L’Orestie (Gautier)

Œuvres de Théophile Gautier — PoésiesLemerrePoésies vol. 2 (p. 294-295).


L’Orestie


Lyncée (le veilleur), sur la tour.
Voici dix ans bientôt que du haut de ma tour
De la flotte des Grecs je guette le retour,
Attendant, sans espoir, qu’à l’horizon flamboie
Le signal convenu pour la prise de Troie.
Hélas ! j’ai beau plonger mes regards dans l’azur,
Rien ne s’allume au fond de ce lointain obscur ;
Nulle rougeur de feux, nulle blancheur de voiles !
— C’est ainsi que je vis, seul avec les étoiles,
Veillant, quand le soleil a fermé tous les yeux,
Excepté les yeux d’or qui s’éveillent aux cieux !
Trempé par la rosée et sans toit qui l’abrite,
D’aucun songe mon lit ne reçoit la visite,
Et si parfois, dans l’ombre, aux noirs échos des nuits
Je jette une chanson pour charmer mes ennuis,
En pensant aux malheurs de la maison d’Atride,
Je sens dans mon gosier mourir ma voix timide !
De ce rude labeur délivrez-moi, grands Dieux,
Et laissez le sommeil s’abattre sur mes yeux !
Ah ! quel rude métier ! Quelle pénible tâche !

Clytemnestre, au pied de la tour.
Qui parle donc là-haut ? — Pauvre chien à l’attache,
C’est toi ? — Tu peux quitter ton gîte aérien,
Descends. À l’horizon il ne paraîtra rien,
Car, souillée au départ du sang d’Iphigénie,
La flotte par les Dieux ne peut être bénie ;
Les Grecs sont morts, ou bien, égarés sur les mers,
De leurs débris errants ils sèment l’univers !

Électre. Ah ! par pitié pour moi, ne descends pas, Lyncée !
Le feu peut luire encor, l’heure n’est point passée !
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