L’Islam (Landrieux)/La France, puissance musulmane

Lethielleux (p. 59-105).



II
LA FRANCE
PUISSANCE MUSULMANE




Cette trop rapide incursion sur les terres qu’abrite le Croissant et chez les peuples qui prient vers la Mecque, laisse en suspens deux problèmes qui n’en font qu’un et qui ont, pour nous, plus qu’un simple attrait de curiosité, mais un réel intérêt : car, de la solution que le Gouvernement leur donnera, et il ne semble pas qu’il ait encore trouvé la bonne, dépend l’avenir de notre superbe colonie du Nord de l’Afrique.

Nous sommes enclins, nous autres français, à prêter aux Arabes, aux Juifs, aux nègres du Soudan, à tout le monde, nos vues, nos sentiments, nos impressions, notre mentalité aryenne et chrétienne. Nous ne savons pas nous dégager de nous-mêmes, de l’ambiance locale, pour nous mettre, un moment, dans la peau du voisin ou de l’adversaire ; et cette erreur de mise au point égare nos jugements, fausse toutes nos prévisions.

Alger n’est qu’à 36 heures de Paris, mais, entre ces gens-là et nous, il y a des siècles et un abîme.

Que de français, établis en Algérie ou en Tunisie, depuis des années, qui n’ont pas soupçonné encore l’âme musulmane !

Ils croient les bien connaître pour les avoir croisés dans la rue, tous les jours. Ils les trouvent étranges parce qu’ils portent un burnous et qu’ils font leur prière. Mais, parce qu’ils parlent un peu notre langue, qu’ils montent en tramway et paient leurs impôts, on s’imagine qu’ils ont pris leur parti de la conquête, que leurs cœurs sont annexés avec le sol et qu’ils nous sont profondément attachés.

La vérité, c’est que, figée dans son type, réfractaire à toute influence, galvanisée par sa religion, cette race antique, que les Romains eux-mêmes n’ont pas su entamer, ne s’est pas mêlée à la nôtre, ainsi qu’il arrive d’ordinaire dans les pays conquis, comme l’eau se mêle au vin : elle est restée à côté, juxtaposée, comme l’eau dans un vase où l’on verse de l’huile.

Ils ne nous aiment pas. Ils ne sont pas plus français qu’au premier jour.

Mais ils font bonne figure. Ils ont le génie de la dissimulation. Ils sont diplomates dans le sang. Ils ont l’échine souple. Beaux parleurs et grands phraseurs, ils dissimulent leur rancune de vaincus, sous une feinte soumission. Leurs yeux profonds, voilés de mystère, ne révèlent pas l’âme : ils la masquent.

Est-ce à dire que le gouvernement français ne leur fait pas d’avances ? Le Gouvernement leur fait beaucoup d’avances ; mais, soit méconnaissance des choses ou parti-pris de sectaires, l’un et l’autre probablement, il les prend au rebours du bon sens.

L’indigène, en tant qu’arabe, serait accessible ; en tant que musulman, il est irréductible. Or, on flatte le musulman pour gagner l’arabe.

La France officielle, qui a renié le Baptême de Reims, se pose là-bas en protectrice de l’Islam.

Elle a déclaré solennellement à Alger, par la bouche de M. Loubet, Président de la République, qu’ « elle se glorifiait d’être une grande puissance musulmane ».

Et, à voir ce qui se passe en Algérie et en Tunisie, on croirait plutôt qu’au lieu d’être libre-penseuse, la France n’a fait que changer de Religion ; car, l’appui qu’elle donnait jadis au Catholicisme, elle le donne maintenant à l’Islam.

Après ce que nous avons dit de l’intolérance dogmatique et systématique de la Religion de Mahomet, il est évident que plus les Arabes seront musulmans, plus ils seront fanatiques ; et que, favoriser l’Islam, c’est entretenir et attiser, chez les indigènes, la haine du Roumi.

Or le Roumi, là-bas, c’est le Français.

Le prestige de l’Islam avait reçu, au moment de la conquête, un coup dont il ne devait pas se relever : l’attitude des vainqueurs l’a tout de suite raffermi.

Ce fut une lourde faute politique.

D’après les notes qui nous arrivent, chaque matin, par la presse, de Constantinople, les journaux indigènes ne parlent à leurs lecteurs que d’escadrons Bulgares enfoncés, de Serbes pulvérisés, de Grecs aux abois ; ils disent que les canons allemands ont fait merveille et que le Bosphore est encombré des vaisseaux pris à l’ennemi. Et partout, sauf sur le théâtre même des opérations, en Asie, en Afrique, le peuple en est convaincu.

On n’a pas l’idée, chez nous, de la façon dont se fait l’opinion dans ces milieux de rêve et de mirage, ni de la déformation que subissent, dans les récits arabes, les évènements les plus simples et les faits les plus matériels.

Ce fut la même chose en Algérie, au siècle dernier. Le succès de nos armes est avéré ; la conquête n’est pas contestable : nous sommes en possession ; nous occupons. Mais, dans les clans indigènes arriérés qui n’ont que de rares contacts avec les grands centres, on pense autrement, on raconte autre chose.

« Nous avions péché, disent les Arabes : On ne pratiquait plus assez la religion. Dieu nous châtie.

