Société générale de librairie catholique (p. 390-411).


XVII

où le fatout cesse d’être comique


La veille au soir, dans sa conférence avec ses lieutenants, Piètre Gadoche avait établi son plan de bataille, approuvé à l’unanimité par Tontaine, le docteur, Rogue et Salva. Nous n’avons point mentionné ce plan, parce que le lecteur ne connaissait pas encore le détail des lieux où devait se livrer le combat décisif. Maintenant, au contraire, que nous revenons de la falaise Sainte-Honorine, quelques mots suffiront pour faire comprendre clairement l’intention du bandit.

Il regardait, bien entendu, son argent anglais comme gagné d’avance, tant la chose était simple et de facile exécution.

L’embarquement de Jacques Stuart devait avoir lieu au galet d’Étreville, sous la valleuse du même nom. Gadoche savait cela. Dans les expéditions de ce genre, il est presque impossible de garder le secret. Toute conspiration, de quelque nature qu’elle soit, traîne la trahison après elle ; le prétendant était systématiquement trahi depuis son départ de Bar-le-Duc.

Mais, chose bizarre, de même que certains hommes vont longtemps et bien, quoique portant en eux le germe d’une maladie mortelle, de même les conspirations trahies réussissent souvent.

Piètre Gadoche disposait d’une force plus que suffisante pour prévenir l’embarquement ; il avait en outre une demi-douzaine d’hommes connus pour être d’excellents tireurs. Nous n’avons pas besoin de dire quel devait être le rôle de ceux-là dans l’escarmouche. Ce n’était pas un prisonnier que Gadoche avait mission de faire.

Gadoche avait divisé son monde en trois troupes.

Nous connaissons la première, commandée par Tontaine. Cachée dans le bois de Grâce, cette troupe devait prendre l’escorte du roi à revers, dans son trajet de la ferme à la valleuse, tandis qu’une seconde bande, menée par Rogue et Salva, l’attaquerait du côté de la ville. La troisième troupe, dont Gadoche s’était réservé la conduite, devait suivre le bord de l’eau et fermer le passage au bas de la valleuse.

Nous répétons, parce que c’est l’exacte vérité, que cette tactique élémentaire était surabondamment suffisante, puisqu’il s’agissait de tuer un homme bien plus que de gagner une bataille. Lord Stair avait gagné assez de batailles rangées : c’était un héros retraité.

Quatre tireurs connaissant personnellement Jacques Stuart étaient dans les bandes du haut, trois suivaient la troupe de Gadoche. Sans le brouillard et d’autres circonstances dont le lecteur connaît une déjà, (la défense des Coëtlogon à la brèche du vieux parc de Gonfreville), il eût fallu un miracle pour préserver le chevalier de Saint-Georges.

Piètre Gadoche se leva de belle humeur, le matin de ce dimanche qui, suivant sa propre impression, devait voir un bal et une noce. La première chose qu’il apprit, ce fut l’annonce d’une autre cérémonie : La maîtresse du logis était morte dans la nuit, et la Maison-Rouge se tendait de deuil ; Gadoche n’en éprouva ni peine ni plaisir. Il se fit panser avec soin. Sa blessure qui ne voulait point se fermer, lui laissait pourtant quelque repos, à la condition d’éviter tout contact. Le docteur Saunier était un homme habile.

Après le pansement, Gadoche déjeuna au mieux et fit sa toilette de marié, pensant bien n’avoir pas le temps de vaquer à ces détails entre le bal assassin et la noce sacrilège. Il ne comptait pas, d’ailleurs, s’exposer beaucoup dans la bagarre.

Pendant qu’il s’attifait avec ce bon goût et ce soin qui lui étaient particuliers, on vint lui apprendre que ses voisins d’en bas, Hélène et Nicaise, avaient déménagé la veille au soir. Cela l’occupa, mais non point outre mesure. Que pouvaient-ils contre lui ? Sous quarante-huit heures, il devait être en route pour Londres.

