L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/33

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 204-205).


CHAPITRE XXXIII.

DE L’INCONSTANCE DU CŒUR, ET QUE NOUS DEVONS TOUT RAPPORTER A DIEU COMME A NOTRE DERNIÈRE FIN.

J.-C. Mon fils, ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous : maintenant vous êtes affecté d’une certaine manière, vous le serez d’une autre le moment d’après.

Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, même malgré vous : tour à tour triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tiède ; tantôt actif, tantôt paresseux, tantôt grave, tantôt léger.

Mais l’homme sage et instruit dans les voies spirituelles s’élève au-dessus de ces vicissitudes. Il ne considère point ce qu’il éprouve en soi, ni de quel côté l’incline le vent de l’inconstance ; mais il arrête toute son attention sur la tin bienheureuse à laquelle il doit tendre.

C’est ainsi qu’au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur soi seul ses regards, il demeure inébranlable et toujours le même.

Plus l’œil de l’âme est pur et son intention droite, moins on est agité par les tempêtes.

Mais cet cil s’obscurcit en plusieurs, parce qu’il se tourne vers chaque objet agréable qui se présente. Car il est rare de trouver quelqu’un tout à fait exempt de la honteuse recherche de soi-même.

Ainsi autrefois les Juifs vinrent à Béthanie chez Marthe et Marie, non pour Jésus seul, mais pour voir Lazare[1].

Il faut donc purifier l’intention, afin que, simple et droite, elle se dirige constamment vers moi, sans s’arrêter jamais aux objets inférieurs.

RÉFLEXION.

L’esprit de l’homme va et vient sans se reposer jamais, et le cœur est emporté par la même inconstance. Or ces changements qui surviennent en nous, quelquefois malgré nous, sont ou des tentations que l’on doit combattre, ou des misères qu’il faut supporter, ou des épreuves auxquelles on doit se soumettre humblement. Et c’est pourquoi il est nécessaire de travailler sans relâche à purifier notre volonté, qui seule dépend de nous ; autrement nous tomberons bien vite ou dans le trouble, ou dans les deux à la fois. Celui qui veut sincèrement être à Dieu et n’être qu’à lui, ne craint pas les attaques de l’enfer, parce qu’il sait qu’il est invincible en celui qui le fortifie. Il ne s’irrite point contre lui-même, il voit en paix ses infirmités, il s’en glorifie comme l’apôtre[2], parce qu’elles perfectionnent la vertu[3], et ajoutent au prix de la victoire. Que si Dieu l’éprouve, il s’humilie, il se reconnaît indigne de ses consolations, et il embrasse avec amour la croix qui lui est présentée. Tranquille sur cette croix dans la tristesse, dans la souffrance et l’abandonnement, il n’a que cette parole, et elle lui suffit : J’ai espéré en vous, Seigneur, et je ne serai point confondu éternellement[4]

  1. Joann. xii, 9.
  2. II Corinth. xi, 30.
  3. II Corinth. xii, 9.
  4. Ps. lxx, 1.