XI

COMMENT RAOUL ET LES DEUX MESSIEURS DE COËTLOGON FIRENT LEUR TESTAMENT EN PLEIN CHAMP, CETTE NUIT.


Quelques minutes après, maître Piètre Gadoche restait seul dans la Hutte-aux-Fouteaux, avec son médecin ordinaire, le docteur Saunier. La troupe tout entière courait la forêt à cheval, commandée par les deux lieutenants. C’était une collection d’aventuriers hardis et pour la plupart anciens soldats mercenaires. Tous connaissaient le maniement des armes et pouvaient passer pour de bons cavaliers.

Tontaine détacha quelques-uns d’entre eux qui se portèrent en éclaireurs vers la Croix-Aubert, tandis que le gros de la troupe se dirigeait, au grand galop, directement sur la Font-de-Farge, où l’attaque devait avoir lieu.

À la Croix-Aubert, tous les préparatifs de départ étaient faits et le chevalier de Saint-Georges allait monter à cheval, quand Raoul revint de son expédition à l’auberge du Lion-d’Or.

Les avis donnés par Mariole devaient changer du tout au tout les dispositions du voyage. Pendant que Jacques Stuart, cédant aux pressantes sollicitations du vieux baron Douglas, passait sous son pourpoint une fine cotte de mailles, légère comme un tissu de soie et qui pourtant était à l’épreuve de l’épée, Raoul, lady Mary Stuart et les deux cadets de Coëtlogon tinrent conseil.

Raoul ne cacha rien de ce qu’il avait appris : Les estafiers de mylord ambassadeur étaient en campagnes et prévenus ; lui-même, Raoul, avait déjà essuyé un coup de feu en se rendant à l’auberge du Lion-d’Or. Selon toute probabilité, le roi était trahi par quelqu’un de sa propre maison, et le scélérat déterminé qui avait pris en quelque sorte à forfait l’entreprise de la capture ou du meurtre du dernier Stuart, connaissait heure par heure, tout ce qui se passait à la cour exilée.

Fallait-il passer outre ? Fallait-il remettre la tentative de fuite à une autre nuit ?

La Cavalière avait la vaillance d’un homme sous sa charmante enveloppe de jeune fille. Elle ne permit pas même qu’on allât aux avis, et décida tout d’abord que Jacques Stuart devait partir sur l’heure. Seulement il fallait prendre des mesures pour détourner le danger de la personne du roi.

La délibération fut courte et solennelle, Raoul avait parlé, proposant un plan que la suite expliquera. Tout le monde adoptait son avis.

— Vicomte, objecta cependant la Cavalière, vous êtes un noble cœur : mais, si vous allez seul, le plan ne réussira pas. Comment croire que le roi marche sans compagnie ?

— J’aurai mes deux serviteurs, répondit Raoul,

— Ils ont manqué tous les deux, cette nuit, à l’appel, dit Drayton, qui entrait en costume de campagne. Le roi est prêt et attend.

Les deux Coëtlogon, Yves et René, firent ensemble un pas vers la Cavalière. Elle regarda d’un œil ému ces deux adolescents aux fronts pareils : sourires d’enfants, tailles de héros.

— Non… non ! dit-elle avant qu’ils eussent parlé, c’est aller à la mort !

— Milady, prononça Yves doucement, vous ne pouvez pas nous refuser.

— La sûreté du roi, ajouta René, est à ce prix !

— Mais, murmura-t-elle indécise et ne pouvant empêcher sa voix de trembler, ce sont vos existences que vous donnez au roi !

— À vous, madame Mary, à vous, répliquèrent-ils, penchés sur sa main tous les deux, et nous ne vous donnons rien, puisqu’elles vous appartiennent !

— Que Dieu vous aide, messieurs mes chers amis, prononça lentement la Cavalière en relevant sa blanche main jusqu’à leurs lèvres ; moi, je vous remercie !

Ils se redressèrent la joie et l’enthousiasme dans les yeux.

— Monsieur le vicomte nous accepte-t-il pour écuyers ? demanda Yves.

Raoul leur tendit ses deux mains et les attira contre sa poitrine.

Les chevaux piaffaient dans la cour. Raoul et ses deux nouveaux compagnons sautèrent en selle. La cavalcade, en comptant Mary Stuart de Rothsay et le vieux Douglas, qui, ne pouvant prévenir l’entreprise, avait voulu marcher au premier rang, se composait, comme la troupe ennemie, d’une trentaine d’épées.