Un soin plus grave, c’était de connaître exactement les intentions du capitaine d’Auvergne-cavalerie. Quoique l’algarade survenue entre eux à la poste de Nonancourt fût fondée sur une méprise, Gadoche avait gardé un fâcheux souvenir des façons expéditives de M. le marquis de Crillon, et n’eût point aimé à le rencontrer aujourd’hui sur son chemin. Mais, de ce côté, les nouvelles étaient bonnes ; le château de Gouville gardait, depuis le matin, ses portes closes.

Vers neuf heures, au moment où René de Coëtlogon commençait, au haut de la falaise Sainte-Honorine, cette promenade qui devait avoir une si tragique issue, Piètre Gadoche sortit de la Maison-Rouge, en plein costume de Banian, riche et tout à fait digne d’un dimanche de noce. Il secoua convenablement un goupillon d’eau bénite sur le cercueil de sa première victime qui attendait les prêtres sous le vestibule, et passa le seuil tendu de noir, sans savoir, du reste, le nom de la morte. Il était accompagné par le docteur Saunier et ses trois tireurs d’élite : marksmen (en anglais).

Le reste de sa troupe stationnait au lieu dit la Petite-Falaise, que nous connaissons déjà par le propre récit de Gadoche. C’était là qu’il avait exécuté, douze ans auparavant, ce beau tour gymnastique, un saut périlleux du haut en bas de la falaise.

— Mes braves, dit-il à ses tireurs, en marchant vers le rendez-vous, voici un diable de brouillard qui nous fait la partie belle, quoi que vous en puissiez croire. Vous ne pourrez pas viser de loin, c’est vrai ; mais, comme je sais, à un pouce près, la coulée où doit passer la bête, vous tirerez à bout portant.

Il parlait encore, quand une singulière apparition traversa la brume à trois pas de lui. On n’eût point su dire, en vérité, si la vision était burlesque ou terrible. Depuis qu’il n’était plus une poule mouillée, il y avait de ceci et de cela chez notre ami Nicaise, le fatout.

Il avait quitté ce matin le château de Gouville laissant Hélène et Mariole encore endormies. Il était armé en guerre complètement, portant à sa ceinture les deux vieux pistolets de reître du bonhomme Olivat, énormes engins qui faisaient frayeur à voir et qu’il avait, nous le savons, bourrés jusqu’à la gueule. Il portait en outre un mousqueton sur l’épaule et une épée de cavalier au côté. Cela l’embarrassait pour marcher, mais il avait l’air déterminé.

Ce qu’il comptait faire, notre Nicaise, peut-être ne le savait-il pas bien lui-même. Certes il avait grande confiance dans le capitaine d’Auvergne, qui avait promis que Piètre Gadoche serait pendu ; mais ce Piètre Gadoche avait tant de tours dans son sac ! Nicaise s’était armé pour le cas où la corde casserait.

Il ne fit que passer et se perdit aussitôt dans la brume.

Gadoche et ses hommes continuèrent leur chemin, et Nicaise, faisant un détour, les suivit à distance, entre le bord de l’eau et la petite falaise. Du moins, il croyait les suivre.

Mais il arriva ceci : Ceux qu’il pensait suivre avaient fait un détour et pendant que Gadoche et ses compagnons montaient la pente douce qui mène à la falaise du côté de la ville, Nicaise descendait toujours vers la grève. Il s’arrêta au bout de deux ou trois cents pas, se disant :

— Les coquins devraient pourtant être arrivés !

À ce moment, il y eut, en haut de la rampe, une explosion de cris mêlés à des éclats de rire.

Le fatout ouvrit alors ses oreilles toutes grandes, mais il ne pouvait entendre que de confuses clameurs. Nous le laisserons se demandant s’il devait grimper ou demeurer coi, pour assister à cette joyeuse scène qui se jouait en haut de la petite falaise.

La place ne valait rien, paraîtrait-il, pour Piètre Gadoche, car c’était ici même qu’il avait risqué jadis son fameux saut périlleux. Au lieu de rencontrer ses hommes au rendez-vous donné par lui, notre bandit tomba au milieu d’un détachement d’Auvergne-cavalerie, que le brouillard lui avait caché jusqu’au dernier instant.

C’était une embuscade, dressée par M. de Crillon. Les coupe-jarrets qui devaient attendre là Gadoche pour redescendre à la grève et gagner avec lui le galet d’Étreville, étaient étendus sur le sol, liés comme des paquets.

