La Comtesse de Rudolstadt/Chapitre XVI

Michel Levy Frères (tome 1p. 205-216).
XVI.

Cependant, comme Consuelo ne s’alarma pas de son état et ne changea presque rien à son régime, elle fut promptement rétablie. Elle put reprendre ses soirées de chant, et elle retrouva le profond sommeil de ses nuits paisibles.

Un matin, c’était le douzième de sa captivité, elle reçut de M. de Pœlnitz un billet qui lui donnait avis d’une sortie pour le lendemain soir :

« J’ai obtenu du roi, disait-il, la permission d’aller moi-même vous chercher avec une voiture de sa maison. Si vous me donnez votre parole de ne point vous envoler par une des glaces, j’espère même pouvoir vous dispenser de l’escorte, et vous faire reparaître au théâtre sans ce lugubre attirail. Croyez que vous n’avez pas d’ami plus dévoué que moi, et que je déplore la rigueur du traitement, peut-être injuste, que vous subissez. »

La Porporina s’étonna un peu de l’amitié soudaine et de l’attention délicate du baron. Jusque-là, dans ses fréquents rapports d’administration théâtrale avec la prima donna, M. de Pœlnitz, qui, en qualité d’ex-roué, n’aimait pas les filles vertueuses, lui avait témoigné beaucoup de froideur et de sécheresse. Il lui avait même parlé souvent de sa conduite régulière et de ses manières réservées avec une ironie désobligeante. On savait bien à la cour que le vieux chambellan était le mouchard du roi, mais Consuelo n’était pas initiée aux secrets de cour, et elle ne savait pas qu’on pût faire cet odieux métier sans perdre les avantages d’une apparente considération dans le grand monde. Cependant un vague instinct de répulsion disait à Consuelo que Pœlnitz avait contribué plus que tout autre à son malheur. Elle veilla donc à toutes ses paroles lorsqu’elle se trouva seule avec lui le lendemain, dans la voiture qui les conduisait rapidement à Berlin, vers le déclin du jour.

« Eh bien, ma pauvre recluse, lui dit-il, vous voilà diablement matée ! Sont-ils farouches ces cuistres de vétérans qui vous gardent ! Jamais ils n’ont voulu me permettre d’entrer dans la citadelle, sous prétexte que je n’avais point de permission, et voilà, sans reproche, un quart d’heure que je gèle en vous attendant. Allons, enveloppez-vous bien de cette fourrure que j’ai apportée pour préserver votre voix, et contez-moi donc un peu vos aventures. Que diable s’est-il donc passé à la dernière redoute du carnaval ? Tout le monde se le demande, et personne ne le sait. Plusieurs originaux qui, selon moi, ne faisaient de mal à personne, ont disparu comme par enchantement. Le comte de Saint-Germain, qui est de vos amis, je crois ; un certain Trismégiste, qu’on disait caché chez M. de Golowkin, et que vous connaissez peut-être aussi, car on dit que vous êtes au mieux avec tous ces enfants du diable…

— Ces personnes ont été arrêtées ? demanda Consuelo.

— Ou elles ont pris la fuite : les deux versions ont cours à la ville.

— Si ces personnes ne savent pas mieux que moi pourquoi on les persécute, elles eussent mieux fait d’attendre de pied ferme leur justification.