Les portes de la cour ayant été ouvertes, la cavalcade partit en silence et dans l’ordre suivant, déterminé par Raoul, à qui le chevalier de Saint-Georges avait donné carte blanche.

En tête chevauchaient Thomas Erskine, le veneur et le Français Bouchard, intendant des écuries, avec quatre valets-écuyers ; puis venait mylord baron Douglas, que suivait son service privé, composé de trois hommes à la livrée du roi.

Le roi venait ensuite, ayant à sa gauche Drayton, à sa droite lady Mary Stuart de Rothsay en costume d’amazone et armée. Devant, derrière et autour de ce groupe principal, une garde de dix hommes allait.

L’arrière-garde était composée de Raoul, des deux Coëtlogon et de quelques valets.

Dès le commencement de la route, un incident de pénible augure se produisit. Un des hommes de la suite privée du roi se déroba sur la gauche du sentier de chasse et disparut au grand galop dans les fourrés.

On n’avait plus à chercher le traître qui avait vendu le projet de départ ; on n’avait plus à douter non plus des informations toutes fraîches qui allaient être portées à l’ennemi. Heureusement qu’aucun témoin n’avait assisté au conseil tenu entre la Cavalière et ses fidèles.

La neige avait cessé, mais de gros nuages, noirs au centre, argentés sur leurs bords couraient encore au ciel, où la lune pleine se montrait parfois soudain, dans tout ce radieux éclat que lui donne l’hiver, pour se replonger bientôt dans les vapeurs errantes.

Plusieurs fois, pendant qu’on était encore dans les coupes de Behomme, on vit et l’on entendit les cavaliers qui semblaient échelonnés en espions sur la route. Par cette nuit claire, il eût été assurément possible de les atteindre ; mais l’ordre exprès du vicomte Raoul était de ne point s’écarter et surtout de ne point faire usage des armes à feu. Du reste, l’ennemi semblait avoir un mot d’ordre pareil. Aucun coup de mousquet ne fut tiré par les cavaliers mystérieux.

Vers une heure du matin, la cavalcade, laissant Bar-le-Duc au loin sur sa gauche, arriva à la route de Verdun, au bord de laquelle l’hôtellerie du Lion-d’Or, naguère si pleine de lumières et de bruits, se dressait maintenant silencieuse et noire. Une seule lueur s’y pouvait découvrir ; elle partait de la petite fenêtre de la soupente où la grande Hélène veillait sans doute au chevet de son père mort.

Aussitôt que l’escorte du roi eut touché la route de Verdun, un parti, commandé par Thomas Erskine, s’en détacha et tourna au galop vers le nord, tandis que le gros de la troupe continuait de chevaucher à l’ouest, dans le sentier de chasse.

Il y eut un mouvement sous-bois, où des éclaireurs ennemis suivaient évidemment la marche du roi, depuis la Croix-Aubert. Après un moment d’hésitation, on put entendre le galop de plusieurs chevaux derrière les arbres.

Le même fait se reproduisit au-dessus de Fains, sur les bords de l’Ornain. Bouchard et six hommes s’élancèrent à fond de train, sur la droite, piquant au nord.

On n’était plus dans la forêt, mais le long des haies, des bruits furent encore entendus, ainsi que le pas de plusieurs chevaux.

À une demi-lieue de Fains, Drayton quitta l’escorte avec quatre hommes. C’est à peine si l’on put remarquer un mouvement dans le bois d’Anielle que l’escorte traversait. Un seul cheval prit course pour suivre Drayton.

Enfin à peu de distance de Bussy-la-Côte, le chevalier de Saint-Georges, le baron Douglas, la Cavalière et quatre hommes encore quittèrent la direction suivie depuis le départ et galopèrent comme les autres vers le nord. Aucun bruit étranger ne les accompagna. Les éclaireurs de Gadoche étaient pleinement en défaut.

Selon le plan arrêté en conseil, Raoul et les deux cadets de Coëtlogon étaient seuls sur la route de Bar-le-Duc à Châlons-sur-Marne qu’ils venaient d’atteindre. Comme ils passaient, deux heures avaient sonné au clocher de Bussy-la-Côte. Les bois d’Anielles et les dernières traces de forêt restaient loin derrière eux. Ils traversaient un pays de prairies qui devait se continuer jusqu’à la Font-de-Farges, où commençaient les Bois-Moreaux et le territoire de la ville de Révigny.

