L. Hachette et Cie (p. 59-63).

XVII

APPARITION DE TROIS ANGES À ABRAHAM

(1869 ans avant J.-C.)



Un jour Abraham était assis à la porte de sa tente dans la vallée de Mambré ; c’était l’heure de la plus grande chaleur du jour. Abraham ayant levé les yeux, trois hommes d’une grande beauté parurent près de lui. Aussitôt qu’il les aperçut, il courut à eux et se prosterna jusqu’à terre.

Marie-Thérèse. Pourquoi se prosterne-t-il devant des hommes ?

Grand’mère. Parce qu’il reconnut que c’étaient des Anges qui avaient pris la forme humaine. Aussi ne leur parla-t-il pas comme à des hommes. « Seigneurs, leur dit-il, puisque j’ai trouvé grâce devant vous, ne passez pas devant la maison de votre serviteur, sans vous y arrêter. Je vous apporterai de l’eau pour laver vos pieds ; et pendant que vous vous reposerez sous l’arbre qui ombrage ma tente, je vous servirai un repas pour ranimer vos forces, et ensuite vous continuerez votre chemin. »

Henriette. Grand’mère, comment Abraham offre-t-il aux Anges de se reposer et de manger ? Il devait savoir que des Anges ne sont jamais fatigués et n’ont jamais faim.

Grand’mère. Il le savait certainement, mais ces Anges, ayant pris la forme humaine, étaient assujettis, du moins en apparence, comme les autres hommes, aux besoins de la nature. Aussi, loin de refuser l’offre d’Abraham, les Anges lui répondirent : « Fais ce que tu dis. »

Abraham entra promptement dans sa tente et dit à Sara : « Pétris vite de la farine et fais cuire trois pains sous la cendre. » Il courut ensuite à ses troupeaux, il y choisit un veau tendre et gras, et il le donna à un de ses serviteurs qui se hâta de le faire cuire.

Il prit ensuite du beurre frais et du lait, et il présenta aux Anges ce repas, lui-même les servant et se tenant debout derrière eux sous l’arbre où ils étaient.

Après que les Anges eurent mangé, ils lui dirent : « Où est Sara ta femme ? — Elle est dans la tente, » répondit Abraham.

Un des Anges lui dit : « Je reviendrai vous voir dans un an ; dans ce temps Sara aura un fils. » Sara, ayant entendu ce que disait l’Ange, se mit à rire, pensant qu’elle et son mari étaient trop vieux pour avoir des enfants.

Mais l’Ange dit à Abraham : « Pourquoi ta femme a-t-elle ri et a-t-elle pensé qu’elle était trop vieille pour avoir des enfants ? Y a-t-il rien d’impossible au Seigneur ? Je reviendrai dans un an, comme je l’ai promis, et je vous trouverai tous deux en vie, et Sara aura déjà un fils.

— Je n’ai pas ri, » répondit Sara. Elle avait tout entendu, mais elle nia quelle eût ri, parce qu’elle était confuse et effrayée.

« Cela n’est pas vrai, reprit l’Ange, tu as ri. »

Jeanne. Mais comment les Anges n’ont-ils pas grondé et puni Sara pour avoir menti ?

Grand’mère. Les Anges ont été indulgents, parce qu’elle était si troublée qu’elle ne savait plus ce qu’elle disait.

Ces hommes s’étant donc levés, ils partirent, se dirigeant du côté de Sodome ; Abraham les reconduisait. L’Ange qui avait parlé, et qui était le Seigneur, dit encore :

« Je ne veux pas cacher à Abraham ce que je vais faire. Les crimes de Sodome et de Gomorrhe ont dépassé ma miséricorde ; il faut que leurs iniquités soient punies. » Alors, sur un signe du Seigneur, deux des Anges partirent pour Sodome ; Abraham demeura devant le Seigneur. Et s’approchant, il lui dit : « Seigneur, punirez-vous le juste avec l’impie ? S’il y a cinquante justes dans Sodome, périront-ils avec les autres ? Ne pardonnerez-vous pas plutôt aux méchants à cause des cinquante justes, s’ils s’y trouvent ? »

Le Seigneur lui répondit : « Si je trouve dans Sodome cinquante justes, je pardonnerai à cause d’eux à toute la ville. »

Abraham dit ensuite : « Puisque j’ai commencé, j’oserai parler encore à mon Seigneur, quoique je ne sois que poudre et que cendre. S’il y a quarante-cinq justes, ferez-vous périr toute la ville pour cinq justes de moins ?

Non, dit le Seigneur, je ne détruirai pas la ville, s’il s’y trouve quarante-cinq justes.

— Mais, Seigneur, s’il n’y a en a que quarante, détruirez-vous la ville ?

— S’il y a quarante justes, je ne détruirai pas Sodome, répondit le Seigneur.

— Je vous prie, Seigneur, de ne pas trouver mauvais si je vous parle encore. S’il n’y a que trente justes, que ferez-vous ?

— Si je trouve trente justes, la ville ne périra pas, dit le Seigneur.

— Puisque j’ai commencé, Seigneur, j’oserai continuer. S’il y a vingt justes à Sodome, ferez-vous grâce encore ?

— S’il y a vingt justes, je ferai grâce à cause d’eux.

— Seigneur, ne vous fâchez pas, je vous en supplie, si j’ose vous parler encore. Si vous ne trouvez que dix justes ?

— Si je trouve dix justes dans Sodome, elle ne périra pas, » répondit le Seigneur ; et cessant de parler, il disparut. Abraham retourna chez lui.

Jeanne. Je trouve qu’Abraham a été trop hardi devant le Seigneur ; je n’aurais jamais osé lui demander grâce tant de fois.

Jacques. Parce que tu n’as pas de courage ni de confiance. Puisque le Seigneur est si bon, il ne demande pas mieux que de pardonner ; il savait bien d’ailleurs qu’Abraham demandait par charité et pas pour lui-même.

Jeanne. C’est égal ; s’il s’était fâché !

Jacques. Eh bien ! Qu’est-ce qu’il aurait fait ? Il aurait dit à Abraham : « Laisse-moi tranquille ; tu n’es jamais content ; tu m’ennuies. » Au fond il n’aurait pas été fâché contre Abraham, qui était un excellent et saint homme.

Grand’mère, souriant. Non-seulement un saint homme, mais un grand Patriarche, un béni de Dieu, le père du futur peuple de Dieu. Pourtant, je comprends, comme dit Jeanne, qu’il lui ait fallu un grand courage pour faire tant de demandes ; aussi voit-on par le récit de la Bible qu’il avait peur et qu’il tremblait d’irriter le Seigneur.

Louis. Et je crois que Dieu était un peu mécontent, car il s’est retiré sans plus rien dire.

Grand’mère. Cela ne signifie pas qu’il fût mécontent, mais Abraham n’ayant plus rien à demander, le Seigneur n’avait plus rien à dire : et il disparut tout naturellement.