L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/30

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 196-199).


CHAPITRE XXX.

QU’IL FAUT IMPLORER LE SECOURS DE DIEU, ET ATTENDRE AVEC CONFIANCE LE RETOUR DE SA GRACE.

1. J.-C. Mon fils, je suis le Seigneur ; c’est moi qui fortifie au jour de la tribulation[1].

Venez à moi quand vous souffrirez.

Ce qui surtout éloigne de vous les consolations célestes, c’est que vous recourez trop tard à la prière.

Car, avant de me prier avec instance, vous cherchez au dehors du soulagement et une multitude de consolations.

Mais tout cela vous sert peu, et il vous faut enfin reconnaître que c’est moi seul qui délivre ceux qui espèrent en moi[2] ; et que hors de moi il n’est point de secours efficace, point de conseil utile, point de remède durable.

Mais à présent que vous commencez à respirer après la tempête, ranimez-vous à la lumière de mes miséricordes : car je suis près de vous, dit le Seigneur, pour vous rendre tout ce que vous avez perdu, et beaucoup plus encore.

2. Y a-t-il rien qui soit difficile ? [3] ou serais-je semblable à ceux qui disent et ne font pas ?

Où est votre foi ? Demeurez ferme et persévérez.

Ne vous lassez point, prenez courage ; la consolation viendra en son temps.

Attendez-moi, attendez : je viendrai et je vous guérirai[4].

Ce qui vous agite est une tentation, et ce qui vous effraye une crainte vaine.

Que vous revient-il de ces soucis d’un avenir incertain, sinon tristesse sur tristesse ? A chaque jour suffit son mal[5].

Quoi de plus insensé, de plus vain, que de se réjouir ou de s’affliger de choses futures qui n’arriveront peut-être jamais ?

3. C’est une suite de la misère humaine d’être le jouet de ces imaginations, et la marque d’une âme encore faible de céder si aisément aux suggestions de l’ennemi.

Car peu lui importe de nous séduire et de nous tromper par des objets réels ou par de fausses images ; et de nous vaincre par l’amour des biens présents ou par la crainte des maux à venir.

Que votre cœur donc ne se trouble point et ne craigne point.

Croyez en moi, et confiez-vous en ma miséricorde[6].

Quand vous croyez être loin de moi, souvent c’est alors que je suis le plus près de vous.

Lorsque vous croyez tout perdu, ce n’est souvent que l’occasion d’un plus grand mérite.

Tout n’est pas perdu, quand le succès ne répond pas à vos désirs.

Vous ne devez pas juger selon le sentiment présent, ni vous abandonner à aucune affliction, quelle qu’en soit la cause, et vous y enfoncer, comme s’il ne vous restait nulle espérance d’en sortir.

4. Ne pensez pas que je vous aie tout à fait délaissé, lorsque je vous afflige pour un temps ; ou que je vous retire mes consolations : car c’est ainsi qu’on parvient au royaume des cieux.

Et certes il vaut mieux pour vous et pour tous mes serviteurs être exercé par des traverses, que de n’éprouver jamais aucune contrariété.

Je connais le secret de votre cœur, et je sais qu’il est utile pour votre salut que vous soyez quelquefois dans la sécheresse, de crainte qu’une ferveur continue ne vous porte à la présomption, et que, par une vaine complaisance en vous-même, vous ne vous imaginiez être ce que vous n’êtes pas.

Ce que j’ai donné, je puis l’ôter et le rendre quand il me plaît.

5. Ce que je donne est toujours à moi ; ce que je reprends n’est point à vous : car c’est de moi que découle tout bien et tout don parfait.

Si je vous envoie quelque peine ou quelque contradiction, n’en murmurez pas, et que votre cœur ne se laisse point abattre : car je puis, en un moment, vous délivrer de ce fardeau, et changer votre tristesse en joie.

Et lorsque j’en use ainsi avec vous, je suis juste et digne de toute louange.

Si vous jugez selon la sagesse et la vérité, vous ne devez jamais vous affliger avec tant d’excès dans l’adversité, mais plutôt vous en réjouir et m’en rendre grâces.

Et même ce doit être votre unique joie que je vous frappe sans vous épargner[7].

Comme mon père m’a aimé, moi aussi je vous aime[8], ai-je dit à mes disciples en les envoyant, non pour goûter les joies du monde, mais pour soutenir de grands combats ; non pour posséder les honneurs, mais pour souffrir les mépris ; non pour vivre dans l’oisiveté, mais dans le travail ; non pour se reposer, mais pour porter beaucoup de fruits par la patience[9]. Souvenez-vous, mon fils, de ces paroles.

RÉFLEXION.

Bien que les hommes sachent que la vie présente n’est qu’un état de passage, néanmoins il y a en eux un penchant extraordinaire à se concentrer dans cette vie si courte, et à ne juger des choses que par leur rapport avec elle. Ils veulent invinciblement être heureux ; mais ils veulent l’être dès ici-bas ; ils cherchent sur la terre un bonheur qui n’y est point, qui n’y peut pas être, et en cela ils se trompent misérablement. Les uns le placent dans les plaisirs et les biens du monde, et après s’être fatigués à leur poursuite, ils voient que tout est vanité et affliction d’esprit[10], et que l’homme n’a rien de plus de tous les travaux dont il se consume sous le soleil[11]. Les autres, convaincus du néant de ces liens, se tournent vers Dieu ; mais ils veulent aussi que le désir de félicité qui les tourmente soit satisfait dès à présent, toujours prêts à s’inquiéter et à se plaindre, quand Dieu leur retire les grâces sensibles, ou qu’il les éprouve par les souffrances et la tentation. Ils ne comprennent pas que la nature humaine est malade, et incapable en cet état de tout bonheur réel ; que les épreuves dont ils se plaignent sont les remèdes nécessaires que le céleste médecin des âmes emploie, dans sa bonté, pour les guérir, et que toute notre espérance sur la terre, toute notre paix consiste à nous abandonner entièrement à lui avec une confiance pleine d’amour. Et voilà pourquoi le roi-prophète revint si souvent à cette prière : Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis malade ; guérissez-moi, car le mal a pénétré jusqu’à mes os[12] ; guérissez mon âme[13], vous qui guérissez toutes nos infirmités[14]. Donc, pendant cette vie, la résignation, la patience, une tranquille soumission de la volonté, au milieu des ténèbres de l’esprit et de l’amertume du cœur : et après, et bientôt, dans la véritable vie, le repos imperturbable, la joie immortelle, et la félicité de Dieu même, qu’il vous sera donné de voir tel qu’il est face à face[15].

  1. Nah. i, 7.
  2. Ps. xvi, 7.
  3. Jer. xxxii, 27.
  4. Matth. viii, 7.
  5. Matth. vi, 34.
  6. Joann. xiv, I, 27.
  7. Job. vi, 10.
  8. Joann. xv, 9.
  9. Luc. xviii, 15 ; Joann. xv, 16.
  10. Eccle. i, 14.
  11. Eccle. i, 3.
  12. Ps. vi, 3.
  13. Ps. xl, 5.
  14. Ps. cii, 3
  15. I Cor. xiii, 12.