La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LV

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 222-228).

Chapitre cinquante-cinquième.
Ci devise comment on doit chassier et prendre le lou.


Et quant le veneur voudra chassier le lou, il doit encharner les lous par ceste manière. Premièrement doit regarder un biau buisson près à une lieue ou demie d’autres grans forestz où il y ait biau titre de lévriers et belle place à l’environ et eaue dedens. Et là doit tuer un cheval ou un buef, ou autre beste grosse et prendre les iiijtre membres, cuisses et espaules, et porter les et non pas trayne ès grauz forest par les quatre parties du buisson, et quant chescun de ses iiijtre compaignons seront ès forestz, là où chescun doit fere son train, si doyvent abatre leur char et lier à la cueue de leurs chevauls et trayner par les voyes et carrefours des forests et puis revenir touzjours en traynant, jusques là où la beste est morte ; et lessier iquy chescun son trayn. Et quant les lous se releveront à la nuyt, et iront par les chemins et voyes de la forest et sentiront le trayn de la charoinhe, ils iront après, jusques tant qu’ils soient là où la beste est morte et mengeront tant comme leur plera. Donc doit le veneur à matin, quant il sera jour cler, aler à la charoinhe et lier son cheval bien loinh d’iqui, au dessoubs du vent. Et il doit venir tout belement là où est la charoinhe pour veoir s’il pourra veoir les lous. Et s’il les voit, il doit se retrère sans leur fere null annuy, et sans regarder combien ilz ont mengié ; quar s’ilz ont mengié ou pou, ou trop, ce ne fet rien au fet, se mal non puis qu’il les a veus. Quar c’est merveilleusement malicieuse beste comme j’ay dit. Mes je loe que, un peu loinh de la charoinhe, il monte sus un arbre pour veoir où les lous iront, ou s’ils demourront. Quar de leur nature ne demeurent pas voulentiers là où ils ont mengié ; ansois aucune fois s’en iront de haute prime, ou pource qu’ilz seront venuz trop tard mengier, ou pource qu’ilz vuelent aler demourer au soleil plus qu’au bois, qui est en l’ombre et au froit, ou pour eulz vuidier et esbatre, ou pour aucun annuy que on leur hara fait. Pource loe je qu’il demeure jusques à heure de prime ; et combien de lous li semble, selon les menjures qu’ilz aront fet, qu’il y doyve avoir. Et puis s’en doibt revenir à l’ostel et fère son report à son seigneur. Et puet regarder par les voyes qui sont autour du buisson, s’ilz s’en vont hors du buisson, ou s’ilz y demuerent quant ils ont mengié. Et s’il ha limier qui encontre voulentiers louz il puet prendre autour du buysson sans entrer dedens ; si sera plus seur s’ilz y sont demourez ou non, quar son limier en assentira en moult de lieus où il n’en pourroit veoir. Et s’il en assent et il voit qu’ils aillent hors, il doit regarder se ce sont tous les lous qui ont mengié, ou un deux, quar aucunefois un lou s’en va et les autres demuerent ; et aucunefois un en demuere se les autres s’en vont, einsi comme leur vient à voulenté, ou les causes y sont, comme est quant ilz sont trop plains. Quar quant ils sont trop plains, ils demuerent plus voulentiers. Et aussi quant lous viennent devant le jour et ils n’ont mie mengié leur saoul, et le jour les y prent, ils demuerent plus voulentiers que ceulz qui ont mengié au vespre ou juenes lous, ou autres causes semblans. Quar un lou est si malicieux que à grant poine demuere il là où il ha mengié. Et pour ce est-ce bonne chose de fere de petit de char son train et leissier au buisson, où l’en voudra chassier, une mauveise beste, vive encore, liée les jambes, que elle ne se puisse deffendre. Et quant les lous aront mengié le train qui sera de petit de char, et ne seront pas saoulz, ils tueront la beste qui sera vive ; et s’ilz ne le font la première nuyt, si feront ilz la seconde ou la tierse. Et lors, quant ilz ont tué la beste et mengiée, ilz demuerent plus voulentiers ; quar ils sont gloutes bestes et vuelent garder leur charoinhe et qu’ilz cuydent avoir prise. Et s’il truève qu’ilz demuerent et ayent mengié deux nuyz, l’une après l’autre, il se puet ordener et mander les gens qu’il hara besoin pour chassier le tiers jour. Et si les lous ne mengent la première nuit qu’il leur aura fet son train, si refasse lendemain à la nuyt tout einsi que j’ay dit devant par touz les pais à l’environ, où il pense que lous doyvent demourer et einsi fasse jusques à quatre nuytz. Et sans faille, s’il ha lous au pays, ilz y vendront, se ce nest au moys de février, là où communément ilz vont en leur amour ; quar lors ne curent-ilz guères de suyvir nul trayn. Aussi est-il voir que aucunefois les lous viennent poursuyvant le train jusques à la charoinhe et ne mengent point. Alors quant le veneur verra qu’ilz ne voudront mengier pour quant que on leur fasse trains il doit remuer[1] la char de l’encharnement, comme est de cheval à buef, ou par le contraire ou de moutons ou de berbis ou pourciauls ou asnes qu’ilz mengent voulentiers. Et einsi ne puet estre que on ne les fasse menger ou d’une char ou d’autre. Et s’il ne puet savoir s’il y ha lous ou non, quar ilz n’aront point mengié, il les doit apeller et huler en telle guise comme fet un chien quant il se réclame. Quar un lou chante et hull auques en tele manière. Et sil y ha lous dedens le buisson ilz le respondront ou les uns ou les autres, et s’il avenoit qu’ilz menjassent et s’en alassent hors du buisson, et cela feisoient par deux ou par trois nuiz sans que null n’i demourast, il doit au vespre, avant qu’il soit nuyt, pendre la charoinhe par les arbres si haut que lou n’i puisse avenir ; et leissier des hos sil en y a en terre, affin qu’ilz les rongent, et venir au buisson einsi que une heure devant le jour, et doit avoir lessié sa robe et prise la robe d’un pastour qui garde les berbis, affin que ces lous n’ayent nul vent de luy, qui les annuye et leur doit abattre la char et puis s’en doit aler. Et quant aube du jour sera, il doibt metre ses lévriers par là où ils s’en sont accoustumez d’aler les autres nuytz. Et les lous qui n’auront mengié de toute la nuyt, quant on leur ara abatue la char, ilz mengeront tant que par leur gloutonnie, le jour les y prendra et demourront, ou s’ilz vont hors, ce sera despuis qu’il fera jour, quar ilz ont lieu court terme de mengier, tant que le jour leur y est survenu. Et les lévriers seront jà assis comme j’ay dit : si y hara riote. Mes pour ce que les seigneurs aucune fois ne se lièvent pas à l’aube du jour, et pour qu’ilz voyent le deduit, loe-je que quant il leur hara abatue la char, une pièce après, il fasse fere x et xij feux ou tant comme bon li semblera entre la forest où ilz s’en aloyent les autres nuytz et le buysson, à deux trelz d’arcbalestre du buisson, tant qu’ilz puissent veoir les feux et oïr ceulx qui parleront. Et à chescun feu, ait un homme ou deux ; et de l’un feu à l’autre le giet d’une petite pierre. Et les unz parolent aux autres sans assembler haut, en demandant des nouvelles ; ou chantent ou rient sans huer. Et quant les lous verront et orront cela, et tant pour le jour qui leur sera sourvenu, ilz devroyent demourer ; et entredeux[2] sera venu le seigneur, si les pourra chasser et prendre en ceste manière :

