La Chanson française du XVe au XXe siècle/Complainte du bon saint Labre

La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 291-292).


COMPLAINTE DU BON SAINT LABRE


Un jour le bienheureux Labre
Se promenait au soleil ;
Il s’assit dessous un arbre,
Pour se livrer au sommeil.

Vint à passer un pauvre homme,
Tout nu, qui tremblait de froid,
En faisant des gestes comme
Un ministre sans emploi :

« Ah ! pauvre homme, je devine
Pourquoi tu trembles si fort.
Prends, pour couvrir ton échine,
Ma chemise en toil’ d’Oxford.

Voilà quinze ans que j’la traine
Jour et nuit par tous les temps !
Que Dieu sous sa garde prenne
Les puces qui sont dedans ! »

Quand le pauvre eut mis la ch’mise,
Il tremblait toujours autant :
« Maint’nant, faut contre la brise
Garantir ton bienséant.

Ami, voilà ma culotte,
Garde-la comme un trésor :
C’est la premier’ fois que j’l’ôte
Depuis mon tirage au sort. »

Quand il eut couvert son torse,
Le pauvre tremblait encor.
Mais, sous une rude écorce,
Le saint cachait un cœur d’or :


« Tiens, dit-il, dans ces chaussettes
Mets tes pieds avec respect ;
C’est celles des grandes fêtes,
J’ai fait l’tour du monde avec ! »

Quand il eut mis les chaussettes,
Le pauvre tremblait encor :
« Ami, couvre-toi la tête
De ce modeste castor.

Garde-toi de mettre en gage
Ce souvenir précieux,
Car c’est l’unique héritage
Que m’aient laissé mes aïeux ! »

Quand il eut coiffé le feutre,
Le pauvre tremblait encor :
« Ah ! dit l’saint, quoi donc lui feutre,
Pour l’arracher à la mort ?

Dis-moi quelle est ta souffrance,
Pourquoi que tu trembl’ ainsi ? »
— « C’est que depuis ma naissance
J’ai la danse de Saint-Guy ! »

Mac-Nab.


Heugel et Cie, Éditeurs. Au Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne. Paris.)