Royal-Auvergne s’amusait ce matin comme un bienheureux. Les éclats de rire qui étaient arrivés en bas jusqu’au fatout lui appartenaient ; les cris venaient de Gadoche et de ses compagnons, qui, n’apercevant point, au premier moment, les prisonniers garrottés, avaient crié à l’aide !

— Cette fois, monsieur le marquis de Romorantin, dit le capitaine, qui sortit des rangs, je crois que nous allons terminer notre affaire paisiblement et sans que personne vienne à la traverse.

— Prenez garde, monsieur le marquis de Crillon, répondit Gadoche hardiment, Mylord ambassadeur d’Angleterre vous a déjà notifié votre erreur ; je ne suis pas Cartouche !

— Monsieur le marquis de Romorantin, reprit Crillon ; car c’est, ma foi ! très-drôle, nous sommes ici marquis contre marquis, j’ai grande confiance en tout ce que dit mylord comte Stair, qui est un grand homme de guerre ; aussi ai-je reconnu mon erreur. Ce n’est pas Cartouche que nous allons pendre haut et court : c’est le bandit Piètre Gadoche, le valet de Cartouche !

Il avait étendu sa main, et Gadoche, suivant des yeux ce geste, vit, au travers du brouillard, un fantôme de potence qui se dressait à dix pas de lui.

Il était ici comme la première fois, le jour de ses noces, avec Rosalie, entouré de tous côtés, sauf un seul : le rebord de la falaise.

— Me pendre ! moi ! s’écria-t-il. Je vous le répète, prenez garde ! pendant que vous me retenez ici, la guerre s’allume peut-être par votre faute entre la France et l’Angleterre. Le prétendant s’embarque…

— Haut et court, disais-je, poursuivit froidement M. de Crillon, non point parce que vous êtes un voleur, un faussaire, un bigame, un incendiaire, un assassin, cela regarde les juges, — mais parce que tu as osé, maraud que tu es, prendre le nom d’un gentilhomme et l’uniforme du noble régiment d’Auvergne !

— Jarnibleu ! s’écria Gadoche, voilà un crime, en effet, qu’on ne me pardonnera point au milieu de tant d’uniformes. Venez donc me chercher, mes maîtres !

Il ne s’était pas vanté, dans son récit, le soir de la veille, au dessert. Il ne fit point le saut périlleux, cette fois, mais sa main droite toucha légèrement le bord de la falaise et il disparut dans la brume, comme un oiseau s’envole.

— Feu ! ordonna Crillon, exaspéré.

Nicaise, qui regardait en haut, vit quelque chose tomber et reçut un grand coup de poing dans la poitrine. Il entendit au même instant un feu de peloton, suivi d’une grêle de balles qui sifflèrent autour de ses oreilles.

— Adieu, monsieur le marquis ! cria Gadoche, qui était déjà loin.

Sans ce cri, Nicaise, tout étourdi, n’aurait point su de quel côté courir.

Voilà le danger de braver et aussi le danger de raconter des anecdotes après boire. Gadoche sautait bien, mais il avait la langue trop longue : Positivement Nicaise qui avait ouï l’anecdote en perçant son trou de vrille, était resté là, sous la falaise, dans la vague idée que ce démon de Gadoche pourrait encore tenter son grand saut !

Aussitôt qu’il eut entendu le cri, il s’élança sans réfléchir, à toute vitesse, disant seulement :

— Ah ! le gueux, il va s’échapper !

Le bruit des pas de Gadoche se perdait presque dans la brume épaisse et sourde. Nicaise était gros, mais il courait de tout cœur, et son idée fixe lui donnait des ailes.

Chacun a son aiguillon secret en ce monde : M. le marquis de Crillon avait condamné, non point le malfaiteur, mais l’impertinent. Ce n’était pas le bandit Gadoche que poursuivait Nicaise, c’était M. Ledoux, l’épouseur de la demoiselle Hélèné.

Trébigre ! M. Ledoux l’avait tant de fois empêché de dormir !

Il y avait loin de la petite falaise à la valleuse d’Étreville, une forte demi-lieue pour le moins. Dès les premiers cent pas, Nicaise se sentit essoufflé ; il portait trop lourd. Au bout de trois minutes de course, il suait à grosses gouttes : mais il gagnait, il entendait plus rapprochés les pas du fugitif.

