L’Outaouais supérieur/Le cours de la Mattawan


C. Darveau (p. 191-194).


CHAPITRE VII



LE COURS DE LA MATTAWAN




En sortant de l’extrémité orientale du lac Nipissingue on entre dans la rivière La Vase, qui est l’ancienne route des « Voyageurs ».

Cinq milles de navigation en canot, coupés par trois portages, conduisent à la ligne de division des eaux, à la suite d’une ascension de trente-cinq pieds. Cette ligne de division est à 667 pieds au-dessus du niveau de l’océan.

Trois quarts de mille plus loin on atteint le lac La Truite, de huit milles et demi de longueur, dont les eaux se rétrécissent à l’extrémité inférieure et forment une passe encaissée entre des rochers granitiques, d’environ trois arpents de longueur, qui conduit au lac La Tortue.

Le lac La Tortue est long de quatre milles un quart et large d’un mille en moyenne. Sa profondeur est très grande, comme celle du lac La Truite. Ces deux lacs réunis offrent donc une navigation non interrompue de près de treize milles.

Il n’y a qu’un pied de différence dans la hauteur respective de leurs niveaux.

Le lac La Truite est à vingt-trois pieds au-dessus du lac Nipissingue. C’est de là que s’échappe la rivière Mattawan, le plus large et le plus profond de tous les affluents de l’Outaouais sur la rive ouest. Il est à 83 pieds au-dessus du lac Huron et à 655 pieds au-dessus du niveau de l’Océan.

Depuis la ligne de partage des eaux jusqu’au lac La Tortue la chute est donc de treize pieds à peu près.

La sortie du lac La Tortue se fait par une rivière étroite, rapide et en général peu profonde qui, après une course d’un peu plus de quatre milles et une chute de trente-deux pieds, relie ce dernier lac au lac Talon, autre belle nappe d’eau de sept milles de longueur et d’une profondeur variant de dix à vingt brasses.

Nous sommes ici à 622 pieds au-dessus du niveau de la mer.

À son tour le lac Talon se décharge abruptement par une cascade étroite, de 43 pieds de hauteur, enserrée entre deux bords de rochers granitiques escarpés et anguleux, qui ont l’air de vouloir se précipiter l’un sur l’autre pour combler le gouffre qui les sépare.

À la suite de la cascade, se présentent tour à tour des bassins et des rapides, dont les longueurs totales ne dépassent pas trois milles et la dénivellation vingt et un pieds, et qui nous conduisent jusqu’à une chute de trente-quatre pieds, dite des Paresseux.

Immédiatement au-dessous de la chute des Paresseux, on tombe dans l’eau profonde, entourée de rochers syénitiques, hérissés en pointes, qui forment comme un collier de granit ; trois milles plus loin on trouve un autre rapide, qui aboutit également à une nouvelle nappe d’eau presque ovale, d’une cinquantaine de pieds de profondeur, et, ainsi de suite, jusqu’à ce que l’on arrive au magnifique lac Plain-Chant, qui a près de six milles de longueur, une largeur de quatre à cinq cents pieds et une profondeur dépassant à certains endroits quarante-cinq brasses.

Entre le pied de la chute des Paresseux et l’entrée du lac Plain-Chant, la différence de niveau est de dix-huit pieds.

À l’extrémité inférieure de ce dernier lac, on n’est plus qu’à deux milles et demi du confluent de la Mattawan avec la rivière Outaouais, et l’on aura à franchir encore trois rapides, dont on évalue la chute à vingt et un pieds.

Comme on le voit, le caractère distinctif et tout à fait singulier du cours de la Mattawan, consiste en une succession rapide de cascades alternant avec des bassins, sorte de coupes profondes que la nature a creusées abruptement et presque perpendiculairement à leurs pieds. Les cascades ont opéré une descente de cent soixante-dix pieds dans la Mattawan, depuis sa sortie du lac de la Truite, en sorte qu’à son confluent avec l’Outaouais, on se trouve à une hauteur de quatre cent quatre-vingt-cinq pieds au-dessus du niveau de l’Océan.

Sur tout ce parcours, qui est de quarante-deux milles, il y a trente et un milles naturellement navigables, même pour les vaisseaux d’un fort jaugeage. On n’aurait donc qu’une dizaine de milles à canaliser pour rendre la Mattawan entièrement navigable, depuis son embouchure jusqu’à l’extrémité supérieure du lac de la Truite ; et, de celui-ci au grand lac Nipissingue, comme la distance est de trois milles au plus, on voit qu’il serait facile d’établir une communication fluviale non interrompue, dont les conséquences sur le peuplement et le commerce de cette région seraient, pour ainsi dire, incalculables.