La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VII/Chapitre XII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 141).
CHAPITRE XII.
JUPITER EST AUSSI APPELÉ PECUNIA.

Mais quoi ! ne faut-il pas admirer la raison ingénieuse qu’on donne de ce surnom ? Jupiter, dit-on, s’appelle Pecunia, parce que tout est à lui. Ô la belle raison d’un nom divin ! et n’est-ce pas plutôt avilir et insulter celui à qui tout appartient que de le nommer Pecunia ? car au prix de ce qu’enferment le ciel et la terre, que vaut la richesse des hommes ? C’est l’avarice qui seule a donné ce nom à Jupiter, pour fournir à ceux qui aiment l’argent le prétexte d’aimer une divinité, et non pas quelque déesse obscure, mais le roi même des dieux. Il n’en serait pas de même si on l’appelait Richesse. Car autre chose est la richesse, autre chose est l’argent. Nous appelons riches ceux qui sont sages, justes, gens de bien quoique n’ayant pas d’argent ou en ayant peu ; car ils sont effectivement riches en vertus qui leur enseignent à se contenter de ce qu’ils ont, alors même qu’ils sont privés des commodités de la vie ; nous disons au contraire que les avares sont pauvres, parce que, si grands que soient leurs trésors, comme ils en désirent toujours davantage, ils sont toujours dans l’indigence. Nous disons encore fort bien que le vrai Dieu est riche, non certes en argent, mais en toute-puissance. Je sais que les hommes pécunieux sont aussi appelés riches, mais ils sont pauvres au dedans, s’ils sont cupides. Je sais aussi qu’un homme sans argent est réputé pauvre, mais il est riche au dedans, s’il est sage. Quel cas peut donc faire un homme sage d’une théologie qui donne au roi des dieux le nom d’une chose qu’aucun sage n’a jamais désirée[1] ? n’eût-il pas été plus simple, sans la radicale impuissance du paganisme à rien enseigner d’utile à la vie éternelle, de donner au souverain Maître du monde le nom de Sagesse plutôt que celui de Pecunia ? car c’est l’amour de la sagesse qui purifie le cœur des souillures de l’avarice, c’est-à-dire de l’amour de l’argent.

  1. Allusion à un passage de Salluste, De conj. Catil., cap. 11.