Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 322-342).
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ACTE PREMIER.



Scène premiere.


LE MARQUIS, LA MONTAGNE.
Le Marquis.

Entrer dans ce château !

La Montagne.

Entrer dans ce château !Le grand péril !

Le Marquis.

Entrer dans ce château !Le grand péril !Je tremble
Que quelqu’un ne t’observe, & ne nous voie ensemble.

La Montagne.

Et quand on me verroit ? Monsieur, j’ai de l’esprit,
C’est vous qui m’employez ; je conduis tout, suffit.
Ne craignez rien.

Le Marquis.

Ne craignez rien.On peut remarquer ton visage.

La Montagne.

Et n’en changeai-je pas à chaque personnage ?

Quand je suis déguisé, je le donne au plus fin,
Si me voulant connoître, il n’y perd son latin.
Ne vous inquietez pour aucun de mes rôles.
Je les jouerai d’un air… Mais tréves de paroles.
Vous avez par l’effet déjà vû ce que vaut…

Le Marquis.

N’as-tu rien oublié de tout ce qu’il nous faut ?

La Montagne.

Quand je vous fais en tout paroître un zéle extrême,
Douter de moi qui suis la vigilance même,
Et qui toujours sur piéd pour servir votre amour,
Depuis un mois & plus ne dors ni nuit ni jour ?
Au moins, si par hazard mon cerveau se démonte,
Ce sera, s’il vous plaît, Monsieur, sur votre compte.
À force de veiller…

Le Marquis.

À force de veiller…Va, j’en réponds.

La Montagne.

À force de veiller…Va, j’en réponds.Ma foi,
Je suis sûr qu’un jaloux dormiroit plus que moi.
Avoir tout à la fois tant de choses à faire,
C’est assez pour… Allez, quoique prompt à vous plaire,
Pour bien songer à tout, bien vous prend qu’au besoin
Ma mémoire ait fourni de quoi nous mener loin.
Il ne manque plus rien à l’ordre de la fête ;
Et de l’air dont chacun sur mes Leçons s’apprête,
Ce que j’ai préparé de divertissemens,
Aura tout ce qu’on peut souhaiter d’agrémens.
Ainsi la belle Veuve à qui vous voulez plaire,
Ignorant d’où lui vient ce qu’elle verra faire,
Vous croira tout au moins demi sorcier, pour moi,
Je mets le diable au pis, s’il brigue mon emploi,
C’est de quoi l’exercer, quelque adroit qu’il puisse être.

Le Marquis.

Mais tout cela n’est rien, si l’on me fait connoître.

Prends bien garde au secret.

La Montagne.

Prends bien garde au secret.Il vous est sûr.

Le Marquis.

Prends bien garde au secret.Il vous est sûr.Comment ?

La Montagne.

La plûpart de mes gens ne parlent qu’Allemand :
Comme j’entends la langue assez pour les instruire,
J’ai voulu les choisir incapables de nuire.
D’ailleurs, que craindre d’eux, puisqu’ils ignorent tous
Que vous étes mon maître, & que j’agis pour vous ?
Je les paye, & c’est-là tout ce qui leur importe.

Le Marquis.

C’en est assez. Va-t-en, avant que quelqu’un sorte.

La Montagne.

Vous croyez donc qu’ici je sois venu pour rien ?
Il me faut…

Le Marquis.

Il me faut…Quoi ? Di vîte.

La Montagne.

Il me faut…Quoi ? Di vîte.Attendez, c’est…

Le Marquis.

Il me faut…Quoi ? Di vîte.Attendez, c’est…Hé bien ?

La Montagne.

Vous m’avez fait songer à ce que je prépare,
Et souvent en courant ma mémoire s’égare.

Le Marquis.

Veux-tu que…

La Montagne.

Veux-tu que…Laissez-, Monsieur, se retrouver.
En rêvant…

Le Marquis.

En rêvant…Est-ce ici, bourreau, qu’il faut rêver ?

La Montagne.

La montre qu’il faudra… Non, je l’ai.

Le Marquis.

La montre qu’il faudra… Non, je l’ai.Va-t-en, traître,
Tu me perdras.

La Montagne.

Tu me perdras.Et bien, serviteur ; mais peut-être
Quelque chose manquant, vous en aurez regret.

Le Marquis.

Non, sors.

La Montagne, revenant.

