L’Opposition de la planète Flore

L’OPPOSITION DE LA PLANÈTE FLORE

Quelques mois avant d’être appelé de nouveau à la direction de l’Observatoire national, M. Leverrier signalait à l’Académie des sciences le parti que l’on peut tirer, pour la solution des plus grandes questions d’astronomie générale, de l’étude approfondie du groupe des petites planètes.

L’installation de la nouvelle administration est de date trop récente pour que les projets du savant astronome aient déjà produit des mémoires et des découvertes de ce côté du détroit ; mais il n’en est pas de même en Allemagne.

M. Galle, de Breslau, qui doit sa célébrité à l’heureuse découverte de la planète Neptune, dont M. Leverrier avait indiqué à l’avance la position, ne pouvait laisser passer inaperçu les suggestions nouvelles de l’astronome français ; Aussi voyons-nous sans surprise que M. Galle se met à la tête d’une croisade astronomique dont le but serait d’observer la prochaine opposition de Flore, afin d’en déduire une valeur de la distance du Soleil à la terre.

Sa méthode, ainsi que la plupart de celles qui nous viennent d’Allemagne, n’est qu’une application nouvelle de procédés connus. M. Galle propose d’observer Flore lors de son opposition, comme on l’a fait pour Mars, afin d’en tirer une valeur approchée de la distance de la Terre au Soleil. Théoriquement, le procédé est très-simple ; nous allons essayer de le faire comprendre, en supposant que l’opposition de Flore soit observée à la fois à Melbourne et à Saint-Pétersbourg, c’est-à-dire que M. Galle convertisse à sa méthode les directeurs des grands observatoires d’Australie et de Russie.

En rapportant Flore à trois étoiles de comparaison lors de son opposition, les astronomes de Saint-Pétersbourg trouveront la figure 1 ; au contraire, les astronomes de Melbourne trouveront la figure 2. Le triangle stellaire sera le même. Les trois jalons célestes seront demeurés inébranlables, mais la planète se sera déplacée par un effet de perspective facile à comprendre. Ce déplacement angulaire apparent tiendra à la longueur de la ligne droite qui sépare Melbourne de Pultawa. Comme on connaît cette base, puisqu’on possède les coordonnées géographiques de Melbourne et les coordonnées géographiques de Saint-Pétersbourg, et le rayon de la Terre, tout est connu. On peut résoudre le triangle, Flore au sommet, Melbourne et Saint-Pétersbourg à la base.

C’est ce que l’on peut faire également avec Mars, avec cette différence que Mars, dans les oppositions favorables, est deux fois plus près que Flore ne saurait l’être, et que, par conséquent, l’angle au sommet du triangle Saint-Pétersbourg, Melbourne, Mars aura une valeur deux fois plus grande[1].

1. La planète flore vue de Saint-Pétersbourg. — 2. La même planète vue de Melbourne.

Hâtons-nous de dire, pour que l’on ne nous accuse pas de parti pris envers M. Galle, que certaines circonstances importantes militent en faveur de sa méthode ; nous croyons devoir les passer succinctement en revue.

Le mouvement de Flore est deux ou trois fois plus rapide que celui de Mars, ce qui permet de faire une erreur moindre sur le moment précis de l’opposition[2].

Flore, qui n’est qu’une humble planète invisible à l’œil nu, ne saurait posséder le rayonnement de Mars, qui gêne pour l’observation des étoiles voisines, c’est-à-dire de celles qui sont le plus propres à devenir des jalons célestes.

Enfin, le diamètre de l’astre choisi par M. Galle est si petit, que les astronomes de Melbourne et de Saint-Pétersbourg ne commettront point d’erreur tenant à une différence dans la visée.

Encore une fois, nous ne méconnaissons pas la valeur de ces raisons, mais nous préférons attendre l’événement pour nous prononcer. Qui sait si quelque nouvelle planète ne se révélera point dans les zones supposées désertes, qui nous séparent de Mars, ou si le groupe déjà connu ne possède pas quelque astre excentrique auquel l’astronome de Breslau n’a point pensé et qui, dans des circonstances favorables, viendra pousser des pointes encore plus favorables ? Pourquoi M. Galle, imitant Thésée, délaisse-t-il Ariane, dont la distance moyenne est, il est vrai, de 54 000 rayons terrestres, et dont l’excentricité est sensiblement plus grande (0,16 contre 0,15)[3] ? C’est à des recherches d’un genre tout nouveau et d’une importance beaucoup plus grande que M. Leverrier veut faire servir les observations de ces petits corps que leur multitude et leur proximité rend si intéressants, et qui, comme le directeur de l’Observatoire de Paris l’a deviné, exercent une heureuse influence sur l’astronomie de l’avenir.


  1. Il est facile de se convaincre, de ce fait en prenant 24 000 rayons terrestres pour la distance approchée de la terre au soleil. En effet, la distance moyenne de Mars étant de 36 000 rayons terrestres dans cette hypothèse, il restera 12 000 rayons terrestres de distance lors des oppositions ordinaires ; ces 12 000 rayons seront réduits à 9 000 par le fait de l’opposition des orbes. La distance moyenne de Flore est de 52 000 rayons terrestres, qui, lors de l’opposition moyenne, est réduite à 28 000. Comme Flore se meut dans une orbe deux fois plus excentrique que Mars, cette distance se trouvera réduite à environ 19 000, lors des oppositions qui, comme, celle de 1872, ont lieu dans des conditions exceptionnellement favorables.
  2. Le mouvement moyen de Mars, étant de 1 800 secondes par jour, celui de la terre de 3 600, en nombres ronds, son mouvement apparent, lors de l’opposition, est réduit à 3 000. Le mouvement moyen de Flore étant de 1 000 secondes, en nombre rond, son mouvement apparent est encore de 2 600, lors de l’opposition, ce qui constitue une différence sensible.
  3. Nous citerons encore parmi les planètes déjà connues et étudiées, Phocéa, excentricité, 0,25 ; Virginia, excentricité, 0,28 ; Euridice, excentricité, 0,30, moitié de celle de certaines comètes périodiques, que l’on pourrait employer, avec beaucoup d’avantage peut-être, au but que l’astronome prussien se propose de remplir.