers R que celle de l’objet 10, qui est plus petit, mais plus proche ; ni moins que celle de l’objet 11, qui est plus grand, mais à proportion plus éloigné, sinon en tant qu’elle est un peu plus distincte ; et, enfin, que la ligne droite VXY est représentée par la courbe RST.

Or, ayant ainsi vu cette peinture dans l’œil d’un animal mort, et en ayant considéré les raisons, on ne peut douter qu’il ne s’en forme une toute semblable en celui d’un homme vif, sur la peau intérieure, en la place de laquelle nous avions substitué le corps blanc RST, et même qu’elle ne s’y forme beaucoup mieux, à cause que ses humeurs, étant pleines d’esprits, sont plus transparentes et ont plus exactement la figure qui est requise à cet effet. Et peut-être aussi qu’en l’œil d’un bœuf la figure de la prunelle, qui n’est pas ronde, empêche que cette peinture n’y soit si parfaite.

On ne peut douter non plus que les images qu’on fait paroître sur un linge blanc dans une chambre obscure ne s’y forment tout de même et pour la même raison qu’au fond de l’œil ; même à cause qu’elles y sont ordinairement beaucoup plus grandes et s’y forment en plus de façons, on y peut plus commodément remarquer diverses particularités dont je désire ici vous avertir, afin que vous en fassiez l’expérience, si vous ne l’avez encore jamais faite. Voyez donc premièrement que, si on ne met aucun verre au-devant du trou qu’on aura fait en cette chambre, il paroîtra bien quelques images sur le linge, pourvu que le trou soit fort étroit, mais qui seront fort confuses et imparfaites, et qui le seront d’autant plus que ce trou sera moins étroit ; et qu’elles seront aussi d’autant plus grandes qu’il y aura plus de distance entre lui et le linge : en sorte que leur grandeur doit avoir à peu près même proportion avec cette distance que la grandeur des objets qui les causent avec la distance qui est entre eux et ce même trou. Comme il est évident que, si ACB [15] est l’objet, D le trou, et EGF l’image, EG est à FD comme AB est à CD. Puis, ayant mis un verre en forme de lentille au-devant de ce trou, considérez qu’il y a certaine distance déterminée à laquelle, tenant le linge, les images paroissent fort distinctes, et que, pour peu qu’on l’éloigne ou qu’on l’approche davantage du verre, elles commencent à l’être moins ; et que cette distance doit être mesurée par l’espace qui est, non

Figure 15.
pas entre le linge et le trou, mais entre le linge et le verre : en sorte que, si l’on met le verre un peu au-delà du trou de part ou d’autre, le linge en doit aussi être d’autant approché ou reculé ; et qu’elle dépend en partie de la figure de ce verre, et en partie aussi de l’éloignement des objets : car, en laissant l’objet en même lieu, moins les superficies du verre sont courbées, plus le linge en doit être éloigné ; et, en se servant du même verre, si les objets en sont fort proches, il en faut tenir le linge un peu plus loin que s’ils en sont plus éloignés, et que de cette distance dépend la grandeur des images quasi en même façon que lorsqu’il n’y a point de verre au-devant du trou ; et que ce trou peut être beaucoup plus grand lorsqu’on y met un verre que lorsqu’on le laisse tout vide, sans que les images en soient pour cela de beaucoup moins distinctes ; et que plus il est grand, plus elles paroissent claires et illuminées : en sorte que, si on couvre une partie de ce verre, elles paroîtront bien plus obscures qu’auparavant, mais qu’elles ne lairront pas pour cela d’occuper autant d’espace sur le linge ; et que plus ces images sont grandes et claires, plus elles se voient parfaitement : en sorte que, si on pouvoit aussi faire un œil dont la profondeur fut fort grande et la prunelle fort large, et que les figures de celles de ses superficies qui causent quelque réfraction fussent proportionnées à cette grandeur,
Figure 14.
les images s’y formeroient d’autant plus visibles. Et que si, ayant deux ou plusieurs verres en forme de lentilles, mais assez plats, on les joint l’un contre l’autre, ils auront à peu près le même effet qu’auroit un seul qui seroit autant voûté ou convexe qu’eux deux ensemble, car le nombre des superficies où se font les réfractions n’y fait pas grand chose ; mais que, si on éloigne ces verres à certaines distances les uns des autres, le second pourra redresser l’image que le premier aura renversée, et le troisième la renverser derechef, et ainsi de suite : qui sont toutes choses dont les raisons sont fort aisées à déduire de ce que j’ai dit ; et elles seront bien plus vôtres, s’il vous faut user d’un peu de réflexion pour les concevoir, que si vous les trouviez ici mieux expliquées.
Figure 16.

Au reste, les images des objets ne se forment pas seulement ainsi au fond de l’œil, mais elles passent encore au-delà jusqu’au cerveau, comme vous entendrez facilement, si vous pensez que, par exemple[16], les rayons qui viennent dans l’œil de l’objet V touchent au point R l’extrémité de l’un des petits filets du nerf optique, qui prend son origine de l’endroit 7 de la superficie intérieure du cerveau 7 8 9 ; et ceux de l’objet X touchent au point S l’extrémité d’un autre de ces filets dont le commencement est au point 8 ; et ceux de l’objet Y en touchent un autre au point T, qui répond à l’endroit du cerveau marqué 9, et ainsi des autres ; et que la lumière n’étant autre chose qu’un mouvement ou une action qui tend à causer quelque mouvement, ceux de ses rayons qui viennent de V vers R ont la force de mouvoir tout le filet R 7, et par conséquent l’endroit du cerveau marqué 7 ; et ceux qui viennent de X vers S, de mouvoir tout le nerf S 8, et même de le mouvoir d’autre façon que n’est mû R 7, à cause que les objets X et V sont de deux diverses couleurs ; et ainsi que ceux qui viennent d’Y meuvent le point 9 ; d’où il est manifeste qu’il se forme derechef une peinture 7 8 9, assez semblable aux objets VXY, en la superficie intérieure du cerveau qui regarde ses concavités ; et de là je pourrois encore la transporter jusqu’à une certaine petite glande qui se trouve environ le milieu de ses concavités, et est proprement le siége du sens commun. Même, je pourrois encore plus outre vous montrer comment quelquefois elle peut passer de là par les artères d’une femme enceinte jusques à quelque membre déterminé de l’enfant qu’elle porte en ses entrailles, et y former ces marques d’envie qui causent tant d’admiration à tous les doctes.

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DISCOURS SIXIÈME.

DE LA VISION.

Or, encore que cette peinture, en passant ainsi jusques au dedans de notre tête, retienne toujours quelque chose de la ressemblance des objets dont elle procède, il ne se faut point toutefois persuader, ainsi que je vous ai déjà tantôt assez fait entendre, que ce soit par le moyen de cette ressemblance qu’elle fasse que nous les sentons, comme s’il y avoit derechef d’autres yeux en notre cerveau avec lesquels nous la pussions apercevoir ; mais plutôt que ce sont les mouvements par lesquels elle est composée, qui, agissant immédiatement contre notre âme tant qu’elle est unie à notre corps, sont institués de la nature pour lui faire avoir de tels sentiments, ce que je vous veux ici expliquer plus en détail. Toutes les qualités que nous apercevons dans les objets de la vue peuvent être réduites à six principales, qui sont la lumière, la couleur, la situation, la distance, la grandeur et la figure. Et premièrement, touchant la lumière et la couleur qui seules appartiennent proprement au sens de la vue, il faut penser que notre âme est de telle nature, que la force des mouvements qui se trouvent dans les endroits du cerveau d’où viennent les petits filets des nerfs optiques, lui fait avoir le sentiment de la lumière, et la façon de ces mouvements celui de la couleur, ainsi que les mouvements des nerfs qui répondent aux oreilles lui font ouïr les sons, et ceux des nerfs de la langue lui font goûter les saveurs, et généralement ceux des nerfs de tout le corps lui font sentir quelque chatouillement quand ils sont modérés, et, quand ils sont trop violents, quelque douleur, sans qu’il doive en tout cela y avoir aucune ressemblance entre les idées qu’elle conçoit et les mouvements qui causent ces idées : ce que vous croirez facilement, si vous remarquez qu’il semble à ceux qui reçoivent quelque blessure dans l’œil qu’ils voient une infinité de feux et d’éclairs devant eux, nonobstant qu’ils ferment les yeux ou bien qu’ils soient en lieu fort obscur ; en sorte que ce sentiment ne peut être attribué qu’à la seule force du coup, laquelle meut les petits filets du nerf optique, ainsi que feroit une violente lumière ; et cette même force, touchant les oreilles, pourroit faire ouïr quelque son ; et touchant le corps en d’autres parties, y faire sentir de la douleur. Et ceci se confirme aussi de ce que, si quelquefois on force ses yeux à regarder le soleil ou quelque autre lumière fort vive, ils en retiennent après un peu de temps l’impression, en telle sorte que, nonobstant même qu’on les tienne fermés, il semble qu’on voie diverses couleurs qui se changent et passent de l’une à l’autre, à mesure qu’elles s’affoiblissent : car cela ne peut procéder que de ce que les petits filets du nerf optique, ayant été mus extraordinairement fort, ne se peuvent arrêter sitôt que de coutume ; mais l’agitation qui est encore en eux après que les yeux sont fermés, n’étant plus assez grande pour représenter cette forte lumière qui l’a causée, représente des couleurs moins vives ; et ces couleurs se changent en s’affoiblissant, ce qui montre que leur nature ne consiste qu’en la diversité du mouvement, et n’est point autre que je l’ai ci-dessus supposée. Et, enfin, ceci se manifeste de ce que les couleurs paroissent souvent en des corps transparents, où il est certain qu’il n’y a rien qui les puisse causer que les diverses façons dont les rayons de la lumière y sont reçus, comme lorsque l’arc-en-ciel paroît dans les nues, et encore plus clairement lorsqu’on en voit la ressemblance dans un verre qui est taillé à plusieurs faces.

Mais il faut ici particulièrement considérer en quoi consiste la quantité de la lumière qui se voit, c’est-à-dire de la force dont est mu chacun des petits filets du nerf optique, car elle n’est pas toujours égale à la lumière qui est dans les objets, mais elle varie à raison de leur distance et de la grandeur de la prunelle, et aussi à raison de l’espace que les rayons qui viennent de chaque point de l’objet peuvent occuper au fond de l’œil.


Comme, par exemple, il est manifeste que le point X[17] enverroit plus de rayons dans l’œil B qu’il ne fait, si la prunelle FF étoit ouverte jusqu’à G ; et qu’il en envoie tout autant en cet œil B, qui est proche de lui et dont la prunelle est fort étroite, qu’il fait en l’œil A, dont la prunelle est beaucoup plus grande, mais qui est à proportion plus éloigné. Et encore qu’il n’entre pas plus de rayons des divers points de l’objet VXY, considérés tous ensemble, dans le fond de l’œil A que dans celui de l’œil B, toutefois pource que ces rayons ne s’y étendent qu’en l’espace TR, qui est plus petit que n’est HI, dans lequel ils s’étendent au fond de l’œil B, ils y doivent agir avec plus de force contre chacune des extrémités du nerf optique qu’ils y touchent, ce qui est fort aisé à calculer ; car si, par exemple, l’espace HI est quadruple de TR, et qu’il contienne les extrémités de quatre mille des petits filets du nerf optique, TR ne contiendra que celles de mille, et par conséquent chacun de ces petits filets sera mû dans le fond de l’œil A par la millième partie des forces qu’ont tous les rayons qui y entrent, jointes ensemble, et dans le fond de l’œil B par le quart de la millième partie seulement. Il faut aussi considérer qu’on ne peut discerner les parties des corps qu’on regarde qu’en tant qu’elles diffèrent en quelque façon de couleur, et que la vision distincte de ces couleurs ne dépend pas seulement de ce que tous les rayons qui viennent de chaque point de l’objet se rassemblent à peu près en autant d’autres divers points au fond de l’œil, et de ce qu’il n’en vient aucuns autres d’ailleurs vers ces mêmes points, ainsi qu’il a été tantôt amplement expliqué, mais aussi de la multitude des petits filets du nerf optique qui sont en l’espace qu’occupe l’image au fond de l’œil. Car si, par exemple, l’objet VXY est composé de dix mille parties, qui soient disposées à envoyer des rayons vers le fond de l’œil RST en dix mille façons différentes, et par conséquent à faire voir en même temps dix mille couleurs, elles n’en pourront néanmoins faire distinguer à l’âme que mille tout au plus, si nous supposons qu’il n’y ait que mille des filets du nerf optique en l’espace RST, d’autant que dix des parties de l’objet agissant ensemble contre chacun de ces filets ne le peuvent mouvoir que d’une seule façon composée de toutes celles dont elles agissent, en sorte que l’espace qu’occupe chacun de ces filets ne doit être considéré que comme un point : et c’est ce qui fait que souvent une prairie qui sera peinte d’une infinité de couleurs toutes diverses ne paroîtra de loin que toute blanche ou toute bleue. Et généralement que tous les corps se voient moins distinctement de loin que de près ; et, enfin, que plus on peut faire que l’image d’un même objet occupe d’espace au fond de l’œil, plus il peut être vu distinctement, ce qui sera ci-après fort à remarquer.

Pour la situation, c’est-à-dire le côté vers lequel est posée chaque partie de l’objet au respect de notre corps, nous ne l’apercevons pas autrement par l’entremise de nos yeux que par celle de nos mains ; et sa connoissance ne dépend d’aucune image, ni d’aucune action qui vienne de l’objet, mais seulement de la situation des petites parties du cerveau d’où les nerfs prennent leur origine ; car cette situation, se changeant tant soit peu à chaque fois que se change celle des membres où ces nerfs sont insérés, est instituée de la nature pour faire non seulement que l’âme connoisse en quel endroit est chaque partie du corps qu’elle anime au respect de toutes les autres, mais aussi qu’elle puisse transférer de là son attention à tous les lieux contenus dans les lignes droites qu’on peut imaginer être tirées de l’extrémité de chacune de ces parties et prolongées à l’infini. Comme lorsque l’aveugle, dont nous avons déjà tant parlé ci-dessus, tourne sa main A vers E, ou C[18] aussi

vers E, les nerfs insérés en cette main causent un certain changement en son cerveau qui donne moyen à son âme de connaître non seulement le lieu A ou C, mais aussi tous les autres qui sont en la ligne droite AE ou CE, en sorte qu’elle peut porter son attention jusqu’aux objets B et D, et déterminer les lieux où ils sont, sans connaître pour cela ni penser aucunement à ceux où sont ses deux mains.

Et ainsi, lorsque notre œil ou notre tête se tourne vers quelque côté, notre âme, en est avertie par le changement que les nerfs, insérés dans les muscles qui servent à ces mouvements, causent en notre cerveau.

figure 16.


Comme ici, en l’œil RST[19], il faut penser que la situation du petit filet du nerf optique, qui est au point R, ou S, ou T, est suivie d’une autre certaine situation de la partie du cerveau 7, ou 8, ou 9, qui fait que l’âme peut connaître tous les lieux qui sont en la ligne RV, ou SX, ou TY ; de façon que vous ne devez pas trouver étrange que les objets puissent être vus en leur vraie situation, nonobstant que la peinture qu’ils impriment dans l’œil en ait une toute contraire. Ainsi que notre aveugle peut sentir en même temps l’objet B[20], qui est à droite, par l’entremise de sa main gauche ; et D, qui est à gauche, par l’entremise de sa main droite.

figure 18.


Et, comme cet aveugle ne juge point qu’un corps soit double, encore qu’il le touche de ses deux mains, ainsi, lorsque nos yeux sont tous deux disposés en la façon qui est requise pour porter notre attention vers un même lieu, ils ne nous y doivent faire voir qu’un seul objet, nonobstant qu’il s’en forme en chacun d’eux une peinture.

La vision de la distance ne dépend non plus que celle de la situation d’aucunes images envoyées des objets, mais premièrement de la figure du corps de l’œil ; car, comme nous avons dit, cette figure doit être un peu autre pour nous faire voir ce qui est proche de nos yeux, que pour nous faire voir ce qui en est plus éloigné ; et à mesure que nous la changeons pour la proportionner à la distance des objets, nous changeons aussi certaine partie de notre cerveau d’une façon qui est instituée de la nature pour faire apercevoir à notre âme cette distance : et ceci nous arrive ordinairement sans que nous y fassions des réflexions ; tout de même que lorsque nous serrons quelque corps de notre main nous la conformons à la grosseur et à la figure de ce corps, et le sentons par son moyen sans qu’il soit besoin pour cela que nous pensions à ses mouvements. Nous connaissons en second lieu la distance par le rapport qu’ont les deux yeux l’un à l’autre ; car, comme notre aveugle, tenant les deux bâtons AE, CE, dont je suppose qu’il ignore la longueur, et sachant seulement l’intervalle qui est entre ses deux mains A et C, et la grandeur des angles ACE, CAE, peut de là, comme par une géométrie naturelle, connoître où est le point E, ainsi, quand nos deux yeux RST[21] et rst sont tournés vers X, la grandeur de la ligne S et celle des deux angles XSs et XsS nous font savoir où est le point X. Nous pouvons aussi le même par l’aide d’un œil seul en lui faisant changer de place, comme si, le tenant tourné vers X, nous le mettons premièrement au point S et incontinent après au point s, cela suffira pour faire que la grandeur de la ligne Ss et des deux angles XSs et XsS se trouvent ensemble en notre fantaisie et nous fassent apercevoir la distance du point X ;

Figure 16.


et ce par une action de la pensée qui, n’étant qu’une imagination toute simple, ne laisse point d’envelopper en soi un raisonnement tout semblable à celui que font les arpenteurs lorsque, par le moyen de deux différentes stations, ils mesurent les lieux inaccessibles. Nous avons encore une autre façon d’apercevoir la distance, à savoir par la distinction ou confusion de la figure, et ensemble par la force ou débilité de la lumière. Comme, pendant que nous regardons fixement vers X[22] les rayons qui viennent des objets 10 et 12 ne s’assemblent pas si exactement vers R et vers T au fond de notre œil, que si ces objets étoient aux points V et Y, d’où

Figure 14.
nous voyons qu’ils sont plus éloignés ou plus proches de nous que n’est X.

Puis de ce que la lumière qui vient de l’objet 10 vers notre œil est plus forte que si cet objet étoit vers V, nous le jugeons être plus proche ; et de ce que celle qui vient de l’objet 12 est plus foible que s’il étoit vers Y, nous le jugeons plus éloigné. Enfin, quand nous imaginons déjà d’ailleurs la grandeur d’un objet, ou sa situation, ou la distinction de sa figure et de ses couleurs, ou seulement la force de la lumière qui vient de lui, cela nous peut servir non pas proprement à voir, mais à imaginer sa distance. Comme regardant de loin quelque corps que nous avons accoutumé de voir de près, nous en jugeons bien mieux l’éloignement que nous ne ferions si la grandeur nous étoit moins connue ; et regardant une montagne exposée au soleil au-delà d’une forêt couverte d’ombre, ce n’est que la situation de cette forêt qui nous la fait juger la plus proche ; et regardant sur mer deux vaisseaux dont l’un soit plus petit que l’autre, mais plus proche à proportion, en sorte qu’ils paroissent égaux, nous pourrons, par la différence de leurs figures et de leurs couleurs, et de la lumière qu’ils envoient vers nous, juger lequel sera le plus loin.

Au reste, pour la façon dont nous voyons la grandeur et la figure des objets, je n’ai pas besoin d’en rien dire de particulier, d’autant qu’elle est toute comprise en celle dont nous voyons la distance et la situation de leurs parties, à savoir, leur grandeur s’estime par la connaissance ou l’opinion qu’on a de leur distance, comparée avec la grandeur des images qu’ils impriment au fond de l’œil, et non pas absolument par la grandeur de ces images, ainsi qu’il est assez manifeste de ce que, encore qu’elles soient, par exemple, cent fois plus grandes lorsque les objets sont fort proches de nous que lorsqu’ils en sont dix fois plus éloignés, elles ne nous les font point voir pour cela cent fois plus grands, mais presque égaux, au moins si leur distance ne nous trompe. Et il est manifeste aussi que la figure se juge par la connaissance ou opinion qu’on a de la situation des diverses parties des objets, et non par la ressemblance des peintures qui sont dans l’œil ; car ces peintures ne contiennent ordinairement que des ovales et des losanges lorsqu’elles nous font voir des cercles et des carrés.

