La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XVIII

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 103-105).

Chapitre dix-huitième.
Du levrier et de toute sa nature.


Le levrier est une manière de chiens que pou de genz sont qui bien n’en ayent veu ; toutesvoyes pour deviser comme levrier doit estre tenu pour bon et pour bel je deviseray de leurs manières. De touz poillz de levriers y a de bons et de mauvès. Bonté de levrier vient de droit cuer, et de bonne nature de bon père et de bonne mère ; et on puet bien aidier à fère bons, en encharnant avec bons levriers et feisant bonnes cuyrées en la beste qu’il voudra qu’il preinhe le mieulz et en autres manières que je dirai, quant parleray du veneur. Levrier doit estre moyen, ne trop grant, ne trop petit, et lors est-il pour toutes bestes ; quar s’il estoit trop grant, il ne vaudroit rien pour les menues bestes ; et s’il estoit trop petit, il ne vaudroit rien pour les grandes bestes ; toutesvoyes qui les puelt maintenir, est bon qu’il en ait et des uns et des autres : de grans, de petiz et de moyens.

Lévrier doit avoir longue teste et assez grosse feste en forme de luz[1] ; bons crocs et bonnes dens endroit l’une de l’autre ; non pas que la maisselle dessouz passe celle dessus, ne celle dessus passe la dessouz. Les yeulz doyvent estre vermeillz ou noirs comme d’un esprevier ; les oreilles petites et hautes en guise de serpent ; le col gros et long plié en guise de cigne ; le pis grant et ouvert et la harpe bien avalée[2] en guise de lion ; espaules hautes comme chevreul ; les jambes devant droites et assez grosses et non pas trop haut en jambé ; les piez drois et reonz, comme un chat et gros ongles ; le costé lonc comme une biche et bien avalé ; les riebles[3] de l’eschine gros et durs comme une eschine de cerf. Et s’il est qu’il ait un pou haute l’eschine, il en vault mieulz que s’il l’a plate ; petit vit et pou pendant, petitz coullons et serrés ; le ventre alinhé près des riebles comme lamproye ; les cuisses grosses et quarrées, comme lièvre ; les jarrez drois, et non pas courbes comme un buef ; la cueue de rat, fesant un pou d’anel au bout, et non pas trop haute. Les ii os de l’eschine derrières large et de plaine paulme ou plus. Et y a de bons levriers à longues cueues bons et hardiz et tost allant ; et bon levrier doit aller si tost, que s’il est bien geté, il doibt ateindre toute beste, et là où illa ateindra la doit prendre par où plus tost pourra, sans abayer, et sans marchander. Et doit estre courtois et non pas fel[4] ; bien suyvant son maistre et fesant ce qu’il li commendera et doulz et net et gentil et lie et joyeulz et voulentiers gracieux en toutes manières fors que ès bestes[5] salvaiges, où il doit estre fel, despiteux et aigre.

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  1. Luz, brochet ; luzel, brocheton, du mot latin lucius.

    Lucius est piscis rex atque tyrannus aquarum.

    (École de Salerne.)

    Lors ne fut point la terre arée ;
    Mais comme Dieu l’avoit parée
    Et d’elle mesmes apportoit,
    Ce dont chacun se confortoit :
    Ne queroient saumons, ne luz.

    (Roman de la Rose, vers 8772–8777.)

    La tête du brochet est, en effet, allongée comme celle du levrier. Vérard, qui n’a pas compris ce passage, a imprimé : « Le levrier a tête en forme de lys. »

  2. Harpe me parait devoir s’entendre le flanc du levrier. On trouve dans Salnove : « Chien bien harpé, c’est quand un chien a les hanches larges. » Par conséquent, les flancs un peu rentrés ou, comme dit Phœbus, avalés.

    Le Dictionnaire du Journal des Chasseurs donne cette explication : Harpé se dit d’un levrier qui a l’estomac fort avancé et fort bas, et le ventre très haut et très élevé, parce qu’il se rapproche, en effet, de la forme d’une harpe. Cette étymologie est peut-être un peu hasardée. Selon Napoléon Landais, harpe signifie, « en vénerie, la griffe d’un chien. » Cette définition me paraît inadmissible. Elle ne peut se concilier avec le texte de Gaston Phœbus.

  3. Riebles, rables.
  4. Fel, traître.
  5. Que ès bestes… excepté contre les bestes.