« Le Sultan, — dans les villes du Sud, sous les tentes, chez le petit peuple, ils sont tous convaincus que le Sultan gouverne le monde, — le Sultan, pour nous punir, a fait venir la France. Mais le châtiment n’aura qu’un temps ; et, même en nous humiliant, Dieu est bon pour nous, car les Français sont au service de l’Islam.

« Nous n’avions pas de routes, de chemins de fer, de télégraphes : ils nous en font. Ils nous obligent à payer des impôts, mais c’est pour le Sultan qui exige d’eux une redevance.

« Et quand l’heure sera venue, le Sultan les chassera ».

Il faut avouer que l’attitude de la France, en Algérie et en Tunisie, n’est pas pour les détromper.

Ils ont d’abord été étonnés qu’on ne les forçât pas à se faire catholiques ; car ils ne conçoivent point qu’un vainqueur n’impose pas sa religion au vaincu.

Mais, on a fait plus. On a interdit pendant longtemps la moindre propagande catholique aux Évêques d’Alger et aux Missionnaires.

Ce n’est qu’en 1868, trente-huit ans après la conquête, que Monseigneur Lavigerie obtint une liberté discrète et restreinte pour l’enseignement du catéchisme, dans ses orphelinats arabes.

On a construit des Mosquées.

On annonce, à coups de canon, le lever et le coucher du soleil pour le Rhamadan.

On paie les Muphtis.

Pendant 15 à 20 ans, les bateaux français transportèrent gratuitement les pèlerins au foyer même du fanatisme, à La Mecque, où les Oulémas, par leurs prédications, entretiennent et exaspèrent la haine du Roumi.

Aujourd’hui encore, les représentants du Gouvernement français vont saluer officiellement les pèlerins sur le bateau, au moment du départ.

Les armateurs ont ordre d’embarquer une quantité d’eau suffisante, en prévision des ablutions rituelles, afin que les dévots passagers puissent vaquer librement à la prière, pendant la traversée.

En 1908, on a dû retarder le départ du pèlerinage, à cause de la peste, mais le Gouverneur général, en notifiant cette mesure, exprimait ses regrets, du ton dont on fait les excuses : « Le Gouvernement de la République, profondément respectueux des croyances musulmanes, a le regret de… ». Aussi on disait tout haut, en Algérie, qu’il ne manquait au Gouverneur qu’un burnous.

L’accès des mosquées de Tunisie est interdit aux Européens. Ce sont des sanctuaires inviolables, territoires sacrés que le pied du Roumi n’a jamais foulés.

Inaugure-t-on quelque part une Mosquée, une Médersa, les officiers de la garnison, les fonctionnaires, Gouverneur, Résident, Préfets en tête, sont mobilisés.

Le 8 mai 1905, M. Jonart, présidait ainsi, en grande pompe, l’inauguration de la Médersa de Tlemcem. « La France a pris l’engagement solennel, dit-il, de respecter les croyances des peuples qui s’étaient soumis à elle.

« Cet engagement, elle l’a observé scrupuleusement ; mais elle ne s’est pas contentée de faire ce qu’elle avait promis ; elle a voulu davantage ; elle a compris qu’il était de son devoir de travailler au développement intellectuel et moral des indigènes, en mettant à la disposition d’une élite un enseignement supérieur, qui convînt particulièrement à leurs sentiments et à leurs idées. »

Le Directeur de la Médersa accentua encore cette déclaration :

« Nos élèves, seront musulmans à la sortie de la Médersa, comme ils le sont à leur entrée ; car notre premier devoir ici est de toujours éviter de froisser les sentiments religieux des jeunes gens qui viennent à nous. »

Vraiment, ce sera l’âge d’or, quand le Gouvernement de la République traitera les catholiques de France, comme il traite les musulmans d’Afrique.

La loi de séparation a dû être appliquée à l’Algérie, mais le Gouvernement a eu soin de faire savoir aux chefs religieux de l’Islam qu’ils n’avaient rien à craindre, qu’aucune mosquée ne serait touchée.

Et Monsieur Fallières n’a eu que ce refrain à la bouche, dans son dernier voyage d’Afrique.

Le 18 avril, à Tunis : « Soyez assuré, dit-il au Cheick-ul-Islam, que la République française s’attachera, comme par le passé, à respecter vos lois et vos traditions religieuses ».

Le 19, dans son toast au Bey : « Nous ne sommes pas venus pour imposer à cette contrée des croyances qui ne sont pas les siennes ».

Le 21, à Gabès : « Nous ne voulons pas toucher à vos croyances. Le domaine de la conscience est inviolable ».

Le même jour, à Sfax : « Vous avez vos croyances, c’est naturel, et nous ne voulons pas les blesser ».

Or, ces mêmes musulmans ont été témoins des mesures prises contre nos religieux, contre le clergé français, contre le culte catholique !

C’est comme si on leur disait cyniquement : « Nous persécutons notre religion à nous, mais nous respectons la vôtre ».

Toutes les écoles françaises sont laïcisées : on n’a fermé aucune des écoles arabes qui sont essentiellement confessionnelles, puisque le Koran est la base de tout l’enseignement musulman.

On a eu toutes les peines du monde, même là-bas, à amener les petits arabes dans ces écoles sans Dieu, qui ne furent fréquentées, à l’origine, que par les Juifs.