Mais, afin que vous ne puissiez aucunement douter que la vision ne se fasse ainsi que je l’ai expliquée, je vous veux faire encore ici considérer les raisons pourquoi il arrive quelquefois qu’elle nous trompe : premièrement, à cause que c’est l’âme qui voit, et non pas l’œil, et qu’elle ne voit immédiatement que par l’entremise du cerveau, de là vient que les frénétiques et ceux qui dorment voient souvent ou pensent voir divers objets qui ne sont point pour cela devant leurs yeux, à savoir quand quelques vapeurs, remuant leur cerveau, disposent celles de ses parties qui ont coutume de servir à la vision en même façon que seroient ces objets s’ils étoient présents. Puis, à cause que les impressions qui viennent de dehors passent vers le sens commun par l’entremise des nerfs, si la situation de ces nerfs est contrainte par quelque cause extraordinaire, elle peut faire voir les objets en d’autres lieux qu’ils ne sont. Comme si l’œil rst[23], étant disposé de soi à regarder vers X, est contraint par le doigt N à se tourner vers M, les parties du cerveau d’où viennent ses nerfs ne se disposeront pas tout-à-fait en même sorte que si c’étoient ses muscles qui le tournassent vers M, ni aussi en même sorte que s’il regardoit véritablement vers X, mais d’une façon moyenne entre ces deux, à savoir, comme s’il regardoit vers Y ; et ainsi l’objet M paroîtra au lieu où est Y par l’entremise de cet œil, et Y au lieu où est X, et X au lieu où est V ; et ces objets, paroissant aussi en même temps en leurs vrais lieux par l’entremise de l’autre œil RST, ils sembleront doubles.

Figure 16.
Figure 19.


En même façon que, touchant la petite boule G[24] des deux doigts A et D croisés l’un sur l’autre, on en pense toucher deux, à cause que, pendant que ces doigts se retiennent l’un l’autre ainsi croisés, les muscles de chacun d’eux tendent à les écarter, A vers C et D vers F, au moyen de quoi les parties du cerveau, d’où viennent les nerfs qui sont insérés en ces muscles, se trouvent disposées en la façon qui est requise pour faire qu’ils semblent être A vers B et D vers E, et par conséquent y toucher deux diverses boules H et I. De plus, à cause que nous sommes accoutumés de juger que les impressions qui meuvent notre vue viennent des lieux vers lesquels nous devons regarder pour les sentir, quand il arrive qu’elles viennent d’ailleurs, nous y pouvons facilement être trompés ; comme ceux qui ont les yeux infectés de la jaunisse, ou bien qui regardent au travers d’un verre jaune, ou qui sont enfermés dans une chambre où il n’entre aucune lumière que par de tels verres, attribuent cette couleur à tous les corps qu’ils regardent. Et celui qui est dans la chambre obscure, que j’ai tantôt décrite, attribue au corps blanc RST[25] les couleurs des objets VXY, à cause que c’est seulement vers lui qu’il dresse sa vue.


Et les yeux A, B, C, D, E, F[26] voyant les objets T, V, X, Y, Z, U, au travers des


verres N, O, P, et dans les miroirs Q, R, S, les jugent être aux points G, H, I, K, L, M ; et V, Z être plus petits, et X, U plus grands qu’ils ne sont : ou bien aussi X, U plus petits et avec cela renversés, à savoir, lorsqu’ils sont un peu loin des yeux C, F, d’autant que ces verres et ces miroirs détournent les rayons qui viennent de ces objets en telle sorte que ces yeux ne les peuvent voir distinctement qu’en se disposant comme ils doivent être pour regarder vers les points G, H, I, K, L, M, ainsi que connoîtront facilement ceux qui prendront la peine de l’examiner ; et ils verront, par même moyen, combien les anciens se sont abusés en leur catoptrique, lorsqu’ils ont voulu déterminer le lieu des images dans les miroirs creux et convexes. Il est aussi à remarquer que tous les moyens qu’on a pour connoître la distance sont fort incertains ; car, quant à la figure de l’œil, elle ne varie quasi plus sensiblement lorsque l’objet est à plus de quatre ou cinq pieds loin de lui ; et même elle varie si peu lorsqu’il est plus proche, qu’on n’en peut tirer aucune connoissance bien précise. Et pour les angles compris entre les lignes tirées des deux yeux l’un à l’autre et de là vers l’objet, ou de deux stations d’un même objet, ils ne varient aussi presque plus lorsqu’on regarde tant soit peu loin ; ensuite de quoi notre sens commun même ne semble pas être capable de recevoir en soi l’idée d’une distance plus grande qu’environ de cent ou deux cents pieds, ainsi qu’il se peut vérifier de ce que la lune et le soleil, qui sont du nombre des corps les plus éloignés que nous puissions voir, et dont les diamètres sont à leur distance à peu près comme un à cent, n’ont coutume de nous paroître que d’un ou deux pieds de diamètre tout au plus, nonobstant que nous sachions assez, par raison, qu’ils sont extrêmement grands et extrêmement éloignés ; car cela ne nous arrive pas faute de les pouvoir concevoir plus grands que nous ne faisons, vu que nous concevons bien des tours et des montagnes beaucoup plus grandes, mais pourceque, ne les pouvant concevoir plus éloignés que de cent ou deux cents pieds, il suit de là que leur diamètre ne nous doit paroître que d’un ou de deux pieds : en quoi la situation aide aussi à nous tromper, car ordinairement ces astres semblent plus petits lorsqu’ils sont fort hauts vers le midi que lorsque, se levant ou se couchant, il se trouve divers objets entre eux et nos yeux qui nous font mieux remarquer leur distance ; et les astronomes éprouvent assez, en les mesurant avec leurs instruments, que ce qu’ils paroissent ainsi plus grands une fois que l’autre ne vient point de ce qu’ils se voient sous un plus grand angle, mais de ce qu’ils se jugent plus éloignés, d’où il suit que l’axiome de l’ancienne optique, qui dit que la grandeur apparente des objets est proportionnée à celle de l’angle de la vision, n’est pas toujours vrai. On se trompe aussi en ce que les corps blancs ou lumineux, et généralement tous ceux qui ont beaucoup de force pour mouvoir le sens de la vue, paroissent toujours quelque peu plus proches et plus grands qu’ils ne feraient s’ils en avoient moins : or la raison qui les fait paroître plus proches est que le mouvement dont la prunelle s’étrécit pour éviter la force de leur lumière est tellement joint avec celui qui dispose tout l’œil à voir distinctement les objets proches, et par lequel on juge de leur distance, que l’un ne se peut guère faire sans qu’il se fasse aussi un peu de l’autre, en la même façon qu’on ne peut fermer entièrement les deux premiers doigts de la main sans que le troisième se courbe aussi quelque peu comme pour se fermer avec eux. Et la raison pourquoi ces corps blancs ou lumineux paroissent plus grands ne consiste pas seulement en ce que l’estime qu’on fait de leur grandeur dépend de celle de leur distance, mais aussi en ce que leurs images s’impriment plus grandes dans le fond de l’œil : car il faut remarquer que les bouts des filets du nerf optique qui le couvrent, encore que très petits, ont néanmoins quelque grosseur ; en sorte que chacun d’eux peut être touché en l’une de ses parties par un objet, et en d’autres par d’autres ; et que, n’étant toutefois capable d’être mû que d’une seule façon à chaque fois, lorsque la moindre de ses parties est touchée par quelque objet fort éclatant, et les autres par d’autres qui le sont moins, il suit tout entier le mouvement de celui qui est le plus éclatant, et en représente l’image sans représenter celle des autres. Comme si les bouts de ces petits filets sont 1, 2, 3[27], et que les rayons qui viennent, par exemple, tracer l’image d’une étoile sur le fond de l’œil s’y étendent sur celui qui est marqué 1 et tant soit peu au-delà tout autour sur les extrémités des six autres marqués 2, sur lesquels je suppose qu’il ne vient point d’autres rayons, que fort foibles, des parties du ciel voisines à cette étoile, son image s’étendra en tout l’espace qu’occupent ces six marqués 2, et même peut-être encore en tout celui qu’occupent les douze marqués 3, si la force du mouvement est si grande qu’elle se communique aussi à eux.

Figure 26.

Et ainsi, vous voyez que les étoiles, quoiqu’elles paroissent assez petites, paroissent néanmoins beaucoup plus grandes qu’elles ne devroient à raison de leur extrême distance ; et qu’encore qu’elles ne soient pas entièrement rondes, elles ne lairroient pas de paroître telles. Comme aussi une tour carrée, étant vue de loin, paroît ronde ; et tous les corps qui ne tracent que de fort petites images dans l’œil n’y peuvent tracer les figures de leurs angles. Enfin, pour ce qui est de juger de la distance par la grandeur, ou la figure, ou la couleur, ou la lumière, les tableaux de perspective nous montrent assez combien il est facile de s’y tromper ; car souvent, parce que les choses qui y sont peintes sont plus petites que nous ne nous imaginons qu’elles doivent être, et que leurs linéaments sont plus confus, et leurs couleurs plus brunes ou plus foibles, elles nous paroissent plus éloignées qu’elles ne sont.

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DISCOURS SEPTIÈME.

DES MOYENS DE PERFECTIONNER LA VISION.

Maintenant que nous avons assez examiné comment se fait la vision, recueillons en peu de mots et nous remettons devant les yeux toutes les conditions qui sont requises à sa perfection, afin que, considérant en quelle sorte il a déjà été pourvu à chacune par la nature, nous puissions faire un dénombrement exact de tout ce qui reste encore à l’art à y ajouter. On peut réduire toutes les choses auxquelles il faut avoir ici égard à trois principales, qui sont les objets, les organes intérieurs qui reçoivent les actions de ces objets, et les extérieurs qui disposent ces actions à être reçues comme elles doivent. Et, touchant les objets, il suffit de savoir que les uns sont proches ou accessibles, et les autres éloignés et inaccessibles, et avec cela les uns plus, les autres moins illuminés ; afin que nous soyons avertis que, pour ce qui est des accessibles, nous les pouvons approcher ou éloigner, et augmenter ou diminuer la lumière qui les éclaire, selon qu’il nous sera le plus commode ; mais que, pour ce qui concerne les autres, nous n’y pouvons changer aucune chose. Puis, touchant les organes intérieurs, qui sont les nerfs et le cerveau, il est certain aussi que nous ne saurions rien ajouter par art à leur fabrique, car nous ne saurions nous faire un nouveau corps ; et si les médecins y peuvent aider en quelque chose, cela n’appartient point à notre sujet. Si bien qu’il ne nous reste à considérer que les organes extérieurs, entre lesquels je comprends toutes les parties transparentes de l’œil aussi bien que tous les autres corps qu’on peut mettre entre lui et l’objet ; et je trouve que toutes les choses auxquelles il est besoin de pourvoir avec ces organes extérieurs peuvent être réduites à quatre points, dont le premier est, que tous les rayons qui se vont rendre vers chacune des extrémités du nerf optique ne viennent, autant qu’il est possible, que d’une même partie de l’objet, et qu’ils ne reçoivent aucun changement en l’espace qui est entre deux ; car, sans cela, les images qu’ils forment ne sauraient être ni bien semblables à leur original ni bien distinctes. Le second, que ces images soient fort grandes, non pas en étendue de lieu, car elles ne sauraient occuper que le peu d’espace qui se trouve au fond de l’œil, mais en l’étendue de leurs linéaments ou de leurs traits, car il est certain qu’ils seront d’autant plus aisés à discerner qu’ils seront plus grands. Le troisième, que les rayons qui les forment soient assez forts pour mouvoir les petits filets du nerf optique, et par ce moyen être sentis, mais qu’ils ne le soient pas tant qu’ils blessent la vue. Et le quatrième, qu’il y ait le plus d’objets qu’il sera possible dont les images se forment dans l’œil en même temps, afin qu’on en puisse voir le plus qu’il sera possible tout d’une vue.

Or la nature a employé plusieurs moyens à pourvoir à la première de ces choses ; car premièrement, remplissant l’œil de liqueurs fort transparentes et qui ne sont teintes d’aucune couleur, elle a fait que les actions qui viennent de dehors peuvent passer jusques au fond sans se changer ; et par les réfractions que causent les superficies de ces liqueurs elle a fait qu’entre les rayons, suivant lesquels ces actions se conduisent, ceux qui viennent d’un même point se rassemblent en un même point contre le nerf, et ensuite que ceux qui viennent des autres points s’y rassemblent aussi en autant d’autres divers points le plus exactement qu’il est possible : car nous devons supposer que la nature a fait en ceci tout ce qui est possible, d’autant que l’expérience ne nous y fait rien apercevoir au contraire. Et même nous voyons que, pour rendre d’autant moindre le défaut qui ne peut en ceci être totalement évité, elle a fait qu’on puisse rétrécir la prunelle quasi autant que la force de la lumière le permet ; puis, par la couleur noire dont elle a teint toutes les parties de l’œil opposées au nerf, qui ne sont point transparentes, elle a empêché qu’il n’allât aucun autre rayon vers ces mêmes points ; et, enfin, par le changement de la figure du corps de l’œil, elle a fait qu’encore que les objets en puissent être plus ou moins éloignés une fois que l’autre, les rayons qui viennent de chacun de leurs points ne laissent pas de s’assembler toujours, aussi exactement qu’il se peut, en autant d’autres points au fond de l’œil. Toutefois, elle n’a pas si entièrement pourvu à cette dernière partie qu’il ne se trouve encore quelque chose à y ajouter : car, outre que, communément à tous, elle ne nous a pas donné le moyen de courber tant les superficies de nos yeux que nous puissions voir distinctement les objets qui en sont fort proches, comme à un doigt ou un demi-doigt de distance, elle y a encore manqué davantage en quelques-uns à qui elle a fait les yeux de telle figure qu’ils ne leur peuvent servir qu’à regarder les choses éloignées, ce qui arrive principalement aux vieillards ; et aussi en quelques autres à qui, au contraire, elle les a fait tel qu’ils ne leur servent qu’à regarder les choses proches, ce qui est plus ordinaire aux jeunes gens ; en sorte qu’il semble que les yeux se forment au commencement un peu plus longs et plus étroits qu’ils ne doivent être, et que par après, pendant qu’on vieillit, ils deviennent plus plats et plus larges. Or, afin que nous puissions remédier par art à ces défauts, il sera premièrement besoin que nous cherchions les figures que les superficies d’une pièce de verre ou de quelque autre corps transparent doivent avoir pour courber les rayons qui tombent sur elle en telle sorte que tous ceux qui viennent d’un certain point de l’objet se disposent, en les traversant, tout de même que s’ils étaient venus d’un autre point qui fût plus proche ou plus éloigné, à savoir, qui fut plus proche pour servir à ceux qui ont la vue courte, et qui fût plus éloigné tant pour les vieillards que généralement pour tous ceux qui veulent voir des objets plus proches que la figure de leurs yeux ne le permet. Car, par exemple, l’œil B ou C[28], étant disposé à faire que tous les rayons qui viennent du point H ou I s’assemblent au milieu de son fond ;

Figures 27 et 28.


et, ne le pouvant être, à faire aussi que ceux du point V ou X s’y assemblent ; il est évident que, si on met au-devant de lui le verre O ou P, qui fasse que tous les rayons du point V ou X entrent dedans tout de même que s’ils venaient du point H ou I, on suppléera par ce moyen à son défaut. Puis, à cause qu’il peut y avoir des verres de plusieurs diverses figures qui aient en cela exactement le même effet, il sera besoin, pour choisir les plus propres à notre dessein, que nous prenions encore garde principalement à deux conditions, dont la première est, que ces figures soient les plus simples et les plus aisées à décrire et à tailler qu’il sera possible ; et la seconde, que par leur moyen les rayons qui viennent des autres points de l’objet, comme EE, entrent dans l’œil à peu près de même que s’ils venoient d’autant d’autres points, comme FF : et notez que je dis seulement ici à peu près, non autant qu’il est possible ; car, outre qu’il seroit peut-être assez malaisé à déterminer par géométrie, entre une infinité de figures qui peuvent servir à ce même effet, celles qui y sont exactement les plus propres, il seroit entièrement inutile, à cause que l’œil même ne faisant pas que tous les rayons qui viennent de divers points s’assemblent justement en autant d’autres divers points, elles ne seroient pas sans doute pour cela les plus propres à rendre la vision bien distincte ; et il est impossible en ceci de choisir autrement qu’à peu près, à cause que la figure précise de l’œil ne nous peut être connue. De plus, nous aurons toujours à prendre garde, lorsque nous appliquerons ainsi quelque corps au-devant de nos yeux, que nous imitions, autant qu’il sera possible, la nature en toutes les choses que nous voyons qu’elle a observées en les construisant, et que nous ne perdions aucun des avantages qu’elle nous a donnés, si ce n’est pour en gagner quelque autre plus important.

Pour la grandeur des images, il est à remarquer qu’elle dépend seulement de trois choses, à savoir de la distance qui est entre l’objet et le lieu où se croisent les rayons qu’il envoie de divers de ses points vers le fond de l’œil, puis de celle qui est entre ce même lieu et le fond de l’œil, et enfin de la réfraction de ces rayons.

Figure 14.


Comme il est évident que l’image RST[29] seroit plus grande qu’elle n’est, si l’objet VXY était plus proche du lieu K où se croisent les rayons VKR et YKT, ou plutôt de la superficie BCD qui est proprement le lieu où ils commencent à se croiser, ainsi que vous verrez ci-après : ou bien, si on pouvait faire que le corps de l’œil fût plus long, en sorte qu’il y eût plus de distance qu’il n’y a depuis sa superficie BCD, qui fait que ces rayons s’entrecroisent, jusqu’au fond RST ; ou, enfin, si la réfraction ne les courbait pas tant en dedans vers le milieu S, mais plutôt, s’il était possible, en dehors. Et, quoi qu’on imagine outre ces trois choses, il n’y a rien qui puisse rendre cette image plus grande. Même la dernière n’est quasi point du tout considérable, à cause qu’on ne peut jamais augmenter l’image par son moyen que de fort peu, et ce avec tant de difficulté qu’on le peut toujours plus aisément par l’une des autres, ainsi que vous saurez tout maintenant. Aussi voyons-nous que la nature l’a négligée ; car, faisant que les rayons, comme VKR et YKT, se courbent en dedans vers S sur les superficies BCD et 123, elle a rendu l’image RST un peu plus petite que si elle avait fait qu’ils se courbassent en dehors, comme ils font vers 5 sur la superficie 456, ou qu’elle les eût laissés être tout droits. On n’a point besoin aussi de considérer la première de ces trois choses lorsque ces objets ne sont point du tout accessibles ; mais, lorsqu’ils le sont, il est évident que, d’autant que nous les regardons de plus près, d’autant leurs images se forment plus grandes au fond de nos yeux, si bien que la nature ne nous a pas donné le moyen de les regarder de plus près qu’environ à un pied ou demi-pied de distance ; afin d’y ajouter par art tout ce qui se peut, il est seulement besoin d’interposer un verre tel que celui qui est marqué P[30] dont il a été parlé


tout maintenant, qui fasse que tous les rayons qui viennent d’un point le plus proche qu’il se pourra entrent dans l’œil comme s’ils venoient d’un autre point plus éloigné : or tout le plus qu’on puisse faire par ce moyen, c’est qu’il n’y aura que la douze ou quinzième partie d’autant d’espace entre l’œil et l’objet qu’il y en devroit avoir sans cela, et ainsi que les rayons qui viendront de divers points de cet objet, se croisant douze ou quinze fois plus près de lui, ou même quelque peu davantage, à cause que ce ne sera plus sur la superficie de l’œil qu’ils commenceront à se croiser, mais plutôt sur celle du verre dont l’objet sera un peu plus proche, ils formeront une image dont le diamètre sera ou douze ou quinze fois plus grand qu’il ne pourroit être si on ne se servoit point de ce verre : et par conséquent sa superficie sera environ deux cents fois plus grande, ce qui fera que l’objet paroîtra environ deux cents fois plus distinctement, au moyen de quoi il paroîtra aussi beaucoup plus grand, non pas deux cents fois justement, mais plus ou moins à proportion de ce qu’on le jugera être éloigné. Car, par exemple, si, en regardant l’objet X au travers du verre P, on dispose son œil C en même sorte qu’il devroit être pour voir un autre objet qui seroit à vingt ou trente pas de lui, et que, n’ayant d’ailleurs aucune connoissance du lieu où est cet objet X, on le juge être véritablement à trente pas, il semblera plus d’un million de fois plus grand qu’il n’est, en sorte qu’il pourra devenir d’une puce un éléphant ; car il est certain que l’image que forme une puce au fond de l’œil, lorsqu’elle en est si proche, n’est pas moins grande que celle qu’y forme un éléphant lorsqu’il en est à trente pas. Et c’est sur ceci seul qu’est fondée toute l’invention de ces petites lunettes à puce, composées d’un seul verre dont l’usage est partout assez commun, bien qu’on n’ait pas encore connu la vraie figure qu’elles doivent avoir : et, pourcequ’on sait ordinairement que l’objet est fort proche lorsqu’on les emploie à le regarder, il ne peut paroître si grand qu’il feroit, si on l’imaginoit plus éloigné.

