La Découverte de l’anneau de Saturne par Huygens (fin)

LA DÉCOUVERTE

DE L’ANNEAU DE SATURNE

PAR HUYGENS

III

A présent il nous paraît fort aisé d’interpréter les phénomènes que présente Saturne, et nous savons pourquoi l’anneau peut s’éclipser lorsque son plan passe par le soleil, comme cela eut lieu en 1612 pour le plus grand découragement de Galilée, nos puissants instruments mettent alors en évidence, tous les quinze ans, une légère bande obscure en travers du disque de la planète. Ou bien encore le plan de l’anneau peut passer par la Terre, ce qui se présente aussi assez souvent, avec les mêmes apparences ; et, de la sorte, nous apercevons tantôt l’une, tantôt l’autre face de cet anneau, qui peut arriver à déborder sur le disque et cacher les pôles de la planète. Nos prédécesseurs ont longuement discuté pour savoir si, oui ou non, l’anneau était capable de déborder le disque, et ce fait qu’il semble assez simple a priori de déterminer par l’observation, est en réalité fort délicat au point que nous avons, à cet égard, une série ininterrompue d’observations singulières par Picard en 1667, par Gallet, d’Avignon, en 1684, par Arago en 1824, par Schwabe en 1826, par W. Struve en 1828, etc. G. P. Bond lui-même, dont les travaux font autorité en ce qui concerne les aspects du système saturnien, trouve aux pôles de la planète une forme polygonale qui n’a pas été confirmée ; les mesures sont difficiles, il y a des ombres dues à l’éclairage de la face que nous ne voyons pas, l’anneau est peut-être ondulant, ou composé de plans différents. En fait, après Huygens, les phénomènes périodiques d’apparition et de disparition sont encore l’objet d’importantes recherches pour Lalande, Bessel. Dionis Duséjour en conclut, notamment, que les deux faces de l’anneau ne réfléchissent pas également la lumière solaire.

Cependant, dès 1684, Gallet signalait une nouvelle singularité, à savoir que, dans la quadrature orientale, le centre de la planète paraît plus près du bord oriental de l’anneau il attribue ce fait, bien à tort, à un effet de la parallaxe annuelle au lieu de croire, simplement, à l’excentricité du globe de Saturne par rapport à l’anneau. Schwabe, indépendamment, reconnaît le même fait, le 21 décembre 1827, et le signale à Harding qui le confirme ; Struve, South et J. Herschel mesurent la différence des deux espaces obscurs et l’évaluent, en faveur du bord oriental, à 0",2 environ. Il y aurait eu là de quoi décourager Huygens!

En 1683, Cassini avait pressenti la rotation de Saturne sur lui-même ; en 1794, W. Herschel détermine, et cette rotation, et l’aplatissement de la planète. Puis les procédés d’observation ont été bien perfectionnés, et le même astronome peut écrire : « II y a de temps en temps sur la surface de l’anneau, lorsqu’il va disparaître, ou peu après sa réapparition, des inégalités qui, d’un certain point de vue, peuvent être appelées réelles, car elles proviennent, selon toute apparence, de taches lumineuses débordant par irradiation.» Lorsque l’anneau est vu par la tranche, ces régions constituent de véritables protubérances, et l’on peut en concilier les apparitions en leur attribuant une période de 10h 32m. Devons-nous rapprocher ce fait des bouillonnements étranges observés par Trouvelot sur le bord interne?

Mais un tel satellite, suivant la loi de Kepler, circulerait dans l’intérieur de l’anneau lui-même, et ne vaut-il pas mieux alors considérer ces apparences comme faisant partie intégrante de l’anneau, et leur période comme celle de la rotation propre de l’anneau autour de la planète ? C’est bien à une pareille conclusion qu’aboutit Herschel ; Bond pense de même, après avoir largement contribué à la connaissance de ces points brillants étranges et proposé une ingénieuse explication de quelques singularités lumineuses dans l’anneau, près d’une de ses disparitions la figure ci-après explique assez son hypothèse avec un anneau multiple.