Non, sors.Ah, je le tiens. Monsieur, votre portrait.

Le Marquis.

Prens & t’éloigne. Quoi, tu reviens ?

La Montagne.

Prens & t’éloigne. Quoi, tu reviens ?Autre affaire.
J’oubliois de l’argent, c’est le plus nécessaire.

Le Marquis.

Voilà ma Bourse.

La Montagne.

Voilà ma bourse.Mais…

Le Marquis.

Voilà ma bourse.Mais…Redoute mon courroux.
Veux-tu sortir ?

La Montagne.

Veux-tu sortir ?Je sors. Combien me donnez-vous ?
J’ai besoin tout au moins…

Le Marquis.

J’ai besoin tout au moins…Quelqu’un ici s’avance.

La Montagne.

Bon, c’est Virgine, elle est de notre intelligence.

Le Marquis.

Laisse-moi lui parler, & songe qu’il est temps
Qu’à faire ce qu’il faut tu prépares tes gens.



Scène II.

LE MARQUIS, VIRGINE.
Le Marquis.

Hé bien, comment la nuit s’est-elle ici passée ?
Que fait-on ?

Virgine.

Que fait-on ?Ma maîtresse est fort embarrassée,
Et ce que l’Inconnu fait pour la régaler,
Lui donne à tous momens matiére de parler.
Olimpe, aussi bien qu’elle, admire son adresse,
Sa manière engageante, & toutes deux, sans cesse
Font rouler l’entretien sur les soins d’un amant
Qui, sans se découvrir, aime si fortement.

Le Marquis.

Si toujours le succès répond à l’entreprise,
La suite aura de quoi mériter leur surprise.

Virgine.

Ce qui m’en cause à moi, dont je ne reviens pas,
C’est de vous voir tranquille, & si peu d’embarras,
Que quelque fête ici tous les jours qui se donne,
On en cherche l’auteur, sans que l’on vous soupçonne.

Le Marquis.

Par où me soupçonner ? J’en ai peu de souci.
Je loge dans le bourg à quatre pas d’ici.
Tous mes gens, hors un seul qui sait ce qu’il faut taire,
Passent là tout le jour à rire, à ne rien faire ;
Et cet unique agent par qui tout se conduit,
Va porter dans un bois mes ordres chaque nuit.
Peut-on mieux assurer un secret ?

Virgine.

Peut-on mieux assurer un secret ?Je l’avoue,
Tant de précaution mérite qu’on vous loue ;
Mais vous perdez beaucoup à vous cacher ainsi.
Déjà pour vous Olympe a le cœur adouci,
Et le galant auteur de tant de belles fêtes
La mettroit aisément au rang de ses conquêtes.

Le Marquis.

Il est vrai, j’ai connu par certains embarras
Qu’elle seroit d’humeur à ne me haïr pas ;
Mais, quand je serois moins à ma belle comtesse,
Olympe au chevalier doit toute sa tendresse,
Il l’adore, & je l’ai toujours trop estimé,
Pour lui ravir l’objet dont je le vois charmé.

Virgine.

Ma maîtresse aime Olympe, & pour voir cette belle,
Permet au chevalier un libre accès chez elle.
Depuis qu’elle est ici, par mille tendres soins,
De l’amour qui l’attire, il rend nos yeux témoins ;
Mais plus on vous verra, plus je crains pour sa flamme,
Les devoirs qu’il lui rend ne touchent point son ame ;
Et ses regards sur vous à toute heure arrêtés,
Ne parleroient que trop, s’ils étoient écoutés.
Mais vous, par quel motif vouloir toujours vous taire ?
A-t-on à se cacher, quand on est sûr de plaire ?
Vos soins, sous votre nom, auroient été reçus.

Le Marquis.

Chacun a ses raisons, & j’en ai là-dessus.
Tout ce qui peut charmer se trouve en la comtesse ;
Mais soit par défiance, ou par délicatesse,
Le secret de son cœur se ménage si bien,
Qu’avec elle un amant n’est jamais sûr de rien ;
Elle veut être aimée, attire, écoute, engage,
Mais le plus avancé n’a pas grand avantage ;
La presser c’est se rendre indigne de sa foi,
Et vingt fois, tu le sais, elle a dit devant moi
Qu’on auroit vers son cœur moins de chemin à faire,
Plus, sans rien exiger, on feroit pour lui plaire.

