XXV

BÉNÉDICTION D’ISAAC À JACOB — COLÈRE D’ÉSAÜ

(1769 ans avant J.-C.)



Longtemps après, Ésaü, qui avait déjà quarante ans, épousa deux femmes que n’aimaient pas Isaac et Rebecca, parce qu’elles s’étaient mal conduites avec eux.

Valentine. Pourquoi Ésaü épouse-t-il deux femmes, et pourquoi choisit-il des femmes qui sont mal pour ses parents ?

Grand’mère. Ésaü a épousé deux femmes, parce que la loi ancienne, comme je vous l’ai déjà dit, permettait d’en avoir plusieurs ; il a pris des femmes qui déplaisaient à Isaac et à Rebecca, parce qu’il se souciait peu de plaire à Dieu et à ses parents.

Isaac était très-vieux, et il était devenu aveugle. Un jour il appela Ésaü et lui dit : « Mon fils, je suis fort âgé et je puis mourir bientôt ; je veux te bénir avant ma mort. Va donc prendre ton arc et tes flèches pour tuer du gibier ; et quand tu en auras tué, fais-le cuire comme tu sais que je l’aime ; j’en mangerai, et je te bénirai ensuite. »

Il s’agissait de cette grande et solennelle bénédiction que les Patriarches donnaient à leur fils aîné depuis Adam, par l’ordre de Dieu ; elle faisait de celui qui l’avait reçu le Souverain Pontife de tout le peuple de Dieu.

Ésaü partit tout de suite pour faire ce qu’Isaac lui avait commandé. Mais Rebecca, qui avait tout entendu, appela Jacob ; elle lui raconta ce qu’Isaac venait de dire à Ésaü.

« Mon fils, lui dit-elle, suis le conseil que je vais te donner : va-t’en à ton troupeau, tue deux de tes meilleurs chevreaux, afin que je les prépare comme je sais que l’aime ton père ; tu les lui présenteras, et quand il en aura mangé, il te bénira croyant bénir Ésaü.

— Ma mère, lui répondit Jacob, vous savez qu’Ésaü a le corps velu ; si mon père me touche avec sa main, ce qu’il fera certainement pour me bénir, il verra que je l’ai trompé, et il me maudira au lieu de me bénir.

— Mon fils, dit Rebecca, ne crains rien. Fais ce que je te dis, va me chercher les chevreaux. »

Jacob obéit à sa mère et les lui apporta. Elle se mit à les préparer à la manière qu’aimait Isaac. Pendant qu’ils cuisaient, elle habilla Jacob avec les plus beaux habits parfumés qu’Ésaü mettait les jours de fête pour aider son père à offrir des sacrifices ; elle lui couvrit, avec la peau des chevreaux, les mains, le cou et tout ce qui était découvert, que son père pouvait toucher ; elle lui donna le plat qu’elle avait préparé et les pains qu’elle avait cuits au four. Jacob porta le tout à Isaac et lui dit : « Mon père.

— Je t’entends, répondit Isaac ; mais lequel de mes fils es-tu ? »

Jacob lui dit : « Je suis votre fils aîné ; j’ai fait ce que vous m’avez commandé ; levez-vous, mangez de ma chasse, et donnez-moi ensuite votre bénédiction. »

Louis. Comment Isaac n’a-t-il pas reconnu la voix de Jacob, et n’a-t-il pas soupçonné quelque tromperie ?

Grand’mère. C’est précisément ce qui est arrivé. Isaac soupçonnait quelque chose sans en être bien sûr ; tu vas voir comment il a cherché à s’assurer si c’était réellement Ésaü qu’il allait bénir.

Il dit à Jacob : « Comment, mon fils, as-tu pu avoir ce gibier et le préparer en si peu de temps ?

— Dieu a voulu que ce que je désirais se présentât tout de suite à moi, répondit Jacob.

— Approche-toi, mon fils, dit encore Isaac, afin que je reconnaisse si tu es réellement mon fils Ésaü. »

Jacob s’approcha ; Isaac lui passa la main sur le visage, sur le cou, sur les mains, sur les bras, et dit : « La voix est la voix Jacob, mais les mains sont celles d’Ésaü. » Avant de le bénir, il lui demanda encore une fois : « Es-tu mon fils aîné ?

— Je le suis, » répondit Jacob.

Gaston. Grand’mère, Jacob mentait joliment, car il savait très-bien qu’il n’était pas Ésaü.

Grand’mère. Il savait qu’il n’était pas Ésaü, mais il savait aussi que Dieu l’avait choisi pour être l’aîné de la famille et le Patriarche, puisqu’Ésaü lui avait vendu son droit d’aînesse pour un plat de lentilles. Remarque qu’il ne dit pas : « Je suis Ésaü, » mais : « Je suis votre fils aîné. »

Jacques. Alors, Grand’mère, il a, sans mentir, trompé le pauvre Isaac aveugle, et je trouve que c’est très-mal.

