L. Hachette et Cie (p. 230-234).

LXXXV

GÉDÉON

(Même année, 1200 ans avant J.-C.)



Les Israélites retombèrent encore dans le mal ; ils adorèrent de nouveau les faux dieux, et ils furent de nouveau abandonnés par le Seigneur et vaincus par les Philistins, peuple très-mauvais, qui descendait, comme tous les autres, de Cham et de Chanaan. Ils se repentirent encore cette fois, et le Seigneur eut pitié d’eux.

Jacques. Ah, par exemple ! Dieu est trop bon pour eux ! De méchants coquins, toujours ingrats, toujours mécontents, toujours révoltés et impies, ne méritaient aucune pitié.

Grand’mère. Mon pauvre enfant, que deviendrions-nous, tous tant que nous sommes, si le bon Dieu ne nous pardonnait pas dix fois, cent fois, mille fois, un million de fois les mêmes fautes. Il a été pour les Israélites ce qu’il est pour nous et pour tous les hommes, bon, indulgent, généreux, plein de miséricorde pour notre faiblesse et toujours prêt à pardonner au repentir ; et c’est pourquoi il choisit un homme nommé Gédéon, pour délivrer encore une fois son peuple de la servitude.

Gédéon était le dernier fils d’une famille de la tribu de Manassé ; il était renommé pour sa force. Un Ange l’appela et lui dit que le Seigneur lui ordonnait de se mettre à la tête des Israélites pour les délivrer de la tyrannie des Madianites.

Gédéon lui répondit : « Hélas ! mon seigneur, comment, je vous prie, délivrerai-je Israël ? Vous savez que ma famille est la dernière de Manassé et que je suis le dernier de la famille de mon père. » Le Seigneur lui dit : « Je serai avec toi, et tu battras les Madianites, comme s’ils n’étaient qu’un seul homme. Gédéon répliqua : « Si j’ai trouvé grâce devant vous, Seigneur, faites-moi connaître par un signe que c’est vous qui me parlez. Et ne vous retirez pas d’ici, jusqu’à ce que je retourne vers vous, et que j’apporte un sacrifice pour vous l’offrir. » L’Ange répondit : « J’attendrai ton retour. »

Gédéon, étant rentré chez lui, prit un chevreau qu’il fit cuire et du pain sans levain ; il mit, dans un panier, le chevreau cuit et le jus dans un pot, puis il apporta le tout sous un chêne, et l’offrit au Seigneur. Aussitôt l’Ange fit descendre le feu du ciel sur ce que Gédéon avait apporté et déposé sur une pierre, et, en un instant, tout fut consumé.

Gédéon fut saisi de frayeur et s’écria : « Hélas ! je dois mourir, car j’ai vu le Seigneur Dieu face à face. »

Petit-Louis. Pourquoi, mourir ? Parce qu’il avait vu le bon Dieu ?

Grand’mère. Dans l’ancienne loi, Dieu se montrait surtout dans sa gloire et sa majesté, et il inspirait le respect et la crainte plus que l’amour. C’est pourquoi Gédéon partageait la croyance générale qu’on devait mourir quand on avait vu Dieu.

« Non, dit l’Ange, tu ne mourras pas ; va renverser l’autel du faux dieu Baal ; élève à la place un autel au Seigneur, et offre-lui un sacrifice de deux taureaux. »

Gédéon attendit la nuit pour renverser l’idole de Baal de dessus son autel, parce qu’il craignait les Madianites. — Le lendemain, les Madianites, voyant l’autel de leur dieu renversé, devinrent furieux, et, ayant appris que c’était Gédéon qui l’avait détruit, ils allèrent dire à Joas, père de Gédéon, de leur livrer son fils pour le tuer.

Joas répondit : « Comment pouvez-vous faire une si grande insulte à Baal que de punir vous-mêmes un homme qui l’a offensé ? Laissez Baal punir mon fils, à moins que vous ne pensiez que ce dieu n’a pas assez de pouvoir pour se rendre justice à lui-même. »

Le peuple madianite écouta Joas, et attendit que Baal punit lui-même Gédéon. Pendant ce temps, Gédéon fit rassembler tous les guerriers qu’on put réunir dans les tribus voisines ; et, dans la nuit, il vint trente mille guerriers des tribus d’alentour.

Le Seigneur dit à Gédéon : « Je veux que les Madianites voient que c’est par moi seul que mon peuple les a vaincus, renvoie donc tous les hommes faibles ou timides qui préfèrent la paix à la guerre. »

Gédéon renvoya vingt mille hommes : il en restait encore dix mille. — « C’est trop, dit le Seigneur, mène-les le long de la rivière ; ceux qui ne s’arrêteront pas, qui ne se mettront pas à genoux pour boire, mais qui boiront dans le creux de leur main, seront les soldats que j’ai choisis, et qui sont assez braves pour combattre et vaincre les Madianites. »

Gédéon alla à la rivière ; il n’y eut que trois cents hommes qui burent sans s’arrêter et sans s’agenouiller au bord de l’eau. Le Seigneur dit à Gédéon : « Ce sont ces trois cents hommes qui remporteront la victoire sur les Madianites. »

Petit-Louis. Trois cents hommes ! c’est bien peu !