D’abord qu’elle fut veuve, un tendre & pur amour
M’engagea, sans réserve, à lui faire ma cour.
Aucun autre, avant moi, n’avoit brûlé pour elle,
Et par toute l’ardeur qui peut suivre un beau zéle,
Je n’ai pû mériter qu’en faveur de mes feux,
Elle ait daigné jamais refuser d’autres vœux.
J’en vois qui se livrant, sans que rien les alarme,
Aux malignes douceurs d’un accueil qui les charme,
Sur la foi de ses yeux s’osent imaginer
Que son cœur est sensible, & prêt à se donner ;
Mais je connois le piége, & plains leur imprudence.
Cependant, pour agir avec plus d’assurance,
J’ai voulu joindre aux vœux qu’elle reçoit par moi,
L’amour d’un Inconnu qui prétend à sa foi.
D’estime en sa faveur je la voi prévenue,
Et de ce double appui ma flamme soutenue,
En aura moins de peine à me faire emporter
Ce qu’en vain mes rivaux me voudront disputer.
Son cœur aimant en moi mon amour, ma personne,
Aime dans l’Inconnu les plaisirs qu’il lui donne ;
Elle y rêve, & mon feu, par cet heureux secours,
A trouvé les moyens de l’occuper toujours.
D’ailleurs, j’ai la douceur, quel plaisir quand on aime !
Que souvent elle vient me parler de moi-même,
Et vantant l’Inconnu, sans le croire si près,
Me montre un cœur touché de tout ce que je fais.
Que t’en dit-elle à toi ? Parle.

Virgine.

Que t’en dit-elle à toi ? Parle.Elle en est ravie.
La gloire fut toujours le charme de sa vie.
Plus vos soins font d’éclat, plus elle s’applaudit
De ce qu’à son mérite ils donnent de crédit.
Ce n’est point par sa flamme une flamme enhardie,
Elle reçoit des vœux sans qu’elle les mandie ;
Et puis contre l’amour quoi qu’on ait résolu,
Le nombre des amans n’a jamais trop déplû ;

Et comme on veut plûtôt augmenter que rabattre,
Un avec un fait deux, & deux & deux font quatre.
Les Femmes la plûpart en sont là. Mais voici
Dequoi changer de note ; Olympe vient ici.
Songez à vous, elle a grand dessein de vous plaire.

Le Marquis.

Souviens-toi seulement de ce que tu dois faire ;
Je m’en tirerai bien.



Scène III

LE MARQUIS, OLYMPE, MÉLISSE.
Olympe.

Je m’en tirerai bien.Vous a-t-on fait savoir
Le petit différend que nous venons d’avoir ?
Je voulois empêcher qu’on ne vous fît l’outrage
De souffrir avec vous un rival en partage ;
Mais contre l’Inconnu je me déclare en vain,
La comtesse…

Le Marquis.

La Comtesse…Hé, Madame, à quoi bon ce dessein ?
Laissons à son panchant liberté toute entiére.
Pour moi…

Olympe.

Pour moi…La complaisance est un peu singuliére.
Un rival rend des soins, la comtesse en fait cas…

Le Marquis.

S’ils lui plaisent, pourquoi ne me plairoient-ils pas ?

Olympe.

Et s’il faut qu’à l’aimer enfin elle consente ?
Qu’elle l’épouse ?

Le Marquis.

Qu’elle l’épouse ?Hé bien, elle sera contente.
C’est tout ce que je veux.

Olympe.

C’est tout ce que je veux.Ah ! Puis qu’il est ainsi,
Marquis, j’ai tort pour vous de m’en mettre en souci.
Puisque pour l’Inconnu vous avez tant de zéle,
Pour vous plaire, je vais le servir auprès d’elle.

Le Marquis.

Je ne m’en plaindrai point, favorisez ses feux,
Peut-être son bonheur me rendra-t-il heureux ;
L’amour a des douceurs & pour l’un & pour l’autre.

Olympe.

Un mérite aussi-bien établi que le vôtre,
Peut prétendre beaucoup, et…

Le Marquis.

Peut prétendre beaucoup, et…Je sai bien aimer,
C’est là mon seul mérite.

Olympe.

C’est là mon seul mérite.On le doit estimer ;
Et j’en connois fort peu, qui, comme la comtesse,
Ayant de votre cœur attiré la tendresse,
Voulussent consentir au chagrin sans égal,
Où vous peut exposer l’obstacle d’un rival.