Des Caïds m’ont dit, dans le M’zab, au Sahara, en parlant de l’instituteur laïque : « Comment veux-tu que nous envoyions nos enfants à cet homme-là qui ne croit à rien et qui se moque de sa religion comme de la nôtre ? Nous préférions cent fois les Frères qui leur parlaient de Dieu ».

Les premiers élèves indigènes furent des petits pauvres, les enfants des familles les moins considérées, des sans-le-sou, que les autres payaient et substituaient à leurs propres enfants.

D’ailleurs, l’école primaire française, telle qu’elle est conçue, si peu adaptée aux besoins du pays, fait fausse route. Paul Bert l’avouait déjà de son temps : « Nos instituteurs, disait-il, enseignent là-bas sans discernement tout ce qu’on leur a appris ». Et, au Conseil supérieur du Gouvernement d’Algérie, en 1886, le Gouverneur général disait en propres termes : « L’expérience tend à démontrer que c’est quelquefois chez les indigènes à qui nous avons donné l’instruction la plus complète que nous rencontrons le plus d’hostilité ».

Depuis, l’influence néfaste de l’école laïque n’a fait qu’empirer.

Les Arabes haïssent le chrétien ; ils méprisent l’impie.

Ils voient tous les jours la France maçonnique, juive et libre penseuse, outrager la religion, et leur rancune de vaincus n’en devient que plus impatiente et plus amère.

Chose curieuse, cette hostilité sourde, activement entretenue par les marabouts, se concrétise pratiquement dans les Zaouïas, les confréries religieuses organisées en sociétés secrètes, au sein desquelles le fanatisme en fermentation, toujours sous pression, n’attend qu’un signe et une occasion pour éclater.

Là, les burnous se muent en frocs de moines ; l’obéissance y est absolue, aveugle, selon cette formule, qui rappelle une devise célèbre : « comme un cadavre entre les mains d’un laveur de morts ».

Or, ces confréries ont des ramifications partout ; elle sont puissantes au Maroc. Rien que dans la province d’Alger, elles comptent 70.000 membres[1].

N’est-il pas étrange qu’après avoir traité en parias, sur son propre sol, les congrégations catholiques qui étaient des foyers de charité, de science, de patriotisme, d’apostolat, qu’après les avoir stupidement outragées, dépouillées, expulsées, notre gouvernement de sectaires et de maçons se retrouve en face des congrégations musulmanes, en face d’une autre franc-maçonnerie prête à l’expulser lui-même le jour où une complication extérieure quelconque nous obligerait à dégarnir un peu trop les forts et les casernes de la colonie.

A Tunis, un haut fonctionnaire indigène, président de l’Association des Anciens élèves de la Grande Mosquée, très au courant de nos affaires, à qui je demandais de me préciser la nuance qui différencie aujourd’hui, dans cette confusion inextricable des races, le Maure, de l’Arabe, me fit, après quelques explications, en forme de conclusion, cette réponse significative, et d’un ton qui soulignait chaque mot d’un gros trait noir : « Écoute-moi bien : appelle-nous comme tu veux : Turcs, Arabes ou Maures, il n’y a ici que des musulmans ! »

Dans un autre ordre d’idées, je dirais volontiers dans le même ordre d’idées, car la question est plus religieuse qu’on ne le pense, le fameux décret Crémieux, qui émancipa les Juifs algériens, en 1870, eut suffi à lui tout seul pour nous aliéner les indigènes à jamais.

Ceux-là seuls s’en étonneront qui ignorent quelle dose de haine et de souverain mépris recèle, pour le Juif, une âme de musulman : vieux ressentiment peut-être, au cœur des Arabes, pour l’expulsion tragique d’Ismaël et d’Agar, de la tente d’Abraham !

Le Juif était honni beaucoup plus que le chrétien, à tel point que les Arabes ne comprennent point encore que le meurtre d’un Juif puisse constituer un délit. Et voilà qu’à leur barbe, tout d’un coup, le Gouvernement confère à ceux-là le titre, les droits et les privilèges des citoyens français qu’on leur refuse à eux-mêmes ; il les place sur le même pied que le conquérant.

Ce fut la cause du soulèvement de la Kabylie, en 1871 ; et peu s’en fallut que l’insurrection ne devînt générale.

Si encore les Juifs avaient su jouir modestement de leur succès ! S’ils s’étaient montrés moins rapaces et moins arrogants ! Mais ils furent et ils sont, sur l’autre rive de la Méditerranée, comme chez nous, comme partout, d’impitoyables brasseurs d’affaires ; et, à mesure qu’ils réussissent à tondre l’indigène, les susceptibilités s’enveniment avec la rancune des victimes.

Enfin, il n’est pas jusqu’aux pierres qui ne parlent de revanche.

Les ruines, partout, surgissent du sol, robustes, massives, hardies, débris superbes de la puissance romaine.

Et alors, les indigènes se disent : Les hommes d’Occident sont déjà venus dans notre pays. Ils étaient plus forts que ceux d’aujourd’hui puisqu’ils ont bâti des maisons plus solides et plus hautes. Nos ancêtres les ont chassés : nous chasserons bien aussi les Français.

Résumons-nous :

L’Islam étant ce qu’il est, plus les Arabes seront musulmans, plus ils seront réfractaires à l’assimilation. Et je crois même qu’il faut dire : tant qu’ils seront musulmans, ils seront irréductibles.

