Société générale de librairie catholique (p. 261-283).


XII

où les événements défilent la parade


Bien des choses s’étaient passées à la maison de poste de Nonancourt, avant et pendant l’odieux drame que nous venons de mettre en scène. Il a bien fallu, dans la rapidité du récit, négliger quelques détails auxquels nous sommes forcés de revenir.

La maison, Dieu merci ! allait comme elle pouvait aujourd’hui, et, bourrée qu’elle était de pratiques, ressemblait un peu à un navire qui aurait jeté ses officiers par-dessus le bord. Le capitaine, Hélène Olivat, n’avait point paru sur le pont depuis midi, et les deux lieutenants, Nicaise et Mariole, avaient eu, paraîtrait-il, leurs petites affaires à mener, car l’équipage les avait à peine entrevus dans l’après-dîner. La chiourme des valets, suivantes et marmitons, manœuvrait donc à l’aventure, fort occupée de cette affluence d’étrangers et fort intriguée aussi des nouvelles qui allaient et venaient de l’office à l’écurie.

Chacun sut bientôt que les soldats du roi, les gens de mein herr Boër et les suivants de ce joli gentilhomme qu’on appelait M. le marquis de Romorantin, étaient à la chasse d’un gibier d’importance, et chacun espéra qu’on allait assister à quelque curieux spectacle à la maison de poste de Nonancourt.

Il y a des noms qui éclatent au travers des murailles. Je ne sais dans quel coin le nom de Cartouche avait été prononcé tout bas ; ce nom volait de bouche en bouche, affriandant les rustiques valets et faisant délicieusement frémir les servantes.

Cartouche ! M. Cartouche ! plutôt, car on le traitait avec ce respect. Il était ici, on l’avait dit ! Qui l’avait dit ? Peu importe, on en était sûr. Mais parmi tant de voyageurs, lequel était-ce ? Certes on ne soupçonnait point le beau capitaine d’Auvergne-cavalerie, non plus M. le marquis de Romorantin, ce galant gentilhomme qui voyageait avec son médecin privé, non plus ce Hollandais pesant, mein herr Roboam, dont l’aspect vous faisait songer à des sacs de rixdales, de piastres fortes et de Guillaumes à la caravelle. Mais il y en avait d’autres. Ce Cartouche prenait de si bizarres déguisements !

On ne savait trop quoi dire de cette grosse dame, la comtesse, parée comme les bœufs du carnaval. C’était peut-être Cartouche.

C’était peut-être Cartouche, ce mystérieux voyageur blessé que la demoiselle avait amené elle-même dans sa carriole, mieux emmitouflé qu’un vieux traitant en voyage. On ne l’avait plus revu. Se cachait-il ?

Mais, après tout, le Hollandais lui-même ! Pourquoi affirmer si vite et dire ainsi témérairement : Celui-là n’est pas Cartouche. S’appelle-t-on Roboam ? Roboam Boër ? En Normandie ? Il n’avait pas une bonne figure.

Morgué ! vous n’y êtes pas ! L’homme de la chambre du bout, cet Anglais qu’on avait appelé mylord ambassadeur, qui était froid comme une pierre et n’avait prononcé que deux mots, avec sa voix de corbeau, depuis qu’il était descendu de sa chaise de poste ! voilà Cartouche ! Ses valets étaient aussi taciturnes que lui, aussi roides, aussi glacés, aussi anglais, voilà les valets de Cartouche !

Le croiriez-vous ? Cartouche, M. Cartouche était cause que, malgré l’absence prolongée d’Hélène Olivat et de ses lieutenants, tout allait sur des roulettes à la maison de poste de Nonancourt. Faites croire aux gens d’un cabaret qu’ils traitent un prince voyageant incognito, chacun se surpassera. M. Cartouche était un prince ! un triple prince !

Quelques heures avant le drame de la chambre d’Hélène, M. Ledoux-Gadoche, marquis de Romorantin, avait fini par s’assoupir, après son laborieux pansement. Quand on l’éveilla, vers la brume, ses émissaires arrivaient de tous côtés, et il y avait de graves nouvelles. La route de Nonancourt à Saint-Germain, fouillée, interrogée de tous côtés, avait gardé son secret. Nulle part on n’avait trouvé la moindre trace ; Tontaine et les autres truands de la bande revenaient avec l’opinion bien arrêtée que le chevalier de Saint-Georges s’était envolé comme un oiseau.