Cette rotation de l’anneau nous paraît aujourd’hui de compré hension immédiate et, cependant, bien des doutes pouvaient être élevés, car elle n’était nullement d’accord avec de vieilles observations classiques. Le 8 décembre 1671, Cassini avait observé qu’une des anses était encore visible, ce qui persista pendant assez longtemps l’anneau, au lieu d’être parfaitement plat, présentait-il donc des ondulations ? Le 12 octobre 1714 et le 22 mars 1715, apparences analogues pour Maraldi ; une seule anse aussi pour Varela le 6 octobre 1773, pour W. Herschel lui-même en 1774. Le 4 janvier 1803, Harding observe une ligne très fine, à l’ouest seulement de la planète, avec une proéminence sensible, immobile, et ne pouvant en conséquence être assimilée à un groupement satellite. Schrœter aperçoit deux proéminences tout aussi singulières, toujours immobiles durant huit heures d’observation.

Voilà, certes, de troublantes critiques à la rotation de l’anneau et, néanmoins, avec les principes familiers de mécanique, il nous est bien difficile de concevoir l’immobilité de ce système. S’il s’agissait d’une voûte homogène, en couronne équatoriale, elle pourrait bien subsister, en équilibre instable il est vrai ; mais que penser d’une telle hypothèse ? alors que la théorie est plus affirmative que l’observation en ce qui concerne la rotation. Et si l’anneau est excentrique, comment ne s’est-il pas précipité sur la planète ? Une aussi singulière construction ne pouvait manquer d’exercer l’imagination et les recherches de tous ceux qui s’intéressent au système du monde et à la cosmogonie, mais leurs efforts, il faut l’avouer, sont restés fort au-dessous des phénomènes qu’il s’agissait d’expliquer. Nous allons voir rapidement ce qui fut tenté dans cette direction.

Et, maintenant, qu’est l’anneau, en réalité ? les divisions sont-elles réelles ; s’agit-il d’un corps solide ; est-on en présence d’une masse à l’état liquide, gaz ou vapeur ?

Pour Huygens, l’anneau était solide et permanent, partout à égale distance de Saturne et entraîné avec celui-ci autour du Soleil ; avec Riccioli, la planète est entourée d’une armille plate, adhérente en deux points au corps central ; nous avons vu la théorie nuageuse de de Roberval. Et l’on peut même s’étonner de voir encore Gallet, pourvu d’une certaine notoriété scientifique, connu par ailleurs pour quelques remarques assez fines, soutenir que les phénomènes présentés par Saturne n’ont rien de réel, et qu’il s’agit d’illusions provenant des réflexions de la lumière sur des surfaces convexes.

L’hypothèse d’Huygens, dit J. D. Cassini en 1705, fut trouvé admirable et très propre pour expliquer les différentes phases de Saturne, quoiqu’elle ne fut pas reçue de tous ceux qui étaient prévenus par d’autres hypothèses. Nous n’osâmes pas y comparer une pensée qui nous était venue, que cet anneau pouvait être formé d’un essaim de petits satellites, qui pouvaient faire à Saturne une apparence analogue à celle que la Voie de lait fait à la Terre par une infinité de petites étoiles dont elle est formée.

A travers quelles hypothèses, au milieu de quelles difficultés, avec tant de travaux d’éminents géomètres, l’idée de Cassini prévaut-elle aujourd’hui pour la constitution des anneaux de Saturne c’est ce que nous allons rapidement considérer.