Le Marquis.

Ce chagrin n’a sur moi qu’un assez foible empire ;
Et sans m’expliquer mieux, je puis ici vous dire
Que j’aurai vû remplir mes souhaits les plus doux,
Si la comtesse prend l’Inconnu pour époux.
Adieu, Madame.



Scène IV

OLYMPE, MÉLISSE.
Olympe.

Adieu, Madame.Il sort, & veut bien que je croie
Qu’en perdant la comtesse il aura de la joie.
D’un pareil sentiment que dois-je présumer ?
Aurois-je su lui plaire ? Et pourroit-il m’aimer ?

Mélisse.

Quoi, vous le souffririez ?

Olympe.

Quoi, vous le souffririez ?Qu’il est bien fait, Mélisse !

Mélisse.

Oui, mais au chevalier il faut rendre justice.



Scène V

LA COMTESSE, OLYMPE, VIRGINE, MÉLISSE.
La Comtesse.

Savez-vous que Dorante arrive ici ce soir ?

Olympe.

Avouez que déjà vous brûlez de le voir.

La Comtesse.

Je ne le cache point, j’en aurai de la joie.

Olympe.

Je ne sai plus de vous ce qu’il faut que je croie :

Les devoirs du marquis ne vous déplaisent pas ;
Dans ceux de l’Inconnu vous trouvez quelque appas ;
Et d’autres soupirans, aussi-tôt qu’ils arrivent,
Peuvent prétendre au cœur que tous les deux poursuivent.
C’est aller un peu loin.

La Comtesse.

C’est aller un peu loin.De quoi vous étonner ?
Pour prétendre à mon cœur, me le font-ils donner ?
Croyez-moi, pour n’avoir nul reproche à se faire,
Il faut de sa conduite éloigner le mystére,
S’acquérir des amis sans trop les rechercher,
Se divertir de tout, & ne point s’attacher.
C’est ainsi que j’en use, & je m’en trouve heureuse.
Point d’affaire de cœur qui me tienne rêveuse.
Tous ceux qu’un peu d’estime engage à m’en conter,
Me trouvent, sans façon, prête à les écouter.
Je vois avec plaisir leur différent génie,
Et j’appelle cela recevoir compagnie.

Olympe.

Mais, en vous en contant, ils vous parlent d’aimer ?

La Comtesse.

Je n’y vois pas contre eux de quoi se gendarmer.
Est-il quelque entretien, hors de là, qui n’ennuie,
Et nous parleront-ils de beau temps, ou de pluie ?
Notre sexe, par tout, fait des adorateurs,
Et, fût-ce la plus laide, on lui dit des douceurs.
Pour moi, qu’aucun aveu sur l’amour n’effarouche,
À personne jamais je ne ferme la bouche ;
Et, grossissant ma cour d’esclaves différens,
J’écoute les soupirs, & ris des soupirans.
Ce n’est pas, après tout, leur faire grande injure,
Ils ont beau de leurs maux nous tracer la peinture,
Tous ces empressemens de belle passion,
Souvent sont moins amour que conversation ;
Et le plus languissant, alors qu’il nous proteste,
A, tout prêt d’expirer, de la santé de reste.

Si sur nous quelquefois le murmure s’étend,
C’est pour ce que l’on fait, non pour ce qu’on entend ;
Et ces miroirs d’honneur, ces prudes consommées,
Qui du seul nom d’amour se trouvent alarmées,
Succomberoient bien-tôt à la tentation,
Puisqu’un mot sur leurs cœurs fait tant d’impression.
Jamais à prendre feu je n’ai l’ame si prompte,
Les déclarations ne sont pour moi qu’un conte ;
Et quoi que mes amans par-là se soient promis,
Je ne voi, ne regarde en eux que mes amis ;
Je prends sur leur esprit un empire commode ;
Et, s’ils m’aiment, il faut qu’ils vivent à ma mode.
L’un veille à mes procès, l’autre à mes bâtimens.

Olympe.

Et comment accorder ce grand nombre d’amans ?

La Comtesse.

