L’Induction péripolaire


L’INDUCTION PÉRIPOLAIRE

En 1824, Gambey remarqua qu’une aiguille aimantée que l’on écarte de sa position d’équilibre oscille pendant un temps bien moindre lorsqu’elle est placée au-dessus d’un bloc de cuivre rouge, que lorsqu’elle se trouve éloignée de toute masse de métal. La nature du corps employé excluait l’idée d’une action magnétique agissant directement ; mais qu’elle qu’en fut la cause, l’existence d’une force agissant sur l’aiguille et due à la présence du cuivre rouge était certaine. Arago, s’appuyant sur ce fait, modifia l’expérience et mit en évidence l’existence de cette force de la manière suivante. Un disque de cuivre rouge peut être animé d’un mouvement de rotation assez rapide autour d’un axe vertical ; au-dessus est placée une aiguille aimantée, mobile sur un pivot. L’aiguille est en repos, l’une de ses extrémités dirigée vers le nord ; si l’on vient alors à faire tourner le disque de cuivre, on voit l’aiguille se mettre en mouvement et être entraînée dans le sens de la rotation du disque ; une feuille de papier ou de parchemin est tendue au-dessous de l’aiguille, de telle sorte que l’on ne peut admettre que l’air ait pu communiquer à celle-ci le mouvement du disque. Ces deux expériences sont concluantes : lors du mouvement relatif d’un disque de cuivre et d’un aimant, il se développe une force appliquée aux pôles de ce dernier et agissant dans le sens du mouvement relatif du disque, par rapport à l’aimant.

Disons, en passant, que cette propriété fut appliquée dans la construction des galvanomètres et que l’on parvint, par l’interposition d’une plaque de cuivre, à ramener assez rapidement au repos les aiguilles de ces appareils, aiguilles qui oscillent d’autant plus lentement et d’autant plus longtemps que le galvanomètre est plus sensible.

Lorsque plus tard les actions des courants furent connues plus complètement, lorsque l’induction eut été découverte, on fut conduit naturellement à rattacher à ces effets les expériences que nous venons de rappeler sommairement et qui étaient étudiées jusqu’alors sous le nom de magnétisme en mouvement. La découverte des électro-aimants qui donnent le moyen d’obtenir des actions magnétiques, d’une intensité considérable, permit de reprendre les expériences en les variant et en les rendant plus nettes. Nous rappellerons l’expérience de Faraday, qui met en évidence, d’une manière saisissante, l’action de l’aimant sur le cuivre : un cube de cuivre auquel on communique une grande vitesse de rotation tourne entre les pôles d’un électro-aimant ; tant que celui-ci est inactif, le cube tourne presque sans rien perdre de sa vitesse ; mais sitôt qu’un courant électrique passe dans les fils qui entourent l’électro-aimant et le rend actif, le cube est arrêté. L’effet est presque instantané ; si, d’autre part, une petite force, comme celle qui provient de la torsion d’un fil par lequel le cube est suspendu, continue d’agir, le mouvement se prolongera, mais avec une vitesse extrêmement faible ; le cube a l’air de se mouvoir dans un milieu pâteux. Le mouvement reprend et s’accélère sitôt que l’un interrompt le courant et que les fers doux qui constituent l’électro-aimant se trouvent ramenés à l’état naturel.

Nouvel appareil d’induction, construit par Ruhmkorff.

En modifiant les conditions de l’expérience, Faraday put conclure que c’est la production de courants d’induction dans le cuivre qui est la cause de l’arrêt observé. Dans d’autres expériences, auxquelles nous ne nous arrêterons pas, l’existence de ces courants fut démontrée par l’exploration directe d’un disque de cuivre tournant devant un aimant, exploration qui permit de définir leurs trajectoires d’une manière certaine.

L’expérience de Faraday, que nous venons de citer, peut être présentée sous une autre forme : un disque de cuivre rouge, à axe horizontal, peut recevoir un mouvement de rotation très-rapide (10 000 tours par minute), qu’on lui communique par une série de roues dentées et de pignons mus par une manivelle. Ce disque passe entre les deux extrémités du noyau de fer doux d’un électro-aimant, dans les fils duquel on peut à volonté faire circuler un courant. Tant que le courant n’agit pas, et lorsque le disque a atteint la vitesse qu’il peut acquérir, il suffit d’un faible effort pour entretenir le mouvement, et si l’on abandonne la manivelle, la rotation se continue pendant longtemps avec un ralentissement graduel. Mais l’arrêt est immédiat au moment où l’on ferme le circuit qui contient une pile et les fils de l’électro-aimant.