Il ne reste plus qu’un autre moyen pour augmenter la grandeur des images, qui est de faire que les rayons qui viennent de divers points de l’objet se croisent le plus loin qu’il se pourra du fond de l’œil ; mais il est bien sans comparaison le plus important et le plus considérable de tous, car c’est l’unique qui puisse servir pour les objets inaccessibles aussi bien que pour les accessibles et dont l’effet n’a point de bornes : en sorte qu’on peut, en s’en servant, augmenter les images de plus en plus jusques à une grandeur indéfinie : comme, par exemple, d’autant que la première des trois liqueurs dont l’œil est rempli cause à peu près même réfraction que l’eau commune, si on applique tout contre un tuyau plein d’eau, comme EF[31], au bout duquel il y ait un verre GHI, dont la figure soit toute semblable à celle de la peau BCD qui couvre cette liqueur, et ait même rapport à la distance du fond de l’œil, il ne se fera plus aucune réfraction à l’entrée de cet œil ; mais celle qui s’y faisoit auparavant, et qui étoit cause que tous les rayons qui venoient d’un même point de l’objet commençoient à se courber dès cet endroit-là pour s’aller assembler en un même point sur les extrémités du nerf optique, et qu’ensuite tous ceux qui venoient de divers points s’y croisoient pour s’aller rendre sur divers points de ce nerf, se fera dès l’entrée du tuyau GI ; si bien que ces rayons, se croisant dès là, formeront l’image RST beaucoup plus grande que s’ils ne se croisoient que sur la superficie BCD, et ils la formeront de plus en plus grande, selon que ce tuyau sera plus long. Et ainsi l’eau EF faisant l’office de l’humeur K, le verre GHI celui de la peau BCD, et l’entrée du tuyau GI celui de la prunelle, la vision se fera en même façon que si la nature avoit fait l’œil plus long qu’il n’est de toute la longueur de ce tuyau, sans qu’il y ait autre chose à remarquer, sinon que la vraie prunelle sera pour lors non seulement inutile, mais même nuisible, en ce qu’elle exclura par sa petitesse les rayons qui pourroient aller vers les côtés du fond de l’œil, et ainsi empêchera que les images ne s’y étendent en autant d’espace qu’elles feroient, si elle n’étoit point si étroite. Il ne faut pas aussi que je m’oublie de vous avertir que les réfractions particulières, qui se font un peu autrement dans le verre GHI que dans l’eau EF, ne sont point ici considérables, à cause que ce verre étant partout également épais, si la première de ses superficies fait courber les rayons un peu plus que ne feroit celle de l’eau, la seconde les redresse d’autant à même temps ; et c’est pour cette même raison que ci-dessus je n’ai point parlé des réfractions que peuvent causer les peaux qui enveloppent les humeurs de l’œil, mais seulement de celles de ses humeurs.

Or, d’autant qu’il y auroit beaucoup d’incommodité à joindre de l’eau contre notre œil en la façon que je viens d’expliquer, et même que, ne pouvant savoir précisément quelle est la figure de la peau BCD qui le couvre, on ne sauroit déterminer exactement celle du verre GHI pour le substituer en sa place ; il sera mieux de se servir d’une autre invention, et de faire, par le moyen d’un ou de plusieurs verres, ou autres corps transparents enfermés aussi en un tuyau, mais non pas joints à l’œil si exactement qu’il ne demeure un peu d’air entre-deux, que, dès l’entrée de ce tuyau, les rayons qui viennent d’un même point de l’objet se plient ou se courbent en la façon qui est requise, pour faire qu’ils aillent se rassembler en un autre point vers l’endroit où se trouvera le milieu du fond de l’œil quand ce tuyau sera mis au devant. Puis, derechef, que ces mêmes rayons, en sortant de ce tuyau, se plient et se redressent en telle sorte qu’ils puissent entrer dans l’œil tout de même que s’ils n’avoient point du tout été pliés, mais seulement qu’ils vinssent de quelque lieu qui fût plus proche ; et ensuite que ceux qui viendront de divers points, s’étant croisés dès l’entrée de ce tuyau, ne se décroisent point à la sortie, mais qu’ils aillent vers l’œil en même façon que s’ils venoient d’un objet qui fût plus grand ou plus proche.


Comme si le tuyau HF[32] est rempli d’un verre tout solide dont la superficie GHI soit de telle figure qu’elle fasse que tous les rayons qui viennent du point X, étant dans le verre, tendent vers S ; et que son autre superficie KM les plie derechef en telle sorte qu’ils tendent de là vers l’œil en même façon que s’ils venoient du point x, que je suppose en tel lieu que les lignes xC et CS ont entre elles même proportion que XH et HS ; ceux qui viendront du point V les croiseront nécessairement en la superficie GHI, de façon que, se trouvant déjà éloignés d’eux, lorsqu’ils seront à l’autre bout du tuyau, la superficie KM ne les en pourra pas rapprocher, principalement si elle est concave, ainsi que je la suppose, mais elle les renverra vers l’œil à peu près en même sorte que s’ils venoient du point v, au moyen de quoi ils formeront l’image RST d’autant plus grande que le tuyau sera plus long ; et il ne sera point besoin, pour déterminer les figures des corps transparents dont on voudra se servir à cet effet, de savoir exactement quelle est celle de la superficie BCD.

Mais, pour ce qu’il y auroit derechef de l’incommodité à trouver des verres ou autres tels corps qui fussent assez épais pour remplir tout le tuyau HF, et assez clairs et transparents pour n’empêcher point pour cela le passage de la lumière, on pourra laisser vide tout le dedans de ce tuyau et mettre seulement deux verres à ses deux bouts, qui fassent le même effet que je viens de dire que les deux superficies GHI et KLM devoient faire. Et c’est sur ceci seul qu’est fondée toute l’invention de ces lunettes, composées de deux verres mis aux deux bouts d’un tuyau, qui m’ont donné occasion d’écrire ce traité.

Pour la troisième condition qui est requise à la perfection de la vue de la part des organes extérieurs, à savoir que les actions qui meuvent chaque filet du nerf optique ne soient ni trop fortes ni trop faibles, la nature y a fort bien pourvu en nous donnant le pouvoir de rétrécir et d’élargir les prunelles de nos yeux ; mais elle a encore laissé à l’art quelque chose à y ajouter : car, premièrement, lorsque ces actions sont si fortes qu’on ne peut assez rétrécir les prunelles pour les souffrir, comme lorsqu’on veut regarder le soleil, il est aisé d’y apporter remède en se mettant contre l’œil quelque corps noir, dans lequel il n’y ait qu’un trou fort étroit qui fasse l’office de la prunelle ; ou bien en regardant au travers d’un crêpe ou de quelque autre tel corps un peu obscur, et qui ne laisse entrer en l’œil qu’autant de rayons de chaque partie de l’objet qu’il en est besoin pour mouvoir le nerf optique sans le blesser. Et lorsque, tout au contraire, ses actions sont trop foibles pour être senties, nous pouvons les rendre plus fortes, au moins quand les objets sont accessibles, en les exposant aux rayons du soleil tellement ramassés par l’aide d’un miroir ou verre brûlant qu’ils aient le plus de force qu’ils puissent avoir pour les illuminer sans les corrompre.

Puis, outre cela, lorsqu’on se sert des lunettes dont nous venons de parler, d’autant qu’elles rendent la prunelle inutile, et que c’est l’ouverture par où elles reçoivent la lumière de dehors qui fait son office, c’est elle aussi qu’on doit élargir ou rétrécir, selon qu’on veut rendre la vision plus forte ou plus foible. Et il est à remarquer que, si on ne faisoit point cette ouverture plus large que n’est la prunelle, les rayons agiroient moins fort contre chaque partie du fond de l’œil que si on ne se servoit point de lunettes : et ce en même proportion que les images qui s’y formeroient seroient plus grandes, sans compter ce que les superficies des verres interposés ôtent de leur force. Mais on peut la rendre beaucoup plus large, et ce d’autant plus que le verre qui redresse les rayons est situé plus proche du point vers lequel celui qui les a pliés les faisoit tendre. Comme si le verre GHI fait que tous les rayons qui viennent du point qu’on veut regarder tendent vers S[33], et qu’ils soient redressés par le verre KLM, en sorte que de là ils tendent parallèles vers l’œil : pour trouver la plus grande largeur que puisse avoir l’ouverture du tuyau il faut faire la distance qui est entre les points K et M égale au diamètre de la prunelle ; puis, tirant du point S deux lignes droites qui passent par K et M, à savoir SK, qu’il faut prolonger jusques à g, et SM jusques à i, on aura gi pour le diamètre qu’on cherchoit : car il est manifeste que, si on la faisoit plus grande, il n’entreroit point pour cela dans l’œil plus de rayons du point vers lequel on dresse sa vue, et que, pour ceux qui y viendroient de plus des autres lieux, ne pouvant aider à la vision, ils ne feroient que la rendre plus confuse.


Mais si, au lieu du verre KLM, on se sert de klm, qui, à cause de sa figure, doit être mis plus proche du point S, on prendra derechef la distance entre les points k et m égale au diamètre de la prunelle ; puis, tirant les lignes droites SkG et SmI, on aura GI pour le diamètre de l’ouverture cherchée, qui, comme vous voyez, est plus grand que gi en même proportion que la ligne SL surpasse Sl. Et si cette ligne Sl n’est pas plus grande que le diamètre de l’œil, la vision sera aussi forte à peu près et aussi claire que si on ne se servoit point de lunettes, et que les objets fussent en récompense plus proches qu’ils ne sont, d’autant qu’ils paroissent plus grands : en sorte que, si la longueur du tuyau fait, par exemple, que l’image d’un objet éloigné de trente lieues se forme aussi grande dans l’œil que s’il n’était éloigné que de trente pas, la largeur de son entrée, étant telle que je viens de la déterminer, fera que cet objet se verra aussi clairement que si, n’en étant véritablement éloigné que de trente pas, on le regardoit sans lunettes. Et si on peut faire cette distance entre les points S et l encore moindre, la vision sera encore plus claire.

Mais ceci ne sert principalement que pour les objets inaccessibles ; car, pour ceux qui sont accessibles, l’ouverture du tuyau peut être d’autant plus étroite qu’on les en approche davantage, sans pour cela que la vision en soit moins claire ; comme vous voyez qu’il n’entre pas moins de rayons du point X[34] dans le petit verre gi que dans le grand GI ; et enfin elle ne peut être plus large que les verres qu’on y applique, lesquels, à cause de leurs figures, ne doivent point excéder certaine grandeur, que je déterminerai ci-après.

Figure 32.

Que si quelquefois la lumière qui vient des objets est trop forte, il sera bien aisé de l’affoiblir en couvrant tout autour les extrémités du verre qui est à l’entrée du tuyau, ce qui vaudra mieux que de mettre au-devant quelques autres verres plus troubles ou colorés, ainsi que plusieurs ont coutume de faire pour regarder le soleil : car, plus cette entrée sera étroite, plus la vision sera distincte, ainsi qu’il a été dit ci-dessus de la prunelle. Et même il faut observer qu’il sera mieux de couvrir le verre par le dehors que par le dedans, afin que les réflexions qui se pourroient faire sur les bords de sa superficie n’envoient vers l’œil aucuns rayons ; car ces rayons, ne servant point à la vision, y pourroient nuire.

Il n’y a plus qu’une condition qui soit désirée de la part des organes extérieurs, qui est de faire qu’on aperçoive le plus d’objets qu’il est possible en même temps ; et il est à remarquer qu’elle n’est aucunement requise pour la perfection de voir mieux, mais seulement pour la commodité de voir plus, et même qu’il est impossible de voir plus d’un seul objet à la fois distinctement : en sorte que cette commodité, d’en voir cependant confusément plusieurs autres, n’est principalement utile qu’afin de savoir vers quel côté il faudra par après tourner ses yeux pour regarder celui d’entre eux qu’on voudra mieux considérer : et c’est à quoi la nature a tellement pourvu qu’il est impossible à l’art d’y ajouter aucune chose ; même tout au contraire, d’autant plus que, par le moyen de quelques lunettes, on augmente la grandeur des linéaments de l’image qui s’imprime au fond de l’œil ; d’autant fait-on qu’elle représente moins d’objets, à cause que l’espace qu’elle occupe ne peut aucunement être augmenté, si ce n’est peut-être de fort peu en la renversant, ce que je juge être à rejeter pour d’autres raisons. Mais il est aisé, si les objets sont accessibles, de mettre celui qu’on veut regarder en l’endroit où il peut être vu le plus distinctement au travers de la lunette ; et, s’ils sont inaccessibles, de mettre la lunette sur une machine qui serve à la tourner facilement vers tel endroit déterminé qu’on voudra. Et ainsi, il ne nous manquera rien de ce qui rend le plus cette quatrième condition considérable.

Au reste, afin que je n’omette ici aucune chose, j’ai encore à vous avertir que les défauts de l’œil, qui consistent en ce qu’on ne peut assez changer la figure de l’humeur cristalline ou bien la grandeur de la prunelle, se peuvent peu à peu diminuer et corriger par l’usage, à cause que cette humeur cristalline et la peau qui contient cette prunelle étant de vrais muscles, leurs fonctions se facilitent et s’augmentent lorsqu’on les exerce, ainsi que celles de tous les autres muscles de notre corps. Et c’est ainsi que les chasseurs et les matelots, en s’exerçant à regarder des objets fort éloignés, et les graveurs ou autres artisans qui font des ouvrages fort subtiles, à en regarder de fort proches, acquièrent ordinairement la puissance de les voir plus distinctement que les autres hommes. Et c’est ainsi aussi que ces Indiens, qu’on dit avoir pu fixement regarder le soleil sans que leur vue en fût offusquée, avoient dû sans doute auparavant, en regardant souvent des objets fort éclatants, accoutumer peu à peu leurs prunelles à s’étrécir plus que les nôtres. Mais ces choses appartiennent plutôt à la médecine, dont la fin est de remédier aux défauts de la vue par la correction des organes naturels, que non pas à la dioptrique, dont la fin n’est que de remédier aux mêmes défauts par l’application de quelques autres organes artificiels.


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DISCOURS HUITIÈME.

DES FIGURES QUE DOIVENT AVOIR LES CORPS TRANSPARENTS POUR DÉTOURNER LES RAYONS EN TOUTES LES FAÇONS QUI SERVENT À LA VUE.

Or, afin que je vous puisse tantôt dire plus exactement en quelle sorte on doit faire ces organes artificiels pour les rendre les plus parfaits qui puissent être, il est besoin que j’explique auparavant les figures que doivent avoir les superficies des corps transparents, pour plier et détourner les rayons de la lumière en toutes les façons qui peuvent servir à mon dessein : en quoi, si je ne me puis rendre assez clair et intelligible pour tout le monde, à cause que c’est une matière de géométrie un peu difficile, je tâcherai au moins de l’être assez pour ceux qui auront seulement appris les premiers éléments de cette science. Et d’abord, afin de ne les tenir point en suspens, je leur dirai que toutes les figures dont j’ai ici à leur parler ne seront composées que d’ellipses ou d’hyperboles, et de cercles ou de lignes droites.

L’ellipse ou l’ovale est une ligne courbe que les mathématiciens ont accoutumé de nous exposer en coupant de travers un cône ou un cylindre, et que j’ai vu aussi quelquefois employer par des jardiniers dans les compartiments de leurs parterres, où ils la décrivent d’une façon qui est véritablement fort grossière et peu exacte, mais qui fait, ce me semble, mieux comprendre sa nature que la section du cylindre ni du cône.


Ils plantent en terre deux piquets, comme, par exemple, l’un au point H[35], l’autre au point I, et, ayant noué ensemble les deux bouts d’une corde, ils la passent autour d’eux en la façon que vous voyez ici BHI ; puis, mettant le bout du doigt en cette corde, ils le conduisent tout autour de ces deux piquets en la tirant toujours à eux d’égale force, afin de la tenir tendue également, et ainsi décrivent sur la terre la ligne courbe DBK, qui est une ellipse. Et si, sans changer la longueur de cette corde BHI, ils plantent seulement leurs piquets H et I un peu plus proches l’un de l’autre, ils décriront derechef une ellipse, mais qui sera d’autre espèce que la précédente : et s’ils les plantent encore un peu plus proches, ils en décriront encore une autre ; et enfin, s’ils les joignent ensemble tout-à-fait, ce sera un cercle qu’ils décriront ; au lieu que, s’ils diminuent la longueur de la corde en même proportion que la distance de ces piquets, ils décriront bien des ellipses qui seront diverses en grandeur, mais qui seront toutes de même espèce. Et ainsi vous voyez qu’il y en peut avoir d’une infinité d’espèces toutes diverses, en sorte qu’elles ne diffèrent pas moins l’une de l’autre que la dernière fait du cercle, et que de chaque espèce il y en peut avoir de toutes grandeurs ; et que si, d’un point, comme B, pris à discrétion dans quelqu’une de ces ellipses, on tire deux lignes droites vers les deux points H et I, où les deux piquets doivent être plantés pour la décrire, ces deux lignes BH et BI, jointes ensemble, seront égales à son plus grand diamètre DK, ainsi qu’il se prouve facilement par la construction ; car la portion de la corde qui s’étend de I vers B, et de là se replie jusques à H, est la même qui s’étend de I vers K ou vers D, et de là se replie aussi jusques à H, en sorte que DH est égal à IK ; et HD plus DI, qui valent autant que HB plus BI, sont égales à la tonte DK ; et enfin, les ellipses qu’on décrit en mettant toujours même proportion entre leur plus grand diamètre DK et la distance des points H et I, sont toutes d’une même espèce. Et, à cause de certaine propriété de ces points H et I, que vous entendrez ci-après, nous les nommerons les points brûlants, l’un intérieur et l’autre extérieur : à savoir, si on les rapporte à la moitié de l’ellipse qui est vers D, I sera l’extérieur ; et si on les rapporte à l’autre moitié qui est vers R, il sera l’intérieur ; et quand nous parlerons sans distinction du point brûlant, nous entendrons toujours parler de l’intérieur.