— Ou la nouvelle lune qui peut changer l’humeur du monarque ; c’est encore le plus sûr, et je vous conseille de bien chanter ce soir. Cela fera plus d’effet sur lui que de belles paroles. Comment diable avez-vous été assez maladroite, ma belle amie, pour vous laisser envoyer à Spandaw ? Jamais, pour des vétilles pareilles à celles dont on vous accuse, le roi n’eût prononcé une condamnation aussi discourtoise envers une dame ; il faut que vous lui ayez répondu avec arrogance, le bonnet sur l’oreille et la main sur la garde de votre épée, comme une petite folle que vous êtes. Qu’aviez-vous fait de criminel ? Voyons, racontez-moi ça. Je parie arranger vos affaires, et, si vous voulez suivre mes conseils, vous ne retournerez pas dans cette humide souricière de Spandaw ; vous irez coucher ce soir dans votre joli appartement de Berlin. Allons, confessez-vous. On dit que vous avez fait un souper fin dans le palais avec la princesse Amélie, et que vous vous êtes amusée, au beau milieu de la nuit, à faire le revenant et à jouer du balai dans les corridors, pour effrayer les filles d’honneur de la reine. Il paraît que plusieurs de ces demoiselles en ont fait fausse-couche, et que les plus vertueuses mettront au monde des enfants marqués d’un petit balai sur le nez. On dit aussi que vous vous êtes fait dire votre bonne aventure par le planétaire de madame de Kleist, et que M. de Saint-Germain vous a révélé les secrets de la politique de Philippe le Bel. Êtes-vous assez simple pour croire que le roi veuille faire autre chose que de rire avec sa sœur de ces folies ? Le roi est d’ailleurs, pour madame l’abbesse, d’une faiblesse qui va jusqu’à l’enfantillage ; et quant aux devins, il veut seulement savoir s’ils prennent de l’argent pour débiter leurs sornettes, auquel cas il les prie de quitter le pays, et tout est dit. Vous voyez bien que vous vous abusez sur l’importance de votre rôle, et que si vous aviez voulu répondre tranquillement à quelques questions sans conséquence, vous n’auriez point passé un si triste carnaval dans les prisons de l’État. »

Consuelo laissa babiller le vieux courtisan sans l’interrompre, et lorsqu’il la pressa de répondre, elle persista à dire qu’elle ne savait de quoi il voulait lui parler. Elle sentait un piège sous cette frivolité bienveillante, et elle ne s’y laissa point prendre.

Alors Pœlnitz changea de tactique, et d’un ton sérieux :

« C’est bien ! lui dit-il, vous vous méfiez de moi. Je ne vous en veux pas, et, au contraire, je fais grand cas de la prudence. Puisque vous êtes ainsi, mademoiselle, je vais, moi, vous parler à découvert. Je vois bien qu’on peut se fier à vous, et que notre secret est en bonnes mains. Apprenez donc, signora Porporina, que je suis votre ami plus que vous ne pensez, car je suis un des vôtres ; je suis du parti du prince Henry.

— Le prince Henry a donc un parti ? dit la Porporina, curieuse d’apprendre dans quelle intrigue elle se trouvait enveloppée.

— Ne faites pas semblant de l’ignorer, reprit le baron. C’est un parti que l’on persécute beaucoup en ce moment, mais qui est loin d’être désespéré. Le grand lama, ou, si vous aimez mieux, M. le marquis, n’est pas si solide sur son trône qu’on ne puisse le faire dégringoler. La Prusse est un bon cheval de bataille ; mais il ne faut pas le pousser à bout.

— Ainsi, vous conspirez, monsieur le baron ? Je ne m’en serais jamais doutée !

— Qui ne conspire pas à l’heure qu’il est ? Le tyranneau est environné de serviteurs dévoués en apparence, mais qui ont juré sa perte.

— Je vous trouve fort léger, monsieur le baron, de me faire une pareille confidence.

— Si je vous la fais, c’est parce que j’y suis autorisé par le prince et la princesse.

— De quelle princesse parlez-vous ?

— De celle que vous savez. Je ne pense pas que les autres conspirent !… À moins que ce ne soit la margrave de Bareith, qui est mécontente de sa chétive position, et en colère contre le roi, depuis qu’il l’a rabrouée, au sujet de ses intelligences avec le cardinal de Fleury. C’est déjà une vieille histoire ; mais rancune de femme est de longue durée, et la margrave Guillemette[1] n’est pas un esprit ordinaire : que vous en semble ?

— Je n’ai jamais eu l’honneur de lui entendre dire un seul mot.

— Mais vous l’avez vue chez l’abbesse de Quedlimbourg !

— Je n’ai jamais été qu’une seule fois chez la princesse Amélie, et la seule personne de la famille royale que j’y aie rencontrée, c’est le roi.

— N’importe ! le prince Henry m’a donc chargé de vous dire…

— En vérité, monsieur le baron ! dit Consuelo d’un ton méprisant ; le prince vous a chargé de me dire quelque chose ?