C’était là, sur la frontière du Barrois, qu’ils devaient trouver la ligne fictive au-delà de laquelle le chevalier de Saint-Georges n’avait pas le droit de mettre le pied. C’était là aussi que devait prendre place la portion active et dangereuse du plan concerté à la Croix-Aubert.

Certes, ils n’avaient point tournure de victimes qui marchent au supplice, ces trois fiers jeunes hommes dont la lune éclairait les tailles élégantes et les souriants visages. Le départ du dernier escadron, qui les avait quittés à Boissy semblait avoir déchargé leurs poitrines d’un poids très lourd. Ils étaient gais, ils étaient libres, et laissaient aller leurs chevaux au petit galop de chasse.

Tous trois, du reste, étaient supérieurement armés et montés. Leurs fontes avaient des pistolets, aussi leurs ceintures. De bonnes épées pendaient à leurs flancs d’un côté ; de l’autre brillait l’acier de trois longues dagues toutes nues. Raoul, et c’est là le plan concerté en conseil que nous avons promis d’expliquer au lecteur, jouait ici le rôle du roi : Yves représentait lady Mary Stuart, et René figurait le baron de Douglas. Non point qu’ils fussent déguisés absolument, la nuit rendait cet excès de soins inutile ; mais néanmoins Raoul portait un feutre appartenant à Jacques Stuart, et Yves laissait flotter le long et léger manteau de la Cavalière.

Deux ou trois minutes après qu’ils eurent commencé leur course solitaire, deux chevaux, lancés à fond de train, passèrent derrière la haie, à gauche de la route.

— Soyez gracieuse, milady, murmura le vicomte en riant.

Et René, se dressant sur sa selle, dit tout haut en flûtant sa voix :

— Sire, entendez-vous ? les coquins sont en campagne !

Le bruit du galop se perdit au lointain, et Raoul reprit gaiement.

— Ici finit la comédie. L’effet est fait. Les drôles vont annoncer là-bas Ma Majesté, Votre Grâce et Sa Seigneurie.

— Alors, riposta Yves, on peut chevaucher à son aise : ce sont nos derniers espions.

— Te fatigues-tu, demanda René, de porter le manteau de notre belle maîtresse ?

— Non ! murmura Yves. Vicomte, merci encore, merci mille fois, si vous nous donnez le bonheur de mourir pour elle !

— Il vaut mieux vivre, messieurs, s’écria Raoul, pour elle et pour vos fiancées !

Ils répondirent tous deux :

— Nous n’avons pas de fiancées.

— Seriez-vous donc, reprit Raoul toujours riant, les rivaux du roi, messieurs ?

Sa joyeuse question fut suivie d’un silence glacé.

— Sommes-nous bientôt arrivés ? demanda René au bout d’un moment.

— J’ai hâte ! ajouta Yves.

Raoul s’arrêta court et poussa son cheval au pas jusqu’au fossé qui bordait la route. C’était le sommet d’une côte peu élevée, mais très longue laquelle arrivait en pente douce à cette large plaine, verdie éternellement par les mille sources d’eau vive qu’on nomme génériquement la Font-de-Farges. Les bois Moreaux bornaient l’horizon.

— C’est là ! dit le vicomte.

— Allons ! s’écrièrent d’une seule voix les deux frères.

— Attendez, reprit Raoul. N’apercevez-vous point un point sombre dans la plaine ?

— Si fait, à vingt pas de la route ?

— Juste ! ce sont les troupes régulières de Roboam Boër, commandées par son général en chef l’illustre Piètre Gadoche. Messieurs, je vous soumets une observation. Moi, j’ai une fiancée, et je voudrais lui garder son futur époux…

— Nous irons seuls, vicomte si vous voulez…

— Messieurs ! dit Raoul, qui se redressa.

Deux mains cherchèrent la sienne, demandant un double pardon.

— Je ne donne pas ainsi ma part d’une pareille fête, reprit Raoul, revenu à toute sa bonne humeur. Seulement je dis ceci ; Notre comédie est jouée, et peu importe que nous soyons reconnus désormais, puisque le roi a de l’avance sur une autre route. Au lieu de passer comme trois chevreuils qui comptent sur leur vitesse pour éviter la balle du chasseur, je propose d’aller droit à la meute, comme trois sangliers de bon sang.