Puis, outre cela, il est besoin que vous sachiez que si, par ce point B[36], on tire les deux lignes droites LBG et CBE, qui se coupent l’une l’autre à angles droits, et dont l’une LG divise l’angle HBI en deux parties égales, l’autre CE touchera cette ellipse en ce point B sans la couper : de quoi je ne mets pas la démonstration, pourceque les géomètres la savent assez, et que les autres ne feroient que s’ennuyer de l’entendre. Mais ce que j’ai ici particulièrement dessein de vous expliquer, c’est que, si on tire encore de ce point B, hors de l’ellipse, la ligne droite BA, parallèle au plus grand diamètre DK, et que, l’ayant prise égale à BI des points A et I, on tire sur LG les deux perpendiculaires AL et IG, ces deux dernières AL et IG auront entre elles même proportion que les deux DK et HI. En sorte que si la ligne AB est un rayon de lumière, et que cette ellipse DBK soit en la superficie d’un corps transparent tout solide, par lequel, suivant ce qui a été dit ci-dessus, les rayons passent plus aisément que par l’air en même proportion que la ligne DK est plus grande que HI : ce rayon AB sera tellement détourné au point B, par la superficie de ce corps transparent, qu’il ira de là vers I. Et, poureeque ce point B est pris à discrétion dans l’ellipse, tout ce qui se dit ici du rayon AB se doit entendre généralement de tous les rayons, parallèles à l’essieu DK, qui tombent sur quelque point de cette ellipse, à savoir qu’ils y seront tous tellement détournés qu’ils iront se rendre de là vers le point I.

Or ceci se démontre en cette sorte : premièrement, si on tire du point B la ligne BF perpendiculaire sur KD, et que du point N, où LG et KD s’entre-coupent, on tire aussi la ligne NM perpendiculaire sur IB, on trouvera que AL est à IG, comme BF est à NM. Car, d’une part, les triangles BFN et BLA sont semblables, à cause qu’ils sont tous deux rectangles, et que NF et BA étant parallèles, les angles FNB et ABL sont égaux ; et, d’autre part, les triangles NBM et IBG sont aussi semblables, à cause qu’ils sont rectangles, et que l’angle vers B est commun à tous deux. Et, outre cela, les deux triangles BFN et BMN ont même rapport entre eux que les deux ALB et BGI, à cause que, comme les bases de ceux-ci BA et BI sont égales, ainsi BN, qui est la base du triangle BFN, est égale à soi-même en tant qu’elle est aussi la base du triangle BMN : d’où il suit évidemment que, comme BF est à NM, ainsi AL, celui des côtés du triangle ALB qui se rapporte à BF dans le triangle BFN, c’est-à-dire qui est la subtendue du même angle, est à IG, celui des côtés du triangle BGI qui se rapporte au côté NM du triangle BNM. Puis BF est à MN comme BI est à NI, à cause que les deux triangles BIF et NIM, étant rectangles et ayant le même angle vers I, sont semblables. De plus, si on tire HO parallèle à NB, et qu’on prolonge IB jusques à O, on verra que BI est à NI comme OI est à HI, à cause que les triangles BNI et OHI sont semblables. Enfin, les deux angles HBG et GBI étant égaux par la construction, HOB, qui est égal à GBI, est aussi égal à OHB, à cause que celui-ci est égal à HBG ; et par conséquent, le triangle HBO est isocèle ; et la ligne OB étant égale à HB, la toute OI est égale à DK, d’autant que les deux ensemble HB et IB lui sont égales. Et ainsi, pour reprendre du premier au dernier, AL est à IG comme BF est à NM, et BF à NM comme BI à NI, et BI à NI comme OI à HI, et OI est égal à DK ; donc AL est à IG comme DK est à HI.

Si bien que si, pour tracer l’ellipse DBK, on donne aux lignes DK et HI la proportion qu’on aura connu par expérience être celle qui sert à mesurer la réfraction de tous les rayons qui passent obliquement de l’air dans quelque verre, ou autre matière transparente qu’on veut employer, et qu’on fasse un corps de ce verre qui ait la figure que décrirait cette ellipse si elle se mouvait circulairement autour de l’essieu DK, les rayons qui seront dans l’air parallèles à cet essieu, comme AB, ab, entrant dans ce verre, s’y détourneront en telle sorte qu’ils iront tous s’assembler au point brûlant I, qui des deux H et I est le plus éloigné du lieu d’où ils viennent. Car vous savez que le rayon AB doit être détourné au point B par la superficie courbe du verre que représente l’ellipse DBK, tout de même qu’il le seroit par la superficie plate du même verre que représente la ligne droite CBE, dans laquelle il doit aller de B vers I, à cause que AL et IG sont l’une à l’autre comme DK et HI, c’est-à-dire comme elles doivent être pour mesurer la réfraction. Et le point B ayant été pris à discrétion dans l’ellipse, tout ce que nous avons démontré de ce rayon AB se doit entendre en même façon de tous les autres parallèles à DK, qui tombent sur les autres points de cette ellipse, en sorte qu’ils doivent tous aller vers I.

De plus, à cause que tous les rayons qui tendent vers le centre d’un cercle ou d’un globe, tombant perpendiculairement sur sa superficie, n’y doivent souffrir aucune réfraction, si du centre I[37] on fait un cercle à telle distance qu’on voudra, pourvu qu’il passe entre D et I, comme BQB, les lignes DB et QB, tournant autour de l’essieu DQ, décriront la figure d’un verre, qui assemblera dans l’air au point I tous les rayons qui auront été de l’autre côté, aussi dans l’air, parallèles à cet essieu, et réciproquement qui fera que tous ceux qui seront venus du point I se rendront parallèles de l’autre côté.

Et si du même centre I[38] on décrit le cercle RO à telle distance qu’on voudra au-delà du point D, et qu’ayant pris le point B dans l’ellipse à discrétion, pourvu toutefois qu’il ne soit pas plus éloigné de D que de K, on tire la ligne droite BO, qui tende vers I, les lignes RO, OB et BD, mues circulairement autour de l’essieu DR, décriront la figure d’un verre qui fera que les rayons parallèles à cet essieu du côté de l’ellipse s’écarteront çà et là de l’autre côté, comme s’ils venoient tous du point I ; car il est manifeste que, par exemple, le rayon PB[39] doit être autant détourné par la superficie creuse du verre DBA, comme AB par la convexe ou bossue du verre DBK, et par conséquent que BO doit être en même ligne droite que BI, puisque PB est en même ligne droite que BA, et ainsi des autres.

Et si, derechef, dans l’ellipse DBK[40] on en décrit une autre plus petite,


mais de même espèce, comme dbk, dont le point brûlant marqué I soit en même lieu que celui de la précédente aussi, marqué I, et l’autre h en même ligne droite et vers le même côté que DH, et qu’ayant pris B à discrétion, comme ci-devant, on tire la ligne droite Bb, qui tende vers I, les lignes DB, Bb, bd, mues autour de l’essieu Dd, décriront la figure d’un verre qui fera que tous les rayons qui, avant que de le rencontrer auront été parallèles, se trouveront derechef parallèles après en être sortis, et qu’avec cela ils seront plus resserrés et occuperont un moindre espace du côté de la plus petite ellipse db que de celui dela plus grande. Et si, pour éviter l’épaisseur de ce verre DB bd, on décrit du centre I les cercles QB et ro, les superficies DBQ et robd représenteront les figures et la situation de deux verres moins épais qui auront en cela son même effet.

Et si on dispose les deux verres semblables DBQ[41] et dbq inégaux en grandeur, en telle sorte que leurs essieux soient en une même ligne droite, et leurs deux points brûlants extérieurs marqués I en un même lieu, et que leurs superficies circulaires BQ, bq se regardent l’une l’autre, ils auront aussi en cela le même effet.

Et si on joint ces deux verres semblables, inégaux en grandeur, DBQ[42] et dbg, ou qu’on les mette à telle distance qu’on voudra l’un de l’autre, pourvu seulement que leurs essieux soient en même ligne droite, et que leurs superficies elliptiques se regardent, ils feront que tous les rayons qui viendront du point brûlant de l’un marqué I s’iront assembler en l’autre aussi marqué I.

Et si on joint les deux différents dbq[43] et DBOR en sorte aussi que leurs superficies DB et BD se regardent, ils feront que les rayons qui viendront du point i, que l’ellipse du verre dbq a pour son point brûlant, s’écarteront comme s’ils venoient du point I qui est le point brûlant du verre BDOR, ou, réciproquement, que ceux qui tendent vers ce point I s’iront assembler en l’autre marqué i.

Et enfin, si on joint les deux dbor[44] et DBOD toujours en sorte que leurs superficies db, BD se regardent, on fera que les rayons qui, en traversant l’un de ces verres tendent au-delà vers I, s’écarteront derechef, en sortant de l’autre, comme s’ils venoient de l’autre point i. Et on peut faire la distance de chacun de ces points marqués Ii plus ou moins grande, autant qu’on veut, en changeant la grandeur de l’ellipse dont il dépend ; en sorte que, avec l’ellipse seule et la ligne circulaire, on peut décrire des verres qui fassent que les rayons qui viennent d’un point, ou tendent vers un point, ou sont parallèles, changent de l’une en l’autre de ces trois sortes de dispositions en toutes les façons qui puissent être imaginées.

L’hyperbole est aussi une ligne courbe que les mathématiciens expliquent par la section d’un cône, comme l’ellipse ; mais, afin de vous la faire mieux concevoir, j’introduirai encore ici un jardinier qui s’en sert à composer la broderie de quelque parterre.


Il plante derechef deux piquets aux points H[45] et I ; et, ayant attaché au bout d’une longue règle le bout d’une corde un peu plus courte, il fait un trou rond à l’autre bout de cette règle dans lequel il fait entrer le piquet I, et une boucle à l’autre bout de cette corde qu’il passe dans le piquet H ; puis, mettant le doigt au point X où elles sont attachées l’une à l’autre, il le coule de là en bas jusques à D, tenant toujours cependant la corde toute jointe et comme collée contre la règle depuis le point X jusques à l’endroit où il la touche, et avec cela toute tendue, au moyen de quoi, contraignant cette règle de tourner autour du piquet I à mesure qu’il abaisse son doigt, il décrit sur la terre la ligne courbe XBD qui est une partie d’une hyperbole ; et après cela, tournant sa règle de l’autre côté vers Y, il en décrit en même façon une autre partie YD ; et de plus, s’il passe la boucle de sa corde dans le piquet I, et le bout de sa règle dans le piquet H, il décrira une autre hyperbole SKT, toute semblable et opposée à la précédente. Mais, si, sans changer ses piquets ni sa règle, il fait seulement sa corde un peu plus longue, il décrira une hyperbole d’une autre espèce, et, s’il la fait encore un peu plus longue, il en décrira encore une d’autre espèce, jusques à ce que, la faisant tout à fait égale à la règle, il décrira au lieu d’une hyperbole une ligne droite ; puis, s’il change la distance de ses piquets en même proportion que la différence qui est entre les longueurs de la règle et de la corde, il décrira des hyperboles qui seront toutes de même espèce, mais dont les parties semblables seront différentes en grandeur. Et enfin, s’il augmente également les longueurs de la corde et de la règle, sans changer ni leur différence ni la distance des deux piquets, il ne décrira toujours qu’une même hyperbole, mais il en décrira une plus grande partie ; car cette ligne est de telle nature que, bien qu’elle se courbe toujours de plus en plus vers un même côté, elle se peut toutefois étendre à l’infini sans que jamais ses extrémités se rencontrent : et ainsi vous voyez qu’elle a en plusieurs façons même rapport à la ligne droite que l’ellipse à la circulaire ; et vous voyez aussi qu’il y en a d’une infinité de diverses espèces, et qu’en chaque espèce il y en a une infinité dont les parties semblables sont différentes en grandeur. Et de plus, que si, d’un point comme B, pris à discrétion dans l’une d’elles, on tire deux lignes droites vers les deux points, comme H et I, où les deux piquets doivent être plantés pour la décrire, et que nous nommerons encore les points brûlants, la différence de ces deux lignes HB et IB sera toujours égale à la ligne DK, qui marque la distance qui est entre les hyperboles opposées : ce qui paroît de ce que BI est plus longue que BH d’autant justement que la règle a été prise plus longue que la corde, et que DI est aussi d’autant plus longue que DH ; car, si on accourcit celle-ci DI de KI, qui est égal à DH, on aura DK pour leur différence. Et, enfin, vous voyez que les hyperboles qu’on décrit, en mettant toujours même proportion entre DK et HI, sont toutes d’une même espèce ; puis, outre cela, il est besoin que vous sachiez que si, par le point B[46] pris à discrétion dans une hyperbole, on tire la ligne droite CE, qui divise l’angle HBI en deux parties égales, la même CE touchera cette hyperbole en ce point B sans la couper, de quoi les géomètres savent assez la démonstration.

Mais je veux ici ensuite vous faire voir que si, de ce même point B, on tire vers le dedans de l’hyperbole la ligne droite BA parallèle à DK, et qu’on tire aussi par le même point B la ligne LG qui coupe CE à angles droits, puis, ayant pris BA égale à BI, que des points A et I on tire sur LG les deux perpendiculaires AL et IG, ces deux dernières AL et IG auront entre elles même proportion que les deux DK et HI. Et ensuite que, si on donne la figure de cette hyperbole à un corps de verre dans lequel les réfractions se mesurent par la proportion qui est entre les lignes DK et HI, elle fera que tous les rayons qui seront parallèles à son essieu dans ce verre s’iront assembler au dehors au point I, au moins si ce verre est convexe ; et s’il est concave, qu’ils s’écarteront çà et là, comme s’ils venaient de ce point I.

Ce qui peut être ainsi démontré : premièrement, si on tire du point B la ligne BF perpendiculaire sur KD prolongée autant qu’il est besoin, et du point N, où LG et KD s’entre-coupent, la ligne NM perpendiculaire sur IB aussi prolongée, on trouvera que AL est à IG comme BF est à NM ; car, d’une part, les triangles BFN et BLA sont semblables, à cause qu’ils sont tous deux rectangles, et que NF et BA étant parallèles, les angles FNB et LBA sont égaux ; et, d’autre part, les triangles IGB et NMB sont aussi semblables, à cause qu’ils sont rectangles, et que les angles IBG et NBM sont égaux. Et, outre cela, comme la même BN sert de base aux deux triangles BFN et NMB, ainsi BA, la base du triangle ALB, est égale à BI, la base du triangle IGB ; d’où il suit que, comme les côtés du triangle BFN sont à ceux du triangle NMB, ainsi ceux du triangle ALB sont aussi à ceux du triangle IBG. Puis BF est à NM comme BI est à NI, à cause que les deux triangles BIF et NIM, étant rectangles et ayant le même angle vers I, sont semblables. De plus, si on tire HO parallèle à LG, on verra que BI est à NI comme OI est à HI, à cause que les triangles BNI et OHI sont semblables. Enfin les deux angles EBH et EBI étant égaux par la construction, et HO qui est parallèle à LG, coupant comme elle CE à angles droits, les deux triangles BEH et BEO sont entièrement égaux. Et ainsi BH la base de l’un, étant égale à BO la base de l’autre, il reste OI pour la différence qui est entre BH et BI, laquelle nous avons dit être égale à DK : si bien que AL est à IG comme DK est à HI. D’où il suit que, mettant toujours entre les lignes DK et HI la proportion qui peut servir à mesurer les réfractions du verre, ou autre matière qu’on veut employer, ainsi que nous avons fait pour tracer les ellipses, excepté que DK ne peut être ici que la plus courte, au lieu qu’elle ne pouvoit être auparavant que la plus longue, si on trace une portion d’hyperbole tant grande qu’on voudra, comme DB[47], et que de B on fasse descendre, à angles droits sur KD, la ligne droite BQ, les deux lignes DB et QB, tournant autour de l’essieu DQ, décriront la figure d’un verre, qui fera que tous les rayons qui le traverseront, et seront dans l’air parallèles à cet essieu du côté de la superficie plate BQ, en laquelle, comme vous savez, ils ne souffriront aucune réfraction, s’assembleront de l’autre côté au point I.

Et si, ayant tracé l’hyperbole db[48] semblable à la précédente, on tire la ligne droite ro en tel lieu, qu’on voudra, pourvu que, sans couper cette hyperbole, elle tombe perpendiculairement sur son essieu dk ; et qu’on joigne les deux points b et o par une autre ligne droite parallèle à dk, les trois lignes ro, ob et bd, mues autour de l’essieu dk, décriront la figure d’un verre qui fera que tous les rayons, qui seront parallèles à son essieu du côté de sa superficie plate, s’écarteront çà et là de l’autre côté, comme s’ils venoient du point I.

Et si, ayant pris la ligne hI[49] plus courte pour tracer l’hyperbole du verre robd que pour celle du verre DBQ, on dispose ces deux verres en telle sorte que leurs essieux DQ, rd soient en même ligne droite, et leurs deux points brûlants marqués I en même lieu, et que leurs deux superficies hyperboliques se regardent, ils feront que tous les rayons qui, avant que de les rencontrer, auront été parallèles à leurs essieux, le seront encore après les avoir tous deux traversés, et avec cela seront resserrés en un moindre espace du côté du verre robd que de l’autre.

Et si on dispose les deux verres semblables DBQ[50] et dbq inégaux en grandeur, en telle sorte que leurs essieux DQ, dq soient aussi en même ligne droite, et leurs deux points brûlants marqués I en même lieu, et que leurs deux superficies hyperboliques se regardent, ils feront, comme les précédents, que les rayons parallèles d’un côté de leur essieu le seront aussi de l’autre, et avec cela seront resserrés en moindre espace du côté du moindre verre.

Et si on joint les superficies plates de ces deux verres DBQ et dbq[51], ou qu’on les mette à telle distance qu’on voudra l’un de l’autre, pourvu seulement que leurs superficies plates se regardent sans qu’il soit besoin avec cela que leurs essieux soient en même ligne droite ; ou plutôt, si on compose un autre verre qui ait la figure de ces deux ainsi conjoints, on fera par son moyen que les rayons qui viendront de l’un des points marqués I s’iront assembler en l’autre de l’autre côté.

Et si on compose un verre qui ait la figure des deux DBQ et robd[52] tellement joints que leurs superficies plates s’entre-touchent, on fera que les rayons qui seront venus de l’un des points I s’écarteront comme s’ils étoient venus de l’autre.

Et enfin, si on compose un verre qui ait la figure de deux tels que robd[53], derechef tellement joints que leurs superficies plates s’entre-touchent, on fera que les rayons, qui, allant rencontrer ce verre, seront écartés comme pour s’assembler au point I qui est de l’autre côté, seront derechef écartés après l’avoir traversé comme s’ils étaient venus de l’autre point i.

Et tout ceci est, ce me semble, si clair, qu’il est seulement besoin d’ouvrir les yeux et de considérer les figures pour l’entendre.

Au reste, les mêmes changements de ces rayons, que je viens d’expliquer, premièrement par deux verres elliptiques, et après par deux hyperboliques, peuvent aussi être causés par deux dont l’un soit elliptique et l’autre hyperbolique. Et de plus, on peut encore imaginer une infinité d’autres verres qui fassent comme ceux-ci, que tous les rayons qui viennent d’un point, ou tendent vers un point, ou sont parallèles, se changent exactement de l’une en l’autre de ces trois dispositions. Mais je ne pense pas avoir ici aucun besoin d’en parler, à cause que je les pourrai plus commodément expliquer ci-après en la géométrie, et que ceux que j’ai décrits sont les plus propres de tous à mon dessein, ainsi que je veux tâcher maintenant de prouver, et vous faire voir par même moyen lesquels d’entre eux y sont les plus propres, en vous faisant considérer toutes les principales choses en quoi ils diffèrent.

La première est que les figures des uns sont beaucoup plus aisées à tracer que celles des autres : et il est certain qu’après la ligne droite, la circulaire et la parabole, qui seules ne peuvent suffire pour tracer aucun de ces verres, ainsi que chacun pourra facilement voir, s’il l’examine, il n’y en a point de plus simples que l’ellipse et l’hyperbole, en sorte que la ligne droite étant plus aisée à tracer que la circulaire, et l’hyperbole ne l’étant pas moins que l’ellipse, ceux dont les figures sont composées d’hyperboles et de lignes droites sont les plus aisées à tailler qui puissent être ; puis ensuite ceux dont les figures sont composées d’ellipses et de cercles, en sorte que tous les autres que je n’ai point expliqués le sont moins.