— Vous allez voir que je ne plaisante pas. Il vous fait savoir que ses affaires ne sont point gâtées, comme on veut vous le persuader ; qu’aucun de ses confidents ne l’a trahi ; que Saint-Germain est déjà en France, où il travaille à former une alliance entre notre conjuration et celle qui va replacer incessamment Charles-Édouard sur le trône d’Angleterre ; que Trismégiste seul a été arrêté, mais qu’il le fera évader, et qu’il est sûr de sa discrétion. Quant à vous, il vous conjure de ne point vous laisser intimider par les menaces du marquis, et surtout de ne point croire à ceux qui feindraient d’être dans vos intérêts, pour vous faire parler. Voilà pourquoi, tout à l’heure, je vous ai soumise à une petite épreuve, dont vous êtes sortie victorieuse ; et je dirai à notre héros, à notre brave prince, à notre roi futur, que vous êtes un des plus solides champions de sa cause ! »

Consuelo, émerveillée de l’aplomb de M. de Pœlnitz, ne put réprimer un éclat de rire ; et quand le baron, piqué de son mépris, lui demanda le motif de cette gaieté déplacée, elle ne put lui rien répondre, sinon :

« Vous êtes admirable, sublime, monsieur le baron ! »

Et elle recommença à rire malgré elle. Elle eût ri sous le bâton, comme la Nicole de M. Jourdain.

« Quand cette attaque de nerfs sera finie, dit Pœlnitz sans se déconcerter, vous daignerez peut-être m’expliquer vos intentions. Voudriez-vous trahir le prince ? Croiriez-vous, en effet, que la princesse vous eût livrée à la colère du roi ? Vous regarderiez-vous comme dégagée de vos serments ? Prenez garde, mademoiselle ! vous vous en repentiriez peut-être bientôt. La Silésie ne tardera pas à être livrée par nous à Marie-Thérèse, qui n’a point abandonné ses projets, et qui deviendra dès lors notre puissante alliée. La Russie, la France, donneraient certainement les mains au prince Henry ; madame de Pompadour n’a point oublié les dédains de Frédéric. Une puissance coalition, quelques années de lutte, peuvent facilement précipiter du trône ce fier souverain qui ne tient encore qu’à un fil… Avec l’amour du nouveau monarque, vous pourriez prétendre à une haute fortune. Le moins qu’il puisse arriver de tout cela, c’est que l’électeur de Saxe soit dépossédé de la royauté polonaise, et que le prince Henry aille régner à Varsovie… Ainsi…

— Ainsi, monsieur le baron, il existe, selon vous, une conspiration qui, pour satisfaire le prince Henry, veut mettre, encore une fois, l’Europe à feu et à sang ? Et ce prince, pour assouvir son ambition, ne reculerait pas devant la honte de livrer son pays à l’étranger ? J’ai beaucoup de peine à croire de pareilles lâchetés possibles ; et si, par malheur, vous dites vrai, je suis fort humiliée de passer pour votre complice. Mais finissons cette comédie, je vous en conjure. Voilà un quart d’heure que vous vous évertuez fort ingénieusement à me faire avouer des crimes imaginaires. Je vous ai écouté pour savoir de quel prétexte on se servait pour me tenir en prison ; il me reste à apprendre en quoi j’ai pu mériter la haine qui s’acharne si bassement après moi. Si vous voulez me le dire, je tâcherai de me disculper. Jusque-là je ne puis rien répondre à toutes les belles choses que vous m’apprenez, sinon qu’elles me surprennent fort, et que de semblables projets n’ont aucune de mes sympathies.

— En ce cas, mademoiselle, si vous n’êtes pas plus au courant que cela, reprit Pœlnitz très-mortifié, je m’étonne de la légèreté du prince, qui m’engage à vous parler sans détour, avant de s’être assuré de votre adhésion à tous ses projets.

— Je répète, monsieur le baron, que j’ignore absolument les projets du prince ; mais je suis bien certaine d’une chose : c’est qu’il ne vous a jamais chargé de m’en dire un seul mot. Pardonnez-moi de vous donner ce démenti. Je respecte votre âge ; mais je ne puis m’empêcher de mépriser le rôle affreux que vous jouez auprès de moi en ce moment.