Si c’est être coquette, au moins quoi qu’on en croie,
C’est l’être de bon sens, & vivre pour la joie.
Chacun cherche à me plaire, &, ne promettant rien,
Je fais amas de cœurs sans engager le mien.
Comme à fuir le chagrin tous mes soins aboutissent,
Il n’est pas jusqu’aux sots qui ne me divertissent,
Et dont le ridicule à pousser des soupirs,
Ne me soit quelquefois un sujet de plaisirs.
Quoique veuve, je suis peut-être encor d’un âge
À suivre l’humeur gaie où mon panchant m’engage ;
J’en veux jouïr. Jamais je n’aurai meilleur temps ;
J’ai du bien, des maisons à Paris comme aux champs,
Ma personne a de quoi ne pas déplaire, on m’aime ;
Et, tant que je voudrai me garder à moi-même,
Ne point prendre de maître en prenant un époux,
Mon sort égalera le destin le plus doux.

Olympe.

C’est ce qu’encor long-temps vous aurez peine à faire ;
Le marquis n’est point fait d’un air à ne pas plaire,
Et vous estimez tant ce qu’il vous rend de soins,
Qu’il n’y va, pour l’aimer, que du plus ou du moins.
L’Inconnu peut d’ailleurs avoir touché votre ame ;
Et, si par ce qu’il fait on juge de sa flamme,
Il est bien malaisé qu’un si parfait amant
N’ait mérité de vous un peu d’engagement.
Son cœur impatient de vous voir attendrie,
Joint la magnificence à la galanterie,
Et les porte si loin, qu’on y voit chaque jour
Briller également & l’esprit & l’amour.

La Comtesse.

Il faut vous l’avouer, l’Inconnu m’embarrasse,
Ce qu’il ordonne est fait avecque tant de grace,
Que je m’en sens touchée, & craindrois de l’aimer,
Si je le voyois tel qu’on peut le présumer.
J’admire chaque jour les détours qu’il emploie
Pour me faire agréer les bouquets qu’il m’envoie ;
Jamais si galamment rien ne fut concerté,
C’est toujours de l’adresse & de la nouveauté.
Cependant j’ai beau faire afin de le connoître,
Tous ses gens sont muets sur le nom de leur maître ;
Et même comme ils sont étrangers la plûpart,
Son secret avec eux ne court point de hazard ;
C’est en vain qu’on les suit, on n’en peut rien apprendre,
Ce sont ccteurs instruits qui savent où se rendre,
Et qui se séparant quand ils sortent d’ici,
Par leur prompte retraite augmentent mon souci.
Qui peut les employer ?

Olympe.

Qui peut les employer ?J’en voi tant qui font gloire
De soupirer pour vous, que je ne sai qu’en croire.
Quel qu’il soit, c’est de vous un amant bien épris.

La Comtesse.

Mes soupçons sont d’abord tombés sur le marquis,
Il m’aime, il est galant ; mais ses gens qu’on épie,
Demeurent en repos dans son hôtellerie,
Et n’y passeroient pas tout le jour sans emploi,
Si leur Maître faisoit tant de fêtes pour moi.
D’ailleurs, qu’a-t-il besoin d’user de cette adresse ?
Je souffre que son cœur m’explique sa tendresse ;
Et, depuis mon veuvage, à me plaire attaché,
Quand il m’a divertie, il ne s’est point caché.

Olympe.

Soupçonner le marquis ! Non, non, quoi qu’il pût faire,
Son amour si long-temps auroit peine à se taire ;
Et voyant votre peine, un sourire indiscret,
De ses soins applaudis trahiroit le secret.
Il vous parle à toute heure.

La Comtesse.

Il vous parle à toute heure.Et si notre vicomte
S’étoit avisé…

Olympe.

S’étoit avisé…Lui ?

La Comtesse.

S’étoit avisé…Lui ?Que j’en aurois de honte !
C’est un fatigant homme.

Olympe.

C’est un fatigant homme.Il va jusqu’à l’excès.

La Comtesse.

Il doit venir m’instruire ici de mon procès.

Olympe.

Vous pouvez seule à seul lui donner audience ;
Car pour moi je déserte, & suis sans complaisance.

La Comtesse.

Et ne pouvez-vous pas en rire comme moi ?

Olympe.

Non, ces sortes d’Amans… Mais qu’est-ce que je vois ?
Madame…



Scène VI

LA COMTESSE, OLYMPE, deux enfants représentant L’AMOUR & LA JEUNESSE, VIRGINE, MÉLISSE, un MORE vêtu en Indien.
L’Amour.

