La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LX

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 237-243).

Chapitre soixantième.
Ci devise à faire hayes pour toutes bestes.


Après ce que j’ay parlé comment on doit chassier bestes sauvaiges à force, vueill je deviser comment on les puet prendre par mestrie, ne à quieulz enginhs on le puet fère. Quar il me semble que null n’est parfetement bon veneur s’il ne scet prendre bestes à force et par enginhs. Mès de ce parleray-je mal voulentiers, quar je ne devroye enseinher à prendre les bestes ce n’est par noblesse et gentillesse, et pour avoir biauls déduis, afin qu’il y heust plus de bestes et que on ne les tuast pas faussement, mes en trouvast len tousjours à chassier. Mès par deux raisons le me convient à dire. L’une je feroye trop grant pechié se je povoye fère les gens sauvier et aler en paradis, et je les fesoye aler en enfer. Et aussi se je fesoye les gens mourir et les peusse fère vivre longuement. Et aussi se je fesoye les gens estre tristes et mornes et pensifs et je les peusse fère vivre liement ; et comme j’ay dit au commencement de mon livre que bons veneurs vivent longuement et joyeusement, et quant ilz meurent, ilz vont en paradis, je vueil enseigner à tout homme d’estre veneur ou en une manière ou en autre ; mès je dis bien que s’il n’est bon veneur il n’entrera ja en paradis ; mes en queuques manières qu’ils soient veneurs, croy je bien qu’ilz entreront en paradis, non pas au milieu, mès en aucun bout ou au moins seront ilz logiez ès fors bours ou basses cours de paradis seulement pour oster cause d’ocieuseté qui est fondement de tous maulx. Et aussi on dit vouldroit le lierre que chascun fust son frère. Pour ce voudroye je, quar je suis veneur, que chescun fut nices[1] comme je suis.