Maupertuis croyait que l’anneau a été produit par une queue de comète que Saturne aurait forcé de circuler autour de lui le noyau même de cette comète captée serait transformé en un satellite de la grosse planète, tandis que la queue, enroulée, eut formé l’anneau. Et, avec plus de précision, il se propose, en 1740, le problème suivant « Un torrent de matière fluide circulant autour d’un axe hors du torrent, par une force centripète proportionnelle à une puissance quelconque de la distance au centre ; et dans chaque section perpendiculaire à la révolution, y ayant une autre force vers un centre pris dans cette section qui soit proportionnelle à une puissance quelconque de la distance à ce centre ; déterminer la figure du torrent. » Si aucune de ces deux forces n’est inversement proportionnelle à la distance au centre, il trouve que la section du torrent est une courbe algébrique c’est une conique si les deux forces sont proportionnelles à la distance, et ce torrent est un sphéroïde si les deux centres coïncident.

La compréhension de la queue d’une comète s’enroulant autour de Saturne a généralement depuis paru enfantine et c’est là une tendance néfaste dont il faut se garder car n’y a-t-il pas là, après tout, l’indication très nette des questions les plus vastes qui aient inquiété l’analyse moderne? équilibre d’une masse fluide en rotation ; figures des planètes ; capture des comètes ; évolution des groupements météoriques. Or il ne semble pas douteux qu’une molécule qui circule autour du soleil sur une orbite elliptique puisse être captée par une grosse planète, et devenir quelque infime satellite ; une file, un chapelet de molécules répondant à ces conditions pourra être pareillement influencé par l’astre perturbateur et se transformer en un anneau, discontinu si l’on veut, mais qui, de loin, produira l’apparence d’un filet lumineux et délié. Et qui peut empêcher l’assimilation de la queue d’une comète avec une série de filets moléculaires de cette nature ; l’inflexion de l’ensemble n’engendrera-t-il pas une enveloppe annulaire, sphérique ou elliptique, pour laquelle le centre de la planète sera lui-même un centre ou un foyer? Il y a cependant une critique sérieuse : l’épaisseur extrêmement faible de l’anneau ; il est bien probable alors que la queue de comète, constituée de la sorte, eût dû être primitivement plane et d’épaisseur négligeable hypothèse peu vraisemblable et qui entraînerait encore, pour la capture, la réalisation de conditions extrêmement particulières.

D’autre part, au lieu de faire intervenir de pareilles files de molécules, ne peut-on pas considérer la queue d’une comète comme une sorte d’atmosphère, de fluide élastique? et, s’enroulant autour d’une planète, une telle substance s’aplatirait bien pour une direction parallèle à l’axe de rotation. Mais il y a loin, de là, à la configuration si étrange de l’anneau de Saturne, outre que rien ne nous permet de dévoiler chez les comètes la présence de compressions graduelles pour un tel milieu élastique. Et toutes ces hypothèses n’expliquent, en quoi que ce soit, la présence de une ou plusieurs subdivisions permanentes dans l’anneau d’où proviendrait alors que la lumière du disque fut plus intense que celle de la planète, impliquant peut-être aussi une condensation et une densité plus fortes, etc.

On peut imaginer, il est vrai, que l’anneau s’est formé aux dépens de matières qui se déposeraient aux limites extérieures de l’atmosphère tournante, une partie s’étant précipitée sur l’astre perturbateur mais alors à quoi bon faire intervenir une comète, dans ce cas, et ne pas voir dans le résidu de l’atmosphère primitive de la planète l’origine de ces agglomérations opaques et de ces précipitations de matière. Et, ainsi, on se rapproche de l’hypothèse de Mairan : Saturne était originellement un globe beaucoup plus considérable qu’il ne l’est aujourd’hui, et l’anneau est le reste de l’ancien équateur, tandis que la planète a continué de se réduire en volume par voie de refroidissement. D’une manière analogue, et inaugurant le problème très complexe des trajectoires d’éjection, Buffon suppose que l’anneau fit primitivement partie de la planète et que la force centrifuge l’en détacha ; Jacques Cassini, enfin, reprend la conception d’un anneau composé par l’agglomération d’une multitude de satellites, dont les orbites sont assez voisines pour donner, à la distance qui nous en sépare, l’apparence d’un corps continu.