— Les soupçons absurdes d’une tête féminine ne m’atteignent guère, répondit Pœlnitz, qui ne pouvait plus reculer devant ses mensonges. Un temps viendra où vous me rendrez justice. Dans le trouble que cause la persécution, et avec les idées chagrines que la prison doit nécessairement engendrer, il n’est pas étonnant que vous manquiez tout à coup de pénétration et de clairvoyance. Dans les conspirations, on doit s’attendre à de pareilles lubies, surtout de la part des dames. Je vous plains et vous pardonne. Il est possible, d’ailleurs, que vous ne soyez en tout ceci que l’amie dévouée de Trenck et la confidente d’une auguste princesse… Ces secrets sont d’une nature trop délicate pour que je veuille vous en parler. Le prince Henry lui-même ferme les yeux là-dessus, quoiqu’il n’ignore pas que le seul motif qui ait décidé sa sœur à entrer dans la conspiration soit l’espérance de voir Trenck réhabilité, et peut-être celle de l’épouser.

— Je ne sais rien de cela non plus, monsieur le baron, et je pense que si vous étiez sincèrement dévoué à quelque auguste princesse, vous ne me raconteriez pas de si étranges choses sur son compte. »

Le bruit des roues sur le pavé mit fin à cette conversation, au grand contentement du baron, qui ne savait plus quel expédient inventer pour se tirer d’affaire. On entrait dans la ville. La cantatrice, escortée jusqu’à la porte de sa loge et dans les coulisses par deux factionnaires qui ne la perdaient presque pas de vue, reçut de ses camarades un accueil assez froid. Elle en était aimée, mais aucun d’eux ne se sentait le courage de protester par des témoignages extérieurs contre la disgrâce prononcée par le roi. Ils étaient tristes, contraints, et comme frappés de la peur de la contagion. Consuelo qui ne voulut pas attribuer cette manière d’être à la lâcheté, mais à la compassion, crut lire dans leur contenance abattue l’arrêt d’une longue captivité. Elle s’efforça de leur montrer qu’elle ne s’en effrayait pas, et parut sur la scène avec une confiance courageuse.

Il se passa en ce moment quelque chose d’assez bizarre dans la salle. L’arrestation de la Porporina ayant fait beaucoup de bruit, et l’auditoire n’étant composé que de personnes dévouées par conviction ou par position à la volonté royale, chacun mit ses mains dans ses poches, afin de résister au désir et à l’habitude d’applaudir la cantatrice disgraciée. Tout le monde avait les yeux sur le monarque, qui, de son côté, promenait des regards investigateurs sur la foule et semblait lui imposer le silence le plus profond. Tout à coup une couronne de fleurs, partie on ne sait d’où, vint tomber aux pieds de la cantatrice, et plusieurs voix prononcèrent simultanément et assez haut pour être entendues des divers points de la salle où elles s’étaient distribuées, les mots : C’est le roi ! c’est le pardon du roi ! Cette singulière assertion passa de bouche en bouche avec la rapidité de l’éclair ; et chacun croyant faire son devoir et complaire à Frédéric, une tempête d’applaudissements, telle que de mémoire d’homme on n’en avait ouï à Berlin, se déchaîna depuis les combles jusqu’au parterre. Pendant plusieurs minutes, la Porporina, interdite et confondue d’une si audacieuse protestation, ne put commencer son rôle. Le roi, stupéfait, se retourna vers les spectateurs avec une expression terrible, qu’on prit pour un signe d’adhésion et d’encouragement. Buddenbrock lui-même, placé non loin de lui, ayant demandé au jeune Benda de quoi il s’agissait, et celui-ci lui ayant répondu que la couronne était partie de la place du roi, se mit à battre des mains d’un air de mauvaise humeur vraiment comique. La Porporina croyait rêver ; le roi se tâtait pour savoir s’il était bien éveillé.