Et commenseray premièrement à quantes manières de las et de cordes et à quantes manières de trère à l’arc et autres engins on puet prendre le cerf. Donc quant nostre veneur nouvel voudra prendre le cerf à court deduit et villenement et est droitement déduit d’omme gras ou d’omme vieill ou qui ne vuelt travailler, et est belle chasse pour eulz, mès non pas pour homme qui vuelt chassier par mestrise et par droite venerie. Mès est bon pour metre à la voye et à la char ses chiens au commencement de la sayson en afetoisons. Lors doit il doncques en temps de quaresme, entre le vert et le sec, fère ses hayes ; et doit estre fete la haye en lieu couvert et bas ; quar s’il estoit en cler pays et haut, les bestes qui n’ont pas acoustumé de veoir ilec endroit le bois que on y aroit abatu, ne se voudroyent mie voulentiers bouter en mi la haye. Pour ce di je que elle soit fète en lieu couvert et bas, qu’il ne leur semble qu’il y ait rien fet de nouvel et ne soit pas fète toute droyte ; quar se elle estoit fète une huere avant et autre arrière, les bestes si prendront mieulz que s’elle estoit toute droite. Et doit avoir la haye pour prendre le cerf de haut une grant toyse au moins. Et doit estre fète espesse, de bois geté l’un sur l’autre, non pas couper les arbres tout au travers, mès à la moitié et puis geté à terre ; quar pource que le temps nouvel vient, elle se garnira encore de feuilles si sera tousjours plus forte. Et doivent estre les pertuis près l’un de l’autre, le plus qu’il pourra selon les las qu’il hara ; quar en l’un ou en l’autre se prendra il plus tôt où plus près seront. Et mieulx vault fère hayes de corde que de bois. Les pertuis doivent avoir de large deux coudés, et quatre coudés de haut au moins pour le cerf. Et puet tendre ès pertuis sil veult las commun à un meistre ou las à deux meistres ou las de la lune ou petit las de povres gens, ou chevestre ou las croisiés. Et loe je qu’il y en ait de tous. Quar plus tost se prendra ou en l’un ou en l’autre, que s’ilz estoient tous d’une manière. Et doivent estre les pertuis fets et couvers en cieu manière que le cerf ne puisse veoir le baston dessus ne ceulz des costez. Et doivent estre les las tenduz pour le cerf les boutz dessus un pié de hault sus terre e bien joignant de chescun costé. Et puet lier le veneur le meistres ou mestres qui est la grosse corde qui tient au las à un arbre ; on le puet lier à un des bastons du pertuis. Et quant le cerf se boutera dedens le las il emportera et las et baston et tout. Si me semble que c’est meilleur pour afétier chiens ; quar le cerf ne pourra guères fuir quant il emportera le trainel, c’est le baston. Et les chiens l’ateindront tost et l’abayeront grant piesse et le tireront à terre eulz mesmes, si afeteront mieulx. Aussi sil a roiz il les doit tendre aux deux boutz des hayes, non pas tout droit, mès en forclouant[2] de chescune part, quar un cerf vient aucunefois à la haye et ha le vent des laz et va fuyant et lissant tout le long de la haye. Et se les roiz estoient tout droit, il iroit tousjours jusques tant qu’il fust au bout des roiz, pource di je que soient fetz en clouant de chescune part ; quar quant il sera au bout de la haye, il se ferra[3] au roiz et cela font ilz voulentiers. Les las et les roiz doivent estre tains de vert ou du jus des herbes, ou du tan à quoy on appareille les cuirs, afin que les bestes ne les aperçoivent. Et doivent estre tendus les roiz haut de huit piez au moins, un dedens terre et sept dessus ; on puet tendre ès bâtons des roiz fesant une ouche de l’une part du baston. Et aussi puet on tendre sus le bout du baston fesant pou fourchie dessus. Chescun de ces tentes est bon ; mès celuy du costé n’est que pour la venue d’une beste d’une part. Et celuy de dessus si est de toutes parts. Et faut remuer de l’autre part les bastons quant on vuelt chassier de l’autre part ; et quant ilz sont tendus au bout dessus non pas. Mes je loe que les bastons soient fets pour tendre là où l’en voudra. Et tout homme qui chasse aux roiz, doit avoir un pic de fer pour fère les pertuis en terre pour fichier les bastons ; quar il sera plus tost fet einsi que autrement ; quar s’il avoit fet fort gelée il ne les pourroit fichier autrement. Aussi doit il avoir un maillet pour fichier les cheviles où les roiz s’astachent ; aussi un petit tour pour tirier les cordes ; quar un homme les tirera mieulz à aise que ne feroient six sans tour. Aussi les bastons doivent estre fets une fois pour toutes, tous d’un haut et bien droiz. Quar ce seroit poine et perdre temps se à chescune foys que on tent roiz on avoit à faire bastons noviaulz. Et je loe que les rois soient en diverses piesses, quar mieulz vault que s’ilz estoient en une grant piesse ou en deux, quar on les porte et tent plus legièrement que ne feroit une grant piesse ou deux. Et aussi une piesse ne puet estre tendue que en un lieu et diverses piesses se pevent tendre en divers acours et en diverses fuytes. Si vaut mieulz, quar les bestes ne font mie touzjours leurs fuytes par un pays.

Aussi quant on vuelt lier l’une piesse avec l’autre, faut il qu’il y ait un anel de bois a l’un bout et à l’autre une chevile qui passe par l’anel ; et telle au travers, et fasse joindre l’un a l’autre. Le tendre des roiz se puet fère et dressier aux mains ou à une fourchete pour metre sus les bastons, qui est plus legière chose. Et doivent traîner les roiz en terre deux piez quant on chasse pour les porcz et pour les cerfz un pied haut de terre. Et les roiz doivent estre tenduz darrière aucun chemin, environ six pas, quar toute beste qui passe chemin s’effroye et se haste pour le chemin que en chiet aux roiz. Ceulz qui gardent les roiz ou la haye doivent estre trois ou quatre selon que la haye sera longue et les roiz. Les deux aux deux bouts, et les deux au milieu partis autant de l’une part comme de l’autre. Et doivent être loinh de la haye le tret d’une petite pierre, bien couvers s’ilz sont en cler pais ; mes s’ilz sont en fort, ilz doivent estre plus près. Et quant le cerf les ara passés et sera entre eulx et la haye ilz doivent crier et battre leurs paumes et l’acuillir droit à la haie. Aucuns y metent lévriers, mes c’est mal fet ; quar aucunefois ilz le hastent tant qu’ilz le font ferir aussi tot parmi la haye comme parmi le pertuis, où s’il ne puet passer, il retournera arrière. Qui chasse aux roiz sans haye est ce bonne chose que d’un lévrier ; quar il ne puet ferir ne passer par autre part fors que par les roiz.