Madame…Vous voyez l’Amour & la Jeunesse,
Qui viennent admirer la charmante comtesse,
Et lui dire à l’envi qu’être de ses plaisirs,
Fait l’unique bonheur qui flatte leurs desirs.

La Comtesse.

Et qui les a conduits ?

Virgine.

Et qui les a conduits ?Ce More qui jargonne
Certains mots qui ne sont entendus de personne.
Ils sont tous deux entrés, demandant à vous voir.

Olympe.

C’est encor l’Inconnu.

La Comtesse.

C’est encor l’Inconnu.Nous allons le savoir.

L’Amour.

Nous n’avions pas besoin que l’on nous vînt conduire,
Et d’eux-mêmes jusqu’à ce jour
Jamais dans aucun lieu la Jeunesse & l’Amour
N’ont eu de peine à s’introduire.

Olympe.

L’aimable couple !

La Comtesse.

L’aimable couple !Il n’est rien de si beau.

Olympe.

De leur petite mascarade
Le dessein est assez nouveau.

La Comtesse.

Il faut les écouter, car je me persuade
Qu’ils nous vont de l’Amour faire un joli tableau.


DIALOGUE DE L’AMOUR
et de la Jeunesse.
La Jeunesse.

Quoique vous nous voyiez ensemble,
C’est assez rarement que nous sommes d’accord.

L’Amour.

Comme tout me céde, il me semble
Que me céder aussi ne vous feroit pas tort.

La Jeunesse.

Moi, vous céder ! Et pourquoi, je vous prie ?
Si vous avez des charmes assez doux,
Qui plaisent en coquetterie,
Je me fais aimer plus que vous.
Jamais je ne quitte personne,
Qu’on ne s’en fasse un dur tourment.
Hélas ! dit-on, faut-il si promptement
Que la jeunesse m’abandonne ?
Mais quand le noir chagrin de vos transports jaloux
Force deux cœurs à la rupture,
On y trouve un repos si doux
Qu’on vous laisse aller sans murmure ;
Et je ne sache que les foux,
Qui mal guéris de leur blessure,
Veuillent renouer avec vous.

L’Amour.

Et quand on ne rompt point, est-il douceurs pareilles ?

La Jeunesse.

C’est un miracle dont le bruit
Vient rarement à mes oreilles ;
Mais regardons le dégoût qui le suit.
Ce n’est pas comme la jeunesse
Qui se trouve aimable en tout temps.
Vous n’avez point d’agrément qui ne cesse,
Pour peu que vous alliez au-delà du printemps.
Quand l’âge vient, la belle chose
Que les soupirs de deux amans barbons !
À quoi peuvent-ils être bons,
Qu’à plaindre leur métamorphose ?
Ce n’est plus en douceurs qu’ils passent tout le jour,
L’un dort tandis que l’autre gronde,
Et jamais on ne vit au monde
Rien de si sot qu’un vieil amour.

L’Amour.

De vos jeunes attraits vous faites bien la fiere.

La Jeunesse.

On la feroit à moins ; par tout je saute aux yeux,
On me nomme partout des beautés la premiere,
Et c’est en quoi sur vous je l’emporte encor mieux.
Car enfin, pour me vaincre, employez ruse, adresse,
Cherchez artifice, détours,
Il n’est point de laide jeunesse,
Mais il est de vilains amours.

L’Amour.

Vous croyez que je me chagrine,
De vous voir ravaler mes droits ?

La Jeunesse.

Il n’est pas défendu de faire bonne mine,
Quoiqu’on enrage quelquefois.
Pour moi, je n’aime que la joie,
Et, malgré nos débats qui durent trop long-temps,
Il faut qu’à danser je m’emploie.

L’Amour.

Danser ! Ignorez-vous qu’on a…

La Jeunesse.

Danser ! Ignorez-vous qu’on a…Je vous entens,
Mais je puis tout comme déesse ;
En vain on croiroit m’arrêter.
D’ailleurs rien ne sauroit contraindre la jeunesse,
Et qui voudroit l’empêcher de sauter,
La feroit mourir de tristesse.

L’Amour.

Songez-y bien, j’appréhende pour vous.

La Jeunesse.

Chacun doit soutenir son rôle.

L’Amour.