Il jeta son mousqueton, puis son épée, puis ses pistolets, qui étaient de plomb. Ah ! bigre de bigre ! voilà un bon débarras ! Il se sentait léger comme une plume, et n’eût été la courte haleine qui le gênait un petit peu, il eût continué de ce pas-là jusqu’à Saint-Ouen de Rouen en suivant toujours la rivière.

Gadoche, par le fait, était beaucoup plus agile que lui, mais il y avait la griffe du mort. En courant et quoi qu’il pût faire, il remuait son bras qu’il avait sauvegardé avec autant d’habileté que de bonheur au moment du grand saut. Le mouvement continu causait un frottement, malgré l’appareil posé par le docteur Saunier. Le frottement, si léger qu’il soit, arrive promptement à être une torture, dans un cas semblable à celui de Gadoche.

La première fois qu’il entendit derrière lui le souffle un peu poussif de notre Nicaise, un froid lui passa par le cœur. Avait-il peur de Nicaise, le maladroit et le poltron, lui, l’aventurier intrépide et rompu au maniement de toutes armes ? On ne peut dire cela. Piètre Gadoche avait évité, en sa vie, par son audace et son sang-froid exceptionnels, des dangers qui semblaient insurmontables. Un combat singulier contre Nicaise rentrait pour lui dans l’ordre des aventures comiques ; il eût affronté Nicaise, armé de pied en cap, avec un couteau de table. Voilà le vrai.

Mais il y avait la griffe du mort. La griffe du mort le tenait : il sentait distinctement, parmi la grande douleur qui le poignait du coude jusqu’à l’épaule, cinq brûlures partielles, les quatre doigts et le pouce, les cinq ongles sous lesquels était le venin…

Ne niez pas ! Gadoche était un esprit fort. Fussiez-vous franc-maçon, il vous eût rendu des points au jeu de l’incrédulité ; mais il croyait à cela, il croyait au venin qui est sous les ongles des mourants. Nous ne sommes pas parfaits ; je dis : personne au monde, pas même Piètre Gadoche, le roi des divorceurs. Piètre Gadoche eut peur et sa poitrine se serra.

Par ce brouillard, si on eût été en rase campagne, il se serait jeté à droite ou à gauche, évitant ainsi aisément cet homme qui le poursuivait à tâtons, — qui le poursuivait, remarquez bien ce fait, depuis l’auberge du Lion-d’or, aux grandes coupes de Béhonne, près la ville de Bar-le-Duc, sans jamais perdre sa trace.

Mais ici la mer montante était à droite ; à gauche, il y avait cette immense muraille blanche, le long de laquelle moutonnaient les fumées blafardes de la brume : deux obstacles infranchissables. Il fallait aller directement, toujours en avant, toujours, à moins de se retourner et de faire tête bravement.

À ses heures, Gadoche se fût retourné bravement et eût fait tête à dix hommes.

Mais ces grands brouillards ont de bizarres mirages, on y voit des fantômes comme dans la nuit. Certes, Gadoche ne croyait pas aux fantômes ; il ne croyait à rien.

À rien, sinon à ce dévorant cancer qui lui mordait le bras gauche ; une bête monstrueuse qui avait cinq crocs dans sa terrible bouche : les cinq ongles du mort !

Gadoche vit ce qu’il n’avait jamais vu. Ses remords qui dormaient s’éveillèrent et se dressèrent autour de lui : longues figures pâles d’hommes égorgés, de femmes pillées, tuées par la trahison et dont quelques-unes l’étonnèrent, car il les avait oubliées depuis le temps !

Et il essaya de rire, honteux d’avoir vu cela, d’y avoir cru. Les fantômes s’évanouirent, puis revinrent. Gadoche gronda un blasphème et trembla.

Le vent d’aval lui apportait des sons de cloches. Il connaissait bien le langage des cloches, parce que dans sa vie d’aventures, il avait été plus d’une fois domestique d’église. Les cloches eurent successivement deux voix : elles sonnèrent d’abord pour un enterrement, puis pour un mariage.