Toutes ces idées sont d’autant plus intéressantes qu’il n’était guère possible, à cette époque, de trouver par l’observation directe un critérium assez délicat, soit pour les infirmer, soit pour les confirmer ; mais puisque la figure de Saturne avait évolué dans le temps, il fallait bien se demander aussi si l’anneau allait rester intact et permanent, même en le supposant fluide, s’il était stable ou condamné à se désagréger. Pas un géomètre, plus que Laplace, ne pouvait être attiré par la question de la stabilité et, dès le début, il rencontre deux circonstances curieuses l’anneau doit avoir autour de Saturne un mouvement de rotation en 10h 1/4 environ, confirmant la détermination de W. Herschel ; puis son centre ne doit pas coïncider avec celui de la planète, de façon que ce centre de gravité, excentrique et idéal, circule à la façon d’un satellite dans l’intérieur même du globe de Saturne.

Il devenait alors indispensable de concilier les observations d’Herschel avec les constatations singulières de Schrœter et de Harding, et Laplace pose nettement son problème en 1787 :

Dans la nature, chaque molécule de l’anneau ne tend point uniquement vers deux centres ; elle a un nombre infini de tendances vers les autres molécules de l’anneau et vers la planète. C’est en combinant toutes ces tendances avec la force centrifuge qu’il faut déterminer la figure d’équilibre de la section génératrice de l’anneau.

Il montre que la section droite de ce tore est une ellipse dont le grand axe est dirigé vers la planète et, ayant égard aux termes d’ordres supérieurs, Sophie Kovalevski remplaça cette ellipse par une ovale. Ce qui est encore plus curieux, c’est que les dimensions de cette ellipse génératrice peuvent être variables de l’un à l’autre point l’anneau peut avoir une largeur inégale dans ses diverses parties et l’on peut même le supposer à double courbure.

Ces inégalités, ajoute Laplace, sont indiquées par les apparitions et les disparitions de l’anneau de Saturne, dans lesquelles les deux bras de l’anneau ont présenté des phénomènes différents elles sont même nécessaires pour maintenir l’anneau en équilibre autour de la planète car s’il était parfaitement semblable dans toutes ses parties, son équilibre serait troublé par la force la plus légère, telle que l’attraction d’un satellite, et l’anneau finirait par se précipiter sur la planète. Les anneaux dont Saturne est environné sont par conséquent des solides irréguliers d’une largeur inégale dans les divers points de leur circonférence, en sorte que leurs centres de gravité ne coïncident pas avec leurs centres de figure. Ces centres de gravité peuvent être considérés comme autant de satellites qui se meuvent autour du centre de Saturne, à des distances dépendantes des inégalités des anneaux, et avec des vitesses angulaires égales aux vitesses de rotation de leurs anneaux respectifs. On conçoit que ces anneaux, sollicités par leur action mutuelle, par celle du Soleil et de satellites de Saturne, doivent osciller autour du centre de cette planète, et produire ainsi des phénomènes de lumière dont la période embrasse plusieurs années.

Et si les plans des anneaux sont maintenus confondus par l’aplatissement de la planète, les diverses régions, à des distances différentes du centre de Saturne, éprouveront de la part du soleil des mouvements de précession distincts tout parut élucidé, les apparences les plus singulières expliquées et, une fois de plus, l’attraction universelle sortait victorieuse d’une situation épineuse. L’anneau doit donc tourner – ici la théorie est bien plus affirmative que l’observation – et n’être pas homogène. Et cependant les satellites distincts, au lieu de jouer un rôle très accessoire, vont bientôt, comme nous allons le voir, devenir un élément capital pour la stabilité de l’anneau.