Les hayes pour prendre le senglier et lous soient faites par la manière que j’ay dit du cerf, fors qu’elles soient plus espesses et plus basses et les pertuis plus bas ; et les las einsi comme du cerf se doivent tendre un pié de haut sus terre, du senglier, du lou et de l’ours se doivent traisner deux piez par terre, comme dit est, affin qu’ilz ne puissent passer par dessouz les las ; quar le cerf ne se baisseroit jamès tant. Mès haye pour ours ne vaut rien ; quar il monte sus un arbre, donc passeroit il bien par dessus la haye, se ce n’est d’aventure qu’il se fière en un las. Les roiz y sont moult bons.

Et qui vuelt chassier pour le cerf doit aler en queste et lessier courre comme j’ay dit. Et qui vuelt chassier pour les porcz, il est bon que trois ou quatre jours devant on aille pour veoir le pays et pour veoir la couvine[4] des bestes qui seront en la forest ou buisson et pour veoir où l’en pourra mieulz fère les hayes et asseoir ses lévriers et metre ses défences et où les porcz sont plus demourans. Et je loe que ceulz qui iront aillent à cheval environ et parmi les voies qui seront au buisson et par là où j’ay devisé que on doit aler en queste pour les porcz, et qu’ilz ne moinent point de limier ne gens à pié, ne ne fassent brisiées, se ne sont hautes brisiées pendant ; quar ceulz qui vont à pié touchent de leur robe au bois, et pour ce qu’ilz hantent les chiens, convient que leur robe sente le chenil, et se les porcz en avoient le vent ce seroit pour fère vuidier le buisson. Si vaut mieulz qu’ilz y aillent à cheval, et fètes les hayes le jour devant qu’il voudra aler chassier, il doit fere aler en queste à tous les limiers, comme j’ay dit pour le senglier ; et après l’assemblée, comme j’ay dit aussi. Et asseoir ses lévriers et ses défenses, comme j’ay dit aussi, et doibt prendre le quart de ses chiens et non plus et aller leisser courre du limier comme j’ay dit sà devant. Et la moitié des chiens qui sont demourés doivent estre liés et enhardés à l’un des boutz des roiz ou haye et les autres à l’autre. La raison si est, quar si on leissoit courre tous ses chiens et par aventure ilz acuilloient ou un cerf ou une biche, ilz seroient gastez et las pour chassier longuement après. On suppose que on leissast courre les chiens aux porcz, et ilz en acuillissent un ; avant qu’il fust mort ou à la haye ou en autre part, les chiens seroient las ; quar un porc tournie longuement en son païs, et se fait souvent abayer ; pource est bon qu’il y ait de chiens frès et nouviaus qui se puissent renouveler trois ou quatre foyz le jour, si orra l’en meilleur chasse et plus belle, et prendra on plus des bestes. Aussi les acuilleurs et gardes de la haye ou des roiz doivent acuillir le senglier à fère ferir dedens la haye ou roiz quant il les ara passés au plus grand cri et effroy qu’ilz puissent, quar il est orgueilleuse beste, que jà pour ce trop ne se hastera. Et s’il fiert ou las, il ne doit pas aler après par le pertuis ou il est entré, quar c’est grant perill ; quar quant il a alé avant le long des maistres ou mestres qui sont atachiez et il ne puet aller plus avant et se sent féru ou d’espieu ou d’espée il retourne et tue et blesse l’homme aussi bien comme s’il n’estoit dedens les laz. Mes l’homme doit aler passer à un autre las ou par dessus la haye et venir au devant de li. Einsi le puet tuer seurement à son aise ; quar le senglier ne puet aler plus avant fors que tant comme les miestres ou mes- tres ont de long, comme j’ai dit. Ceulz qui gardent la haye ou roiz pour le lou le doivent acuillir en autre manière. Chescun des valez doit avoir deux bastons ; et quant le lou les ara passé et sera entre la haye et eulz ilz ne doivent pas trop fort crier, quar il se retourneroit par aventure ; mes li doivent geter l’un des bastons après le cul, et quant il sera féru dedens les laz et roiz, ilz doivent courre après et metre l’autre baston dedens sa guele, affin qu’il ne puisse mordre l’omme, ne rompre les cordes ; et puis le puet tuer de tieuz armes comme il ara.

Aussi comme j’ay dit du cerf et du senglier, dis je du dain et du chevreul et du renard qu’ilz se pevent prendre aussi en hayes et en roiz.

Séparateur

  1. Nices. Simple.
  2. Forclouant. Attachant dehors, inclinant.
  3. Ferra, du verbe férir. Frappera.
  4. Couvine. Disposition.