L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/36

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 210-212).


CHAPITRE XXXVI.

CONTRE LES VAINS JUGEMENTS DES HOMMES.

1. J.-C. Mon fils, ne cherchez qu’en Dieu le repos de votre cœur, et ne craignez point les jugements des hommes, quand votre conscience vous rend témoignage de votre innocence et de votre piété.

Il est bon, il est heureux de souffrir ainsi ; et ce ne sera point chose pénible pour le cœur humble qui se confie en Dieu plus qu’en lui-même.

On parle tant, qu’on doit ajouter peu de foi à ce qui se dit.

Comment, d’ailleurs, contenter tout le monde ? cela ne se peut.

Bien que Paul s’efforçât de plaire à tous dans le Seigneur, et qu’il se fît tout à tous[1], il ne laissait pas d’être fort indifférent aux jugements des hommes[2].

2. Il a fait tout ce qui était en lui pour l’édification et le salut des autres ; mais il n’a pu empêcher qu’ils ne l’aient quelquefois condamné ou méprisé.

C’est pourquoi il a remis tout à Dieu, qui connaît tout ; et il n’a opposé que l’humilité et la patience aux reproches injustes, aux faux soupçons et aux mensonges de ceux qui se livraient, dans leurs discours, à tout ce que leur suggérait la passion.

Il s’est cependant justifié quelquefois, de peur que son silence ne causât du scandale aux faibles.

3. Qu’avez-vous à craindre d’un homme mortel[3] ? Il est aujourd’hui, et demain il aura disparu.

Craignez Dieu, et vous ne redouterez rien des hommes.

Que peut contre vous un homme par des paroles ou des outrages ? Il se nuit plus qu’à vous, et, quel qu’il soit, il n’évitera pas le jugement de Dieu.

Ayez Dieu toujours présent, et laissez là les contestations et les plaintes.

Que si vous paraissez succomber maintenant, et souffrir une confusion que vous ne méritez pas, n’en murmurez point, et ne diminuez pas votre couronne par votre impatience.

Levez plutôt vos regards au ciel, vers moi, qui suis as sez puissant pour vous délivrer de l’opprobre et de l’injure, et pour rendre à chacun selon ses œuvres[4].

RÉFLEXION.

Pourquoi vous inquiéter des jugements des hommes, et que vous font leurs vaines pensées ? Ils ne voient tout au plus que les dehors : leur œil ne pénètre point au fond de l’âme, là où sont cachés le bien et le mal. Ne vous affligez donc point s’ils vous condamnent, et ne vous élevez point s’ils vous louent. Mais prosternez-vous devant Dieu, et dites-lui : Si vous scrutez, Seigneur, nos iniquités, qui soutiendra votre regards ?[5] Quelques-uns s’exagèrent l’importance de ce qu’ils appellent leur réputation, et dans l’excessive chaleur avec laquelle ils la défendent, il y a souvent plus d’amour propre que de zèle véritable. Jésus-Christ chargé d’outrages nous a donné un autre exemple : il s’est tu et n’a point ouvert la bouche[6]. Tous les Saints ont été comme lui persécutés et calomniés. Quand on a fait ce qui dépendait de soi pour ne pas scandaliser ses frères, la conscience doit être tranquille : il ne reste plus qu’à demeurer en paix dans l’humiliation. Dieu sait tout, et cela suffit. J’estime, écrivait saint Paul aux Corinthiens, j’estime que ce m’est peu de chose d’être jugé par vous, ou par aucun tribunal humain ; je ne me juge pas moi-même ; celui qui me juge, c’est le Seigneur. Ne jugez donc point avant le temps, jusqu’à ce que le Seigneur vienne : il éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, il manifestera les conseils des cours, et alors chacun recevra de Dieu la louange qu’il mérite[7].

  1. I Cor. ix, 23.
  2. I Cor. iv, 3.
  3. Is. li, 12.
  4. Rom. ii, 6.
  5. Ps. cxxix, 3.
  6. Ps. xxxiii, 10.
  7. I Cor. iv, 3-5.