La Chanson française du XVe au XXe siècle/A Batignolles


Pour les autres éditions de ce texte, voir À Batignolles.


La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 297-298).


À BATIGNOLLES


Sa maman s’appelait Flora,
A connaissait pas son papa,
Tout’ jeune on la mit à l’école,
          À Batignolles.

A poussa comme un champignon,
Malgré qu’aile ait r’çu pus d’un gnon,
L’soir, en faisant la cabriole,
          À Batignolles.

Alle avait des magnièr’s très bien,
Aile était coiffée à la chien,
A chantait comme eun’ petit’ folle,
          À Batignolles.

Quand a s’balladait, sous l’ciel bleu,
Avec ses ch’veux couleur de feu,
On croyait voir une auréole
          À Batignolles.


Alle avait encor’ tout’s ses dents,
Son p’tit nez, ousqui’ pleuvait d’dans,
Était rond comme eun’ croquignolle,
        À Batignolles.

A buvait pas trop, mais assez,
Et quand a vous soufflait dans l’nez
On croyait r’nifler du pétrole,
        À Batignolles.

Ses appas étaient pas ben gros,
Mais je m’disais : Quand on est dos,
On peut nager avec eun’ sole,
        À Batignolles.

A gagnait pas beaucoup d’argent,
Mais j’étais pas ben exigeant !…
On vend d’l'amour pour eune obole
        À Batignolles.

Je l’ai aimée autant qu’ j’ai pu,
Mais j’ai pas pu lorsque j’ai su
Qu’a m’trompait, avec Anatole,
        À Batignolles.

Ça d’vait arriver, tôt ou tard,
Car Anatol’ c’est un mouchard…
La marmite aim’ ben la cass’role,
        À Batignolles.

Alors a m’a donné congé,
Mais le bon Dieu m’a ben vengé :
A vient d’mourir de la variole,
        À Batignolles.

La moral’ de c’tte oraison-là,
C’est qu’les p’tit’s fill’s qu’a pas de papa,
Doiv’nt jamais aller à l’école,
        À Batignolles.

Aristide Bruant.