Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/La Chauve-souris et les deux Belettes

Pour les autres éditions de ce texte, voir La Chauve-souris et les Deux Belettes.


V.

La Chauveſouris & les deux Belettes.



Une Chauveſouris donna teſte baiſſée
Dans un nid de Belette ; & ſitoſt qu’elle y fut,
L’autre envers les Souris de long-temps courroucée,

Pour la devorer accourut.
Quoy ? vous oſez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Aprés que voſtre race a tâché de me nuire ?
N’eſtes-vous pas Souris ? Parlez ſans fiction.
Oüy vous l’eſtes, ou bien je ne ſuis pas Belette.
Pardonnez-moy, dit la pauvrette,
Ce n’eſt pas ma profeſſion.
Moy Souris ! des méchans vous ont dit ces nouvelles.
Grace à l’Auteur de l’Univers,
Je ſuis Oyſeau ; voyez mes aiſles :
Vive la gent qui fend les airs.
Sa raiſon plut & ſembla bonne.
Elle fait ſi bien qu’on luy donne
Liberté de ſe retirer.
Deux jours aprés noſtre étourdie
Aveuglément va ſe fourrer

Chez une autre Belette aux Oyſeaux ennemie.
La voila derechef en danger de ſa vie.
La Dame du logis, avec ſon long muſeau,
S’en alloit la croquer en qualité d’Oyſeau,
Quand elle proteſta qu’on lui faiſoit outrage.
Moy pour telle paſſer ? vous n’y regardez pas.
Qui fait l’Oyſeau ? c’eſt le plumage.
Je ſuis Souris ; vivent les Rats.
Jupiter confonde les Chats.
Par cette adroite repartie
Elle ſauva deux fois ſa vie.

Pluſieurs ſe ſont trouvez qui d’écharpe changeans,

Aux dangers, ainſi qu’elle, ont ſouvent fait la figue.
Le Sage dit, ſelon les gens,
Vive le Roi, vive la Ligue.