La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XI/Chapitre XV

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 233-234).
CHAPITRE XV.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE CETTE PAROLE : « LE DIABLE PÈCHE DÈS LE COMMENCEMENT ».

Quant à cette parole de saint Jean : « Le diable pèche dès le commencement[1] », les hérétiques[2] ne comprennent pas que si le péché est naturel, il cesse d’être. Mais que peuvent-ils répondre à ce témoignage d’Isaïe qui, désignant le diable sous la figure du prince de Babylone, s’écrie : « Comment est tombé Lucifer, qui se levait brillant au matin[3] ? » et ce passage d’Ézéchiel[4] : « Tu as joui des délices du paradis, orné de toutes sortes de pierres précieuses[5] ? » Le diable a donc été quelque temps sans péché ; et c’est ce que le prophète lui dit un peu après en termes plus formels : « Tu as marché pur de souillure en tes jours[6] ». Que si l’on ne peut donner un sens plus naturel à ces paroles, il faut donc entendre par celle-ci : « Il n’est point demeuré dans la vérité », que le diable a été dans la vérité, mais qu’il n’y est pas demeuré ; et quant à cette autre, « que le diable pèche dès le commencement », il ne faut pas entendre qu’il a péché dès le commencement de sa création, mais dès celui de son orgueil. De même, quand nous lisons dans Job, à propos du diable : « Il est le commencement de l’ouvrage de Dieu, qui l’a fait pour le livrer aux railleries de ses anges[7] » ; et ce passage analogue du psaume : « Ce dragon que vous avez formé pour servir de jouet[8] » ; nous ne devons pas croire que le diable ait été créé primitivement pour être moqué des anges, mais bien que leurs railleries sont la peine de son péché[9]. Il est donc l’ouvrage du Seigneur ; car il n’y a pas de nature si vile et si infime qu’on voudra, même parmi les plus petits insectes, qui ne soit l’ouvrage de celui d’où vient toute mesure, toute beauté, tout ordre, c’est-à-dire ce qui fait l’être et l’intelligibilité de toute chose. A plus forte raison est-il le principe de la créature angélique, qui surpasse par son excellence tous les autres ouvrages de Dieu.

  1. I Jean, III, 8.
  2. Ces hérétiques sont évidemment les Manichéens.
  3. Isaïe, XIV, 12.
  4. Sur ce même passage d’Ezéchiel, comp. saint Augustin, De Gen. ad litt., n. 32.
  5. Ezech. XXVIII, 13, 14.
  6. Ibid. 15.
  7. Job, XL, 14.
  8. Ps. CIII, 28.
  9. Comp. De Gen. ad litt., n. 29, 30, 34, 35.