C’est Foucault qui fit disposer l’expérience comme nous venons de l’indiquer ; il n’avait pas pour but de répéter simplement l’expérience de Faraday d’une manière un peu différente ; mais il voulait étudier ce qui se passe lorsque l’on continue d’appliquer à la manivelle une force suffisante pour entretenir le mouvement de rotation du disque. On observe alors que, lorsque le courant passe, il faut, pour maintenir la même vitesse, développer un effet considérable, produire un travail mécanique que l’on peut évaluer et qui atteint une valeur très-notable. Que devient ce travail mécanique qui n’est pas nécessaire pour maintenir la vitesse de rotation, à proprement parler et qui n’est rendu indispensable que par l’effet du courant ? Foucault pensait que, conformément aux idées qui étaient nouvelles à l’époque où il construisait son appareil, ce travail mécanique devait être transformé en chaleur ; l’expérience justifie complètement cette prévision et l’on observe que, en forçant le disque à tourner lors du passage du courant, on parvient à élever sa température d’une quantité appréciable à la main, on peut même atteindre le point de fusion de la cire, en prolongeant l’expérience pendant deux minutes et en employant le courant produit par six éléments Bunsen.

Tel était l’état de cette question, au moins dans les points les plus importants, et depuis l’appareil de Foucault aucune particularité notable n’avait été signalée, relativement à l’action des aimants sur le cuivre en mouvement, lorsque M. Le Roux présenta l’appareil dont nous voulons parler actuellement, et étudia ce qu’il appelle : l’induction péripolaire.

Sur une table solidement construite sont portées par des pieds en fer quatre bobines recouvertes de fil de cuivre isolés ; ces fils peuvent être reliés à une pile par l’intermédiaire du commutateur C, qui permet d’interrompre le courant ou de fermer le circuit à volonté. Des noyaux de fer doux sont placés au centre des bobines ; leurs extrémités dépassent les bobines et constituent les pôles des électro-aimants lorsque le courant passe. Un disque en cuivre rouge DD’ est placé dans le plan de symétrie de l’appareil, parallèlement aux axes des bobines.

Ce disque peut tourner autour d’un axe horizontal qui passe entre les extrémités opposées des fers doux et dont on voit l’extrémité en A. À cette même extrémité se trouve le dernier pignon qui sert à transmettre au disque D le mouvement de rotation produit par la manivelle, mouvement qui atteint plus de 180 tours à la seconde, soit 10 000 tours à la minute. Aux extrémités des noyaux de deux bobines opposées, et par-dessous, sont fixées deux pièces de fer doux F’, entre lesquelles passe, sans les toucher, le disque de cuivre D. Lorsque l’appareil est ainsi disposé, il constitue un puissant appareil de Foucault, avec lequel on peut répéter les expériences que nous avons indiquées plus haut. Mais, en outre, et par-dessus les noyaux des électro-aimants, on peut placer deux pièces de fer doux F analogues à celles que nous venons de signaler en dessous ; lorsque ces pièces sont posées et que, comme les pièces F’, elles sont aimantées par leur contact avec les électro-aimants, le disque D est, dans toute son étendue, soumis à l’action d’un champ magnétique présentant la plus grande symétrie dans toutes les directions. Dans ce cas, on observe que la rotation du disque est aussi facile lorsque le courant passe que lorsque le circuit est interrompu ; que l’on n’éprouve pas alors la résistance qui est si manifeste dans l’appareil de Foucault, que le disque ne s’échauffe pas d’une manière sensible.

Cependant, le courant électrique passe ; dans la pile, du zinc est dissous : il y a donc une énergie dépensée de ce côté, on doit observer quelque part ailleurs une action, manifestation de cette énergie. L’étude des effets qui doivent se produire par suite de l’induction, conduisit M. Le Roux à admettre l’existence d’un courant allant du centre du disque à la circonférence ; il fallait vérifier cette conclusion. À cet effet, un support métallique vertical est en contact avec l’axe du disque ; une tige horizontale fixée à ce support est terminée par un fil de cuivre dont l’extrémité repose sur la périphérie du disque. Lorsque celui-ci tourne sans que le courant passe, on n’observe aucun effet spécial ; par suite du frottement, l’extrémité du fil s’échauffe bien un peu à la longue ; mais cette action, prévue du reste, est de peu d’importance. Si l’on vient, au contraire, à mettre la bobine en communication avec la pile, on observe, au point de contact du fil et du disque, une série continue d’étincelles très-vives, jaillissant avec intensité et dénotant l’existence d’un courant très-énergique dans le circuit formé par le disque, son axe et les diverses pièces qui y sont adaptées et que nous avons décrites.

C’est dans l’existence de ce courant prévu par la théorie que consiste l’induction péripolaire de M. Le Roux. Jusqu’à présent, on ne voit pas à cette expérience d’applications pratiques ; mais elle, est cependant fort intéressante en ce qu’elle est une confirmation des idées théoriques sur l’induction ; M. Le Roux, en présentant cet appareil à la Société française de physique, a montré que les résultats étaient d’accord particulièrement avec la loi de Lenz qui résume les actions des courants.

Cet appareil agencé par M. Ruhmkorff, l’habile constructeur d’instruments de physique, a été présenté également à la réunion des sociétés savantes à la Sorbonne. Les explications fournies par M. Le Roux ont été écoutées avec attention, et les membres de la réunion ont suivi avec intérêt les expériences qui ont été exécutées sous leurs yeux.