D’autre part, Rogue et Salva, envoyés en éclaireurs sur la route conduisant à la mer, avaient, au contraire, trouvé un plein sac d’indices. On avait reconnu les deux messieurs de Coëtlogon dans un petit bois, au bord de l’Arve ; Erskine, Seymour et M. de Quatrebarbes, déguisés tous trois, attendaient à une lieue de là dans un bouchon du chemin.

Gadoche, rafraîchi par son sommeil, avait repris possession de lui-même. Ce calcul net et clair lui sauta aux yeux : s’il n’y a plus personne sur la route de Saint-Germain, c’est que le prince est passé ; si les cavaliers rôdent si près de Nonancourt, sur la route d’Évreux, c’est que le prince doit prendre cette route, qu’il n’est pas encore parti de Nonancourt.

— Prenez langue ici même ! ordonna-t-il, et retournez-moi les gens de la poste !

— C’est fait, répondit le docteur Saunier qui rentrait. Le chevalier de Saint-Georges est venu dans les bagages de la maîtresse de poste. Debout, patron, et dépêchons, si vous voulez arriver avant mein herr Roboam !

Or, c’était là le principal désir de Gadoche, car le Hollandais, indigné de ses prétentions toujours croissantes, et ne voyant venir aucun résultat, l’avait cassé aux gages. Chacun d’eux travaillait désormais pour son propre compte.

Gadoche sauta hors de son lit. Nous avons vu que, de sa chambre à coucher chez le prince, il y avait plus loin qu’il ne croyait, car pendant cela, les événements déjà racontés marchaient : La Cavalière était chez la grande Hélène et Raoul décidait l’épouse Boër à fuir avec « son royal fiancé. »

Ce n’est pas la faute de l’auteur. Il faut entrer résolument dans cette forêt d’aventures. Un instant, notre histoire va courir la poste. Nous irons ici et là, partout à la fois, sautant de l’un à l’autre : s’y rattrape qui pourra !

Quand la Cavalière, fuyant de chez Hélène, rentra dans la chambre de Stuart, avec son feutre dont la forme avait deux trous de balle, car Gadoche pouvait passer pour un bon tireur, et son pistolet était chargé de deux lingots, elle trouva tout sens dessus dessous. Le prince, entouré de Raoul, du vieux Douglas, de Drayton et de Courtenay, était en train de faire toilette, revêtant à la hâte un de ses propres costumes, à elle, la Cavalière. Et le vieux Douglas, disait à Raoul, en lui serrant la main à l’écossaise :

— Vicomte, il n’y a que vous ! Voilà dix fois depuis deux semaines que vous sauvez la vie de Sa Majesté ! Que le ciel confonde les fous qui nous ont amenés ici ! Mylord vicomte, ne m’avez-vous point parlé d’une jeune fille à qui vous voulez donner votre nom et votre main, quoi qu’elle ne soit point de noblesse.

— Plus bas, mylord baron ! dit Raoul en rougissant.

— Plus haut ! par les os de mon père ! s’écria le vieil homme. Si haut, que le monde puisse entendre, mylord ! Si Dieu m’avait donné un fils tel que vous, je mourrais trop content. Je jure sur mon honneur et par le roi que votre femme, quelle qu’elle soit, sera ma fille d’adoption, selon l’Église et selon la loi ! Êtes-vous témoins, mylords ?

— Nous sommes témoins, répondirent tous les assistants.

Et le chevalier de Saint-Georges, sur les épaules de qui on jetait la mante de lady Stuart, ajouta :

— Mylord baron, soyez remercié. Nous ratifions votre dire.

Raoul se jeta dans les bras du vieillard.

Dans le cabinet voisin, et à l’insu de Stuart, la Cavalière, prévenue par Drayton, revêtait en toute hâte les habits que le roi venait de quitter.

Il n’était plus temps de faire usage de l’ordre signé par Hélène. Les minutes valaient des heures. Bouchard, l’intendant des écuries, se précipita dans la chambre, disant :

— Sire, hâtez-vous ! le capitaine du régiment d’Auvergne rassemble ses hommes, et le Hollandais Roboam Boër est en bas de l’escalier !