Vers le milieu du siècle dernier le système saturnien concentra sur lui les efforts persévérants d’éminents astronomes, et de nouvelles singularités allaient surgir. Tout d’abord, Otto Struve collationne tous les aspects notés pour la planète, compare tous les dessins fournis, et parvient à ces étranges conclusions le bord intérieur de l’anneau se rapproche de la planète en même temps la largeur totale de l’anneau augmente et l’anneau intérieur s’étend plus rapidement que l’anneau extérieur. Voilà posée à nouveau, d’une façon très aiguë, la question de la stabilité les divisions sont-elles apparentes ou réelles et, dans ce cas, sont-elles destinées à se fondre, à disparaître la variation observée dans l’anneau est-elle stable, elle-même, ou bien due à un phénomène oscillatoire qui changera de sens ; verra-t-on l’anneau se désagréger ; assisterons-nous à un cataclysme par manque de stabilité ? L’anneau arrivera-t-il réellement en contact avec la planète vers l’an 2150 ? Mais les doutes, déjà soulevés à cette époque, semblent aujourd’hui fortifiés par des mesures récentes et, peut-être, n’aurions-nous pas à craindre l’écroulement des anneaux de Saturne sur leur monde central si, véritablement, le système n’a pas sensiblement varié depuis les plus anciennes observations telle était du moins la conclusion de M. See en 1901 et, tout récemment, M. Seagrave vient de s’efforcer d’établir aussi que les anneaux de Saturne ne s’approchent décidément point de la planète, comme l’avait supposé Otto Struve d’après ses mesures de 1851. M. Seagrave, par une série de pointés effectués du 18 août au 9 novembre 1904, trouve que la largeur combinée des deux anneaux brillants, y compris la division de Cassini, est la suivante 7",011 pour le côté précédant, et 6",915 pour le côté suivant, c’est-à-dire pour l’intervalle BE (fig. 1) à droite ou à gauche. S’adresse-t-on au grand espace obscur AB entre le globe et l’anneau ? On trouve respectivement de même 3",661 et 3",837.

Une pareille précision rend les résultats incomparables avec les anciennes mesures ; puis que peut compter un siècle devant les transformations astrales ?La conclusion expérimentale reste donc douteuse et, une fois de plus, en cherchant à préciser un point, on a soulevé une autre difficulté puisque ces déterminations rendent manifeste la vieille inégalité des anses.

D’autre part, en 1849, Edouard Roche étudie les figures d’équilibre d’une masse fluide soumise à l’attraction d’un point éloigné il trouve deux ellipsoïdes allongés suivant le rayon vecteur, deux autres dans la direction perpendiculaire ; les deux premiers correspondent à des solutions stables, tandis que les deux autres sont instables. Les deux figures stables, l’une voisine d’une sphère à l’origine, l’autre d’une aiguille allongée vers l’astre perturbateur, ne tardent pas à se confondre quand la vitesse de rotation de la masse fluide atteint une valeur limite au-dessus de laquelle l’équilibre devient impossible et, appliquant pratiquement sa théorie aux systèmes connus de satellites, Roche parvient à une importante conclusion toute figure ellipsoïdale d’équilibre devient impossible si le satellite, supposé de même densité que la planète, est à une distance inférieure à 2,44 en rayons planétaires. Alors, le premier satellite de Saturne, à une distance de 3,35, a pu se former régulièrement et subsister, tandis que la matière constitutive des anneaux, trop voisine de Saturne, fut dans l’impossibilité de s’agglomérer sous forme de satellite et conserva sa forme de poussière désagrégée.

Sans connaître ces résultats, G. P. Bond étudie en 1851 les conditions d’équilibre des anneaux solides ou fluides, et constate qu’un anneau fluide n’est pas nécessairement instable ; B. Peirce, en 1851 et 1856, aboutit à ce résultat singulier que les satellites ont pour effet de soutenir l’anneau, et qu’une planète ne saurait être environnée d’anneaux si elle n’est pas munie d’un nombre suffisant de satellites. Au reste, pour ces deux auteurs, les anneaux doivent être moins larges que ne le suppose Laplace.