Premièrement il doit regarder le plus beau titre, le plus long et le plus plain qui soit environ le buisson et là doit il metre les lévriers ; et s’il ha biau titre par où les lous s’en souloient aler les autres nuyz, quant ilz avoyent mengié, là les doit il metre, suposé qu’il y eust mauvès vent pour les lévriers. Car, ou tout cela, s’en vendront ilz plus voulentiers par illec que par autre part ; et s’il y ha bon vent, tant vaut mieulz. Et sinon, il doit metre ses lévriers, comme j’ay dit, au plus beau titre et au plus long et les doit tout coyement asseoir et metre tout en ranc quatre ou six leisses, ou plus ou moins, selon qu’il hara de lévriers. Et autant, aussi tout de ranc, darrière celles, les unes endroit des autres, au giet d’une flèche l’une leisse loing de l’autre. Einsi doit fere de leisses trois ou quatre doubles, selon qu’il hara de levriers et regarder touzjours le vent, que les lous ne puissent avoir le vent des lévriers. Et doibt avoir mandé toutes les gens enquoy il a mandement, un ou deux jours devant, et prié tous ses voisins qui seront près de luy, qu’ilz li vieignent aydier à chassier les lous et ilz le feront voulentiers, pour le dommage qu’ilz leur font de leur bestailz. Et quant il hara assez de gens et hara assis ses lévriers, il doibt metre toute la gent autour du buisson, fors que devant les lévriers, le plus près qu’il pourra l’un de l’autre, selon les gens qu’il hara et cela apelle l’en défenses, pour ce qu’ils défendent qu’il ne s’en aillent fors parmi les lévriers ; et doyvent être mises les défenses l’une dessà l’autre delà, toutes ensemble, les unes gens en venant contre les autres, affin qu’il soit plus tost fet. Affin que si on les metoit touz par une part, et ilz orroyoient le bruyt de la gent, ils s’en iroyent par l’autre ; mes quant ils seront tous mis en un cop, l’un d’une part, l’autre de l’autre, en venant les uns contre les autres, ilz n’oseront aler fors que parmi les lévriers quar ilz orront le bruit par toutes parts.

