La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IV/Chapitre XVII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 81).
CHAPITRE XVII.
SI, EN SUPPOSANT JUPITER TOUT-PUISSANT, LA VICTOIRE DOIT ÊTRE TENUE POUR DÉESSE.

Dira-t-on que c’est Jupiter qui envoie la Victoire, et que cette déesse, étant obligée d’obéir au roi des dieux, va trouver ceux qu’il lui désigne et se range de leur côté ? Cela aurait un sens raisonnable si, au lieu de Jupiter, roi tout imaginaire, il s’agissait du véritable Roi des siècles, lequel envoie son ange (et non la Victoire, qui n’est pas un être réel) pour distribuer à qui il lui plaît le triomphe ou le revers selon les conseils quelquefois mystérieux, jamais injustes, de sa Providence. Mais si l’on voit dans la Victoire une déesse, pourquoi le Triomphe ne serait-il pas un dieu ; et que n’en fait-on le mari de la Victoire, ou son frère, ou son fils ? En général, les idées que les païens se sont formées des dieux sont telles que si je les trouvais dans les poëtes et si je voulais les discuter sérieusement, mes adversaires ne manqueraient pas de me dire que ce sont là des fictions poétiques dont il faut rire au lieu de les prendre au pied de la lettre ; et cependant ils ne riaient pas d’eux-mêmes, quand ils allaient, non pas lire dans les poëtes, mais consacrer dans les temples ces traditions insensées. C’est donc à Jupiter qu’ils devaient demander toutes choses, c’est à lui seul qu’il fallait s’adresser ; car, supposez que la Victoire soit une déesse, mais une déesse soumise à un roi, de quelque côté qu’il l’eût envoyée, on ne peut admettre qu’elle eût osé lui désobéir.