Grand’mère. Tu vas voir comment, avec l’aide de Dieu, ils ont remporté la victoire.

Gédéon renvoya les autres chez eux, et, ayant rassemblé ces trois cents hommes, il les divisa en trois bandes de cent hommes chacune, qui devaient entourer le camp des Madianites ; il leur donna à tous des trompettes, et des pots de terre vides, avec une lampe en fer allumée dans chaque pot.

« Quand vous m’entendrez sonner de la trompette, leur dit-il, sonnez tous à la fois, frappez les pots les uns contre les autres, et criez tous ensemble : « L’épée du Seigneur et de Gédéon ! »

Tout se fit comme Gédéon l’avait ordonné ; ce fut au milieu de la nuit que l’armée des Madianites fut réveillée par ce bruit effroyable : la frayeur les saisit ; se croyant attaqués de tous les côtés et entourés par une armée formidable, ils couraient en désordre, se heurtant les uns contre les autres et s’entre-tuant, croyant tuer des ennemis ; les trois cents guerriers de Gédéon restaient toujours à leur poste, sonnant de la trompette, cognant leurs pots, choquant les lampes de fer les unes contre les autres et poussant le même cri : « L’épée du Seigneur et de Gédéon ! »

Quand le jour commença à éclairer le camp, il y avait cent vingt mille Madianites tués ; les quinze mille hommes qui restaient en vie s’échappèrent et arrivèrent au bord du Jourdain dans le plus grand désordre, poursuivis par Gédéon et ses trois cents hommes. Gédéon avait envoyé les dix mille qui n’avaient pas combattu, en deçà et au delà du Jourdain pour tuer les ennemis qui chercheraient à traverser le fleuve et ceux qui seraient parvenus à gagner l’autre rive.

Quand Gédéon arriva près du Jourdain avec ses trois cents hommes, ils étaient si fatigués qu’ils ne pouvaient plus poursuivre les Madianites, et ils demandèrent aux gens de Soccota de venir les aider à compléter leur victoire en tuant tout ce qui restait de Madianites ; mais les chefs de cette ville refusèrent de venir. Gédéon leur dit : « Puisque vous refusez d’obéir au Seigneur, à mon retour je vous ferai briser le corps avec les ronces et les épines du désert. »

Tous les chefs madianites étaient tués, il ne restait plus que deux de leurs rois : Zébée et Salmana ; Gédéon les atteignit plus loin et les tua de sa main. Étant revenu à Soccota, Gédéon se fit amener les soixante-dix-sept chefs ou anciens qui avaient refusé de l’assister, et il fit briser leurs corps entre les ronces et les épines

Jeanne. Mon Dieu, comme on était terrible dans ce temps là ! On tue sans miséricorde tout le monde.

Marie-Thérèse. Mais je ne comprends pas comment des ronces et des épines peuvent écraser un homme.

Grand’mère. Probablement qu’on avait jeté les condamnés par terre, recouverts d’une quantité de ronces et d’épines, et qu’on avait fait mettre par-dessus de grosses pierres, ou bien qu’on les avait fait piétiner et écraser par des chevaux.

Après avoir achevé de soumettre les rois ennemis d’Israël, Gédéon gouverna le peuple pendant quarante ans. Il eut soixante-dix fils, car il épousa plusieurs femmes.

Henriette. Quelle famille ! Soixante-dix enfants ! Quel tapage ils devaient tous faire !

Paul. Et comme ils devaient s’amuser tous ensemble !

Valentine. Oui, c’est dommage que nous ne soyons pas aussi nombreux.

Grand’mère. Au temps où nous vivons, ce serait une calamité. Dans ce temps-là, on vivait sous des tentes, tout le monde travaillait au dehors, on vivait du produit de ses troupeaux et de ses terres, on avait autant de terres qu’on en voulait. Il n’y avait ni éducation savante, ni livres, ni collèges ; on vivait tous ensemble. Maintenant tout cela serait impossible. Et puis ils n’avaient pas tous le même âge ; quand les derniers étaient encore enfants, les aînés avaient déjà des cheveux blancs.

Louis. Et que devint Gédéon avec tous ses fils ?

Grand’mère. Gédéon mourut après quarante ans de commandement ; il fut très-regretté ; mais, après lui, les Israélites oublièrent encore le Seigneur, ils retombèrent dans l’idolâtrie, et leur histoire devient de plus en plus embrouillée.