Raoul se précipita à la fenêtre, qu’il ouvrit. Une chaise était attelée dans la cour, avec les quatre bons chevaux de l’épouse. Les deux montants d’une échelle dépassaient l’appui de la croisée.

— Venez, sire, dit-il.

— N’aurai-je point l’adieu de lady Stuart de Rothsay ? demanda le roi, et quand la reverrai-je ?

— À bord du vaisseau qui conduira Votre Majesté en Écosse, sire, répondit la Cavalière invisible, car elle était dans la chambre voisine pour revêtir des habits d’homme.

Raoul descendit le premier ; le chevalier de Saint-Georges le suivait.

Dans la cour, les chevaux impatients piaffaient. Au rez-de-chaussée de la maison de poste et au premier étage, on voyait à toutes les croisées des lumières courir follement. Raoul se présenta à la portière de la chaise, où était l’épouse Boër.

— Descendez, comtesse, dit-il.

— Savez-vous ! s’écria l’épouse. Que je descende ! de mon propre carrosse !

— C’est la volonté de votre royal fiancé qui mène avec lui ses ministres. Votre Majesté le rejoindra.

— Mais… voulut objecter la reine présomptive.

— Chut !

Raoul lui prit les deux mains et l’attira au dehors, au risque de se faire écraser sous la masse.

Par l’autre portière, le chevalier de Saint-Georges montait.

M.  de Bourbon Courtenay était en selle sur le porteur. La chaise partit au galop, avec ce bruit de tonnerre que Gadoche entendit dans la chambre d’Hélène.

L’épouse regarda tout autour d’elle. La cour était déserte et la porte cochère se refermait du dehors.

— Ah ! savez-vous ! murmura-t-elle. Comprenez-vous !… vous concevez ! C’est la conspiration ! Mon royal époux m’expliquera cela. La route qui mène au trône ne va pas tout droit !

En ce moment, on frappait des coups redoublés à la porte de la chambre que le chevalier de Saint-Georges venait de quitter, et l’inévitable « Au nom du roi ! » retentissait dans le corridor.

Restaient dans la chambre Drayton, le vieux baron Douglas et quelques fidèles. La Cavalière était dans le cabinet. Drayton ouvrit.

Roboam Boër fit passer prudemment une demi-douzaine de ses hommes et entra derrière eux, criant à tue-tête :

— Sire, ne résistez pas ! on vous fera quartier.

Il ajouta en anglais à un grand gaillard en livrée qui le suivait :

— Quartier, pour le moment ; en route, on verra ce qu’on aura à faire… Mylord ambassadeur sera content de nous ! je vous le promets !

Quand il se fut assuré que tout le monde, dans la chambre, était sans armes, il écarta ses estafiers et vint se placer au premier rang.

— Lequel d’entre vous, demanda-t-il après avoir regardé les assistants l’un après l’autre, est l’Écossais Jacques-Édouard Stuart, qui prend indûment le nom de chevalier de Saint-Georges ?

Personne ne répondit. On voulait gagner du temps. Roboam choisit le plus ronflant parmi les jurons des Pays-bas et répéta sa question en ajoutant :

— Mes braves, on va vous faire parler à la pointe de l’épée !

— Sois respectueux, coquin, prononça enfin le vieux Douglas avec un froid mépris. Tout le monde ici est gentilhomme, excepté toi !

Boër se tourna vers le grand gaillard à livrée qui l’accompagnait et lui dit :

— S’ils résistent, ce serait une occasion !… on s’en consolerait.

— Le Stuart n’est pas là, répondit l’autre à voix basse. Je le connais.

Il n’y avait pas à se méprendre à son accent.

Celui-là était un Anglais. Boër fronça le sourcil et enfla ses joues, l’autre ajouta :

— Il y a le cabinet… Visitez !

— L’épée à la main ! ordonna aussitôt Boër, et qu’on fouille ce cabinet !

Comme les épées grinçaient en sautant hors du fourreau, la porte du cabinet s’ouvrit, et la Cavalière parut sur le seuil, portant le costume complet du chevalier de Saint-Georges.

