L’homme de la maison grise/01/10

L’imprimerie du Saint-Laurent (p. 32-34).


Chapitre X

YVON EST INDIGNÉ


Prisonniers !…

La sensation d’être enfermé à clef dans une chambre, n’est pas de ses plus agréables. Yvon se demanda depuis quand, depuis quelle heure, il en était ainsi… Sans doute, lorsque M. Villemont était venu chercher le plateau du malade, vers les sept heures et demie, il avait, avec une grande précaution, tourné la clef dans la serrure.

Si la Maison Grise était, en partie, abandonnée, bien sûr que ses serrures fonctionnaient comme si elles eussent été huilées fort souvent.

Dans tous les cas, ils étaient prisonniers dans leur chambre, Yvon Ducastel et son malade ; il n’y avait pas de doute là-dessus… À cette pensée, le jeune homme sentit le rouge de la colère lui monter au visage et des protestations indignées s’échappèrent de sa bouche.

Vraiment, il eut envie de se jeter sur la porte et de l’enfoncer, puis d’aller demander à M. Villemont la raison de sa conduite à leur égard… Mais à quoi cela servirait-il ?… Cet homme lui répondrait probablement, sur un ton tranquille et froid, accompagné d’un sourire déplaisant, qu’il était le maître chez lui et que s’il lui plaisait de s’assurer d’une parfaite solitude, en enfermant les gens dans les quartiers qu’il leur avait cédés, c’était là son affaire.

Malgré lui, Yvon crispa le poing. Ils étaient donc, lui et son compagnon, à la merci de leur hôte ; d’un étranger, on pourrait même dire, d’un homme étranger, à la voix, aux gestes brusques, presque brutaux ?… Ce n’était pas du tout rassurant cette idée… Il fallait aviser… trouver le moyen de se protéger…

Notre jeune ami s’empara d’une chaise et se dirigeant vers la porte, il en plaça le dossier sous la poignée ; de cette manière, ils seraient en sûreté… provisoirement toujours, car personne n’eut pu essayer de pénétrer dans leur chambre sans faire assez de bruit pour les réveiller tous deux.

Satisfait de ce qu’il venait d’inventer pour leur protection, Yvon se mit au lit, et bientôt, il s’endormait d’un profond sommeil… Le dernier bruit qui lui parvint, avant de s’endormir tout à fait, ce fut celui de l’aboiement de Guido, venant de la cuisine.

Il était sept heures lorsque notre jeune ami ouvrit les yeux, le lendemain matin. À la hâte, il se leva et s’étant habillé, sur la pointe des pieds, il s’approcha du lit de son compagnon.

Mais celui-ci ne dormait pas ; assis sur son lit, il regardait, d’un air grandement étonné, la chaise qui barricadait leur porte. Apercevant le jeune homme, il lui demanda, en désignant la chaise :

— Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Chut ! fit Yvon.

S’étant approché du lit, il expliqua à Lionel Jacques :

— Écoutez, fit-il, parlant bas, nous sommes enfermés à clef dans notre chambre.

— Hein ! cria presque Lionel Jacques.

— Chut ! Chut ! répéta Yvon. Voyez plutôt ! ajouta-t-il.

Il enleva doucement la chaise, puis tourna la poignée… la porte ne s’ouvrit pas.

— Ah ! dit seulement le malade.

— N’est-ce pas que c’est agréable et… rassurant de se dire qu’on est à la merci de M. Villemont, M. Jacques ? fit Yvon, d’une voix que la colère faisait trembler.

— Mais, comment as-tu découvert…

— Voici : j’ai voulu me rendre à la cuisine, hier soir, vers les dix heures, afin d’y chercher un livre ; c’est alors que je me suis aperçu que nous étions…, prisonniers, vous et moi…

— Il n’y a pas à dire, elle est, pour le moins étrange la manière d’agir de notre hôte ! s’exclama Lionel Jacques, fort mécontent, lui aussi.

— Sans compter que nous sommes pris comme des rats dans une trappe ici, puisqu’il n’y a pas d’exit à cette pièce, pour ainsi dire.

— Il y a les fenêtres. Yvon.

— Les fenêtres, M. Jacques ?…

Les avez-vous examinées ces fenêtres ?… Elles sont si étroites que c’est à peine si je parviendrais à m’y forcer un passage, seul… Jamais je ne viendrais à bout de vous faire sortir d’ici, vous, M. Jacques, malade comme vous l’êtes, si nous étions obligés de fuir devant… l’ennemi, jamais !

— Je ne crois pas que notre hôte ait des intentions malveillantes à notre égard, tu sais, mon garçon.

— Ne nous fions pas trop à lui, tout de même !

M. Villemont, vois-tu, a la lubie de jouer à l’hermite et il prend des précautions pour que sa retraite ne soit envahie par personne… Or, il se voit dans l’obligation de nous donner hospitalité et…

— Quel toqué que notre hôte, n’est-ce pas, M. Jacques ?

— Toqué ? Tu l’as dit !… Heureusement, ces toqués ne sont pas dangereux généralement, car, hors de ce qui se rapporte à leur toquade, rien ne les intéresse guère.

— Chut ! fit, pour la troisième fois, Yvon.

