La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XI/Chapitre VII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 227-228).
CHAPITRE VII.
DE LA NATURE DE CES PREMIERS JOURS QUI ONT EU UN SOIR ET UN MATIN AVANT LA CRÉATION DU SOLEIL.

Nos jours ordinaires n’ont leur soir que par le coucher du soleil et leur matin que par son lever. Or, ces trois premiers jours se sont écoulés sans soleil, puisque cet astre ne fut créé que le quatrième jour[1]. L’Ecriture nous dit bien que Dieu créa d’abord la lumière[2], et la sépara des ténèbres[3], qu’il appela la lumière jour, et les ténèbres nuit[4] ; mais quelle était cette lumière et par quel mouvement périodique se faisait le soir et le matin, voilà ce qui échappe à nos sens et ce que nous devons pourtant croire sans hésiter, malgré l’impossibilité de le comprendre. En effet, ou bien il s’agit d’une lumière corporelle, soit qu’elle réside loin de nos regards, dans les parties supérieures du monde, soit qu’elle ait servi plus tard à allumer le soleil ; ou bien ce mot de lumière signifie la sainte Cité composée des anges et des esprits bienheureux dont l’Apôtre parle ainsi : « La Jérusalem d’en haut, notre mère éternelle dans les cieux[5] ». Il dit, en effet, ailleurs : « Vous êtes tous enfants de lumière et enfants du jour ; nous ne sommes point les fils de la nuit ni des ténèbres[6] ». Peut-être aussi pourrait-on dire, en quelque façon, que ce jour a son soir et son matin, dans ce sens que la science des créatures est comme un soir en comparaison de celle du Créateur, mais qu’elle devient un jour et un matin, lorsqu’on la rapporte à sa gloire et à son amour, et, pareillement, qu’elle ne penche point vers la nuit, quand on n’abandonne point le Créateur pour s’attacher à la créature. Remarquez enfin que l’Ecriture, comptant par ordre ces premiers jours, ne se sert jamais du mot de nuit ; car elle ne dit nulle part : Il y eut nuit, mais : « Du soir et du matin se fit un jour[7] » ; et ainsi du second et du suivant. Aussi bien, la connaissance des choses créées, quand on les regarde en elles-mêmes, a moins d’éclat que si on les contemple dans la sagesse de Dieu comme dans l’art qui les a produites, de sorte qu’on peut l’appeler plus convenablement un soir qu’une nuit ; et néanmoins, comme je l’ai dit, si on la rapporte à la gloire et à l’amour du Créateur, elle devient en quelque façon un matin. Ainsi envisagée, la connaissance des choses créées constitue le premier jour en tant qu’elle se connaît elle-même ; en tant qu’elle a pour objet le firmament, qui a été placé entre les eaux inférieures et supérieures et a été appelé le ciel, c’est le second jour ; appliquée à la terre, à la mer et à toutes les plantes qui tiennent à la terre par leurs racines, c’est le troisième jour ; aux deux grands astres et aux étoiles, c’est le quatrième jour ; à tous les animaux engendrés des eaux, soit qu’ils nagent, soit qu’ils volent, c’est le cinquième jour ; enfin, le sixième jour est constitué par la connaissance de tous les animaux terrestres et de l’homme même[8].

  1. Gen. 1, 14 et seq.
  2. Ibid. 3.
  3. Ibid. 4.
  4. Gen. i, 5.
  5. Galat. IV, 26.
  6. i Thess. v, 5.
  7. Gen. i, 5.
  8. Ce système d’interprétation est plus amplement développé dans un traité spécial de saint Augustin, le De Genesi ad litteram. Voyez surtout les livres iii et iv.