Quels que fussent la cause et le but de ce triomphe, Consuelo en ressentit l’effet salutaire ; elle se surpassa elle-même, et fut applaudie avec le même transport durant tout le premier acte. Mais pendant l’entr’acte, la méprise s’étant peu à peu éclaircie, il n’y eut plus qu’une partie de l’auditoire, la plus obscure et la moins à portée d’être redressée par les confidences des courtisans, qui s’obstinât à donner des signes d’approbation. Enfin, au deuxième entr’acte, les orateurs des corridors et du foyer apprirent à tout le monde que le roi paraissait fort mécontent de l’attitude insensée du public ; qu’une cabale avait été montée par la Porporina avec une audace inouïe ; enfin que quiconque serait signalé comme ayant pris part à cette échauffourée s’en repentirait certainement. Quand vint le troisième acte, le silence fut si profond dans la salle, en dépit des merveilles que fit la prima-donna, qu’on aurait entendu voler une mouche à la fin de chaque morceau chanté par elle, et qu’en revanche les autres chanteurs recueillirent tous les fruits de la réaction.

Quant à la Porporina, elle avait été bientôt désillusionnée de son triomphe.

« Ma pauvre amie, lui avait dit Conciolini en lui présentant la couronne dans la coulisse après la première scène, je te plains d’avoir des amis si dangereux. Ils achèveront de te perdre. »

Dans l’entracte, le Porporino vint dans sa loge, et lui parlant à demi-voix :

« Je t’avais dit de te méfier de M. de Saint-Germain, lui dit-il ; mais il était trop tard. Chaque parti a ses traîtres. N’en sois pas moins fidèle à l’amitié et docile à la voix de ta conscience. Tu es protégée par un bras plus puissant que celui qui t’opprime.

— Que veux-tu dire ? s’écria la Porporina ; es-tu de ceux…

— Je dis que Dieu te protégera », répondit le Porporino, qui semblait craindre d’avoir été entendu, et il lui montra la cloison qui séparait les loges d’acteurs les unes des autres. Ces cloisons avaient dix pieds de haut, mais elles laissaient entre leur sommité et le plafond commun un espace assez considérable, de sorte qu’on pouvait facilement entendre d’une loge à l’autre ce qui se passait.

« J’ai prévu, lui dit-il en parlant encore plus bas et en lui remettant une bourse, que tu aurais besoin d’argent, et je t’en apporte.

— Je te remercie, répondit Consuelo ; si le gardien, qui me vend chèrement les vivres, venait te réclamer quelque paiement, comme voici de quoi le satisfaire pour longtemps, refuse de solder ses comptes. C’est un usurier.

— Il suffit, répliqua le bon et loyal Porporino. Je te quitte j’aggraverais ta position si je paraissais avoir des secrets avec toi. »

Il s’esquiva, et Consuelo reçut la visite de madame de Cocceï (la Barberini), qui lui témoigna courageusement beaucoup d’intérêt et d’affection. La marquise d’Argens (la Cochois) vint les rejoindre d’un air plus empesé, et avec les belles paroles d’une reine qui protège le malheur. Consuelo ne lui en sut pas moins de gré de sa démarche, et la supplia de ne pas compromettre la faveur de son époux en prolongeant sa visite.

Le roi dit à Pœlnitz :

« Eh bien, l’as-tu interrogée ? As-tu trouvé moyen de la faire parler ?

— Pas plus qu’une borne, répondit le baron.

— Lui as-tu fait entendre que je pardonnerais tout, si elle voulait seulement me dire ce qu’elle sait de la balayeuse, et ce que Saint-Germain lui a dit ?

— Elle s’en soucie comme de l’an quarante.

— L’as-tu effrayée sur la longueur de sa captivité ?

— Pas encore. Votre Majesté m’avait dit de la prendre par la douceur.

— Tu l’effraieras en la reconduisant.

— J’essaierai, mais je ne réussirai pas.

— C’est donc une sainte, une martyre ?

— C’est une fanatique, une possédée, peut-être le diable en cotillons.

— En ce cas, malheur à elle ! je l’abandonne. La saison de l’opéra italien finit dans quelques jours ; arrange-toi pour qu’on n’ait plus besoin de cette fille jusque-là, et que je n’entende plus parler d’elle jusqu’à l’année prochaine.

— Un an ! Votre Majesté n’y tiendra pas.

— Mieux que ta tête ne tient sur ton cou, Pœlnitz ! »

  1. Sophie Wilhelmine. Elle signait sœur Guillemette, en écrivant à Voltaire.