À pas de loup, il se dirigea vers la porte et il écouta… Il ne s’était pas trompé ; des pas se dirigeaient vers leur chambre ; ça devait être M. Villemont… ça ne pouvait être que lui… Il marchait avec d’infinies précautions, et si ce n’eut été que, dans cette vieille maison, les planchers geignaient, chaque fois qu’on posait le pied dessus, ni Yvon, ni son compagnon n’aurait eu connaissance de l’approche de leur hôte.

Un bruit… imperceptible, pour qui n’y eut pas porté attention ; la clef tournait dans la serrure de leur porte, puis cette clef était doucement retirée, après quoi les pas de tout à l’heure s’éloignèrent.

Yvon fut fortement tenté d’ouvrir la porte, de confronter M. Villemont et de lui demander ce qu’il faisait là ; mais il n’en fit rien.

Quand tout bruit eut cessé, dans le petit corridor, le jeune homme tourna la poignée et leur porte s’ouvrit. Regardant l’heure à sa montre ensuite, il constata qu’il était huit heures moins quart.

À huit heures, il s’achemina vers la cuisine, et tout se passa comme la veille. Le déjeuner n’étant pas tout à fait prêt, le jeune homme alla soigner son cheval. Comme la veille aussi, en sortant de l’écurie, il appela doucement et siffla Guido… qui, pas plus que la veille, ne répondit à son appel.

Yvon avait été fort surpris de ne pas apercevoir le collie dans la cuisine, ce matin-là, l’ayant entendu aboyer plusieurs fois durant la soirée. Il s’était, à l’avance, fait une vraie fête de retrouver la bonne bête et de la flatter en passant…

Où Guido allait-il chaque jour ?… Il était évident qu’il quittait la maison le matin, pour n’y revenir que le soir… Or, un chien n’abandonne pas son maître ainsi, tout brutal que soit ce dernier… Cependant, le fait était là… une fois les étrangers enfermés, en sûreté (à clef) dans leur chambre, Guido était admis dans la maison… pour disparaître aussitôt que ces mêmes étrangers avaient libre accès dans la cuisine.

— C’est bien ridicule de ma part, je le sais, se dit Yvon, mais l’absence de Guido m’intrigue excessivement… Où va-t-il ce chien ?…. Ou passe-t-il ses journées ?… M. Villemont enferme-t-il la pauvre bête quelque part ?… Pas dans les environs de la maison, en tout cas, car le chien répondrait à mes appels, s’il était à portée de ma voix… Essayons de l’appeler encore !

Encore une fois il se mit à siffler et appeler doucement le chien ; mais aucun aboiement le lui répondit.

— C’est étrange… c’est vraiment étrange… et c’est ennuyeux, avec cela ; car, pour dire la vérité, Guido est infiniment plus aimable que son maître, et j’en aurais volontiers fait mon camarade, durant mon séjour à la Maison Grise.

Ses appels ayant été vains, il retourna à la maison. Le déjeuner était prêt et M. Villemont attendait son invité ( ?) pour se mettre à table.

Un sourire nargueur plissait les lèvres de l’homme de la Maison Grise à l’arrivée d’Yvon ; sans doute il avait entendu le jeune homme siffler le chien et, pour une raison ou pour une autre, cela l’avait fort amusé.

Au moment de se rendre dans sa chambre, muni du plateau pour Lionel Jacques, Yvon dit à M. Villemont :

— Je pars pour la ville, cet avant-midi. S’il y a quelque chose que je puisse faire pour vous, tandis que je serai à W…, je le ferai volontiers.

— Ah ! C’est aujourd’hui que vous allez à W… ? fit M. Villemont.

— Je partirai vers les dix heures ou dix heures et demie.

— Je vous remercie, mais il n’y a rien que vous puissiez faire pour moi à la ville… Seulement, j’aurais à vous entretenir quelques instants, avant votre départ, M. Ducastel.

— Si c’est pour me recommander encore une fois de ne pas mentionner la Maison Grise à mes connaissances et amis… commença Yvon sur un ton impatienté et fort mécontent.

— Ne vous excitez donc pas ainsi, jeune homme, répondit M. Villemont avec son sourire désagréable. Il s’agit de toute autre chose…

— C’est bien, fit Yvon, subitement calmé. Qu’est-ce ?

— Tout à l’heure… lorsque vous serez prêt à partir.

— Comme vous voudrez !… Je présume que vous n’oublierez pas de servir le dîner à M. Jacques, ce midi ? demanda Yvon.

— Bien sûr que non. Je suis payé pour cela d’ailleurs, dit l’hermite, assez amèrement.

— Il y a certaines choses pour lesquelles vous n’êtes pas payé et que vous faîtes quand même, n’est-ce-pas. M. Villemont ? s’exclama le jeune homme, en pensant à l’incident de leur porte de chambre.

— Que voulez-vous dire ? Je ne comprends pas…

— Oh ! Vraiment ? dit Yvon, en éclatant de rire. Qu’importe, d’ailleurs ! ajouta-t-il et haussant les épaules, il quitta la cuisine.

Tout en se rendant dans sa chambre, il faisait les réflexions suivantes concernant son hôte :

— Désagréable type ! murmura-t-il entre ses dents. Ah ! si M. Jacques peut guérir une bonne fois, afin que nous puissions quitter la Maison Grise et son assez sinistre maître, jamais, non jamais de ma vie, je ne reviendrai dans ces parages !

« Fontaine, je ne boirai jamais de ton eau »…

Plus d’un s’est exprimé en ces termes ou a pensé ainsi déjà… qui a dû en rabattre pourtant !