L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/46

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 230-233).


CHAPITRE XLVI.

QU’IL FAUT METTRE SA CONFIANCE EN DIEU, LORSQU’ON EST ASSAILLI DE PAROLES INJURIEUSES.

1. J.-C. Mon fils, demeurez ferme, et espérez en moi. Qu’est-ce, après tout, que des paroles ? un vain bruit. Elles frappent l’air, mais ne brisent point la pierre.

Si vous êtes coupable, songez que votre désir doit être de vous corriger. Si votre conscience ne vous reproche rien, pensez que vous devez souffrir avec joie cette légère peine pour Dieu.

C’est bien ce qu’il y a de moindre, que, de temps en temps, vous supportiez quelques paroles, vous qui ne pouvez encore soutenir de plus rudes épreuves.

Et pourquoi de si petites choses vont-elles jusqu’à votre cœur, si ce n’est que vous êtes encore charnel, et trop occupé des jugements des hommes ?

Vous craignez le mépris, et à cause de cela vous ne voulez pas être repris de vos fautes, et vous cherchez des excuses pour les couvrir.

2. Scrutez mieux votre cœur, et vous reconnaîtrez que le monde vit encore en vous, et le vain désir de plaire aux hommes.

Car votre répugnance à être abaissé, confondu par vos faiblesses, prouve que vous n’avez pas une humilité sincère, que vous n’êtes pas véritablement mort au monde, et que le monde n’est pas crucifié pour vous[1].

Écoutez ma parole, et vous vous inquiéterez peu de toutes les paroles des hommes.

Quand on dirait contre vous tout ce que peut inventer la plus noire malice, en quoi cela vous nuirait-il, si vous le laissez passer comme la paille que le vent emporte ? En perdriez-vous un seul cheveu ?

3. Celui dont le cœur n’est pas renfermé en lui-même, et qui n’a pas Dieu toujours présent, s’émeut aisément d’une parole de blâme.

Mais celui qui se confie en moi et qui ne s’appuie pas sur son propre jugement, ne craindra rien des hommes.

Car c’est moi qui connais et qui juge ce qui est secret ; je sais la vérité de toute chose, qui a fait l’injure et qui la souffre.

Cette parole, elle est venue de moi ; cet événement, je l’ai permis, afin que ce qu’il y a de caché dans beaucoup de cœurs fût révélé[2].

Je jugerai l’innocent et le coupable ; mais, par un secret jugement, j’ai voulu auparavant éprouver l’un et l’autre.

4. Le témoignage des hommes trompe souvent ; mais mon jugement est vrai : il subsistera et ne sera point ébranlé.

Le plus souvent il est caché, et peu de personnes le découvrent en chaque chose : cependant il n’erre jamais, et ne peut errer, quoiqu’il ne paraisse pas toujours juste aux yeux des insensés.

C’est donc à moi qu’il faut remettre le jugement de tout, sans jamais s’en rapporter à son propre sens.

Le juste ne sera point troublé, quoi qu’il lui arrive par l’ordre de Dieu[3]. Il lui importera peu qu’on l’accuse injustement.

Et si d’autres le défendent et réussissent à le justifier, il n’en concevra pas non plus une vaine joie.

Car il se souvient que c’est moi qui sonde les cœurs et les reins[4], et que je ne juge point sur les dehors et les apparences humaines.

Ce qui paraît louable au jugement des hommes, souvent est criminel à mes yeux.

5. Le F. Seigneur mon Dieu, juge infiniment juste, fort et patient, qui connaissez la fragilité de l’homme et son penchant au mal, soyez ma force et toute ma confiance : car ma conscience ne me suffit pas.

Vous connaissez ce que je ne connais point ; ainsi j’ai dû m’abaisser sous tous les reproches et les supporter avec douceur.

Pardonnez-moi dans votre bonté, toutes les fois que je n’ai pas agi de la sorte, et donnez-moi plus abondamment la grâce qui apprend à souffrir.

Car je dois compter bien plus sur votre grande miséricorde pour obtenir le pardon, que sur ma vertu apparente pour justifier ce que ma conscience recèle.

Quoique je ne me reproche rien, je ne suis cependant pas justifié pour cela[5] ; parce que sans votre miséricorde, nul homme vivant ne sera juste devant vous[6].

RÉFLEXION.

Vous serez heureux quand on vous maudira, et qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement toute sorte de mal contre vous : réjouissez-vous alors, et soyez ravis de joie, parce que votre récompense est grande dans les cieux[7]. Combien cependant, malgré cette parole, ne nous troublons-nous pas des discours des hommes et de leurs jugements ? Nous ne pouvons supporter qu’on nous abaisse ; nous voulons à tout prix être loués, estimés. Séduits par un vain fantôme de réputation, nous oublions Dieu et ses enseigne ments, et les biens qu’il promet aux humbles. Étrange effet de l’or gueil toujours vivant au fond de notre misérable cœur ! Que vous importe l’outrage, l’injure, la calomnie ? D’où vient qu’elle excite en vous une peine si amère, un si vif ressentiment ? Craignez-vous donc d’avoir trop de moyens d’expiation, trop d’espérances de miséricorde ? Mais on vous accuse à tort. Aimeriez-vous mieux que ce fût avec justice ? Si vous n’avez pas commis la faute qu’on vous re. proche, que d’autres vous avez commises qu’on ne vous reproche point ! Descendez dans votre conscience, vous y entendrez une voix plus sévère que celles qui s’élèvent contre vous. Celles-ci se tairont, mais l’autre parlera devant le Juge en présence duquel tout à l’heure vous comparaîtrez loin des bruits de la terre, dans le silence de l’éternité. Pensez à ce moment formidable, et vous vous inquiéterez peu de ce que les hommes disent de vous.

  1. Galat. vi, 14.
  2. Luc. ii, 35.
  3. Prov. x, 21.
  4. Ps. vii, 10.
  5. I Cor. iv, 4.
  6. Ps. cxlii, 2.
  7. Matth. v, 11, 12.