— Ma voisine qu’on porte au cimetière et ma femme qui monte en carrosse ! pensa-t-il.

Cela le ragaillardit. C’étaient des choses de ce monde. Il pressa le pas. À tout prendre, rien n’était perdu. À un millier de pas en avant de lui, il allait trouver ses hommes, maîtres déjà du cutter peut-être. Et alors, en route pour Londres, où ses millions l’attendaient ! Ce n’était qu’un mariage escroqueur de manqué. On ne peut pas tous les réussir. Encore un effort…

En conscience, Nicaise, le pauvre gros fatout, râlait plus péniblement que lui. Il n’était plus guère soutenu que par le diable de rancune qu’il avait au corps, notre Nicaise ; il soufflait comme un bœuf, et bientôt se mit à geindre, mais sans cesser de courir.

Gadoche entendit ce gémissement. Du coup, plus d’un eût repris courage, mais il y avait la griffe du mort. Un frisson soudain glaça la sueur sur le front de Gadoche. Le mort, là-bas, dans la soupente, avait gémi aussi et ainsi. Était-ce le mort ? Il se retourna. Il ne vit rien. Si fait : dans le brouillard, une forme indécise se détachait ; un homme qui glissait, qui courait couché. Couché sur le dos avec de grands yeux caves, et une main qui sortait du lit : cinq doigts sanglants, dont chacun retenait un lambeau de chair rouge. Et cela râlait, râlait…

Les jambes de Piètre Gadoche tremblèrent sous le poids de son corps.

À ce moment, le râle de « cela » devint plus violent et le fatout saillit hors du brouillard, criant :

— Arrête donc, coquin, que je t’étrangle !

En même temps, et tout près, une vive mousquetade éclata. Cent pas encore, et Gadoche rencontrait le salut. Il était à cent pas du galet d’Étreville.

Il dégaina, n’ayant plus le temps d’armer ses pistolets, et lança un furieux coup d’épée au travers du corps de Nicaise, qui passa sous le fer, peut-être sans le vouloir, car il se baissait justement pour planter sa grosse tête dans l’estomac du bandit.

Le choc lança Gadoche à dix pas de là. C’était bien au fatout, le râle. Il râlait de fatigue et aussi de rage. C’était le râle d’une bête féroce.

La mousquetade augmentait ; des cris de bataille s’y mêlaient, et les canons du cutter éclatèrent bientôt au-dessus du tumulte.

On n’entendait plus les cloches là-bas, devers la ville. Elles sonnaient pourtant à toute volée, et sous le porche de l’église Saint-Nicolas deux cortèges se rencontraient : deux femmes, une morte dans sa bière, une enfant qui portait la blanche couronne des fiancées. Gadoche aurait du être de ce deuil et de cette noce.

Mais Gadoche était entre les mains de Nicaise, — entre les griffes du mort, allions-nous dire.

Car une chose terrible avait lieu.

Chaque animal destructeur a son instinct. Les loups mordent au cou, les meurtriers visent au cœur ; on dit que la panthère s’attaque à toute partie qui saigne.

Le fatout était un tigre. Il avait jeté ses armes ; il n’avait pas besoin d’armes. Sans hésiter et changeant son râle en un grognement de rage satisfaite, il saisit à deux mains le bras gauche du bandit et s’y cramponna de toute sa force.

Gadoche poussa un cri de sauvage agonie. Nicaise serra plus fort.

À l’aide de son bras droit et de ses dents, Gadoche arma un pistolet et le déchargea dans le dos du fatout, qui tressaillit et serra plus fort encore. Il grinçait en serrant et disait :

— La demoiselle t’a tenu là-bas. La demoiselle t’a lâché ! tu l’as frappée ! Moi, je ne te lâcherai pas !

Gadoche déchargea son second pistolet. Nicaise tressaillit encore ; mais ses doigts s’incrustèrent dans le bras du bandit, qui rendit une plainte sans nom et tomba mort.

Nicaise le lâcha seulement alors ; puis il se releva et tâta ses reins, disant, droit qu’il était comme un chêne :

— Les blessures, ça ne fait pas tant de mal que je croyais ! La demoiselle verra bien si je suis une poule mouillée !