« Nous aurons beau faire, disait le Cardinal Lavigerie, avec le Koran, nous n’avancerons point d’un pas. Dans mille ans, avec le Koran, nous serons encore pour les Arabes, comme aujourd’hui, des chiens de chrétiens[2]. »

C’est donc une aberration politique, une folie, un crime que de favoriser l’Islam, de le soutenir, de l’imposer aux indigènes ; car, on va jusque là : on a obligé les Kabyles, qui n’en avaient pas et qui n’en voulaient point, à se construire des mosquées.

Par contre, moins les Arabes seront musulmans, moins ils seront fanatiques, et plus nous aurons de chance de les gagner, de nous les attacher. Dès qu’un Kabyle est chrétien, il dit : « Je suis français ! » L’Arabe ne peut pas comprendre que le baptême ne soit pas pour lui un acte de naturalisation.

La seule tentative sérieuse et profonde d’assimilation, c’est donc, toute préoccupation d’apostolat religieux mise à part, la Christianisation ; car, si la libre-pensée arrive à détourner les Arabes de la mosquée, elle ne les détourne pas des zaouïas. Elle les laisse sous la coupe des sociétés secrètes.

Les conversions sont-elles possibles ?

On répète partout, et ça ne se discute plus, que les Musulmans sont inconvertissables. Est-ce vrai ?

C’est vrai, à un certain point de vue.

C’est vrai, dans une certaine mesure.

De fait, en plein pays d’Islam, les conversions jusqu’alors furent extrêmement rares. Elles étaient moralement impossibles : d’abord à cause de la difficulté d’aborder la question religieuse avec des gens qui se défient toujours et se dérobent sans cesse ; à cause encore de l’impossibilité de modifier tout d’un coup une mentalité encerclée dans des préjugés séculaires : il y faut du temps, un travail plus lent et méthodique, par l’école qui, d’une génération à l’autre, déblaie, redresse et réforme ; à cause aussi des conséquences : ce n’est pas tout de voir clair, la conversion implique la réforme des mœurs : « Ta religion, disent-ils au missionnaire, doit être vraie puisque tu es meilleur que nous ; mais, voilà, elle exige des sacrifices ! » et, plusieurs que la lumière a amenés jusqu’à la porte, restent dans le vestibule sans avoir le courage d’entrer ; à cause enfin des dangers auquels sont exposés les nouveaux convertis : ils y risquent leur peau ; la fuite seule peut les soustraire à la mort.

« Je connais la religion, me dit un jour un jeune Mozabite ; mais je ne peux pas me faire baptiser ici : emmène-moi en France avec toi et je serai chrétien ».

On a peu réussi ; mais, surtout, on a peu essayé ; timidement, par l’école, où l’on ne parlait qu’à voix basse et à demi-mots. De l’apostolat direct et positif, on n’en a jamais fait, parce qu’on n’a jamais pu en faire.

Mais l’âme musulmane, pas plus que l’âme païenne, n’est inapte à recevoir la lumière. Elle le serait plutôt moins.

Il y a en elle une base qu’on ne trouve pas chez les païens : la foi en Dieu, le sentiment religieux.

Ce n’est pas elle qui est inapte à recevoir la lumière. C’est la cave obscure, dans laquelle on la tenait enfermée, qui la maintenait obstinément loin de la lumière.

L’Islam n’a tenu que par la foi aveugle, qui s’interdit toute question, toute réflexion, toute discussion. Il est resté debout parce qu’il y avait interdiction absolue d’y toucher.

Mahomet a mis un bandeau de plomb sur les yeux de ses fidèles. Mais le bandeau se desserre. Cette passivité intellectuelle ne pouvait durer que dans l’ignorance et par l’isolement. C’est pourquoi le monde musulman était si rigoureusement fermé.

Et voici que les évènements ont marché. Les brèches se font de plus en plus larges dans les murs épais de la prison. Le besoin d’instruction travaille ces populations arriérées. La lumière s’infiltre peu à peu dans le sombre caveau. La raison et le bon sens reprennent leurs droits, et la logique, tout doucement, fait son œuvre.

A mesure que l’instruction pénètre avec les livres, les revues, les journaux, les Musulmans intelligents sentent l’infériorité de leur religion, la vulgarité de leur morale, la puérilité de leurs rites, la futilité de leurs observances. Instinctivement, ils discutent en eux-mêmes la valeur du Koran, la personne de Mahomet ; et le sentiment religieux, si profond chez eux, les pousse à chercher ailleurs l’idéal qu’ils ne trouvent plus dans l’Islam.

Ce serait l’heure propice. Ce serait le moment de prendre, dans notre main, la main de cet aveugle qui tâtonne, de répondre à ses inquiétudes, d’apporter la lumière à ses yeux fatigués des ténèbres, qui cherchent, avec anxiété, dans la nuit.

Malheureusement, la politique se met en travers de l’apostolat. Ceux qui voudraient, qui pourraient agir sont paralysés dans leur action et les pauvres Musulmans, laissés à eux-mêmes, ne s’évadent de la prison de l’Islam que pour se perdre dans le désert de la libre-pensée.

Ce travail de désagrégation est commencé ; il s’accentue tous les jours. Les déchets sont considérables, dans la jeunesse surtout.

