La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IV/Chapitre XIX

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 82).
CHAPITRE XIX.
DE LA FORTUNE FÉMININE.

Les païens ont tant de respect pour cette prétendue déesse Fortune, qu’ils ont très-soigneusement conservé une tradition suivant laquelle la statue, érigée en son honneur par les matrones romaines sous le nom de Fortune féminine, aurait parlé et dit plusieurs fois que cet hommage lui était agréable. Le fait serait-il vrai, on ne devrait pas être fort surpris, car il est facile aux démons de tromper les hommes. Mais ce qui aurait dû ouvrir les yeux aux païens, c’est que la déesse qui a parlé est celle qui se donne au hasard, et non celle qui a égard aux mérites. La Fortune a parlé, dit-on, mais la Félicité est restée muette ; pourquoi cela, je vous prie, sinon pour que les hommes se missent peu en peine de bien vivre, assurés qu’ils étaient de la protection de la déesse aux aveugles faveurs ? Et en vérité, si la Fortune a parlé, mieux eût valu que ce fût la Fortune virile[1] que la Fortune féminine, afin de ne pas laisser croire que ce grand miracle n’est en réalité qu’un bavardage de matrones.

  1. Plutarque assure qu’il y avait à Rome un temple dédié par le roi Ancus Martius à la Fortune virile (De fort. Roman., p. 318, F. — Comp. Ovide, Fastes, lib. iv, vers 145 et seq.)