Ce problème de stabilité préoccupe beaucoup l’esprit scientifique et, en mars 1855, l’Université de Cambridge le propose comme sujet de concours pour le prix Adams suivant le programme du concours les anneaux peuvent être considérés comme excentriques ou concentriques au globe central, symétriquement par rapport à l’équateur saturnien ; et l’on devait examiner les diverses constitutions possibles pour les anneaux, solides, fluides, ou composés de particules indépendantes les unes des autres. Ceci étant, il fallait déterminer les conditions de stabilité relatives à chaque cas, l’hypothèse représentant le mieux les anneaux obscurs et brillants, les origines des changements nouveaux et qui rendent incomparables les observations anciennes et récentes.

James Clerk Maxwell eut le prix Adams en 1857 ; pour lui, comme pour Roche, le seul système d’anneaux qui puisse subsister autour de Saturne doit être constitué par un nuage de poussières météoriques, et il parvient à des conclusions inadmissibles pour la stabilité suivant Laplace ; en outre, il montre que si l’anneau était liquide il devrait se résoudre en satellites. Ces particules désagrégées, en nombre infini, circulent autour de la planète à des distances variées et avec des vitesses différentes si elles s’entrecroisent irrégulièrement, la désagrégation de l’anneau sera très rapide, à moins qu’elles ne tendent d’elles-mêmes à se grouper en une série d’anneaux étroits ; car, dans le cas où les particules seraient réparties en anneaux étroits, la destruction finale du système serait très lente. Malheureusement le mémoire de Maxwell n’est ni clair, ni rigoureux, et il nécessiterait utilement une nouvelle analyse. En 1872, G. A. Hirn, sans connaître le mémoire de Maxwell, se rencontre avec lui en bien des points, mais son étude est plus approfondie et plus délicate « Si les anneaux sont gazeux ou même liquides, dit-il, leur sort inévitable sera, non pas de tomber d’un côté sur la planète et de s’en écarter de l’autre, mais de s’en rapprocher lentement dans toutes les directions, et de finir par se confondre avec elle. Les anneaux solides et d’une pièce, à moins d’être infiniment résistants et inflexibles, ne sauraient avoir qu’une existence très courte, sans se désagréger complètement. » Ainsi les anneaux solides et continus sont impossibles, les masses liquides ou gazeuses doivent se rapprocher progressivement de la planète pour s’y réunir ; il faut conclure à des corpuscules distincts, assez éloignés les uns des autres pour que leurs forces perturbatrices, leurs réactions mutuelles, soient très faibles par rapport à l’attraction de Saturne ; et, conformément à ce que prévoyait Maxwell, s’ils tendent vers la production d’une série d’anneaux étroits, la désagrégation du système sera fort retardée.

Dans ces dernières années, les figures d’équilibre d’une masse fluide annulaire, ou d’une masse fluide en rotation ont suscité les travaux les plus importants si la théorie de Laplace est insuffisante en ce qui concerne l’application aux anneaux de Saturne, du moins Kowalewski, pour la compléter, obtient la vitesse limite d’une masse fluide homogène animée d’un mouvement de rotation, et M. Poincaré fournit un élégant résultat qui concorde avec la vitesse précédente. Ces figures d’équilibre ont été magistralement étudiées par M. Poincaré, avec les conditions de stabilité, les limites de densité au-dessous desquelles il n’y a pas d’équilibre, etc. et il est encore impossible de parler de Saturne sans citer les belles recherches théoriques de Tisserand, Liapounov, Radan, Matthiessen.

Et c’est ici le lieu de faire une dernière remarque.