La seconde est qu’entre plusieurs qui changent tous en même façon la disposition des rayons qui se rapportent à un seul point, ou viennent parallèles d’un seul côté, ceux dont les superficies sont le moins courbées ou bien le moins inégalement, en sorte qu’elles causent les moins inégales réfractions, changent toujours un peu plus exactement que les autres la disposition des rayons qui se rapportent aux autres points ou qui viennent des autres côtés. Mais pour entendre ceci parfaitement, il faut considérer que c’est la seule inégalité de la courbure des lignes dont sont composées les figures de ces verres, qui empêche qu’ils ne changent aussi exactement la disposition des rayons qui se rapportent à plusieurs divers points ou viennent parallèles de plusieurs divers côtés, qu’ils font celle de ceux qui se rapportent à un seul point ou viennent parallèles d’un seul côté.


Car, par exemple, si, pour faire que tous les rayons qui viennent du point A[54] s’assemblent au point B, il falloit que le verre GHIK, qu’on mettroit entre deux, eût ses superficies toutes plates, en sorte que la ligne droite GH, qui en représente l’une, eût la propriété de faire que tous ces rayons, venant du point A, se rendissent parallèles dans le verre, et par même moyen, que l’autre ligne droite KI fît que de là ils s’allassent assembler au point B, ces mêmes lignes GH et KI feroient aussi que tous ses rayons, venant du point C, s’iroient assembler au point D ; et généralement que tous ceux qui viendroient de quelqu’un des points de la ligne droite AC, que je suppose parallèle à GH, s’iroient assembler en quelqu’un des points de BD, que je suppose aussi parallèle à KI, et autant éloigné d’elle que AC est de GH : d’autant que ces lignes GH et KI n’étant aucunement courbées, tous les points de ces autres AC et BD se rapportent à elles en même façon les uns que les autres.


Tout de même, si c’étoit le verre LMNO[55], dont je suppose les superficies LMN et LON être deux égales portions de sphère, qui eût la propriété de faire que tous les rayons venant du point A s’allassent assembler au point B, il l’auroit aussi de faire que ceux du point C s’assemblassent au point D, et généralement que tous ceux de quelqu’un des points de la superficie CA, que je suppose être une portion de sphère, qui a même centre que LMN, s’assembleroient en quelqu’un de ceux de BD, que je suppose aussi une portion de sphère, qui a même centre que LON, et en est aussi éloignée que AC est de LMN, d’autant que toutes les parties de ces superficies LMN et LON sont également courbées au respect de tous les points qui sont dans les superficies CA et BD. Mais à cause qu’il n’y a point d’autres lignes en la nature que la droite et la circulaire, dont toutes les parties se rapportent d’une même façon à plusieurs divers points, et que ni l’une ni l’autre ne peuvent suffire pour composer la figure d’un verre, qui fasse que tous les rayons qui viennent d’un point s’assemblent en un autre point exactement, il est évident qu’aucune de celles qui y sont requises ne fera que tous les rayons qui viendront de quelques autres points s’assemblent exactement en d’autres points. Et que, pour choisir celles d’entre elles qui peuvent faire que ces rayons s’écartent le moins des lieux où on les voudroit assembler, il faut prendre les moins courbées et les moins inégalement courbées, afin qu’elles approchent le plus de la droite ou de la circulaire, et encore plutôt de la droite que de la circulaire, à cause que les parties de celle-ci ne se rapportent d’une même façon qu’à tous les points qui sont également distants de son centre, et ne se rapportent à aucuns autres en même façon qu’elles font à ce centre ; d’où il est aisé de conclure, qu’en ceci l’hyperbole surpasse l’ellipse, et qu’il est impossible d’imaginer des verres d’aucune autre figure qui rassemblent tous les rayons venant de divers points en autant d’autres points également éloignés d’eux si exactement que celui dont la figure sera composée d’hyperboles. Et même, sans que je m’arrête à vous en faire ici une démonstration plus exacte, vous pouvez facilement appliquer ceci aux autres façons de changer la disposition des rayons qui se rapportent à divers points ou viennent parallèles de divers côtés, et connoître que pour toutes, ou les verres hyperboliques y sont plus propres qu’aucuns autres, ou du moins qu’ils n’y sont pas notablement moins propres, en sorte que cela ne peut être mis en contre-poids avec la facilité d’être taillés, en quoi ils surpassent tous les autres.

La troisième différence de ces verres est que les uns font que les rayons qui se croisent en les traversant se trouvent un peu plus écartés de l’un de leurs côtés que de l’autre, et que les autres font tout le contraire. Comme si les rayons GG[56], sont ceux qui viennent du centre du soleil, et que II soient ceux qui viennent du côté gauche de sa circonférence, et KK ceux qui viennent du droit, ces rayons s’écartent un peu plus les uns des autres, après avoir traversé le verre hyperbolique DEF, qu’ils ne faisoient auparavant : et, au contraire, ils s’écartent moins après avoir traversé l’elliptique ABC[57], en sorte que cet elliptique rend les points LHM plus proches les uns des autres, que ne fait l’hyperbolique, et même il les rend d’autant plus proches qu’il est plus épais ; mais, néanmoins, tant épais qu’on le puisse faire, il ne les peut rendre qu’environ d’un quart ou d’un tiers plus proches que l’hyperbolique : ce qui se mesure par la quantité des réfractions que cause le verre ; en sorte que le cristal de montagne, dans lequel elles se font un peu plus grande, doit rendre cette inégalité un peu plus grande. Mais il n’y a point de verre d’aucune autre figure qu’on puisse imaginer qui fasse que les points LHM soient notablement plus éloignés que fait cet hyperbolique, ni moins que fait cet elliptique.

Or vous pouvez ici remarquer par occasion en quel sens il faut entendre ce que j’ai dit ci-dessus, que les rayons venant de divers points, ou parallèles de divers côtés, se croisent tous dès la première superficie qui a la puissance de faire qu’ils se rassemblent à peu près en autant d’autres divers points ; comme lorsque j’ai dit que ceux de l’objet VXY[58], qui forment l’image RST sur le fond de l’œil, se croisent dès la première de ses superficies BCD. Ce qui dépend de ce que, par exemple, les trois rayons VCR, XCS et YCT se croisent véritablement sur cette superficie BCD au point C ; d’où vient qu’encore que VDR se croise avec YBT beaucoup plus haut, et VBR avec YDT beaucoup plus bas, toutefois, pour ce qu’ils tendent vers les mêmes points que font VCR et YCT, on les peut considérer tout de même que s’ils se croisoient aussi au même lieu. Et, pourceque c’est cette superficie BCD qui les fait ainsi tendre vers les mêmes points, on doit plutôt penser que c’est au lieu où elle est qu’ils se croisent tous, que non pas plus haut ni plus bas ; sans même que ce que les autres superficies, comme 1,2,5 et 4,5,6, les peuvent détourner, en empêche.


Non plus qu’encore que les deux bâtons ACD et BCE[59], qui sont courbés, s’écartent beaucoup des points F et G, vers lesquels ils s’iroient rendre, si, se croisant autant qu’ils font au point C, avec cela ils étoient droits ; ce ne laisse pas d’être véritablement en ce point C qu’ils se croisent. Mais ils pourroient bien être si courbés que cela les feroit croiser derechef en un autre lieu.

Figure 47


Et, en même facon, les rayons qui traversent les deux verres convexes DBQ[60], et dbq se croisent sur la superficie du premier, puis se recroisent derechef sur celle de l’autre, au moins ceux qui viennent de divers côtés ; car, pour ceux qui viennent d’un même côté, il est manifeste que ce n’est qu’au point brûlant marqué I qu’ils se croisent.

Vous pouvez remarquer aussi par occasion que les rayons du soleil ramassés par le verre elliptique ABC[61] doivent brûler avec plus de force qu’étant ramassés par l’hyperbolique DEF[62]. Car il ne faut pas seulement prendre garde aux rayons qui viennent du centre du soleil, comme GG, mais aussi à tous les autres qui, venant des autres points de sa superficie, n’ont pas sensiblement moins de force que ceux du centre ; en sorte que la violence de la chaleur qu’ils peuvent causer se doit mesurer par la grandeur du corps qui les assemble, comparée avec celle de l’espace où il les assemble : comme si le diamètre du verre ABC[63] est quatre fois plus grand que la distance qui est entre les points M et L, les rayons ramassés par ce verre doivent avoir seize fois plus de force que s’ils ne passoient que par un verre plat qui ne les détournât aucunement. Et, pourceque la distance qui est entre ces points M et L est plus ou moins grande, à raison de celle qui est entre eux et le verre ABC, ou autre tel corps qui fait que les raisons s’y assemblent sans que la grandeur du diamètre de ce corps y puisse rien ajouter, ni sa figure particulière, qu’environ un quart ou un tiers tout au plus, il est certain que cette ligne brûlante à l’infini que quelques uns ont imaginée n’est qu’une rêverie. Et qu’ayant deux verres ou miroirs ardents dont l’un soit beaucoup plus grand que l’autre, de quelle façon qu’ils puissent être, pourvu que leurs figures soient toutes pareilles, le plus grand doit bien ramasser les rayons du soleil en un plus grand espace et plus loin de soi que le plus petit ; mais que ces rayons ne doivent point avoir plus de force en chaque partie de cet espace qu’en celui où le plus petit les ramasse ; en sorte qu’on peut faire des verres ou miroirs extrêmement petits qui brûleront avec autant de violence que les plus grands. Et un miroir ardent, dont le diamètre n’est pas plus grand qu’environ la centième partie de la distance qui est entre lui et le lieu où il doit rassembler les rayons du soleil, c’est-à-dire qui a même proportion avec cette distance qu’a le diamètre du soleil avec celle qui est entre lui et nous, fut-il poli par un ange, ne peut faire que les rayons qu’il assemble échauffent plus en l’endroit où il les assemble que ceux qui viennent directement du soleil : ce qui se doit aussi entendre des verres brûlants à proportion. D’où vous pouvez voir que ceux qui ne sont qu’à demi savants en l’optique se laissent persuader beaucoup de choses qui sont impossibles, et que ces miroirs dont on a dit qu’Archimède brûloit des navires de fort loin devoient être extrêmement grands, ou plutôt qu’ils sont fabuleux.

La quatrième différence qui doit être remarquée entre les verres dont il est ici question appartient particulièrement à ceux qui changent la disposition des rayons qui viennent de quelque point assez proche d’eux, et consiste en ce que les uns, à savoir ceux dont la superficie qui regarde vers ce point est la plus creuse à raison de leur grandeur, peuvent recevoir plus grande quantité de ces rayons que les autres, encore que leur diamètre ne soit point plus grand. Et en ceci le verre elliptique NOP[64], que je suppose si grand que ses extrémités N et P sont les points où se termine le plus petit diamètre de l’ellipse, surpasse l’hyperbolique QRS[65], quoiqu’on le suppose aussi tant grand qu’on voudra ; et il ne peut être surpassé par ceux d’aucune autre figure.

Figure 57 – Figure 58


Enfin, ces verres diffèrent encore en ce que, pour produire les mêmes effets eu égard aux rayons qui se rapportent à un seul point ou à un seul côté, les uns doivent être plus en nombre que les autres, ou doivent faire que les rayons qui se rapportent à divers points ou à divers côtés se croisent plus de fois : comme vous avez vu que pour faire avec les verres elliptiques que les rayons qui viennent d’un point s’assemblent en un autre point, ou s’écartent comme s’ils venoient d’un autre point, ou que ceux qui tendent vers un point s’écartent derechef comme s’ils venoient d’un autre point, il est toujours besoin d’y en employer deux, au lieu qu’il n’y en faut employer qu’un seul si on se sert des hyperboliques ; et qu’on peut faire que les rayons parallèles, demeurant parallèles, occupent un moindre espace qu’auparavant, tant par le moyen de deux verres hyperboliques convexes qui font que les rayons qui viennent de divers côtés se croisent deux fois, que par le moyen d’un convexe et d’un concave qui font qu’ils ne se croisent qu’une fois. Mais il est évident que jamais on ne doit employer plusieurs verres à ce qui peut être aussi bien fait par l’aide d’un seul, ni faire que les rayons se croisent plusieurs fois lorsqu’une suffit.

Et généralement il faut conclure de tout ceci que les verres hyperboliques et les elliptiques sont préférables à tous les autres qui puissent être imaginés, et même que les hyperboliques sont quasi en tout préférables aux elliptiques. Ensuite de quoi je dirai maintenant de quelle façon il me semble qu’on doit composer chaque espèce de lunettes pour les rendre les plus parfaites qu’il est possible.

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DISCOURS NEUVIÈME.

LA DESCRIPTION DES LUNETTES.

Il est besoin premièrement de choisir une matière transparente qui, étant assez aisée à tailler, et néanmoins assez dure pour retenir la forme qu’on lui donnera, soit en outre la moins colorée et qui cause le moins de réflexion qu’il est possible. Et on n’en a point encore trouvé qui ait ces qualités en plus grande perfection que le verre, lorsqu’il est fort clair et fort pur, et composé de cendres fort subtiles. Car, encore que le cristal de montagne semble plus net et plus transparent, toutefois, pourceque ses superficies causent la réflexion de plus de rayons que celles du verre, ainsi que l’expérience semble nous apprendre, il ne sera peut-être pas si propre à notre dessein. Or, afin que vous sachiez la cause de cette réflexion, et pourquoi elle se fait plutôt sur les superficies tant du verre que du cristal que non pas en l’épaisseur de leur corps, et pourquoi elle s’y fait plus grande dans le cristal que dans le verre, il faut que vous vous souveniez de la façon dont je vous ai ci-dessus fait concevoir la nature de la lumière ; lorsque j’ai dit qu’elle n’étoit autre chose dans les corps transparents que l’action ou inclination à se mouvoir d’une certaine matière très subtile qui remplit leurs pores, et que vous pensiez que les pores de chacun de ces corps transparents sont si unis et si droits que la matière subtile qui peut y entrer coule facilement tout du long sans y rien trouver qui l’arrête ; mais que ceux de deux corps transparents de diverse nature, comme ceux de l’air et ceux du verre ou du cristal, ne se rapportent jamais si justement les uns aux autres qu’il n’y ait toujours plusieurs des parties de la matière subtile qui, par exemple, venant de l’air vers le verre, s’y réfléchissent, à cause qu’elles rencontrent les parties solides de sa superficie : et tout de même, venant du verre vers l’air, se réfléchissent et retournent au dedans de ce verre, à cause qu’elles rencontrent les parties solides de la superficie de cet air ; car il y en a aussi beaucoup en l’air qui peuvent être nommées solides à comparaison de cette matière subtile. Puis, en considérant que les parties solides du cristal sont encore plus grosses que celles du verre et ses pores plus serrés, ainsi qu’il est aisé à juger de ce qu’il est plus dur et plus pesant, on peut bien penser qu’il doit causer ses réflexions encore plus fortes, et par conséquent donner passage à moins de rayons que ne fait ni l’air ni le verre, bien que cependant il le donne plus libre à ceux auxquels il le donne, suivant ce qui a été dit ci-dessus.

Ayant donc ainsi choisi le verre le plus pur, le moins coloré, et celui qui cause le moins de réflexion qu’il est possible, si on veut par son moyen corriger le défaut de ceux qui ne voient pas si bien les objets un peu éloignés que les proches, ou les proches que les éloignés, les figures les plus propres à cet effet sont celles qui se tracent par des hyperboles. Comme, par exemple, l’œil B ou C[66], étant disposé à faire que tous les rayons qui viennent du point H ou I s’assemblent exactement au milieu de son fond, et non pas ceux du point V ou X, il faut, pour lui faire voir distinctement l’objet qui est vers V ou X mettre entre deux le verre O ou P, dont les superficies, l’une convexe et l’autre concave, ayant les figures tracées par deux hyperboles qui soient telles que H ou I soit le point brûlant de la concave, qui doit être tournée vers l’œil, et V ou X celui de la convexe.

Figures 27 et 28.

Et si on suppose le point I ou V assez éloigné, comme seulement à quinze ou vingt pieds de distance, il suffira, au lieu de l’hyperbole dont il devroit être le point brûlant, de se servir d’une ligne droite, et ainsi de faire l’une des superficies du verre toute plate, à savoir l’intérieure qui regarde vers l’œil, si c’est I qui soit assez éloigné ; ou l’extérieure, si c’est V. Car lors une partie de l’objet de la grandeur de la prunelle pourra tenir lieu d’un seul point, à cause que son image n’occupera guère plus d’espace au fond de l’œil que l’extrémité de l’un des petits filets du nerf optique. Et même, il n’est pas besoin de se servir de verres différents à chaque fois qu’on veut regarder des objets un peu plus ou moins éloignés l’un que l’autre ; mais c’est assez pour l’usage d’en avoir deux, dont l’un soit proportionné à la moindre distance des choses qu’on a coutume de regarder, et l’autre à la plus grande ; ou même seulement d’en avoir un qui soit moyen entre ces deux. Car les yeux auxquels on les veut approprier, n’étant point tout-à-fait inflexibles, peuvent aisément assez changer leur figure pour l’accommoder à celle d’un tel verre.

Que si on veut, par le moyen aussi d’un seul verre, faire que les objets accessibles, c’est-à-dire ceux qu’on peut approcher de l’œil autant qu’on veut, paroissent beaucoup plus grands et se voient beaucoup plus distinctement que sans lunettes, le plus commode sera de faire celle des superficies de ce verre qui doit être tournée vers l’œil toute plate, et donner à l’autre la figure d’une hyperbole dont le point brûlant soit au lieu où on voudra mettre l’objet ; mais notez que je dis le plus commode, car j’avoue bien que, donnant à la superficie de ce verre la figure d’une ellipse dont le point brûlant soit aussi au lieu où on voudra mettre l’objet, et à l’autre celle d’une partie de sphère dont le centre soit au même lieu que ce point brûlant, l’effet en pourra être un peu plus grand ; mais en revanche un tel verre ne pourra pas si commodément être taillé. Or ce point brûlant, soit de l’hyperbole, soit de l’ellipse, doit être si proche, que l’objet, qu’il faut supposer fort petit, y étant mis, il ne reste entre lui et le verre que justement autant d’espace qu’il en faut pour donner passage à la lumière qui doit l’éclairer. Et il faut enchâsser ce verre en telle sorte qu’il n’en reste rien de découvert que le milieu, qui soit environ de pareille grandeur que la prunelle ou même un peu plus petit ; et que la matière en quoi il sera enchâssé soit toute noire du côté qui doit être tourné vers l’œil, ou même aussi il ne sera pas inutile qu’elle soit garnie tout autour d’un bord de panne ou velours noir, afin qu’on la puisse commodément appuyer tout contre l’œil, et ainsi empêcher qu’il n’aille vers lui aucune lumière que par l’ouverture du verre ; mais en dehors il sera bon qu’elle soit toute blanche ou plutôt toute polie, et qu’elle ait la figure d’un miroir creux, en sorte qu’elle renvoie sur l’objet tous les rayons de la lumière qui viennent vers elle. Et, pour soutenir cet objet en l’endroit où il doit être posé pour être vu, je ne désapprouve pas ces petites fioles de verre ou de cristal fort transparent, dont l’usage est déjà en France assez commun ; mais, pour rendre la chose plus exacte, il vaudra encore mieux qu’il y soit tenu ferme par un ou deux petits ressorts, en forme de bras, qui sortent du châssis de la lunette. Enfin, pour ne manquer point de lumière, il faudra, en regardant cet objet, le tourner tout droit vers le soleil. Comme si A[67] est le verre, C la partie intérieure de la matière en laquelle il est enchâssé, D l’extérieure, E l’objet, G le petit bras qui le soutient, H l’œil, et I le soleil, dont les rayons ne vont point en l’œil directement, à cause de l’interposition tant de la lunette que de l’objet, mais donnant contre le corps blanc ou le miroir D, ils se réfléchissent premièrement de là vers E, puis de E ils se réfléchissent vers l’œil.

Figure 58.

Que si on veut faire une lunette la plus parfaite qui puisse être pour servir à voir les astres ou autres objets fort éloignés et inaccessibles, on la doit composer de deux verres hyperboliques, l’un convexe et l’autre concave, mis dans les deux bouts d’un tuyau en la façon que vous voyez ici représentée[68].

Figure 59.


