La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XI/Chapitre XII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 232).
CHAPITRE XII.
COMPARAISON DE LA FÉLICITÉ DES JUSTES SUR LA TERRE ET DE CELLE DE NOS PREMIERS PARENTS AVANT LE PÉCHÉ.

Nous ne bornons même pas la béatitude aux bons anges. Et qui oserait nier que nos premiers parents, avant la chute, n’aient été heureux dans le paradis terrestre[1], tout en étant incertains de la durée de leur béatitude, qui aurait été éternelle, s’ils n’eussent point péché[2] ? Aujourd’hui même, nous n’hésitons point à appeler heureux les bons chrétiens qui, pleins de l’espérance de l’immortalité future, vivent exempts de crimes et de remords, et obtiennent aisément de la miséricorde de Dieu le pardon des fautes attachées à l’humaine fragilité. Et cependant, quelque assurés qu’ils soient du prix de leur persévérance, ils ne le sont pas de leur persévérance même. Qui peut, en effet, se promettre de persévérer jusqu’à la fin, à moins que d’en être assuré par quelque révélation de celui qui, par un juste et mystérieux conseil, ne découvre pas l’avenir à tous, mais qui ne trompe jamais personne ? Pour ce qui regarde la satisfaction présente, le premier homme était donc plus heureux dans le paradis que quelque homme de bien que ce soit en cette vie mortelle ; mais quant à l’espérance du bien à venir, quiconque est assuré de jouir un jour de Dieu en la compagnie des anges, est plus heureux, quoiqu’il souffre, que ne l’était le premier homme, incertain de sa chute , dans toute la félicité du paradis[3]

  1. Comp. De corrept. et grat., lib. x, n. 26.
  2. Comp. De Gen. ad litt., lib. xi, n. 24, 25.
  3. Le sentiment de saint Augustin sur cette matière est plus développé dans un traité exprès, le De dono perseverantiœ, ainsi que dans le De corrept. et grat., passim.