La Cité de Dieu (Augustin)/Livre I/Chapitre XXXI

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 22-23).
CHAPITRE XXXI.
PAR QUELS DEGRÉS S’EST ACCRUE CHEZ LES ROMAINS LA PASSION DE LA DOMINATION.

Comment, en effet, cette passion se serait-elle apaisée dans ces esprits superbes, avant que de s’élever par des honneurs incessamment renouvelés jusqu’à la puissance royale ? Or, pour obtenir le renouvellement de ces honneurs, la brigue était indispensable ; et la brigue elle-même ne pouvait prévaloir que chez un peuple corrompu par l’avarice et la débauche. Or, comment le peuple devint-il avare et débauché ? par un effet de cette prospérité dont s’alarmait si justement Scipion, quand il s’opposait avec une prévoyance admirable à la ruine de la plus redoutable et de la plus opulente ennemie de Rome. Il aurait voulu que la crainte servit de frein à la licence, que la licence comprimée arrêtât l’essor de la débauche et de l’avarice, et qu’ainsi la vertu pût croître et fleurir pour le salut de la république, et avec la vertu, la liberté ! Ce fut par le même principe et dans un même sentiment de patriotique prévoyance que Scipion, je parle toujours de l’illustre pontife que le sénat proclama par un choix unanime meilleur citoyen de Rome, détourna ses collègues du dessein qu’ils avaient formé de construire un amphithéâtre. Dans un discours plein d’autorité, il leur persuada de ne pas souffrir que la mollesse des Grecs vînt corrompre la virile austérité des antiques mœurs et souiller la vertu romaine de la contagion d’une corruption étrangère. Le sénat fut si touché par cette grave éloquence qu’il défendit l’usage des siéges qu’on avait coutume de porter aux représentations scéniques. Avec quelle ardeur ce grand homme eût-il entrepris d’abolir les jeux mêmes, s’il eût osé résister à l’autorité de ce qu’il appelait des dieux ! car il ne savait pas que ces prétendus dieux ne sont que de mauvais démons, ou s’il le savait, il croyait qu’on devait les apaiser plutôt que de les mépriser. La doctrine céleste n’avait pas encore été annoncée aux Gentils, pour purifier leur cœur par la foi, transformer en eux la nature humaine par une humble piété, les rendre capables des choses divines et les délivrer enfin de la domination des esprits superbes.