Et premièrement, abc, la superficie du verre concave abcdef, doit avoir la figure d’une hyperbole qui ait son point brûlant à la distance à laquelle l’œil pour lequel on prépare cette lunette peut voir le plus distinctement ses objets. Comme ici l’œil G étant disposé à voir plus distinctement les objets qui sont vers H qu’aucuns autres, H doit être le point brûlant de l’hyperbole abc ; et pour les vieillards qui voient mieux les objets fort éloignés que les proches, cette superficie abc doit être toute plate ; au lieu que pour ceux qui ont la vue fort courte elle doit être assez concave. Puis, l’autre superficie def doit avoir la figure d’une autre hyperbole, dont le point brûlant I soit éloigné d’elle de la largeur d’un pouce ou environ, en sorte qu’il se rencontre vers le fond de l’œil lorsque ce verre est appliqué tout contre sa superficie. Notez toutefois que ces proportions ne sont pas si absolument nécessaires qu’elles ne puissent beaucoup être changées ; en sorte que, sans tailler autrement la superficie abc pour ceux qui ont la vue courte ou longue que pour les autres, on peut assez commodément se servir d’une même lunette pour toutes sortes d’yeux en alongeant seulement ou accourcissant le tuyau. Et pour la superficie def, peut-être qu’à cause de la difficulté qu’on aura à la creuser tant, comme j’ai dit, il sera plus aisé de lui donner la figure d’une hyperbole dont le point brûlant soit un peu plus éloigné, ce que l’expérience enseignera mieux que mes raisons. Et je puis seulement dire en général que les autres choses étant égales, d’autant que ce point I sera plus proche, d’autant les objets paroîtront plus grands, à cause qu’il faudra disposer l’œil comme s’ils étoient plus près de lui ; et que la vision pourra être plus forte et plus claire, à cause que l’autre verre pourra être plus grand ; mais qu’elle ne sera pas si distincte, si on le rend par trop proche, à cause qu’il y aura plusieurs rayons qui tomberont trop obliquement sur sa superficie au prix des autres. Pour la grandeur de ce verre, la portion qui en demeure découverte, lorsqu’il est enchâssé dans le tuyau KLM, n’a besoin d’excéder que de fort peu la plus grande ouverture de la prunelle. Et pour son épaisseur, elle ne saurait être trop petite ; car, encore qu’en l’augmentant on puisse faire que l’image des objets soit un peu plus grande, à cause que les rayons qui viennent de divers points s’écartent un peu plus du côté de l’œil, on fait aussi en revanche qu’ils paroissent en moindre quantité et moins clairs ; et l’avantage de faire que leurs images deviennent plus grandes se peut mieux gagner par autre moyen. Quant au verre convexe NOPQ, sa superficie NQP, qui est tournée vers les objets, doit être toute plate ; et l’autre NOP doit avoir la figure d’une hyperbole dont le point brûlant I tombe exactement au même lieu que celui de l’hyperbole def de l’autre verre, et soit d’autant plus éloigné du point O qu’on veut avoir une lunette plus parfaite. Ensuite de quoi la grandeur de son diamètre NP se détermine par les deux lignes droites IdN et IfP, tirées du point brûlant I, par d et f, les extrémités du diamètre du verre hyperbolique def, que je suppose égaler celui de la prunelle ; où toutefois il faut remarquer qu’encore que le diamètre de ce verre NOPQ soit plus petit, les objets n’en paroîtront que d’autant plus distincts, et n’en paroîtront pas moindres pour cela ni en moindre quantité, mais seulement moins éclairés : c’est pourquoi, lorsqu’ils le sont trop, on doit avoir divers cercles de carton noir ou autre telle matière, comme 1,2,3, pour couvrir ses bords, et le rendre par ce moyen le plus petit que la force de la lumière qui vient des objets pourra permettre. Pour ce qui est de l’épaisseur de ce verre, elle ne peut de rien profiter ni aussi de rien nuire, sinon en tant que le verre n’est jamais si pur et si net qu’il n’empêche toujours le passage de quelque peu plus de rayons que ne fait l’air. Pour le tuyau KLM, il doit être de quelque matière assez ferme et solide, afin que les deux verres, enchâssés en ses deux bouts, y retiennent toujours exactement leur même situation ; et il doit être tout noir par le dedans et même avoir un bord de panne ou velours noir vers M, afin qu’on puisse, en l’appliquant tout contre l’œil, empêcher qu’il n’y entre aucune lumière que par le verre NOPQ ; et pour sa longueur et sa largeur, elles sont assez déterminées par la distance et la grandeur des deux verres. Au reste, il est besoin que ce tuyau soit attaché sur quelque machine, comme RST, par le moyen de laquelle il puisse être commodément tourné de tous côtés, et arrêté vis-à-vis des objets qu’on veut regarder ; et à cet effet il doit y avoir aussi une mire ou deux pinnules, comme VV, sur cette machine ; et même, outre cela, pourceque d’autant que ces lunettes font que les objets paroissent plus grands, d’autant en peuvent-elles moins faire voir à chaque fois, il est besoin d’en joindre avec les plus parfaites quelques autres de moindre force par l’aide desquelles on puisse, comme par degrés, venir à la connoissance du lieu où est l’objet que ces plus parfaites font apercevoir. Comme sont ici XX et YY, que je suppose tellement ajustées avec la plus parfaite QLM, que si on tourne la machine en telle sorte que, par exemple, la planète de Jupiter paroisse au travers des deux pinnules VV, elle paroîtra aussi au travers de la lunette XX, par laquelle, outre Jupiter, on pourra aussi distinguer ces autres moindres planètes qui l’accompagnent ; et si on fait que quelqu’une de ces moindres planètes se rencontre justement au milieu de cette lunette XX, elle se verra aussi par l’autre YY, où, paroissant seule et beaucoup plus grande que par la précédente, on y pourra distinguer diverses régions : et derechef, entre ces diverses régions, celle du milieu se verra par la lunette KLM, et on y pourra distinguer plusieurs choses particulières par son moyen ; mais on ne pourroit savoir que ces choses fussent en tel endroit de la telle des planètes qui accompagnent Jupiter sans l’aide des deux autres, ni aussi la disposer à montrer ce qui est en tout autre endroit déterminé vers lequel on veut regarder.

On pourra encore ajouter une ou plusieurs autres lunettes plus parfaites avec ces trois, au moins si l’artifice des hommes peut passer si avant ; et il n’y a point de différence entre la façon de ces plus parfaites et de celles qui le sont moins, sinon que leur verre convexe doit être plus grand, et leur point brûlant plus éloigné ; en sorte que, si la main des ouvriers ne nous manque, nous pourrons par cette invention voir des objets aussi particuliers et aussi petits dans les astres que ceux que nous voyons communément sur la terre.

Enfin, si on veut avoir une lunette qui fasse voir les objets proches et accessibles le plus distinctement qu’il se peut, et beaucoup plus que celle que j’ai tantôt décrite pour même effet, on la doit aussi composer de deux verres hyperboliques, l’un concave et l’autre convexe, enchâssés dans les deux bouts d’un tuyau, et dont le concave abcdef[69] soit tout semblable à celui de la précédente ; comme aussi NOP la superficie intérieure du convexe.

Figures 60.


Mais pour l’extérieure NRP, au lieu qu’elle était toute plate, elle doit ici être fort convexe et avoir la figure d’une hyperbole, dont le point brûlant extérieur Z soit si proche, que l’objet y étant mis, il ne reste entre lui et le verre qu’autant d’espace qu’il en faut pour donner passage à la lumière qui doit l’éclairer.

Figures 58.


Puis le diamètre de ce verre n’a pas besoin d’être si grand que pour la lunette précédente, ni ne doit pas aussi être si petit que celui du verre A[70] de l’autre d’auparavant, mais il doit à peu près être tel que la ligne droite NP passe par le point brûlant intérieur de l’hyperbole NRP ; car, étant moindre, il recevroit moins de rayons de l’objet Z, et étant plus grand il n’en recevroit que fort peu davantage ; en sorte que son épaisseur, devant être à proportion beaucoup plus augmentée qu’auparavant, elle leur ôteroit bien autant de leur force que sa grandeur leur en donneroit ; et, outre cela, l’objet ne pourroit pas être tant éclairé. Il sera bon aussi de poser cette lunette sur quelque machine comme ST, qui la tienne directement tournée vers le soleil. Et il faut enchâsser le verre NOPR dans le milieu d’un miroir creux parabolique comme CC, qui rassemble tous les rayons du soleil au point Z sur l’objet qui doit y être soutenu par le petit bras G, qui sorte de quelque endroit de ce miroir : et ce bras doit aussi soutenir autour de cet objet quelque corps noir et obscur, comme HH, justement de la grandeur du verre NOPR, afin qu’il empêche qu’aucuns des rayons du soleil ne tombent directement sur ce verre ; car de là, entrant dans le tuyau, quelques-uns d’eux se pourroient réfléchir vers l’œil et affoiblir d’autant la vision ; pourcequ’encore que ce tuyau doive être tout noir par le dedans, il ne le peut être toutefois si parfaitement que sa matière ne cause toujours quelque peu de réflexion lorsque la lumière est fort vive ainsi qu’est celle du soleil. Outre cela, ce corps noir HH doit avoir un trou au milieu, marqué Z, qui soit de la grandeur de l’objet, afin que, si cet objet est en quelque façon transparent, il puisse aussi être éclairé par les rayons qui viennent directement du soleil ; ou même encore, si besoin est, par ces rayons ramassés au point Z par un verre brûlant, comme II, de la grandeur du verre NOPR, en sorte qu’il vienne de tous côtés autant de lumière sur l’objet qu’il en peut souffrir sans en être consumé, et il sera aisé de couvrir une partie de ce miroir CC ou de ce verre II, pour empêcher qu’il n’y en puisse venir trop. Vous voyez bien pourquoi j’ai ici tant de soin de faire que l’objet soit fort éclairé, et qu’il vienne beaucoup de ces rayons vers l’œil ; car le verre NOPR, qui en cette lunette fait l’office de la prunelle, et dans lequel se croisent ceux de ces rayons qui viennent de divers points, étant beaucoup plus proche de l’objet que de l’œil, est cause qu’ils s’étendent sur les extrémités du nerf optique en un espace beaucoup plus grand que n’est la superficie de l’objet d’où ils viennent ; et vous savez qu’ils y doivent avoir d’autant moins de force qu’ils y sont plus étendus, comme on voit, au contraire, qu’étant rassemblés en un plus petit espace par un miroir ou verre brûlant, ils en ont plus : et c’est de là que dépend la longueur de cette lunette, c’est-à-dire la distance qui doit être entre l’hyperbole NOP et son point brûlant ; car d’autant qu’elle est plus longue, d’autant l’image de l’objet est plus étendue dans le fond de l’œil, ce qui fait que toutes ses petites parties y sont plus distinctes : mais cela même affoiblit aussi tellement leur action qu’enfin elle ne pourroit plus être sentie si cette lunette étoit par trop longue ; en sorte que sa plus grande longueur ne peut être déterminée que par l’expérience, et même elle varie selon que les objets peuvent plus ou moins avoir de lumière sans en être consumés. Je sais bien qu’on pourroit encore ajouter quelques autres moyens pour rendre cette lumière plus forte ; mais, outre qu’ils seroient plus malaisés à mettre en pratique, à peine trouveroit-on des objets qui en pussent souffrir davantage. On pourrait bien aussi, au lieu du verre hyperbolique NOPR, en trouver d’autres qui recevroient quelque peu plus grande quantité de rayons, mais ou ils ne feroient pas que ces rayons, venant de divers points de l’objet, s’assemblassent si exactement vers l’œil en autant d’autres divers points, ou il faudroit y employer deux verres au lieu d’un, en sorte que la force de ces rayons ne seroit pas moins diminuée par la multitude des superficies de ces verres qu’elle seroit augmentée par leurs figures, et enfin l’exécution en seroit de beaucoup plus difficile. Seulement vous veux-je encore avertir que ces lunettes ne pouvant être appliquées qu’à un seul œil, il sera mieux de bander l’autre ou le couvrir de quelque voile fort obscur, afin que sa prunelle demeure la plus ouverte qu’il se pourra, que de le laisser exposé à la lumière ou de le fermer par l’aide des muscles qui meuvent ses paupières ; car il y a ordinairement telle connexion entre les deux yeux que l’un ne sauroit guère se mouvoir en aucune façon que l’autre ne se dispose à l’imiter. De plus, il ne sera pas inutile non seulement d’appuyer cette lunette tout contre l’œil, en sorte qu’il ne puisse venir vers lui aucune lumière que par elle, mais aussi d’avoir auparavant attendri sa vue en se tenant en lieu obscur, et d’avoir l’imagination disposée comme pour regarder des choses fort éloignées et fort obscures, afin que la prunelle s’ouvre d’autant plus, et ainsi qu’on en puisse voir un objet d’autant plus grand. Car vous savez que cette action de la prunelle ne suit pas immédiatement de la volonté qu’on a de l’ouvrir, mais plutôt de l’idée ou du sentiment qu’on a de l’obscurité et de la distance des choses qu’on regarde.

Au reste, si vous faites un peu de réflexion sur tout ce qui a été dit ci-dessus, et particulièrement sur ce que nous avons requis de la part des organes extérieurs pour rendre la vision la plus parfaite qu’elle puisse être, il ne vous sera pas malaisé à entendre que, par ces diverses façons de lunettes, on y ajoute tout ce que l’art y peut ajouter, sans qu’il soit besoin que je m’arrête à vous en déduire la preuve plus au long. Il ne vous sera pas malaisé non plus à connoître que toutes celles qu’on a eues jusques ici n’ont pu aucunement être parfaites, vu qu’il y a très grande différence entre la ligne circulaire et l’hyperbole, et qu’on a seulement tâché en les faisant à se servir de celle-là pour les effets auxquels j’ai démontré que celle-ci étoit requise ; en sorte qu’on n’a jamais su rencontrer que lorsqu’on a failli si heureusement, que, pensant rendre sphériques les superficies des verres qu’on a taillés, on les a rendues hyperboliques, ou de quelque autre figure équivalente. Et ceci a principalement empêché qu’on n’ait pu bien faire les lunettes qui servent à voir les objets inaccessibles, car leur verre convexe doit être plus grand que celui des autres ; et, outre qu’il est moins aisé de rencontrer en beaucoup qu’en peu, la différence qui est entre la figure hyperbolique et la sphérique est bien plus sensible vers les extrémités du verre que vers son centre. Mais, à cause que les artisans jugeront peut-être qu’il y a beaucoup de difficulté à tailler les verres exactement suivant cette figure hyperbolique, je tâcherai encore ici de leur donner une invention par le moyen de laquelle je me persuade qu’ils en pourront assez commodément venir à bout.

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DISCOURS DIXIÈME.

DE LA FAÇON DE TAILLER LES VERRES.

Après avoir choisi le verre ou le cristal dont on a dessein de se servir, il est premièrement besoin de chercher la proportion qui, suivant ce qui a été dit ci-dessus, sert de mesure à ses réfractions, et on la pourra commodément trouver par l’aide d’un tel instrument.

Figure 61.


EFI[71] est une planche ou une règle toute plate et toute droite, et faite de telle matière qu’on voudra, pourvu qu’elle ne soit ni trop luisante ni transparente, afin que la lumière donnant dessus puisse facilement y être discernée de l’ombre. EA et FL sont deux pinnules, c’est-à-dire deux petites lames de telle matière aussi qu’on voudra, pourvu qu’elle ne soit pas transparente, élevées à plomb sur EFI, et dans lesquelles il y a deux petits trous ronds A et L, posés justement vis-à-vis l’un de l’autre, en sorte que le rayon AL, passant au travers, soit parallèle à la ligne EF ; puis RPQ est une pièce du verre que vous voulez éprouver, taillée en forme de triangle, dont l’angle RQP est droit, et PRQ est plus aigu que RPQ. Les trois côtés RQ, QP et RP, sont trois faces toutes plates et polies, en sorte que la face QP étant appuyée contre la planche EFI, et l’autre face QR contre la pinnule FL, le rayon du soleil qui passe par les deux trous A et L pénètre jusques à B au travers du verre PQR sans y souffrir aucune réfraction, à cause qu’il rencontre perpendiculairement sa superficie RQ ; mais, étant parvenu au point B, où il rencontre obliquement son autre superficie RP, il n’en peut sortir sans se courber vers quelque point de la planche EF, comme par exemple vers I. Et tout l’usage de cet instrument ne consiste qu’à faire ainsi passer le rayon du soleil par ces trous A et L, afin de connoître par ce moyen le rapport qu’a le point I, c’est-à-dire le centre de la petite ovale de lumière que ce rayon décrit sur la planche EFI, avec les deux autres points B et P, qui sont, B, celui où la ligne droite qui passe par les centres des deux trous A et L se termine sur la superficie RP, et P, celui où cette superficie RP et celle de la planche EFI sont coupées par le plan qu’on imagine passer par les points B et I, et ensemble par les centres des deux trous A et L.

Figure 62.

Or, connaissant ainsi exactement ces trois points BPI[72], et par conséquent aussi le triangle qu’ils déterminent, on doit transférer ce triangle avec un compas sur du papier ou quelque autre plan fort uni, puis du centre B décrire par le point P le cercle NPT, et, ayant pris l’arc NP égal à PT, tirer la ligne droite BN, qui coupe IP prolongée au point H, puis derechef du centre B par H décrire le cercle HO, qui coupe BI au point O, et on aura la proportion qui est entre les lignes HI et OI pour la mesure commune de toutes les réfractions qui peuvent être causées par la différence qui est entre l’air et le verre qu’on examine ; de quoi si on n’est pas encore certain, on pourra faire tailler du même verre d’autres petits triangles rectangles différents de celui-ci, et se servant d’eux en même sorte pour chercher cette proportion, on la trouvera toujours semblable, et ainsi on n’aura aucune occasion de douter que ce ne soit véritablement celle qu’on cherchoit ; que si, après cela, dans la ligne droite HI, on prend MI égale à OI, et HD égale à DM, on aura D pour le sommet, et H et I pour les points brûlants de l’hyperbole dont ce verre doit avoir la figure pour servir aux lunettes que j’ai décrites.

Figure 62 b.

Et on pourra rendre ces trois points HDI plus ou moins éloignés qu’ils ne sont de tant qu’on voudra, en tirant seulement une autre ligne droite parallèle à HI plus loin ou plus près qu’elle du point B, et tirant de ce point B trois lignes droites BH, RD, BI qui la coupent ; comme vous voyez ici qu’il y a même rapport entre les points HDI et hdi qu’entre les trois hdi.

Figure 42.

Puis il est aisé, ayant ces trois points, de tracer l’hyperbole en la façon qui a été ci-dessus expliquée, à savoir, en plantant deux piques aux points H et I[73], et faisant que la corde mise autour du piquet H soit tellement attachée à la règle qu’elle ne puisse se replier vers I plus avant que jusques à D.

Figure 63.

Mais si vous aimez mieux la tracer avec le compas ordinaire, en cherchant plusieurs points par où elle passe, mettez l’une des pointes de ce compas au point H et l’ayant tant ouvert que son autre pointe passe un peu au-delà du point D[74] comme jusques à 1, du centre H décrivez le cercle 133 ; puis ayant fait égale à , du centre I, par le point. 2, décrivez le cercle 233, qui coupe le précédent aux points 33, par lesquels cette hyperbole doit passer, aussi bien que par le point D, qui en est le sommet. Remettez par après tout de même l’une des pointes du compas au point H, et l’ouvrant en sorte que son autre pointe passe un peu au-delà du point 1, comme jusques à 4, du centre H décrivez le cercle 466 ; puis, ayant pris égale à , du centre I par 5, décrivez le cercle 566, qui coupe le précédent aux points 66 qui sont dans l’hyperbole ; et ainsi, continuant de mettre la pointe du compas au point H, et le reste comme devant, vous pouvez trouver tant de points qu’il vous plaira de cette hyperbole.

