La Cité de Dieu (Augustin)/Livre I/Chapitre XXXIII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 23-24).
CHAPITRE XXXIII.
LA RUINE DE ROME N’A PAS CORRIGÉ LES VICES DES ROMAINS.

Quelle est donc votre erreur, insensés, ou plutôt, quelle fureur vous transporte ! Quoi ! au moment où, si l’on en croit les récits des voyageurs, le désastre de Rome fait jeter un cri de douleur jusque chez les peuples de l’Orient[1], au moment où les cités les plus illustres dans les plus lointains pays font de votre malheur un deuil public, c’est alors que vous recherchez les théâtres, que vous y courez, que vous les remplissez, que vous en envenimez encore le poison. C’est cette souillure et cette perte des âmes, ce renversement de toute probité et de tout sentiment honnête que Scipion redoutait pour vous, quand il s’opposait à la construction d’un amphithéâtre, quand il prévoyait que vous pourriez aisément vous laisser corrompre par la bonne fortune, quand il ne voulait pas qu’il ne vous restât plus d’ennemis à redouter. Il n’estimait pas qu’une cité fût florissante, quand ses murailles sont debout et ses mœurs ruinées. Mais le séducteur des démons a eu plus de pouvoir sur vous que la prévoyance des sages. De là vient que vous ne voulez pas qu’on vous impute le mal que vous faites et que vous imputez aux chrétiens celui que vous souffrez. Corrompus par la bonne fortune, incapables d’être corrigés par la mauvaise, vous ne cherchez pas dans la paix la tranquillité de l’État, mais l’impunité de vos vices. Scipion vous souhaitait la crainte de l’ennemi pour vous retenir sur la pente de la licence, et vous, écrasés par l’ennemi, vous ne pouvez pas même contenir vos déréglements ; tout l’avantage de votre calamité, vous l’avez perdu ; vous êtes devenus misérables, et vous êtes restés vicieux.

  1. Les témoignages de cette douleur immense et universelle abondent dans les historiens. Voyez les lettres de saint Jérôme, notamment Epist. XVI, ad Principiam, et lxxxii, ad Marcell. et Anapsychiam.