Lors doit aler le veneur à tout son limier avec ses chiens à la charoigne où ilz aront mengié et le doit dressier du limier hors de la charrogne, jusques là où ilz entrent au fort. Et lors il doit abatre le tiers de ses meilleurs chiens et que mieulz le chassent. Et les autres chiens doit fère tenir parmi les voyes du buisson et les fere releisser quand mestier sera ; quar un lou tourne bien longuement en son buisson aucunefois avant qu’il isse hors.

Et doit chevaucher le veneur ses chiens de près, et huer, et corner souvent, afin que ses chiens le chassent mieulz. Quar moult de chiens doubtent à chasser le lou. Pour ce est bon qu’il les chevauche de près et les eschauffe et resbaudisse.

Et doivent estre mis les lévriers bien couvers de fueille, de bois, einsi que j’ay dit sà devant. Et les premières leisses le doivent bien lessier passer jusques tant qu’ilz le voient par derrière, comme dit est. Et aussi les secondes, la tierce les doit lessier venir jusques à son costé ; et la quarte qui est la darrenière, sil ha tant de lévriers, doit estre geté enmy le visaige, au devant de li, et einsi le pourroient ilz prendre. On puet fère ses chiens bons pour le lou, à aprendre à chassier juenes lous qui n’ont encore passé un an. Quar ilz les chassent plus voulentiers et à moins de doubte, que ne font un vieill lou. Et aussi on les prent plus tost quar ilz ne se scevent mie garder si bien comme un grant lou.

Et aussi puet on prendre des lous tous vifz à divers engins lesqueulz je diray devant ; et ceulz la puet hon metre dedenz aucun parc et les fère chassier à ses chiens, et les fère tuer devant eulz. Et quant il est mort, il doit fère le droit aux chiens en cieu manière : premièrement il doit fère le lou bien fouler et bien tirier à ses chiens. Après le doit fendre tout au long et vuydier tout quant qui est dedens et bien laver. Puis doit metre dedens le ventre du lou de la char cuyte ou fromage ; et doit avoir une ou deux brebis ou chievres et fère le couper tout dedens avec assez de pain et doit yqui fère mengier ses chiens. Aussi y doit il encharner ses lévriers plus qu’à nulle autre beste ; quar communément lévriers prendront toute autre beste plus voulentiers que ne feront un lou. Pour ce faut-il qu’ilz soient mieulz encharnez.

Et si par aventure aucun lou s’en va par les deffenses, qu’il ne vieigne aux lévriers, jà ne leisse pour cela de y retourner lendemain ; quar il le trouvera au mesme buisson. Quar quant la nuyt est venue, il pense l’effroy qu’il ha heu le jour devant, il veut aler veoir la nuyt que ce ha esté et que les autres lous ses compaignons sont devenuz, ne s’il y ha plus de la charoigne. Et aussi il est bien si malicieux qu’il pense que le lenmain hon n’i revendra jà chassier. Mes quant il aura sentu où les autres lous aront esté pris et hara eu le vent des chiens et des gens, il hara encore plus grant paour qu’il n’a heu le jour devant. Et lors, à l’autre nuyt, vuidera il le buisson et n’i retournera pour y demourer de jour, de grands temps. Et se on li encharnoit, il y pourra bien mengier, mes il s’en yra bien loin demourer.

On puet connoistre un lou d’une louve par les trasses. Quar le lou a plus gros talon, et plus gros doiz, et plus grosses ongles et plus reon pié que n’a la louve ; et la louve plus esparpillée et plus long pié et plus menuz talon et doiz, et plus longues ongles et agüez. Et voulentiers elle giète ses laissés enmy les voyes. Et le lou touzjours voulentiers à l’un des costés du chemin.

Séparateur

  1. Remuer. Changer.
  2. Entredeux, interdum. Pendant ce temps.