« La plupart de nos jeunes gens, me disait avec tristesse un Musulman fort sensé, ne vont plus à la Mosquée ; ils ont perdu la foi. Moi, je suis un croyant et je trouve la paix de ma conscience dans la pratique de ma religion. Mais, il est bien évident que si la France importe, dans nos universités, son rationalisme, mon fils sera libre-penseur ».

L’école laïque fait des ravages là-bas, comme chez nous. Poussées par ce besoin d’instruction qui les travaille, les générations nouvelles, après avoir boudé quelque temps, sont allées boire à cette citerne empoisonnée, parce qu’elles n’avaient rien d’autre sous la main.

La question religieuse les préoccupe plus qu’ils ne veulent le laisser paraître. L’appréhension qu’ils ont d’en parler cède parfois à la curiosité qui s’éveille en eux.

Un soir que nous revenions d’une tournée de malades, dans un village kabyle, une forte tête de l’endroit interpella le Père, à la djemma, devant un groupe d’hommes, qui devisaient entre eux, à propos de la visite récente d’un pasteur protestant, dont la propagande avait agité toute la région : car, si le Gouvernement prend ombrage du moindre prosélytisme catholique, il laisse pleine liberté d’action aux semeurs de bibles et aux diaconesses d’Outre-Manche.

Le Kabyle avait en main des exemplaires de l’ « Évangile de Luc », dont le village était, depuis la veille, inondé.

Il demanda en quoi les Protestants différaient des Catholiques ; et le Père fit un catéchisme sur ce thème.

Le cou tendu, l’oreille ouverte, les yeux brillants, tous ces hommes écoutaient, coupant parfois d’une réflexion, d’une objection, les explications du Missionnaire. On sentait que, pour une fois, puisqu’on y était et que, peut-être, demain on n’oserait plus, ils se seraient attardés volontiers à ce sermon improvisé, qu’ils aiguillèrent d’eux-mêmes sur la confession et sur l’infaillibilité du Pape.

Le Père était étonné d’une pareille initiative et, plus encore, de la tournure qu’avait pris l’entretien.

Dans l’intimité, un par un, avec la circonspection de Nicodème, de biais, sans avoir l’air d’y attacher la moindre importance, ils se prêtent encore à une causerie de ce genre. Mais, en public, jamais.

Ceux qui ont quelque culture ne sont pas aussi ignorants du catholicisme qu’on pourrait le croire : science informe et confuse qui ne vaut guère mieux que l’ignorance, si elle n’est pire, mais qui tient leur esprit en éveil.

A Constantinople, dans la ravissante petite mosquée d’Eyoub, ancienne église grecque, joyau d’art byzantin, couverte de merveilleuses mosaïques, aux tons chauds adoucis par les siècles, qui racontent toute la vie de Jésus, un vieil iman, d’un air futé, m’expliqua tout au long, comme si je les ignorais, les scènes évangéliques, avec une précision et une vélocité de paroles que j’avais plaisir à stimuler par mes questions.

Quand il eut fini : « Tu parles comme un vieux moine, lui dis-je. Tu connais bien la religion de Jésus : un jour, tu te convertiras ».

Il répondit par une profession de foi musulmane, en se frappant la poitrine, d’une main large ouverte.

Tu vois bien, pourtant, que Jésus a fait des miracles. Mahomet n’en a pas fait : donc Jésus est plus grand que Mahomet ».

Alors, de la tête et des yeux, lentement, il fit signe que non et me tendit la main, en souriant, pour avoir son bagchich.

Une autre fois, à Oran, dans une Mosquée encore, un des gardiens m’aborda brusquement, sans autre préambule, par cette apostrophe : « Alors, tu es catholique, toi, et tu crois que Jésus est le Fils de Dieu ? Mais, tu as tort, car Dieu ne peut pas avoir de fils.

— Alors, tu sais, toi, ce que Dieu peut et ce qu’il ne peut pas ?

Et, poursuivant son idée, il me raconta qu’il avait beaucoup étudié, que Jésus n’était qu’un prophète, comme Mahomet, mais que Mahomet était venu après lui et qu’il était plus grand que lui.

— « Puisque tu crois en Mahomet, écoute-moi bien : Mahomet a dit que Jésus était un sage et qu’il était un saint. Or, Jésus a déclaré vingt fois qu’il était Fils de Dieu, Dieu comme son Père, que son Père et lui ne faisaient qu’un. Il est mort pour l’avoir soutenu, avec serment, devant le Sanhédrin de Jérusalem. S’il était un sage, il savait ce que les mots veulent dire et ce que pèse une pareille affirmation. S’il était un saint, on ne peut contester sa loyauté, sa droiture, sa sincérité, ni admettre qu’il soit un blasphémateur et un parjure. Alors tu vois bien que, si tu crois en Mahomet, tu dois croire aussi que Jésus est le Fils de Dieu ! »

. . . . . . . . . . . . . . .

Ces faits sont trop menus pour étayer une thèse ; mais si, rien qu’en passant, j’ai pu noter ceux-là, c’est qu’il y en a cent autres à travers lesquels on voit transparaître l’inquiétude qui tourmente les âmes.

Dans les classes élevées, les chefs religieux, conscients du danger, s’efforcent en vain d’enrayer le mouvement en faisant la part du feu. Ils ne peuvent lutter.