On fait généralement usage, dans les théories de Mécanique Céleste, de séries ordonnées suivant les puissances croissantes du rapport des deux grands axes, ceux de la planète troublée et de la planète troublante aussi, quand ce rapport approche de l’unité, les séries deviennent-elles inutilisables. En prenant le cas limite lui-même, M. Stockwell est amené à considérer deux planètes circulant dans un même plan et à une même distance moyenne du Soleil il en conclut qu’un pareil système pourra être stable si la ligne qui joint les deux planètes est vue, du centre du Soleil, sous un angle de 60° ; et cette position serait la stabilité même puisque, si elle n’est pas remplie dès le début, elle se réalisera par l’effet des perturbations mutuelles.

Un tel état de choses aurait d’importantes conséquences dans le groupe de Saturne, supposé réduit à l’astre sphérique et ses anneaux il suffirait, pour la stabilité des anneaux, que l’on puisse associer leurs éléments deux à deux de manière à leur faire former des triangles équilatéraux avec le centre de la planète ; toute concentration de matière un peu importante, sur un point de l’anneau, serait amenée à destruction avec substitution de trois satellites, au moins, satellites n’ayant point de tendance à se réunir en un seul. Et une pareille circonstance ne permettrait plus d’accepter les vues cosmogoniques de Laplace sans leur faire subir de profondes modifications ces vues, au reste, sont aujourd’hui fort attaquées non, parfois, sans quelque succès, mais ce n’est pas ici le lieu d’une controverse sur l’origine et la formation du système solaire.

Vue de Saturne, la Terre ne s’écarte pas du Soleil de plus de 6°, et il ne doit guère être facile d’observer notre passage sur le corps central si l’on dépassait cette planète, nous deviendrions imperceptibles. Saturne, à cet égard, importe comme un des derniers mondes qui nous puisse connaître, tandis que, par son riche cortège de satellites, par son anneau incomparable, il doit retenir l’attention du philosophe autant que celle de l’astronome.

Huygens, qui vécut à Paris de 1666 à 1683, appelé par Louis XIV pour faire partie de l’Académie des Sciences, appartient, par là, à notre pays Joseph Bertrand nous a d’ailleurs montré qu’il a laissé chez nous des traces multiples de son infatigable activité. Il a, le premier, défini nettement l’anneau de Saturne et, dans l’évolution rapide qu’il nous fallut tracer pour cette découverte, nous dûmes négliger trop souvent les patientes et longues déterminations de savants émérites comme Galle, Bond, Lassell, Dawes, Warren de la Rue, Trouvelot, W. et O. Struve, Bradley, Encke, et tant d’autres ; aussi bien nous ne voulions montrer ici qu’un côté restreint, et déjà très vaste, du problème saturnien, car on sait les importantes questions soulevées, et pour la théorie, et pour l’observation, par les satellites, les glaces polaires, les bandes, l’atmosphère, les épais bancs nuageux...

Est-il nécessaire aussi de légitimer ici le recours à des documents aussi anciens que ceux de Huygens ? considérés comme bien vieillots par d’aucuns. Pour cela, il faut songer à la grandeur des intervalles d’observations précises par rapport aux périodes et aux évolutions sidérales et, dans la controverse avec Otto Struve au sujet de la variabilité de l’anneau de Saturne, Kaiser ne s’est-il pas servi des dessins de Huygens ? pour en déduire le rapport le plus probable que les dimensions de cet astre présentaient au milieu du XVIIe siècle. Récemment encore, Van de Sande Bakhuyzen utilisait les dessins du disque de Mars exécutés par Huygens pour contribuer à l’évaluation exacte du temps de rotation de la planète et ce sont là d’importants travaux.

L’anneau lui-même ? Après bien des alternatives, il nous faut revenir à la conception assez vague, indiquée dès l’origine. Soit mais, chemin faisant, nous avons rencontré une longue suite de recherches judicieuses ; ces travaux, il est vrai, ont surtout montré quels étaient les cas impossibles, soulevant le voile sur nombre d’autres difficultés, d’autres mystères...

C’est le lot de l’astronomie, que d’écarter les hypothèses successives sur des questions dont le détail, dont le mécanisme intime et profond, nous échappera toujours.

JEAN MASCART.