Ce qui ne sera peut-être pas mauvais pour faire grossièrement quelque modèle qui représente à peu près la figure des verres qu’on veut tailler. Mais, pour leur donner exactement cette figure, il est besoin d’avoir quelque autre invention par le moyen de laquelle on puisse décrire des hyperboles tout d’un trait, comme on décrit des cercles avec un compas ; et je n’en sache point de meilleure que la suivante : premièrement, du centre T[75], qui est le milieu de la ligne HI, il faut décrire le cercle HVI, puis du point D élever une perpendiculaire sur HI, qui coupe ce cercle au point V ; et de T, tirant une ligne droite par ce point V, on aura l’angle HTV, qui est tel que, si on l’imagine tourner en rond autour de l’essieu HT, la ligne TV décrira la superficie d’un cône dans lequel la section faite par le plan VX parallèle à cet essieu HT et sur lequel DV tombe à angles droits, sera une hyperbole toute semblable et égale à la précédente. Et tous les autres plans parallèles à celui-ci couperont aussi dans ce cône des hyperboles toutes semblables, mais inégales, et qui auront leurs points brûlants plus ou moins éloignés, selon que ces plans le seront de cet essieu.

Ensuite de quoi on peut faire une telle machine. AB[76] est un tour ou rouleau de bois ou de métal qui, tournant sur les poles 1, 2, représente l’essieu HI de l’autre figure. CG, EF sont deux lames ou planches toutes plates et unies principalement du côté qu’elles s’entre-touchent, en sorte que la superficie qu’on peut imaginer entre elles deux, étant parallèle au rouleau AB, et coupée à angles droits par le plan qu’on imagine passer par les points 1, 2 et C, O, G, représente le plan VX qui coupe le cône. Et NP, la largeur de la supérieure CG, est égale au diamètre du verre qu’on veut tailler, ou tant soit peu plus grande. Enfin KLM est une règle qui, tournant avec le rouleau AB sur les poles 1, 2, en sorte que l’angle ALM demeure toujours égal à HTV, représente la ligne TV qui décrit le cône. Et il faut penser que cette règle est tellement passée au travers de ce rouleau qu’elle peut se hausser et se baisser en coulant dans le trou L, qui est justement de sa grosseur ; et même qu’il y a quelque part, comme vers K, un poids ou ressort qui la presse toujours contre la lame CG, par qui elle est soutenue et empêchée de passer outre. Et de plus, que son extrémité M est une pointe d’acier bien trempée qui a la force de couper cette lame CG, mais non pas l’autre EF qui est dessous ; d’où il est manifeste que, si on fait mouvoir cette règle KLM sur les poles 1, 2, en sorte que la pointe d’acier M passe de N par O vers P, et réciproquement de P par O vers N, elle divisera cette lame CG en deux autres, CNOP et GNOP, dont le côté NOP sera terminé d’une ligne tranchante, convexe en CNOP et concave en GNOP, qui aura exactement la figure d’une hyperbole ; et ces deux lames CNOP, GNOP, étant d’acier ou autre matière fort dure, pourront servir non seulement de modèles, mais peut-être aussi d’outils ou instruments pour tailler certaines roues, dont je dirai tantôt que les verres doivent tirer leurs figures. Toutefois, il y a encore ici quelque défaut en ce que la pointe d’acier M étant un peu autrement tournée lorsqu’elle est vers N ou vers P que lorsqu’elle est vers O, le fil ou le tranchant qu’elle donne à ces outils ne peut être partout égal. Ce qui me fait croire qu’il vaudra mieux se servir de la machine suivante, nonobstant qu’elle soit un peu plus composée.

ABKLM[77] n’est qu’une seule pièce qui se meut tout entière sur les poles 1, 2, et dont la partie ABK peut avoir telle figure qu’on voudra ; mais KLM doit avoir celle d’une règle ou autre tel corps dont les lignes qui terminent ses superficies soient parallèles ; et elle doit être tellement inclinée, que la ligne droite 4 5, qu’on imagine passer par le centre de son épaisseur, étant prolongée jusques à celle qu’on imagine passer par les poles 1, 2, y fasse un angle 234 égal à celui qui a tantôt été marqué des lettres HTV. CG, EF sont deux planches parallèles à l’essieu 12, et dont les superficies qui se regardent sont fort plates et unies, et coupées à angles droits par le plan 12 GOC ; mais, au lieu de s’entre-toucher comme devant, elles sont ici justement autant éloignées l’une de l’autre qu’il est besoin pour donner passage entre elles deux à un cylindre ou rouleau QR, qui est exactement rond et partout d’égale grosseur ; et, de plus, elles ont chacune une fente NOP, qui est si longue et si large que la règle KLM, passant par dedans, peut se mouvoir ça et là sur les poles 1, 2 tout autant qu’il est besoin pour tracer entre ces deux planches une partie d’une hyperbole de la grandeur du diamètre des verres qu’on veut tailler.

Figure 67.


Et cette règle est aussi passée au travers du rouleau QR en telle façon que, le faisant mouvoir avec soi sur les poles 1, 2, il demeure néanmoins toujours enfermé entre les deux planches CG, EF, et parallèle à l’essieu 12. Enfin, et sont les outils qui doivent servir à tailler en hyperbole tel corps qu’on voudra, et leurs manches YZ sont de telle épaisseur que leurs superficies, qui sont toutes plates, touchent exactement de part et d’autre celles des deux planches CG, EF sans qu’ils laissent pour cela de glisser entre deux, à cause qu’elles sont fort polies ; et ils ont chacun un trou rond 5, 5 dans lequel l’un des bouts du rouleau QR est tellement enfermé, que ce rouleau peut bien se tourner autour de la ligne droite 55, qui est comme son essieu, sans les faire tourner avec soi, à cause que leurs superficies plates étant engagées entre les planches les en empêchent ; mais qu’en quelque autre façon qu’il se meuve il les contraint de se mouvoir aussi avec lui. Et de tout ceci il est manifeste que, pendant que la règle KLM est poussée de N vers O et de O vers P, ou de P vers O et de O vers N, faisant mouvoir avec soi le rouleau QR, elle fait mouvoir par même moyen ces outils et en telle façon que le mouvement particulier de chacune de leurs parties décrit exactement la même hyperbole que fait l’intersection des deux lignes 34 et 55, dont l’une, à savoir 34, par son mouvement décrit le cône, et l’autre, 55, décrit le plan qui le coupe. Pour les pointes ou tranchants de ces outils, on les peut faire de diverses façons, selon les divers usages auxquels on les veut employer.


Et pour donner la figure aux verres convexes il me semble qu’il sera bon de se servir premièrement de l’outil , et d’en tailler plusieurs lames d’acier presque semblables à CNOP[78], qui a tantôt été décrite ; puis, tant par le moyen de ces lames que de l’outil , de creuser une roue comme d tout autour selon son épaisseur abc, en sorte que toutes les sections qu’on peut imaginer y être faites par des plans dans lesquels se trouve ee, l’essieu de cette roue, aient la figure de l’hyperbole que trace cette machine ; et enfin d’attacher le verre qu’on veut tailler sur un tour, comme hik, et l’appliquer contre cette roue d en telle sorte que, faisant mouvoir ce tour sur son essieu hk en tirant la corde ll, et cette roue aussi sur le sien en la tournant, le verre mis entre deux, prenne exactement la figure qu’on lui doit donner.

Or, touchant la façon de se servir de l’outil , il est à remarquer qu’on ne doit tailler que la moitié des lames cnop à une fois, par exemple, que celle qui est entre les points n et o ; et à cet effet il faut mettre une barre en la machine vers P qui empêche que la règle KLM, étant mue de N vers O, ne se puisse avancer vers P qu’autant qu’il faut pour faire que la ligne 34, qui marque le milieu de son épaisseur, parvienne jusques au plan , qu’on imagine couper les planches à angles droits. Et le fer de cet outil doit être de telle figure que toutes les parties de son tranchant soient en ce même plan lorsque la ligne 34 s’y trouve ; et qu’il n’en ait point d’autres ailleurs qui s’avancent au-delà vers le côté marqué P, mais que tout le talus de son épais seur se jette vers N. Au reste, on le peut faire si mousse ou si aigu, et tant ou si peu incliné, et de telle longueur qu’on voudra, selon qu’on le jugera plus à propos. Puis, ayant forgé les lames cnop, et leur ayant donné avec la lime la figure la plus approchante qu’on aura pu de celle qu’elles doivent avoir, il les faut appliquer et presser contre cet outil , et faisant mouvoir la règle KLM de N vers O, et réciproquement de O vers N, on taillera l’une de leurs moitiés ; puis, afin de pouvoir rendre l’autre toute semblable, il doit y avoir une barre ou autre telle chose qui empêche qu’elles ne puissent être avancées vers cet outil au-delà du lieu où elles se trouvent lorsque leur moitié NO est achevée de tailler ; et lors, les en ayant un peu reculées, il faut changer le fer de cet outil , et en mettre un autre en sa place dont le tranchant soit exactement dans le même plan et de même forme, et autant avancé que le précédent, mais qui ait tout le talus de son épaisseur jeté vers P, en sorte que, si on appliquoit ces deux fers de plat l’un contre l’autre, leurs deux tranchants semblassent n’en faire qu’un. Puis, ayant transféré vers N la barre qu’on avait mise auparavant vers P pour empêcher le mouvement de la règle KLM, il faut faire mouvoir cette règle de O vers P et de P vers O jusques à ce que les lames cnop soient autant avancées vers l’outil qu’auparavant, et, cela étant, elles seront achevées de tailler.

Pour la roue d, qui doit être de quelque matière fort dure, après lui avoir donné avec la lime la figure la plus approchante de celle qu’elle doit avoir qu’on aura pu, il sera fort aisé de l’achever, premièrement avec les lames cnop, pourvu qu’elles aient été au commencement si bien forgées que la trempe ne leur ait rien ôté depuis de leur figure, et qu’on les applique sur cette roue en telle sorte que leur tranchant nop et son essieu ee soient en un même plan, et enfin qu’il y ait un ressort ou contrepoids qui les presse contre elle pendant qu’on la fait tourner sur son essieu. Puis aussi avec l’outil , dont le fer doit être également taillé des deux côtés ; et avec cela il peut avoir telle figure quasi qu’on voudra, pourvu que toutes les parties de son tranchant 89 soient dans un plan qui coupe les superficies des planches CGEF à angles droits. Et pour s’en servir on doit faire mouvoir la règle KLM sur les poles 1, 2, en sorte qu’elle passe tout de suite de P jusques à N, puis réciproquement de N jusques à P, pendant qu’on fait tourner la roue sur son essieu. Au moyen de quoi le tranchant de cet outil ôtera toutes les inégalités qui se trouveront d’un côté à l’autre en l’épaisseur de cette roue, et sa pointe toutes celles qui se trouveront de haut en bas : car il doit avoir un tranchant et une pointe.

Après que cette roue aura ainsi acquis toute la perfection qu’elle peut avoir, le verre pourra facilement être taillé par les deux divers mouvements d’elle et du tour sur lequel il doit être attaché, pourvu seulement qu’il y ait quelque ressort ou autre invention qui, sans empêcher le mouvement que le tour lui donne, le presse toujours contre la roue, et que le bas de cette roue soit toujours plongé dans un vase qui contienne le grès, ou l’émeri, ou le tripoli, ou la potée, ou autre telle matière dont il est besoin de se servir pour tailler et polir le verre.

Et à l’exemple de ceci vous pouvez assez entendre en quelle sorte on doit donner la figure aux verres concaves, à savoir en faisant premièrement des lames comme cnop avec l’outil , puis taillant une roue tant avec ces lames qu’avec l’outil , et tout le reste en la façon qui vient d’être expliquée. Seulement faut-il observer que la roue dont on se sert pour les convexes peut être aussi grande qu’on la voudra faire, mais que celle dont on se sert pour les concaves doit être si petite, que, lorsque son centre est vis-à-vis de la ligne 55 de la machine qu’on emploie à la tailler, sa circonférence ne passe point au-dessus de la ligne 12 de la même machine. Et on doit faire mouvoir cette roue beaucoup plus vite que le tour pour polir ces verres concaves, au lieu qu’il est mieux pour les convexes de faire mouvoir le tour plus promptement ; dont la raison est que le mouvement du tour use beaucoup plus les extrémités du verre que le milieu, et qu’au contraire celui de la roue les use moins. Pour l’utilité de ces divers mouvements, elle est fort manifeste ; car, polissant les verres avec la main dans une forme en la façon qui seule a été en usage jusques à présent, il seroit impossible de rien faire de bien que par hasard, encore que les formes fussent toutes parfaites ; et les polissant avec le seul mouvement du tour sur un modèle, tous les petits défauts de ce modèle marqueroient des cercles entiers sur le verre.

Je n’ajoute pas ici les démonstrations de plusieurs choses qui appartiennent à la géométrie, car ceux qui sont un peu versés en cette science les pourront assez entendre d’eux-mêmes, et je me persuade que les autres seront plus aises de m’en croire que d’avoir la peine de les lire. Au reste, afin que tout se fasse par ordre, je voudrois premièrement qu’on s’exerçât à polir des verres, plats d’un côté et convexes de l’autre, qui eussent la figure d’une hyperbole dont les points brûlants fussent à deux ou trois pieds l’un de l’autre : car cette longueur est suffisante pour une lunette qui serve à voir assez parfaitement les objets inaccessibles. Puis je voudrois qu’on fît des verres concaves de diverses figures en les creusant toujours de plus en plus jusques à ce qu’on eût trouvé par expérience la juste figure de celui qui rendroit cette lunette la plus parfaite qu’il soit possible et la mieux proportionnée à l’œil qui aurait à s’en servir. Car vous savez que ces verres doivent être un peu plus concaves pour ceux qui ont la vue courte que pour les autres. Or, ayant ainsi trouvé ce verre concave, d’autant que le même peut servir au même œil pour toute autre sorte de lunettes, il n’est plus besoin pour les lunettes qui servent à voir les objets inaccessibles, que de s’exercer à faire d’autres verres convexes qui doivent être posés plus loin du concave que le premier, et à en faire aussi par degrés qui doivent être posés de plus en plus loin jusques à la plus grande distance qu’il se pourra, et qui soient aussi plus grands à proportion. Mais notez que, d’autant que ces verres convexes doivent être posés plus loin des concaves et par conséquent aussi de l’œil, d’autant doivent-ils être taillés plus exactement, à cause que les mêmes défauts y détournent les rayons d’autant plus loin de l’endroit où ils doivent aller.


Comme si le verre F[79] détourne le rayon CF autant que le verre E détourne AE, en sorte que les angles AEG et CFH soient égaux, il est manifeste que CF, allant vers H, s’éloigne bien plus du point D où il irait sans cela, que AE ne fait du point B allant vers G. Enfin, la dernière et principale chose à quoi je voudrois qu’on s’exerçât, c’est à polir les verres convexes des deux côtés pour les lunettes qui servent à voir les objets accessibles, et que, s’étant premièrement exercé à en faire de ceux qui rendent ces lunettes fort courtes, à cause que ce seront les plus aisés, on tâchât après, par degrés, à en faire de ceux qui les rendent plus longues, jusques à ce qu’on soit parvenu aux plus longues dont on se puisse servir. Et, afin que la difficulté que vous pourrez trouver en la construction de ces dernières lunettes ne vous dégoûte, je vous veux avertir qu’encore que d’abord leur usage n’attire pas tant que celui de ces autres qui semblent promettre de nous élever dans les cieux, et de nous y montrer sur les astres des corps aussi particuliers et peut-être aussi divers que ceux qu’on voit sur la terre, je les juge toutefois beaucoup plus utiles, à cause qu’on pourra voir par leur moyen les divers mélanges et arrangements des petites parties dont les animaux et les plantes, et peut-être aussi les autres corps qui nous environnent, sont composés, et de là tirer beaucoup d’avantage pour venir à la connaissance de leur nature : car déjà, selon l’opinion de plusieurs philosophes, tous ces corps ne sont faits que des parties des éléments diversement mêlées ensemble ; et, selon la mienne, toute leur nature et leur essence, au moins de ceux qui sont inanimés, ne consiste qu’en la grosseur, la figure, l’arrangement et les mouvements de leurs parties.

Pour la difficulté qui se rencontre, lorsqu’on voûte ou creuse ces verres des deux côtés, à faire que les sommets des deux hyperboles soient directement opposés l’un à l’autre, on y pourra remédier en arrondissant sur le tour leur circonférence, et la rendant exactement égale à celle des manches auxquels on les doit attacher pour les polir ; puis, lorsqu’on les y attache, et que le plâtre ou la poix et le ciment dont on les y joint est encore frais et flexible, en les faisant passer avec ces manches par un anneau dans lequel ils n’entrent qu’à peine. Je ne vous parle point de plusieurs autres particularités qu’on doit observer en les taillant, ni aussi de plusieurs autres choses que j’ai tantôt dit être requises en la construction des lunettes, car il n’y en a aucune que je juge si difficile qu’elle puisse arrêter les bons esprits. Et je ne me règle pas sur la portée ordinaire des artisans ; mais je veux espérer que les inventions que j’ai mises en ce traité seront estimées assez belles et assez importantes pour obliger quelques-uns des plus curieux et des plus industrieux de notre siècle à en entreprendre l’exécution.

TABLE
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TABLE


DES PRINCIPALES DIFFICULTÉS QUI SONT EXPLIQUÉES
DANS LA DIOPTRIQUE.


Séparateur


DISCOURS PREMIER.
DE LA LUMIÈRE.


Comment il suffit de concevoir la nature de la lumière pour entendre toutes ses propriétés. PAGE
5
Comment ses rayons passent en un instant du soleil jusques à nous. 6
Comment on voit les couleurs par son moyen. 7
Quelle est la nature des couleurs en général. ibid.
Qu’on n’a point besoin d’espèces intentionnelles pour les voir. 8
Ni même qu’il y ait rien dans les objets qui soit semblable aux sentiments que nous en avons. ibid.
Que nous voyons de jour par le moyen des rayons qui viennent des objets vers nos yeux. ibid.
Et qu’au contraire les chats voient de nuit par le moyen des rayons qui tendent de leurs yeux vers les objets. 9
Quelle est la matière qui transmet les rayons. 10
Comment les rayons de plusieurs divers objets peuvent entrer ensemble dans l’œil. ibid.
Ou allant vers divers yeux passer par un même endroit de l’air sans se mêler ni s’entr’empêcher. ibid.
Ni être empêchés par la fluidité de l’air. ibid.
Ni par l’agitation des vents. 10
Ni par la dureté du verre ou autres tels corps transparents. ibid.
Comment cela n’empêche pas même qu’ils ne soient exactement droits. 11
Et ce que c’est proprement que ces rayons. ibid.
Et comment il en vient une infinité de chacun des points des corps lumineux. 13
Ce que c’est qu’un corps noir. 14
Ce que c’est qu’un miroir. ibid.
Comment les miroirs, tant plats que convexes et concaves, font réfléchir les rayons. 15
Ce que c`est qu’un corps blanc. ibid.
En quoi consiste la nature des couleurs moyennes. ibid.
Comment les corps colorés font réfléchir les rayons. ibid.
Ce que c’est que la réfraction. 16


DISCOURS SECOND.
DE LA RÉFRACTION.


Que les corps qui se muvent ne doivent point s’arrêter aucun moment contre ceux qui les font réfléchir. 17
Pourquoi l’angle de la réüexion est égal à celui de l’incidence. 20
De combien le mouvement d’une balle est détourné lorsqu’elle passe au travers d’une toile. 21
Et de combien lorsqu’elle entre dans l’eau. 22
Pourquoi la réfraction est autunt plus grande que l’incidence est plus oblique. 23
Et nulle quand l’incidence est perpendiculaire. ibid.
Pourquoi quelquefois les balles des canons tirés vers l’eau n’y peuvent entrer et se réfléchissent vers l’air. 24
De combien les rayons sont détournés par les corps transparents qu’ils pénètrent. 24
Comment il faut mesurer la grandeur des réfractions. 25
Que les rayons passent plus aisément au travers du verre que de l’eau, et de l’eau que de l’air, et pourquoi. 27
Pourquoi la réfraction des rayons qui entrent dans l’eau est égale à celle des rayons en sortent. 28
Et pourquoi cela n’est pas général en tous corps transparents. ibid.
Que les rayons peuvent quelquefois être courbes sans sortir d’un même corps transparent. 24
Comment se fait la réfraction ni chaque point des superficies oourbées. 29


DISCOURS TROISIÈME.
DE L’ŒIL.