Plus bas, les Marabouts s’inquiètent et s’agitent. Ils sont retors et tenaces dans les discussions. Ils tiennent leur monde en haleine, les petites gens, les simples, crédules et ignorants. Quand on leur dit que telle croyance est absurde, telle observance immorale et que, par conséquent, ça ne peut venir de Dieu, ils répliquent : « Tu ne comprends pas : ça vient de Dieu, donc ça n’est ni absurde ni immoral ».

Des ouvrages pleins de sophismes, mais très captieux, ont été faits par les théologiens musulmans, et les croyants, qui n’y regardent pas de trop près, arrivent tant bien que mal, plutôt mal que bien, à raisonner leur foi.

Les idées changent, les mœurs aussi.

J’ai entendu un autre Musulman affirmer que, dans son monde, le grand, la polygamie tombait en désuétude, nullement pour un motif religieux, puisque la religion l’autorise, mais plutôt parce qu’il est de bon ton de vivre « à l’Européenne ».

En le poussant un peu aux confidences, il m’avoua que cette réforme était peut-être plus apparente que réelle, un trompe-l’œil, toujours.

On organise la maison de ville, avec l’épouse officielle, recluse encore, qui se croit l’unique et qui l’est quelquefois.

Seulement, ces monogames se ménagent des compensations. Au lieu d’une suppression, il n’y a eu qu’un transbordement : le harem a été discrètement installé à la campagne.

Dans ces conditions, dis-je au brave Turc qui m’expliquait la combinaison, si la polygamie disparaît, ce n’est pas qu’on y renonce, c’est parce qu’on la cache. On n’est plus officiellement polygame, soit, mais on n’est pas davantage monogame. C’est cryptogame qu’il faudrait dire.

Tout entravé qu’il soit, l’apostolat catholique gagne cependant du terrain.

Il est représenté, dans l’Afrique du Nord, par les Pères Blancs du Cardinal Lavigerie, fondés tout spécialement pour la mission musulmane.

Depuis plus de trente ans, en contact journalier avec les Musulmans, ils les ont étudiés de près. Ils connaissent leurs coutumes, leur mentalité, leurs préjugés. Ils parlent leur langue, ils ont lu tous leurs livres.

Ils ont des postes avancés jusqu’à Ghardaïa, Ouargla, El-Goléa, en plein Sahara. Ils en ont davantage en Kabylie, sans compter leurs établissements de Tunis et d’Alger.

J’ai visité la plupart de ces postes. J’ai vu les missionnaires à l’œuvre. Ils m’ont dit leurs difficultés, leurs épreuves et aussi leurs espérances, leur plan de campagne et leurs travaux d’approche : comment ils procèdent et sur quoi ils s’appuient. Ils m’ont confié les souffrances de cet apostolat complexe à l’excès et délicat comme pas un ; les lassitudes de l’effort quotidien qui semble n’aboutir à rien, des appels forcément discrets qui se perdent sans écho dans les profondeurs obscures de ces âmes murées, des semailles patientes aux si lointaines échéances.

Et j’en ai rapporté l’impression qu’à la longue, tous ces champs immenses desséchés par l’Islam, toutes ces terres désolées, plus ingrates que le désert, finiraient par se laisser vaincre et qu’elles donneraient enfin leur fruit.

Car il est dans les plans de la Providence que les précurseurs tracent les chemins « à Celui qui doit venir » et qui n’exclut personne.

On ne peut désespérer indéfiniment de ce prodigue sournois et butté, pour qui tant de sacrifices déjà ont été faits. Il commence à sentir sa misère. Il regarde autour de lui. Las et dégoûté de boire une eau saumâtre à l’outre racornie de Mahomet, il viendra à son tour puiser, lui aussi, aux sources vives que le Christ a fait jaillir pour la vie éternelle.

Assurément tous les cadrans de l’Islam ne marquent pas la même heure.

Le Caire, Alger, Tunis avancent sur Damas. Le M’zab retarde sur la Kabylie.

A Damas, rien ne bouge. A Tunis, au Caire, il semble que le blé lève, avec l’ivraie du rationalisme qui l’étouffera peut-être. Mais, en Kabylie, il monte en épis, si bien qu’il y a déjà quelques belles gerbes dans le grenier du père de famille.

Le M’zab et la Kabylie sont les deux pôles opposés du monde musulman, l’extrême gauche et l’extrême droite de l’Islam, en Afrique.

Les Mozabites et les Kabyles ne sont pas des Arabes. Ce sont des Berbères, les autochtones, les gens du pays, les descendants dégénérés des vieux Numides de Jugurtha, vraisemblablement, qui, pour sauvegarder leur indépendance, à l’époque des grandes invasions, de l’invasion arabe surtout, aux viiie et xie siècles, se sont réfugiés, les uns en plein Sahara, les autres dans ce massif impénétrable des montagnes du Djurjura, qui forment une véritable petite Suisse, entre Alger et Constantine.

Les Mozabites ont créé, au milieu du désert, cinq villes fortifiées qui comptent 40.000 habitants, et de merveilleuses oasis qu’alimentent plus de 2000 puits creusés en plein roc, à 50, 60 mètres de profondeur et d’où les chameaux, jour et nuit, tirent l’eau pour arroser les palmeraies, car le palmier n’est à l’aise que « les pieds dans l’eau, la tête dans le feu ».