— Comme trois lions ! dirent les deux frères. Bravo ! en route donc !

— En route !… Voulez-vous m’embrasser, mes enfants ?

Yves et René lui tendirent leurs bras, et ce fut, nous l’affirmons, une vaillante accolade.

— Qui m’aime me suive ! cria Raoul en piquant des deux.

Qui l’aimait ne le suivit pas tout d’abord, car les deux frères s’embrassaient à leur tour.

— Je suis sûr de n’être jamais contre toi, René ! murmura Yves.

— Tu dis vrai, frère, répliqua René, puisque Dieu ne nous a fait qu’un cœur !

Leurs chevaux, blessés par l’éperon, bondirent, et quoiqu’un galop furieux les emportât déjà sur la pente, Yves et René se tenaient encore par la main. Ils ne parlaient plus. Raoul malgré la vitesse de leur course, restait à une vingtaine de pas en avant.

— Attendez-nous, vicomte ! crièrent-ils, au moment où la hauteur des talus leur cachait la vue de l’embuscade.

Raoul sembla d’abord ne pas les entendre, mais soudain il se ravisa, donnant du mors à son cheval.

— Mes enfants, dit-il, vous avez raison, il faut mourir ou vivre ensemble.

Il ajouta :

— N’y a-t-il rien à faire pour vous, en cas de malheur ?

— Notre mère est morte, répondit Yves. Rien.

Mais René :

— Mon frère se trompe. Au cas où nous resterions ici, je serais content, lui de même, si lady Mary Stuart de Rothsay unissait son nom et le mien dans sa prière.

— Il en sera selon votre désir, prononça le jeune vicomte avec gravité. Vous plaît-il de recevoir aussi ma dernière volonté ?

— Cela nous plaît, repartirent les deux frères.

Raoul se rapprocha et dit :

— Moi, j’ai ma mère. Je voudrais qu’on allât vers elle, au château de Combourg, en l’évêché de Dol, et qu’on lui rapportât que je suis mort comme il faut, en bon chrétien, avec sa pensée dans le cœur, pour le fils d’un roi qui fut secourable à mon père.

— Il en sera ainsi ! s’écrièrent les deux Coëtlogon.

— Attendez, reprit le jeune vicomte avec son brave sourire, mon testament est plus long que le vôtre, enfants. Je vous parlais tout à l’heure de ma fiancée : ce n’est pas une héritière de noblesse. Je voudrais que ma mère apprît de vous qu’il reste au monde une pauvre fille que j’aime, pure et bonne comme les anges. Je lui aurais donné mon nom, c’était promis. Que ma mère soit sa mère, en souvenir de moi. Elle a nom Mariole, et demeure à l’auberge du Lion-d’Or, sur la route de Bar-le-Duc à Verdun.

— Il sera fait comme vous voulez, monsieur notre ami, si Dieu prête vie à l’un de nous, promit chaleureusement René.

— Je le jure ! ajouta Yves.

Leurs mains se joignirent encore en une solennelle étreinte.

La lune brillait au plus haut du ciel, dans un large espace libre qu’entourait une ceinture de nuages. Raoul se redressa et commanda :

— La bride aux dents ! l’épée d’une main, le pistolet de l’autre ! En avant !

Les chevaux reprirent leur course, descendant la côte comme un tourbillon. Deux ou trois coups de feu retentirent, sur la droite, tirés sans doute par les sentinelles. Les balles sifflèrent.

— En avant ! en avant !

Au bas de la côte, le talus cédait, montrant la plaine éclairée presque aussi distinctement qu’en plein jour. L’embuscade était massée à une trentaine de pas de la voie, sur la droite. On voyait briller les canons inclinés des mousquets ; il aurait été presque possible de distinguer les figures.

La grosse voix de Tontaine, le lieutenant, s’éleva dans le vaste silence qui naguère couvrait ces campagnes ; l’embuscade noire s’alluma comme un brasier qui pétille, et une retentissante explosion fit tonner les échos de la plaine.

— Volte à droite ! En avant !

Les trois chevaux bondirent par-dessus le bas talus, et leur pas s’étouffa sur l’herbe grasse de la prairie.

