La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VII/Chapitre VII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 137-138).
CHAPITRE VII.
ÉTAIT-IL RAISONNABLE DE FAIRE DEUX DIVINITÉS DE JANUS ET DE TERME ?

Je demande d’abord ce que c’est que Janus, qu’on place à la tête de ces dieux choisis ? on me dit : c’est le monde. Voilà une réponse courte et claire assurément ; mais pourquoi n’attribue-t-on à Janus que le commencement des choses, tandis qu’on en réserve la fin à un autre dieu nommé Terme ? car c’est pour cela, dit-on, qu’en dehors des dix mois qui s’écoulent de mars à décembre, on a consacré deux mois à ces divinités, janvier à Janus et février à Terme ; d’où vient aussi que les Terminales se célèbrent en février et qu’il s’y fait une cérémonie expiatrice appelée Februum, laquelle a donné au mois son nom[1]. Quoi donc ! est-ce à dire que le commencement des choses appartienne à Janus et que la fin ne lui appartienne pas, étant réservée à un autre dieu ? Mais n’est-il pas reconnu des païens que tout ce qui prend commencement en ce monde y prend également fin ? Voilà une dérision étrange de ne donner à ce dieu qu’une demi-puissance dans la réalité, tandis qu’on donne à sa statue un double visage ! Ne serait-ce pas une explication plus heureuse de cet emblème, de dire que Janus et Terme sont un seul et même dieu dont une face répond au commencement des choses et l’autre à leur fin ? car on ne peut agir sans considérer ces deux points. Quiconque, en effet, perd de vue le commencement de son action, ne saurait en prévoir la fin, et il faut que l’intention qui regarde l’avenir se lie à la mémoire qui regarde le passé. Autrement, après avoir oublié par où on a commencé, on ne sait plus par où finir. Dira-t-on que si la vie bienheureuse commence dans le monde, elle s’achève ailleurs, et que c’est pour cela que Janus, qui est le monde, n’a de pouvoir que sur les commencements ? mais à ce compte on aurait dû mettre le dieu Terme au-dessus de Janus, au lieu de l’écarter du nombre des divinités choisies ; et même dès cette vie, où l’on partage le commencement et la fin des choses entre Janus et Terme, Terme aurait dû être plus honoré que Janus. C’est en effet quand on touche au terme d’une entreprise qu’on éprouve le plus de joie. Les commencements sont pleins d’inquiétude, et l’âme n’est tranquille qu’en voyant la fin de son action ; c’est à la fin qu’elle tend ; c’est la fin qu’elle désire, qu’elle espère, qu’elle appelle de ses vœux, et il n’y a de triomphe pour elle que dans le complet achèvement.

  1. Varron cite cette cérémonie comme une institution de Numa (De lingua lat., lib. vi, § 13). Sur la fête des Terminales, voyez Ovide, Fastes, livre ii, v. 639 et suiv.