Les Kabyles ont construit 1400 villages, perchés comme des nids d’aigles sur les crêtes et les sommets des montagnes ; et, toujours sur la défensive, vivant de leurs figues et de leurs olives, ils ont tenu l’envahisseur à distance.

Ni les Romains, ni les Vandales, ni les soldats de Byzance, ni les hordes Arabes qui ont conquis tour à tour l’Afrique du Nord, n’ont pu jamais entamer la Kabylie.

Il a fallu la « furia francese », la baïonnette de nos zouaves, en 1857, pour emporter d’assaut ce gigantesque donjon bâti par la nature, pour forcer et réduire cette race fière et ombrageuse, vierge jusqu’alors de tout joug, qui n’a pas pris son parti de la défaite et qui, en 1871, s’est soulevée pour recouvrer son indépendance.

« Prends le deuil, o ma tête ! chantaient, sous le coup de l’humiliation, les bardes indigènes. O mes yeux, c’est du sang qu’il faut à vos larmes ! Ce qui est arrivé ne s’était pas vu depuis le commencement du monde. Le Français s’est abattu sur nous comme un torrent. L’honneur de la Kabylie est mort ! »

Au contact des Arabes, les Kabyles et les Mozabites n’ont su se garer des miasmes du Koran. Ils se sont laissés, peu à peu, contaminer par l’Islam. Mais, tandis que les autres s’y jetaient tête baissée, les Kabyles n’y entrèrent que d’un pas résigné et sans enthousiasme.

Les Mozabites s’en tiennent rigoureusement au Koran. Ils font bon marché des traditions postérieures. Ils réclament l’élection des chefs religieux. Leur constitution sociale est toute théocratique, sous la direction occulte des Tolbas, « conseil suprême des Anciens du Peuple » dont l’influence est telle que les Caïds ne peuvent rien sans eux ni contre eux.

Ces cadres plus solides ont maintenu plus rigides et plus minutieuses les pratiques cultuelles, plus strictes les observances, plus compacte la cohésion, plus serrée la discipline.

Là, les Pères Blancs ont eu plus de peine à se faire accepter. On est resté sur la réserve. On s’est tenu plus longtemps à l’écart. Mais la dignité de leur vie, leur loyauté, les services rendus leur ont conquis déjà l’estime universelle, l’affection des enfants et la confiance des parents.

Les codes sévères de claustration ont fléchi devant le dévouement des Sœurs blanches ; et, la charité chrétienne, sous cette forme aimable, pénètre, comme un doux rayon de soleil, dans ces intérieurs musulmans pour relever, par cette prédication muette de la bonté et de la vertu, l’âme inculte et déprimée des femmes.

En Kabylie, l’accueil est franc, ouvert, cordial.

Non pas que la foi y soit moins profonde, mais les liens extérieurs de l’Islam y sont plus relâchés.

Le fanatisme, tout aussi farouche, s’identifie, moins qu’ailleurs, avec le sentiment religieux ; ce serait plutôt l’exaltation du sentiment patriotique.

Les écoles des Missionnaires regorgent d’enfants.

Les portes s’ouvrent plus facilement. Les femmes, très surveillées pourtant, ne sont pas voilées.

J’ai fait, avec les Pères, à Mengalleth, chez les Ouadhias, à Tagmount, des tournées de malades, dans les maisons musulmanes. Et c’était plaisir de voir l’empressement, la joie, l’expansion de tout ce monde autour du Missionnaire. On le questionnait, on le consultait, on réclamait son intervention pour apaiser les querelles de ménage, régler des affaires de famille, réconcilier même des divorcés.

La confiance va jusqu’à la bourse inclusivement : on porte son argent chez les Pères, pour qu’il y soit plus en sûreté.

En Kabylie, la brèche est faite. Il y a des Kabyles chrétiens : un millier au moins, et, des catéchumènes, par centaines. Ils ont bien eu à souffrir, au début surtout. On leur a fait grise mine. On les malmène à l’occasion. Mais ils tiennent bon ; ils se tiennent bien et les yeux malveillants qui les surveillent, en quête de scandale, subissent malgré eux l’ascendant de la vertu. Un travail se fait dans les esprits. On compare, on juge. On discute entre soi, aux portes du village, à la djemma, la question religieuse. La transcendance l’impose de l’Évangile sur le Koran. Peu à peu, on voit s’émousser les préjugés, mollir le parti-pris et ces barrières finissent par tomber qu’on avait crues inébranlables.

J’ai prêché, plusieurs fois, le Dimanche, dans ces modestes églises de Kabylie, remplies de musulmans convertis et le spectacle que j’avais sous les yeux de ce petit bercail environné de loups, de ces burnous aux plis monastiques, de ces gracieux costumes de femmes d’allure antique et orientale, la foi surtout, la foi toute fraîche, toute neuve, qui a lutté, qui a pâti, que je sentais vibrer dans les âmes et qui transparaissait sur les physionomies, tout cela me reportait aux premiers temps du Christianisme.

M’inspirant alors des choses familières aux Kabyles — la Kabylie, c’est le pays des figues, — je saluai en eux, avec émotion, les prémisses d’une chrétienté nouvelle : « Quand les feuilles de vos figuiers commencent à pousser, vous dites que le printemps va venir[3] » Et moi, de vous voir ainsi groupés autour du tabernacle, premiers-nés de l’église de Kabylie, j’en augure que les temps sont proches et l’avenir plein de promesses ! »

Que de traits charmants ou poignants on m’a contés que je voudrais redire !