Grand’mère. Cher enfant, dans toute cette affaire, Jacob n’a fait qu’obéir à sa mère, qui elle-même agissait par l’ordre secret de Dieu. Ésaü n’était pas digne d’être le Patriarche, le chef de la famille ; c’est au bon et pieux Jacob que Dieu destinait l’honneur d’être l’aïeul de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et il voulut que Jacob pût recevoir de son père la bénédiction d’aîné de la famille.

Isaac, rassuré par les paroles de Jacob, lui demanda à manger de sa chasse ; et Jacob lui en présenta, ainsi que du vin à boire. — Quand Isaac eut mangé et bu, il appela Jacob et l’embrassa ; il sentit l’odeur des vêtements pontificaux d’Ésaü, lesquels étaient toujours embaumés de parfums excellents, il se mit à le bénir, à lui souhaiter les bénédictions du Seigneur, la multiplication de ses troupeaux, l’augmentation de ses richesses et de sa puissance. Il lui donna l’autorité sur ses frères et même sur sa mère ; il lui passa le pouvoir de bénir et de maudire, et il le rendit maître de tous ses biens.

À peine Isaac avait-il achevé les dernières paroles de sa bénédiction et à peine Jacob était-il sorti, qu’Ésaü entra, et, présentant à son père le plat de gibier qu’il venait d’accommoder, il lui dit : « Levez-vous, mon père, pour manger de ma chasse que je vous ai préparée comme vous l’aimez, et vous me donnerez ensuite la bénédiction. »

Isaac, surpris, lui dit : « Qui es-tu donc ?

— Je suis Ésaü, votre fils aîné, » répondit-il.

Isaac fut frappé d’étonnement, il expliqua à Ésaü ce qui venait de se passer. « Qui est donc, dit-il, celui qui est venu me demander ma bénédiction ? Je la lui ai donnée avec tous mes biens et toute mon autorité de chef de famille, je ne puis la reprendre ; elle lui restera. »

Ésaü poussa un cri furieux et fut consterné. « Donnez-moi aussi votre bénédiction, mon père, cria-t-il.

— Mon fils, répondit Isaac, ton frère est venu me la surprendre ; il a reçu la part qui t’était due. » Isaac bénissant Jacob
Ésaü de plus en plus furieux, continua à demander une bénédiction : « Ne m’avez-vous donc rien réservé, mon père, à moi votre fils aîné ? »

Isaac répondit : « Que puis-je te donner, mon fils ? J’ai établi Jacob ton seigneur, je lui ai assujetti tous ceux de notre race, je lui ai donné tous mes biens ; que puis-je te donner ? quelle bénédiction te donnerai-je ? Je ne puis que te bénir dans la rosée du ciel et la graisse de la terre qui seront favorables à tes travaux ; tu serviras ton frère, mais tu secoueras son joug, tu le combattras souvent, et tu finiras par t’en délivrer. »

Marie-Thérèse. Il me semble qu’Isaac ne lui donnait pas grand’chose.

Jeanne. Et qu’il ne lui promettait pas une vie bien agréable.

Grand’mère. Non, sans doute, puisqu’il avait donné tout ce qu’il pouvait donner à celui que Dieu avait fait malgré lui son fils aîné.

Ésaü haïssait Jacob à cause de la bénédiction qu’il avait… non pas volée, puisqu’Isaac agissait volontairement, mais…

Jacques. Chipée ; on peut bien dire cela, Grand’mère.

Grand’mère, riant. Ni volée ni chipée ; Jacob n’avait agi que d’après l’ordre de sa mère et de Dieu, à qui tout appartient. Dieu donnait à Jacob ce qui lui appartenait très-légitimement.

Ésaü, qui n’avait jamais aimé Jacob, le haïssait davantage encore depuis la bénédiction d’Isaac, et il disait qu’après la mort de son père il tuerait son frère.

Rebecca, ayant appris les menaces d’Ésaü, eut peur pour Jacob ; elle le fit venir et lui dit : « Mon fils, tu sais combien Ésaü est violent, et combien il te déteste ; voilà qu’il menace de te tuer. Crois-moi, dépêche-toi de fuir ; tu iras chez mon frère, ton oncle Laban, qui demeure à Haran, et tu y resteras jusqu’à ce que la fureur d’Ésaü soit calmée. Quand sa colère sera apaisée et qu’il aura oublié ce que tu as fait pour avoir la bénédiction de ton père, je te ferai avertir. Tu épargneras à ton frère un grand crime, et, a moi, le chagrin de te voir mourir. »

Puis Rebecca alla trouver Isaac et lui dit : « La vie m’est devenue pénible depuis le mariage d’Ésaü avec les deux filles étrangères. Si Jacob épouse une fille de ce pays, je ne pourrai plus vivre. »