— C’est lui, pour le coup ! s’écria Boër. C’est bien le Stuart !

Le prétendu Stuart avait les bras croisés sur sa poitrine, et son feutre rabattu lui couvrait la moitié du visage.

— Qu’on s’empare de lui ! commanda Roboam qui sentait déjà sa poche gonflée par les deux millions et demi de lord Stair.

— Arrêtez ! s’écria une de ces voix flûtées qui généralement sortent de la gorge des très grosses femmes. Ah ! savez-vous, arrêtez !

En même temps un paquet de satin, de fleurs et de rubans, le tout de couleurs tendres, passa la porte et traversa les rangs comme un boulet de canon. C’était réponse. Elle entoura le faux Stuart de ses deux bras, potelés jusqu’à l’extravagance, et leva les yeux au ciel en déclarant :

— Vous me percerez le cœur, cruels, avant d’arriver jusqu’à mon royal époux, vous concevez ! J’ai répudié mein herr Boër.

Au milieu de la stupéfaction générale, car nul ici ne s’était attendu à cet incident burlesque, un large rire éclata derrière Boër.

— Bravo ! mein herr Roboam ! cria Gadoche qui, lui aussi, amenait ses suivants. Bravo ! comtesse ! Je ne déteste pas ces histoires de noces romanesques !

Les dents du Hollandais grincèrent dans sa bouche.

— Cette folle ira coucher ce soir aux Madelonnettes ! gronda-t-il.

Sur un ordre de lui on s’empara de l’épouse que son « royal conjoint » ne fit point mine de défendre.

Boër poursuivit :

— En tout cas, monsieur le marquis de Romorantin, vous arrivez un peu tard. Pendant que vous cherchiez, moi je trouvais. Mylord ambassadeur décidera entre nous. Stuart est mon prisonnier.

— Stuart est sur la route de Honfleur, répondit Gadoche avec un mépris railleur. Votre prisonnier n’est qu’une femme !

Boër s’élança, et d’un geste violent, il arracha le feutre de la Cavalière dont les longs cheveux tombèrent en flots abondants sur ses épaules.

— Une femme ? répéta-t-il abasourdi.

— Et mylord, poursuivit Gadoche, vous jugera pour ce que vous êtes, meinherr Roboam, une dupe.

— De par tous les diables ! s’écria le Hollandais exaspéré, cette femme payera pour tous. Elle a favorisé la fuite du Stuart. Je l’arrête !

La Cavalière entrouvrit son pourpoint et lui tendit un papier déplié.

— Ceci est un sauf-conduit de monseigneur le régent, dit-elle.

Tout le monde prêta l’oreille, parce qu’on entendait dans le corridor le pas régulier d’une troupe de soldats, tout le monde, excepté Boër, qui, dans sa fureur aveugle et sourde, s’écriait :

— Que m’importe ce chiffon ! Qu’on l’arrête ! qu’on l’arrête !

Les crosses des mousquetons de Royal-Auvergne résonnèrent en touchant toutes à la fois le plancher. Boër se retourna enfin, Gadoche se frottait les mains et riait de tout son cœur.

Le capitaine marquis de Crillon approchait d’un air calme et poli.

— Pour Dieu, messieurs les Hollandais, dit-il, messieurs les Anglais, messieurs les habitants de n’importe quel pays, nous sommes ici à Nonancourt, ville de la province de Normandie, qui n’est, que je sache, ni en Angleterre, ni en Hollande. Commençons, s’il vous plaît, par respecter le seing de S. A. R. le régent de France !

Boër, confus, avait fait un pas en arrière. Le marquis de Crillon baisa la main que lady Mary Stuart lui tendait, et adressa un geste amical aux gentilshommes de la suite du chevalier de Saint-Georges.

— Vous êtes libre, belle dame, dit-il. Mylords et messieurs, vous êtes libres, du moment que le prince Jacques Stuart n’est point parmi vous. En lui présentant mes hommages respectueux, je vous prie seulement de l’engager à ne se point trouver sur mon chemin. Je suis soldat, j’ai mes ordres, et avec le plus grand regret du monde, je serais obligé de mettre la main sur sa personne royale… Faites place à lady Mary Stuart de Rothsay et à ces gentilshommes, messieurs.