Reconnaissez-vous cette âme d’enfant, qu’on avait vue déjà aux âges héroïques de l’Église, la petite Antoinette, de Mengalleth ?

Elle avait six ans. Le Missionnaire avait donné à elle et à sa cousine, bébé de cinq ans, un crucifix. On l’entendit, sans qu’elle s’en doutât faire, d’un air grave, ce discours à sa petite amie : « Ma fille, ce n’est pas pour que tu sois plus jolie que le Père t’a mis cette croix au cou. C’est l’image de Notre Seigneur. Les Kabyles ne l’aiment pas ; ils l’insultent. Toi, tu la respecteras. Ne permets pas qu’on crache dessus. Si on le fait, tu essuieras le crachat, puis tu baiseras la Croix, en disant : Mon Jésus, moi je vous aime ; pardonnez aux méchants qui ne vous connaissent pas ! »

Une autre fois, sa grand’mère passant avec elle à la Djemma, fut grossièrement insultée ; l’enfant avait huit ans.

— « Vieille sorcière, charogne, tournée aux Roumis, métorniya, tu n’as pas honte d’avoir abandonné la religion de tes pères ! »

La vieille se taisait. L’enfant se redressa en face des hommes : « — Non, dit-elle, nous n’avons pas honte. La religion de Jésus est la meilleure et nous en sommes fières ! »

Un homme furieux repoussa la petite, et, de son bâton, frappa rudement la vieille. Mais l’enfant répliqua :

« Rien ne nous fera abandonner le Bon Dieu ; et, si vous voulez nous tuer, eh bien — en tendant résolument son cou — faites-le tout de suite ! »

Quand un peuple sent couler dans ses veines le sang des martyrs, il est mûr pour la foi.

Si la France assurait seulement la liberté, si elle y mettait surtout un peu de bienveillance, avant vingt ans, la Kabylie serait chrétienne. Et, le jour où la Kabylie sera chrétienne, elle sera française.

Les instituteurs laïques eux-mêmes, quand ils sont sincères et qu’il n’y a point d’oreilles indiscrètes, disent aux PP. Blancs : « Il n’y a que vous qui fassiez ici quelque chose de sérieux ; nous autres nous ne pouvons rien. »


L’Islam ressemble à ses mosquées.

Les constructions sont basses, lourdes, massives. Seul le minaret grêle fait effort pour monter, comme s’il voulait percer les nues.

C’est bien cela. Une belle et grande idée, la foi en Dieu, mais grêle aussi, évidée, anémiée, sans force. Puis, tout bas par terre, une dogmatique massive et confuse qui masque, comme un trompe-l’œil, l’inanité honteuse de la morale.

De loin, dans le prestigieux décor de la vie orientale, c’est imposant. Sitôt qu’on approche et pour peu qu’on y regarde, on voit que c’est creux, qu’il n’y a rien, rien dans la mosquée, rien derrière ce paravent, qu’incohérence et dépravation.

Quel contraste avec le Catholicisme solidement charpenté, bâti tout d’une pièce, sur le roc ; le Catholicisme, d’une si belle venue dans sa puissante cohésion ; d’une si belle tenue dans la simplicité et la hardiesse du plan, dans la netteté des lignes, dans l’harmonie de l’ensemble !

Le Catholicisme se meut avec aisance et majesté dans les profondeurs infinies de la Divinité et dans l’âme candide des humbles de ce monde.

Tout à Dieu et tout à l’homme, sans abaisser Dieu, sans écraser l’homme, l’Évangile n’a pas cherché de puériles subtilités pour épargner l’orgueil, en écartant le mystère ; car le mystère atteste que Dieu seul est grand et que l’homme est plus petit que Dieu. Il n’a pas cherché de mesquins accommodements avec la morale, pour ménager la volupté : il a montré la voie austère parce qu’elle est la voie sûre.

L’Église catholique a le secret, qui n’a été donné à nulle autre, de se mettre, sans lâches concessions, à la portée de l’homme. Elle ne s’abaisse jamais : elle s’incline, toujours noble, toujours tendre, toujours mère. Et, si l’homme n’est qu’un enfant, si le pécheur est tombé trop bas, elle sait l’atteindre quand même : elle se penche un peu plus.

Chez elle, pas d’inconséquences : la foi concorde avec la loi ; la croyance, avec la vie. La religion extérieure n’est que l’expression, l’expansion, l’épanouissement de la religion intérieure.

Pour être bon, pour être pur, point n’est besoin de l’oublier, ni d’en sortir. Plus on s’y enfonce, plus on se sent devenir meilleur. Et, si parfaits qu’ils soient, elle montre encore aux Saints des perfections plus belles, des sommets plus élevés à gravir.

L’Islam, qui s’agriffe à elle comme, après le chêne, une liane folle, touffue, malsaine, pour l’étrangler dans son étreinte nerveuse, l’Islam a du moins cela de bon qu’il met en relief, par contraste, la transcendance du Catholicisme.

  1. Cf. Vuiller : La Tunisie, p. 191.
  2. Cf. Vie du Cardinal Lavigerie. T. I, p. 224.
  3. Marc, xiii, 28