En vérité il n’était plus temps d’avoir de la mélancolie. Le vent désordonné de la course, la musique des balles, l’odeur de la poudre, en voilà plus qu’il ne faut pour remettre le cœur à sa place et réveiller la bonne humeur endormie. Raoul et ses deux compagnons étaient loin de leur testament : ils avaient chaud au cerveau comme après un dîner de fête.

— En avant ! en avant !

On voyait bien que parmi les bandits il y avait bon nombre de soudards. Tontaine et Lapierre, les deux lieutenants de Piètre Gadoche, avaient certes fait preuve d’intelligence dans la disposition de leur petite troupe, qui présenta une demi-lune immobile à l’assaut de nos cavaliers, les deux ailes toutes prêtes à se replier en avant pour les envelopper.

Aucun coup de feu n’avait suivi la première décharge générale. Nos cavaliers purent entendre la voix du lieutenant commandant qui disait :

— Veillez aux chevaux ! Le roi est le premier ! Ne tuez pas la Cavalière : c’est une belle personne.

Malgré l’élan qui l’emportait, Raoul comprit que les chevaux dont parlait le bandit étaient ceux de la troupe elle-même. Son regard rapide passa par-dessus l’embuscade et découvrit au pied d’un bouquet de saules, une autre masse noire.

Au moment où la distance dévorée disparut entièrement entre nos amis et la bande, Tontaine cria :

— Feu des pistolets ! Bout portant !

Le choc avait lieu. La décharge se fit en même temps, mais trop tard. Nos cavaliers, perçant le premier rang comme un pieu entrerait en terre, étaient déjà au centre de la bande et travaillaient comme il faut.

— Feu des pistolets ! répéta Raoul en écrasant la cervelle d’un grand diable qui saisissait sa bride. Arrière, coquins ! ne touchez pas le roi !

Yves, debout sur ses étriers, fendait le crâne épais d’un ancien reître, disant :

— Respect aux dames, pleutres ! Ne voyez-vous pas qui je suis ?

Et René, battant d’estoc et de taille comme un furieux, criait :

— Ayez pitié du grand âge de Douglas !

— Par la corbleu ! gronda Tontaine qu’un revers de Raoul venait de balafrer en plein visage, nous sommes joués ! ce n’est pas le roi !

— Et ce n’est pas la princesse ! hurla Lapierre, tombant sous un fendant de la fausse milady. Tue ! tue !

— Tue ! tue ! répéta Tontaine aveuglé par le sang et la colère.

Son pistolet déchargé fit sauter le crâne d’un des siens, René le saisit aux cheveux et lui plongea sa dague dans la poitrine.

— En avant ! cria Raoul, en avant toujours !

La demi-lune était percée de part en part, mais le cheval de René chancelait sous lui, et le bras d’Yves, fracassé par une balle, tombait inerte à son côté.

— En avant ! en avant !

Mettant ses éperons tout entiers dans le ventre de son cheval blessé, Raoul s’élança vers le bouquet de saules.

Tontaine, mordant la terre et se débattant convulsivement au milieu d’une demi-douzaine de cadavres, râlait : Tue, tue ! tandis que Lapierre ralliait ses hommes, car il s’attendait à une nouvelle attaque, à revers.

— Nous ne gagnerons rien avec ces démons ! grondaient les bandits découragés ; nous n’aurons pas la prime, le roi nous a échappé.

Quatre coups de feu éclairèrent le bouquet de saules : c’étaient Rogue et Salva qui prenaient la fuite, après avoir déchargé leurs pistolets.

— Aux chevaux ! cria Lapierre avec un blasphème : ces coquins les ont abandonnés.

Mais il n’était plus temps. Raoul avait déjà sauté en selle sur une monture fraîche, et les deux Coëtlogon, taillant les brides à grands coups d’épée, mettaient le reste des chevaux en liberté.

— En avant ! en avant !

Lapierre était encore à moitié chemin du bouquet de saules et ses hommes rechargeaient leurs mousquets en courant, quand nos trois cavaliers, faisant volte-face, passèrent au galop devant le front disloqué de la bande, en lâchant la volée de leurs pistolets de fontes.

Puis, tournant rond et se mettant à la queue des chevaux qu’ils chassèrent devant eux comme un troupeau, ils agitèrent leurs feutres en manière d’adieu.

— Au revoir, messieurs les coquins ! dit Raoul. Le roi est loin. Il nous avait envoyés à vous. Nous allons lui porter de vos bonnes nouvelles !