Il est vrai, la jeunesse est toujours un peu folle,
Et l’on ne prend pas garde aux fous.


Olympe après que la Jeunesse a dansé un Menuet.

La cadence à trouver ne lui fait point de peine.

La Comtesse.

Elle est née à la Danse, & peut s’en faire honneur.

L’Amour au More qui l’a amené.

Tandis qu’elle reprend haleine,
Approchez, notre conducteur,
C’est à vous d’entrer sur la scéne.


CHANSON ITALIENNE DU MORE.

Occhi neri, il cui splendore
Hora uccide, hora dà vita
Al mio cuore
Che si muore
Deh, pietosi date aita.
Quel sol di giovintù ch’in voi risplende,
Quei raggi ridenti onde ogn’un s’accende,
V’insegnano, non gia rigore.

Occhi neri, il cui splendore
Hora uccide, hora dà vita ;
Al mio cuore

Che si muore
Deh, pietosi date aita.

Con sguardi lusinghieri, strali di fuoco
Begli occhi, nel petto colto m’havete.
S’aiuto certese non mi porgete,
Ahira, ch’io vo morendo à pocc-poco.

Su, su, dunque, che fato,
Pupille adorate ?
Consguardo amoroso,
Non piu disdegnosco,
La plaga sanate
D’un alma ferita.
Ahi che troppo tardata.
E che non mirate
Che già nel mio seno
Lo spirto vien meno,
E stà su l’uscita.

Occhi neri, il cui splendore
Hora uccide, hora dà vita ;
Al mio cuore
Che si muore
Deh, pietosi date aita.


Olympe.

En toute langue on vous dit des douceurs.

La Comtesse.

Ignorant qui me les adresse,
Ce sont d’assez vaines ardeurs ;
Mais laissons parler la Jeunesse.

La Jeunesse.

Hé bien, de moi que dites-vous, Amour ?

L’Amour.

À danser, à sauter employez tout le jour,
Cela n’a rien qui m’intéresse ;
Mais puisque aucun de nous n’est d’humeur à céder,

Il faut du moins nous accorder,
Pour louer dignement cette belle comtesse.

La Jeunesse.

La louer ? Ce n’est point mon fait.
Je ne pourrois assez élever son mérite,
Et j’aime mieux en être quitte
Pour ma guirlande & ce bouquet.
Prenez, d’une déesse il n’est rien qu’on refuse.

L’Amour.

Pour moi, qui cherche à voir tous les cœurs sous ses loix,
Je sai comme il faut que j’en use,
Et veux mettre à ses piéds mon arc & mon carquois.

Olympe, reprenant le carquois de l’Amour, d’où elle tire un billet parmi les fléches.

Qu’il est bien fait ! Mais, dieux !
[à la comtesse.]
Madame, c’est à vous que ce billet s’adresse.

La Comtesse.

Lisons.

Olympe.

Lisons.De l’Inconnu j’admire le talent,
Tout ce qu’il fait enchante.

La Comtesse.

Tout ce qu’il fait enchante.Il n’est rien plus galant.

BILLET.

Quoique ma passion extrême
Me fasse un souverain bonheur
Du plaisir de vous dire à quel point je vous aime,
Permettez que l’Amour vous parle en ma faveur,
Avant que je parle moi-même.
J’ose attendre beaucoup d’un entretien si doux.
Hé, qui sent mieux que lui ce que je sens pour vous ?

Olympe.

C’est s’exprimer avec tendresse.

La Comtesse.

On dit plus qu’on ne sent ; mais je veux à mon tour
Faire présent à la Jeunesse.

[La comtesse lui donne un diamant.]
La Jeunesse.

J’accepte cette bague, attendant l’heureux jour
Où vous saurez pour qui je m’intéresse.

La Comtesse.

Je ne donne rien à l’Amour ;
Il se vante, & je crains ses contes ordinaires.

L’Amour.

Par lui-même l’Amour trouve à se contenter
Et tant qu’il se fait écouter,
Il n’est pas mal dans ses affaires.

[L’amour & la Jeunesse s’en vont avec le More.]
Olympe.

On les a bien instruits.

La Comtesse.

On les a bien instruits.Tâche à les amuser,
Les Enfans n’aiment point à se taire,
Et de notre Inconnu par eux…

Virgine.

Et de notre Inconnu par eux…Laissez-moi faire.
En badinant je les ferai jaser.