Les rangs s’écartèrent. Sans lâcher la main du marquis, la Cavalière lui dit tout bas, en montrant Gadoche :

— Celui-là est un assassin !

Le marquis s’inclina avec grâce. Lady Stuart et sa suite sortirent. Sans affectation aucune, Gadoche prit, derrière eux, le chemin de la porte.

— Restez, ordonna le marquis de Crillon.

— Vous avez à me parler ? demanda insolemment Gadoche.

— Oui… et à vous faire pendre aussi, Louis-Dominique Cartouche, prononça le capitaine de Royal-Auvergne.

Ce nom produisit son effet ordinaire. Il se fit un large cercle autour de Gadoche, qui sembla un instant étonné, et même un peu fier.

— Cartouche, répéta Boër avec un évident plaisir, c’est roué vif, alors qu’il fallait dire !… J’irai voir cela en place de Grève.

Crillon appela un soldat et lui dit :

— Fers aux pieds, menottes aux mains, jetez-le-moi comme un paquet dans le fourgon ! Vive Dieu ! Le misérable a osé prendre une fois l’uniforme et le nom d’un officier de Royal-Auvergne !

Ce n’était peut-être pas là le plus grand de tous les crimes de Cartouche, mais Royal-Auvergne en jugeait autrement. Les chaînes sonnèrent, on entendit grincer les agrafes des menottes. Gadoche avait pâli.

— Monsieur le marquis de Crillon, dit près de la porte une voix gutturale, comment vous portez-vous ?

Le front de Gadoche se rasséréna au son de cette voix. Un homme venait d’entrer sans bruit, froid, droit, roide, grave et portant sur son visage busqué tous les caractères du type britannique.

— Mylord ambassadeur d’Angleterre ! murmura Crillon étonné. Je ne m’attendais pas à trouver ici Votre Seigneurie. Je me porte bien, et vous ?

— Assez bien, monsieur le marquis, répliqua lord Stair. Je vous prie, faites retirer ces chaînes et ces menottes. Cela contriste le cœur d’un Anglais libre !

— Mylord, je suis désolé de vous refuser.

— Cet homme appartient à ma maison, monsieur !

— Cartouche !… faisant partie de votre maison !

— Cet homme n’est pas Cartouche. Fût-il Cartouche, je le réclame au nom de S. M. le roi George, mon maître, déclarant qu’il est sujet anglais !

Dubois régnait sous Philippe d’Orléans. Il n’y avait pas à hésiter. Dubois avait ses meilleurs revenus de l’autre côté de la Manche.

— Mylord, dit pourtant l’officier français, Votre Seigneurie me donnera un reçu, signé de sa main, constatant que l’ambassadeur d’Angleterre a réclamé un homme qui est ou qui n’est pas Cartouche, mais que je déclare, sur ma parole, moi, marquis de Crillon, un misérable bandit et un lâche assassin !

Il couvrait, ce disant, l’ambassadeur d’un provoquant regard. Lord Stair répondit sans s’émouvoir le moins du monde et avec courtoisie :

— Si un tel reçu peut vous être utile ou agréable, monsieur le marquis, je vous le donnerai.

— Et feriez-vous volontiers, par hasard, le coup de pistolet avec moi, demain, mylord ? demanda le capitaine d’Auvergne qui se rapprocha de lui brusquement.

— Non, monsieur, répondit lord Stair. Je vous rends grâces. J’ai gagné des batailles rangées.

Gadoche, dans l’exaltation de sa reconnaissance, eut l’impudence de lui tendre la main.

— C’est bien fait, mylord comte, dit le marquis de Crillon, qui était vengé.

Mylord ambassadeur tourna le dos à Gadoche, salua froidement le marquis, sortit à pas lents et traversa toute la longueur du corridor suivi par le grand gaillard à livrée qui avait accompagné mein herr Roboam durant l’expédition.

Mylord ambassadeur était « l’Anglais de la chambre du bout. » Le grand gaillard était un autre Anglais, diplomate à la suite, qui n’avait gagné que de coquines batailles. Rule Britannia !

L’Angleterre pour toujours !