L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/34

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 206-208).


CHAPITRE XXXIV.

QU’ON NE SAURAIT GOÛTER QUE DIEU SEUL, ET QU’ON LE GOÛTE EN TOUTES CHOSES, QUAND ON L’AIME VÉRITABLEMENT.

1. Le F. Voilà mon Dieu et mon tout ! Que voudrais-je de plus ? et quelle plus grande félicité puis-je désirer ?

O ravissante parole ! mais pour celui qui aime Jésus, et non pas le monde, ni rien de ce qui est du monde.

Mon Dieu et mon tout, c’est assez dire à qui l’entend, et le redire sans cesse est doux à celui qui aime.

Vous présent, tout est délectable ; en votre absence, tout devient amer.

Vous donnez au cœur le repos, et une profonde paix, et une joie inénarrable.

Vous faites que, content de tout, on vous bénit de tout. Au contraire, rien sans vous ne peut plaire longtemps, et rien n’a d’attrait ni de douceur sans l’impression de votre grâce et l’onction de votre sagesse.

2. Que ne goûtera point celui qui vous goûte ? et que trouvera d’agréable celui qui ne vous goûte point !

Les sages du monde, qui n’ont de goût que pour les voluptés de la chair, s’évanouissent dans leur sagesse : car on ne trouve là qu’un vide immense, que la mort.

Mais ceux qui, pour vous suivre, méprisent le monde et mortifient la chair, se montrent vraiment sages : car ils quittent le mensonge pour la vérité, et la chair pour l’esprit.

Ceux-là savent goûter Dieu ; et tout ce qu’ils trouvent de bon dans les créatures, ils le rapportent à la louange du Créateur.

Rien pourtant ne se ressemble moins que le goût du Créateur et celui de la créature, du temps et de l’éternité, de la lumière incréée et de celle qui n’en est qu’un faible reflet.

3. O lumière éternelle, infiniment élevée au-dessus de toute lumière créée, qu’un de vos rayons, tel que la foudre, parte d’en haut et pénètre jusqu’au fond le plus intime de mon cœur !

Purifiez, dilatez, éclairez, vivifiez mon âme et toutes ses puissances, pour qu’elle s’unisse à vous dans des transports de joie.

Oh ! quand viendra cette heure heureuse, cette heure désirable où vous me rassasierez de votre présence, où vous me serez tout en toutes choses !

Jusque-là je n’aurai point de joie parfaite.

Hélas ! le vieil homme vit encore en moi ; il n’est pas tout crucifié, il n’est pas mort entièrement.

Ses convoitises combattent encore fortement contre l’esprit ; il excite en moi des guerres intestines, et ne souffre point que l’âme règne en paix.

Mais vous qui commandez à la mer et qui calmez le mouvement des flots, levez-vous, secourez-moi[1].

Dissipez les nations qui veulent la guerre[2], et brisez-les dans votre puissance.

Faites, je vous conjure, éclater vos merveilles, et signalez la gloire de votre bras[3] : car je n’ai point d’autre espérance ni d’autre refuge que vous, ô mon Dieu !

RÉFLEXION.

Il est étrange que, connaissant Dieu, toute notre âme ne soit pas absorbée dans son amour ; qu’elle s’arrête encore aux créatures, au lieu de se plonger et de se perdre dans la source de tout bien. Qu’est-ce que le bonheur, sinon l’amour ? et qu’est-ce que le bonheur infini, sinon un amour sans bornes ? Il faut donc à notre cœur un objet infini, il faut Dieu : rien de créé ne saurait le satisfaire jamais. Que me veut le monde ? Qu’ai-je besoin de lui ? Que peut-il me donner ? Mon cœur est plus grand que tous ses biens, et Dieu seul est plus grand que mon cœur[4]. Dieu seul donc, Dieu seul, maintenant et toujours : éternellement seul Dieu !

  1. Ps. lxxxviii, 10 ; xliii, 26.
  2. Ps. lxvii, 32.
  3. Judith ix, 11 ; Eccli. xxxvi, 7.
  4. Joann. iii, 10.