La Cité de Dieu (Augustin)/Livre II/Chapitre II

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 26-27).
CHAPITRE II.
RÉCAPITULATION DE CE QUI A ÉTÉ TRAITÉ DANS LE PREMIER LIVRE.

Ayant commencé, dans le livre précédent, de traiter de la Cité de Dieu, à laquelle j’ai résolu, avec l’assistance d’en haut, de consacrer tout cet ouvrage, mon premier soin a été de répondre à ceux qui imputent les guerres dont l’univers est en ce moment désolé, et surtout le dernier malheur de Rome, à la religion chrétienne, sous prétexte qu’elle interdit les sacrifices abominables qu’ils voudraient faire aux démons. J’ai donc fait voir qu’ils devraient bien plutôt attribuer à l’influence du Christ le respect que les barbares ont montré pour son nom, en leur laissant, contre l’usage de la guerre, de vastes églises pour lieu de refuge, et en honorant à tel point leur religion (celle du moins qu’ils feignaient de professer), qu’ils ne se sont pas cru permis contre eux ce que leur permet contre tous le droit de la victoire. De là s’est élevée une question nouvelle : pourquoi cette faveur divine s’est-elle étendue à des impies et à des ingrats, et pourquoi, d’un autre côté, les désastres de la guerre ont-ils également frappé les impies et les hommes pieux ? Je me suis quelque peu arrêté sur ce point, d’abord parce que cette répartition ordinaire des bienfaits de la Providence et des misères de l’humanité tombant indifféremment sur les bons et sur les méchants, porte le trouble dans plus d’une conscience ; puis j’ai voulu, et ç’a été mon principal objet, consoler de saintes femmes, chastes et pieuses victimes d’une violence qui a pu attrister leur pudeur, mais non souiller leur pureté, de peur qu’elles ne se repentent de vivre, elles qui n’ont rien dans leur vie dont elles aient à se repentir. J’ai ajouté ensuite quelques réflexions contre ceux qui osent insulter aux infortunes subies par les chrétiens et en particulier par ces malheureuses femmes restées chastes et saintes dans l’humiliation de leur pudeur ; adversaires sans bonne foi et sans conscience, indignes enfants de ces Romains renommés par tant de belles actions dont l’histoire conservera le souvenir, mais qui ont trouvé dans leurs descendants dégénérés les plus grands ennemis de leur gloire. Rome, en effet, fondée par leurs aïeux et portée à un si haut point de grandeur, ils l’avaient plus abaissée par leurs vices qu’elle ne l’a été par sa chute ; car cette chute n’a fait tomber que des pierres et du bois, au lieu que leurs vices avaient ruiné leurs mœurs, fondement et ornement des empires, et allumé dans les âmes des passions mille fois plus dévorantes que les feux qui ont consumé les palais de Rome. C’est par là que j’ai terminé le premier livre. Mon dessein maintenant est d’exposer les maux que Rome a soufferts depuis sa naissance, soit dans l’intérieur de l’empire, soit dans les provinces soumises ; longue suite de calamités que nos adversaires ne manqueraient pas d’attribuer à la religion chrétienne, si, dès ce temps-là, la doctrine de l’Évangile eût fait librement retentir sa voix contre leurs fausses et trompeuses divinités.