La Cité de Dieu (Augustin)/Livre III/Chapitre XXX

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 68-69).
CHAPITRE XXX.
DE L’ENCHAÎNEMENT DES GUERRES NOMBREUSES ET CRUELLES QUI PRÉCÉDÈRENT L’AVÉNEMENT DE JÉSUS-CHRIST.

Quelle est donc l’effronterie des païens, quelle audace à eux, quelle déraison, ou plutôt quelle démence, de ne pas imputer leurs anciennes calamités à leurs dieux et d’imputer les nouvelles à Jésus-Christ ! Ces guerres civiles, plus cruelles, de l’aveu de leurs propres historiens, que les guerres étrangères, et qui n’ont pas seulement agité, mais détruit la république, sont arrivées longtemps avant Jésus-Christ, et par un enchaînement de crimes, se rattachent de Marius et Sylla à Sertorius et Catilina, le premier proscrit et l’autre formé par Sylla. Vint ensuite la guerre de Lépide et de Catulus, dont l’un voulait abroger ce qu’avait fait Sylla et l’autre le maintenir ; puis la lutte de Pompée et de César, celui-là partisan de Sylla qu’il égala ou surpassa même en puissance ; celui-ci, qui ne put souffrir la grandeur de son rival et la voulut dépasser encore après l’avoir vaincu ; puis enfin, nous arrivons à ce grand César, qui fut depuis appelé Auguste, et sous l’empire duquel naquit le Christ. Or, Auguste, lui aussi, prit part à plusieurs guerres civiles où périrent beaucoup d’illustres personnages, entre autres cet homme d’Etat si éloquent, Cicéron. Quant à Jules César, après avoir vaincu Pompée, et usé avec tant de modération de sa victoire, qu’il pardonna à ses adversaires et leur rendit leurs dignités, il fut poignardé dans le sénat par quelques patriciens, prétendus vengeurs de la liberté romaine, sous prétexte qu’il aspirait à la royauté. Après sa mort, un homme d’un caractère bien différent et tout perdu de vice, Marc-Antoine, affecta la même puissance, mais Cicéron lui résista vigoureusement, toujours au nom de ce fantôme de liberté. On vit alors s’élever cet autre César, fils adoptif de Jules, qui depuis, comme je l’ai dit, fut nommé Auguste. Cicéron le soutenait contre Antoine, espérant qu’il renverserait cet ennemi de la république et rendrait ensuite la liberté aux Romains. Chimère d’un esprit aveuglé et imprévoyant ! peu après, ce jeune homme, dont il avait caressé l’ambition, livra sa tête à Antoine comme un gage de réconciliation, et confisqua à son profit cette liberté de la république pour laquelle Cicéron avait fait tant de beaux discours.