Que la peau nommée vulgairement retina n’est autre chose que le nerf optique. 30
Quelles sont les réfractions que causent les humeurs de l’œil. 31
Pour quel usage la prunelle s’étrécit et s’élargit. ibid.
Que ce mouvement de la prunelle est volontaire. 32
Que l’humeur cristalline est comme un muscle qui peut changer la figure de tout l’œil. ibid.
Et que les petits filets nommés processus ciliaires en sont les tendons. ibid.


DISCOURS QUATRIÈME.
DES SENS EN GÉNÉRAL.


Que c’est l’âme qui sent et non le corps. 34
Qu’elle sent en tant qu’elle est dans le cerveau, et non en tant qu’elle anime les autres membres. 34
Que c’est par l’entremise des nerfs qu’elle sent. ibid.
Que la substance intérieure de ces nerfs est composée de plusieurs petits filets fort déliés. 35
Que ce sont les mêmes nerfs qui servent aux sens et aux mouvements 36
Que ce sont les esprits animaux contenus dans les peaux de ces nerfs qui meuvent les membres. ibid.
Que c’est leur substance intérieure qui sert aux sens. 37
Comment se fait le sentiment par l’aide des nerfs. ibid.
Que les idées que les sens extérieurs envoient en la fantaisie ne sont point des images des objets, ou du moins qu’elles n’ont point besoin de leur ressembler. ibid.
Que les divers mouvements des petits filets de chaque nerf suffisent pour causer divers sentiments. 39


DISCOURS CINQUIÈME.
DES IMAGES QUI SE FORMENT SUR LE FOND DE L’ŒIL.


Comparaison de ces images avec celles qu’on voit en une chambre obscure 41
Explication de ces images en l’œil d’un animal mort. 42
Qu’on doit rendre la figure de cet œil un peu plus longue lorsque les objets sont fort proches que lorsqu’ils sont plus éloignés. 43
Qu’il entre en cet œil plusieurs rayons de chaque point de l’objet. ibid.
Que tous ceux qui viennent d’un même point se doivent assembler au fond de cet œil environ le même point, et qu’il faut disposer sa figure à cet effet. ibid.
Que ceux de divers points s’y doivent assembler en divers points. 44
Comment les couleurs se voient au travers d’un papier blanc qui est sur le fond de cet œil. ibid.
Que les images qui s’y forment ont la ressemblance des objets. ibid.
Comment la grandeur de la prunelle sert à la perfection de ces images. 45
Comment y sert la réfraction qui se fait dans l’œil, et comment elle y nuirait étant plus grande ou plus petite qu’elle n’est. 46
Comment la noirceur des parties intérieures de cet œil et l’obscurité de la chambre où se voient ces images y sert aussi. ibid.
Pourquoi elles ne sont jamais si parfaites en leurs extrémités qu’au milieu. 47
Comment on doit entendre ce qui se dit que visio fit per axem. ibid.
Que la grandeur de la prunelle rendant les couleurs plus vives rend les figures moins distinctes, et ainsi ne doit être que médiocre. 48
Que les objets qui sont à côté de celui à la distance duquel l’œil est disposé, en étant beaucoup plus éloignés ou plus proches, s’y représentent beaucoup moins distinctement que s’ils en étaient presque à pareille distance, ibid.
Que ces images sont renversées. ibid.
Que leurs figures sont changées et raccourcies à raison de la distance ou situation des objets. ibid.
Que ces images sont plus parfaites en l’œil d’un animal vivant qu’en celui d’un mort, et en celui d’un homme qu’en celui d’un bœuf. 49
Que celles qui paraissent par le moyen d’une lentille de verre dans une chambre obscure s’y forment tout de même que dans l’œil, et qu’on y peut faire l’expérience de plusieurs choses qui confirment ce qui est ici expliqué. 49
Comment ces images passent de l’œil dans le cerveau. 52


DISCOURS SIXIÈME.
DE LA VISION.


Que la vision ne se fait point par le moyen des images qui passent des yeux dans le cerveau, mais par le moyen des mouvements qui les composent. 54
Que c’est par la force de ces mouvements qu’on sent la lumière. 55
Et par leurs autres variétés qu’on sent les couleurs. ibid.
Comment se sentent les sons, les goûts, et le chatouillement et la douleur. ibid.
Pourquoi les coups qu’on reçoit dans l’œil font voir diverses lumières, et ceux qu’on reçoit contre les oreilles font ouïr des sons, et ainsi une même force cause divers sentiments en divers organes. ibid.
Pourquoi, tenant les yeux fermés un peu après avoir regardé le soleil, il semble qu’on voie diverses couleurs. 56
Pourquoi il paraît quelquefois des couleurs dans les corps qui ne sont que transparents, comme l’arc-en-ciel paroi dans la pluie. ibid.
Que le sentiment qu’on a de la lumière est plus ou moins fort selon que l’objet est plus ou moins proche. ibid.
Et selon que la prunelle est plus ou moins grande. 57
Et selon que l’image qui se peint dans le fond de l’œil est plus ou moins petite. ibid.
Comment la multitude des petits filets du nerf optique sert à rendre la vision distincte. ibid.
Pourquoi les prairies étant peintes de diverses couleurs ne paraissent de loin que d’une seule. 58
Pourquoi tous les corps se voient moins distinctement de loin que près 59
Comment la grandeur de, l’image sert à rendre la vision plus distincte. ibid.
Comment on connait vers quel côté est l’objet qu’on regarde, ou celui qu’on montre du doigt sans le toucher, ibid.
Pourquoi le renversement de l’image qui se fait dans l’œil n’empêche pas que les objets ne paraissent droits. 60
Pourquoi ce qu’on voit des deux yeux ou qu’on touche des deux mains ne parait pas double pour cela. ibid.
Comment les mouvements qui changent la figure de l’œil servent à faire voir la distance des objets. 61
Qu’encore que nous ignorions ces mouvements, nous ne laissons pas de connaitre ce qu’ils désignent. ibid.
Comment le rapport des deux yeux sert aussi à faire voir la distance. ibid.
Comment on peut voir la distance avec un œil seul en lui faisant changer de place. 62
Comment la distinction ou confusion de la figure et la débilité ou la force de la lumière sert aussi à voir la distance, ibid.
Que la connaissance qu’on a eue auparavant des objets qu’on regarde sert à mieux connaitre leur distance. 63
Comment la situation de ces objets y sert aussi ibid.
Comment on voit la grandeur de chaque objet. ibid.
Comment on voit sa figure. 64
Pourquoi souvent les frénétiques ou ceux qui dorment pensent voir ce qu’ils ne voient point. ibid.
Pourquoi on voit quelquefois les objets doubles. 65
Comment l’attouchement fait aussi quelquefois juger qu’un objet soit double. ibid.
Pourquoi ceux qui ont la jaunisse ou bien qui regardent au travers d’un verre jaune jugent que tout ce qu’ils voient en a la couleur. 66
Quel est le lieu où l’on voit l’objet au travers d’un verre plat dont les superficies ne sont pas parallèles. ibid.
Et celui où on le voit au travers d’un verre concave. ibid.
Et pourquoi l’objet parait alors plus petit qu’il n’est. ibid.
Quel est le lieu où il parait au travers d’un verre convexe, et pourquoi il y parait quelquefois plus grand et plus éloigné qu’il n’est, et quelquefois plus petit et plus proche, et avec cela renversé. 67
Quel est le lieu des images qu’on voit dans les miroirs tant plats que convexes ou concaves, et pourquoi elles y paraissent droites ou renversées, et plus grandes ou plus petites, et plus proches ou plus éloignées que ne sont les objets. ibid.
Pourquoi nous nous trompons aisément en jugeant de la distance. ibid.
Comment on peut prouver que nous n’avons point coutume d’imaginer de distance plus grande que de cent ou deux cents pieds. ibid.
Pourquoi le soleil et la lune semblent plus grands étant proches de l’horizon qu’en étant éloignés. 68
Que la grandeur apparente des objets ne doit point se mesurer par celle de l’angle de la vision. ibid.
Pourquoi les objets blancs et lumineux paraissent plus proches et plus grands qu’ils ne sont. ibid.
Pourquoi tous les corps fort petits ou fort éloignés paraissent ronds. 70
Comment se font les éloignements dans les tableaux de perspective. ibid.

DISCOURS SEPTIÈME.
DES MOYENS DE PERFECTIONNER LA VISION.


Qu’il n’y a que quatre choses qui sont requises pour rendre la vision toute parfaite. 72
Comment la nature a pourvu à la première de ces choses, et ce qui reste à l’art à y ajouter. 74
Quelle différence il y a entre les yeux des jeunes gens et ceux des vieillards. 75
Comment il faut pourvoir à ce que la nature a omis aux yeux de ceux qui ont la vue courte, et comment à ce qu’elle a omis aux yeux des vieillards. 76
Qu’entre plusieurs verres qui peuvent servir à cet effet il faut choisir les plus aisés à tailler, et avec cela ceux qui font le mieux que les rayons qui viennent de divers points semblent venir d’autant d’autres divers points. ibid.
Qu’il n’est pas besoin de choisir en ceci autrement qu’à peu près, et pourquoi. 77
Que la grandeur des images ne dépend que de la distance des objets, du lieu où se croisent les rayons qui entrent dans l’œil, et de leur réfraction. 78
Que la réfraction n’est pas ici fort considérable, ni la distance des objets accessibles, et comment on doit faire lorsqu’ils sont inaccessibles. 80
En quoi consiste l’invention des lunettes à puce composées d’un seul verre, et quel est leur effet. ibid.
Comment on peut augmenter les images en faisant que les rayons se croisent fort loin de l’œil par le moyen d’un tuyau plein d’eau. 85
Que plus ce tuyau est long, plus il augmente l’image, et qu’il fait le même que si la nature avait fait l’œil d’autant plus long 82
Que la prunelle de l’œil nuit au lieu de servir lorsqu’on se sert d’un tel tuyau. ibid.
Que ni les réfractions du verre qui contient l’eau dans ce tuyau, ni celles des peaux qui enveloppent les humeurs de l’œil ne sont considérables. ibid.
Comment on peut faire le même par le moyen d’un tuyau séparé de l’œil que par un qui lui est joint. 83
En quoi consiste l’invention des lunettes d’approche. 85
Comment on peut empêcher que la force des rayons qui entrent dans l’œil ne soit trop grande. ibid.
Comment on la peut augmenter lorsqu’elle est trop faible et que les objets sont accessibles. 86
Et comment, lorsqu’ils sont inaccessibles et qu’on se sert de lunettes d’approche. 87
De combien on peut faire l’ouverture de ces lunettes plus grande que n’est la prunelle, et pourquoi on la doit faire plus grande. 88
Que pour les objets accessibles on n’a point besoin d’augmenter ainsi l’ouverture du tuyau. ibid.
Que pour diminuer la force des rayons, lorsqu’on se sert de lunettes, il vaut mieux étrécir leur ouverture que la couvrir d’un verre coloré. ibid.
Que pour l’étrécir il vaut mieux couvrir les extrémités du verre par dehors que par dedans. 89
A quoi il est utile de voir plusieurs objets en même temps-, et ce qu’on doit faire pour n’en avoir pas besoin. ibid.
Qu’on peut acquérir par exercice la facilité de voir les objets proches ou éloignés. 90
D’où vient que les gymnosophistes ont pu regarder le soleil sans gâter leur vue. 91

DISCOURS HUITIÈME.
DES FIGURES QUE DOIVENT AVOIR LES CORPS TRANSPARENTS POUR DÉTOURNER LES RAYONS PAR RÉFRACTION EN TOUTES LES FAÇONS QUI SERVENT À LA VUE.


Quelle est la nature de l’ellipse et comment on la doit décrire. 92
Démonstration de la propriété de l’ellipse touchant les réfractions. 93
Comment, sans employer d’autres lignes que des cercles ou des ellipses, on peut faire que les rayons parallèles s’assemblent en un point, ou que ceux qui viennent d’un point se rendent parallèles.
98
Comment ou peut faire que les rayons parallèles d’un côté du verre soient écartés de l’autre comme s‘ils venaient tous d’un même point. 99
Comment on peut faire qu’étant parallèles des deux côtés ils soient resserrés en un moindre espace de l’un que de l’autre. ibid.
Comment on peut faire le même en faisant outre cela que les rayons soient renversés. 100
Comment on peut faire que nous les rayons qui viennent d’un point s’assemblent en un autre point. ibid.
Et que tous ceux qui viennent d’ un point s’écartent comme s’ils venaient d’un autre point. 101
Et que tous ceux qui sont écartés comme s’ils tendaient vers un même point s’écartent derechef comme s’ils venaint d’un même point. ibid.
La nature de l’hyperbole et la façon de la décrire. ibid.
Démonstration de la propriété de l’hyperbole touchant les réfractions. 104
Comment, sans employer que des hyperboles et des lignes droites, on peut faire des verres qui changent les rayons en toutes les mêmes façons que ceux qui sont composés d’ellipses et de cercles. 107
Que bien qu’il y ait plusieurs autres figures qui puissent causer les mêmes effets, il n’y en a point de plus propres pour les lunettes que les précédentes. 109
Que celles qui ne sont composées que d’hyperboles et de lignes droites sont les plus aisées à tracer. ibid.
Que quelque figure qu’ait le verre il ne peut faire exactement que les rayons venant de divers points s’assemblent en autant d’autres divers points. 112
Que ceux qui sont composés d’hyperboles sont les meilleurs de tous à cet effet. 113
Que les rayons qui viennent de divers points s’écartent plus après avoir traversé un verre hyperbolique qu’après en avoir traversé un elliptique. ibid.
Que d’autant que l’elliptique est plus épais, d’autant ils s’écartent moins en le traversant. 114
Que tant épais qu’il puisse être il ne peut rendre l’image que peignent ces rayons que d’un quart ou d’un tiers plus petite que ne fait l’hyperbolique. ibid.
Que cette inégalité est d’autant plus grande que la réfraction du verre est plus grande. ibid.
Qu’on ne peut donner au verre aucune figure qui rende cette image plus grande que celle de l’hyperbole, ni qui la rende plus petite que celle de l’ellipse. ibid.
Comment il faut entendre que les rayons venant de divers points se croisent sur la première superficie, qui a la force de faire qu’ils se rassemblent en autant d’autres divers points. ibid.
Que les verres elliptiques ont plus de force pour brûler que les hyperboliques. 116
Comment il faut mesurer la force des miroirs ou verres brûlants. 116
Qu’on n’en peut faire aucun qui brûle en ligne droite à l’infini. 117
Que les plus petits verres ou miroirs assemblent autant de rayons pour brûler en l’espace où ils les assemblent que font les plus grands qui ont des figures semblables à ces plus petits en un espace pareil. ibid.
Que ces plus grands n’ont autre avantage que de les assembler en un espace plus grand et plus éloigné. Et ainsi qu’on peut faire des miroirs ou verres très petits qui ne laissent pas de brûler avec beaucoup de force, ibid.
Qu’un miroir ardent dont le diamètre n’excède point la centième partie de la distance à laquelle il assemble les rayons ne peut faire qu’ils brûlent ou échauffent davantage que ceux qui viennent directement du soleil, ibid.
Que les verres elliptiques peuvent recevoir plus de rayons d’un même point pour les rendre après parallèles, que ceux d’aucune autre figure. 118
Que souvent les verres hyperboliques sont préférables aux elliptiques, à cause qu’on peut faire avec un seul ce à quoi il en faudrait employer deux. 119


DISCOURS NEUVIÈME.
DE LA DESCRIPTION DES LUNETTES.


Quelles qualités sont considérables pour choisir la matière des lunettes. 120
Pourquoi il se fait quasi toujours quelque réflexion en la superficie des corps transparents ibid.
Pourquoi cette réflexion est plus forte sur le cristal que sur le verre. ibid.
Explication des lunettes qui servent à ceux qui ont la vue courte. 122
Explication de celles qui servent à ceux qui ne peuvent voir que de loin. ibid.
Pourquoi on peut supposer les rayons qui viennent d’un point assez éloigné comme parallèles. ibid.
Pourquoi la figure des lunettes des vieillards n’a pas besoin d’être fort exacte. 123
Comment il faut faire les lunettes à puce avec un seul verre, ibid.
Quelles doivent être les lunettes d’approche pour être parfaites. 125
Et quelles aussi les lunettes à puce pour être parfaites. 130
Que pour se servir de ces lunettes il est mieux de se bander un œil que de le fermer par l’aide des muscles. 134
Qu’il serait bon aussi d’avoir auparavant attendri sa vue en se tenant en lieu fort obscur. ibid.
Et aussi d’avoir l’imagination disposée comme pour regarder des choses fort éloignées et obscures. ibid.
D’où vient qu’on a moins rencontré ci-devant à bien faire les lunettes d’approche que les autres. 135


DISCOURS DIXIÈME.
DE LA FAÇON DE TAILLER LES VERRES.


Comment il faut trouver la grandeur des réfractions du verre dont on veut se servir. 137
Comment on trouve les points brûlants et le sommet de l’hyperbole dont le verre duquel on connait les réfractions doit avoir la figure. 139
Comment on peut augmenter ou diminuer la distance de ces points. ibid.
Comment on peut décrire cette hyperbole avec une corde, 140
Comment on la peut décrire par l’invention de plusieurs points. ibid.
Comment on trouve le cône dans lequel la même hyperbole peut être coupée par un plan parallèle à l’essieu. 141
Comment on la peut décrire d’un seul trait par le moyen d’une machine. 142
Comment on peut faire une autre machine qui donne la figure de cette hyperbole à tout ce qui en peut avoir besoin pour tailler les verres, et comment on s’en doit servir. 143
Ce qu’il faut observer en particulier pour les verres concaves, et en particulier pour les convexes. 149
L’ordre qu’on doit tenir pour s’exercer à tailler ces verres. 150
Que les verres convexes qui servent aux plus longues lunettes ont besoin d’être taillés plus exactement que les autres. 151
Quelle est la principale utilité des lunettes à puce. 152
Comment on peut faire que les centres des deux superficies d’un même verre se rapportent. 153

FIGURES
  1. Figure 1
  2. Figures 2, 3, 4.
  3. Figure 5.
  4. Figure 6.
  5. Figure 7.
  6. Figure 8
  7. Figure 6.
  8. figure 9
  9. Figure 10.
  10. Figure 11.
  11. Figure 10.
  12. Figure 12.
  13. Figure 13.
  14. Figure 14.
  15. Figure 15.
  16. Figure 16.
  17. Figure 17.
  18. Figure 18.
  19. Figure 16.
  20. Figure 18.
  21. Figure 16.
  22. Figure 14.
  23. Figure 16.
  24. Figure 19.
  25. Figure 14, page 62.
  26. Figures 20, 21, 22, 23, 24, 25.
  27. Figure 26
  28. Figures 27 et 28.
  29. Figure 14.
  30. Figure 28.
  31. Figure 29.
  32. Figure 30.
  33. Figure 31.
  34. Figure 32.
  35. Figure 33.
  36. Figure 34.
  37. Figure 35.
  38. Figure 36
  39. Figure 34
  40. Figure 37
  41. Figure 38
  42. Figure 39
  43. Figure 40
  44. Figure 41
  45. figure 42
  46. figure 43
  47. Figure 44.
  48. Figure 45.
  49. Figure 46.
  50. Figure 47.
  51. figure 48
  52. figure 49
  53. figure 50
  54. Figure 51.
  55. Figure 52.
  56. Figure 53
  57. Figure 54
  58. Figure 14
  59. Figure 55
  60. Figure 47
  61. Figure 54
  62. Figure 53
  63. Figure 54
  64. Figure 56
  65. Figure 57
  66. Figures 27 et 28.
  67. Figure 58.
  68. Figure 59.
  69. Figures 60.
  70. Figures 58.
  71. Figure 61.
  72. Figure 62.
  73. Figure 42.
  74. Figure 63.
  75. Figure 64.
  76. Figure 65.
  77. Figure 66.
  78. Figure 65.
  79. Figure 67.