L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/21

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 174-178).


CHAPITRE XXI.

QU’IL FAUT ÉTABLIR SON REPOS EN DIEU, PLUTÔT QUE DANS TOUS LES AUTRES BIENS.

1. Le F. En tout, et par-dessus tout, repose-toi en Dieu, ô mon âme, parce qu’il est le repos éternel des Saints,

Aimable et doux Jésus, donnez-moi de me reposer en vous plus qu’en toutes les créatures ; plus que dans la santé, la beauté, les honneurs et la gloire : plus que dans toute puissance et dans toute dignité ; plus que dans la science, l’esprit, les richesses, les arts ; plus que dans les plaisirs et la joie, la renommée et la louange, les consolations et les douceurs, l’espérance et les promesses ; plus qu’en tout mérite et en tout désir ; plus même que dans vos dons et toutes les récompenses que vous pouvez nous prodiguer ; plus que dans l’allégresse et tous les transports que l’âme peut concevoir et sentir ; plus enfin que dans les Anges et dans les Archanges, et dans toute l’armée des cieux ; plus qu’en toutes les choses visibles et invisibles, plus qu’en tout ce qui n’est pas vous, ô mon Dieu !

2. Car vous êtes seul infiniment bon, seul très haut, très puissant ; vous suffisez seul, parce que seul vous possédez et vous donnez tout ; vous seul nous consolez par vos douceurs inexprimables ; seul vous êtes toute beauté, tout amour ; votre gloire s’élève au-dessus de toute gloire, votre grandeur au-dessus de toute grandeur ; la perfection de tous les biens ensemble est en vous, Seigneur mon Dieu, y a toujours été, y sera toujours.

Ainsi, tout ce que vous me donnez hors de vous, tout ce que vous me découvrez de vous-même, tout ce que vous m’en promettez, est trop peu et ne me suffit pas, si je ne vous vois, si je ne vous possède pleinement.

Car mon cœur ne peut avoir de vrai repos, ni être entièrement rassasié, jusqu’à ce que, s’élevant au-dessus de tous vos dons et de toute créature, il se repose uniquement en vous.

3. Tendre époux de mon âme, pur objet de son amour, ô mon Jésus, Roi de toutes les créatures, qui me délivrera de mes liens, qui me donnera des ailes[1] pour voler vers vous et me reposer en vous !

Oh ! quand serai-je assez dégagé de la terre pour voir, Seigneur mon Dieu, et pour goûter combien vous êtes doux[2].

Quand serai-je tellement absorbé en vous, tellement pénétré de votre amour, que je ne me sente plus moi-même, et que je ne vive plus que de vous, dans cette union ineffable et au-dessus des sens, que tous ne connaissent pas !

Mais maintenant, je ne sais que gémir, et je porte avec douleur ma misère.

Car, en cette vallée de larmes, il se rencontre bien des maux qui me troublent, m’affligent, et couvrent mon âme comme d’un nuage. Souvent ils me fatiguent et me retardent : ils s’emparent de moi ; ils m’arrêtent, et, m’ôtant près de vous un libre accès, ils me privent de ces délicieux embrassements dont jouissent toujours et sans obstacle les célestes esprits.

Soyez touché de mes soupirs et de ma désolation sur la terre !

4. Ô Jésus ! splendeur de l’éternelle gloire[3], consolateur de l’âme exilée ! ma bouche est muette devant vous, et mon silence vous parle.

Jusqu’à quand mon Seigneur tardera-t-il de venir ?

Qu’il vienne à ce pauvre qui est à lui, et qu’il lui rende la joie. Qu’il étende la main pour relever un malheureux plongé dans l’angoisse.

Venez, venez : car sans vous, tous les jours, toutes les heures s’écoulent dans la tristesse, parce que vous êtes seul ma joie et que vous pouvez seul remplir le vide de mon cœur.

Je suis oppressé de misère, et comme un prisonnier chargé de fers, jusqu’à ce que, me ranimant par la lumière de votre présence, vous me rendiez la liberté, et jetiez sur moi un regard d’amour.

5. Que d’autres cherchent, au lieu de vous, tout ce qu’ils voudront ; pour moi, rien ne me plaît, ni ne me plaira jamais, que vous, ô mon Dieu, mon espérance, mon salut éternel !

Je ne me tairai point, je ne cesserai point de prier jusqu’à ce que votre grâce revienne, et que vous me parliez intérieurement.

6. J.-C. Me voici : je viens à vous, parce que vous m’avez invoqué. Vos larmes et le désir de votre âme, le brisement de votre cœur humilié, m’ont fléchi et ramené à vous.

7. Le F. Et j’ai dit : Seigneur, je vous ai appelé, et j’ai désiré jouir de vous, prêt à rejeter pour vous tout le reste.

Et c’est vous qui m’avez excité le premier à vous chercher.

Soyez donc béni, Seigneur, d’avoir usé de cette bonté envers votre serviteur, selon votre infinie miséricorde.

Que peut-il vous dire encore ? et que lui reste-t-il qu’à s’humilier profondément en votre présence, plein du souvenir de son néant et de son iniquité ?

Car il n’est rien de semblable à vous dans tout ce que le ciel et la terre renferment de plus merveilleux. Vos œuvres sont parfaites, vos jugements véritables, et l’univers est régi par votre providence[4].

Louange donc et gloire à vous, ô Sagesse du Père ! Que mon âme, que ma bouche, que toutes les créatures ensemble vous louent et vous bénissent à jamais !

RÉFLEXION.

À mesure que l’âme fidèle se dégage de la terre et d’elle-même, toutes ses pensées, tous ses désirs s’élèvent et viennent se confondre en celui qu’elle aime uniquement. Alors elle gémit des liens qui l’appesantissent et la retiennent encore ici— bas. Pressée d’un amour qui croît sans cesse, elle voudrait briser son enveloppe mortelle, et s’élancer dans le sein de l’Être infini auquel elle aspire, et s’y plonger, et s’y perdre éternellement. Qui me donnera des ailes comme à la colombe, et je volerai et je me reposerai ! [5] Nul repos en effet pour elle, jusqu’à ce qu’elle soit pleinement unie à l’objet de ses ardeurs, jusqu’à ce qu’elle puisse dire dans les transports, dans l’ivresse divine de sa joie, dans la jouissance, la possession à jamais immuable du céleste Époux : Mon bien aimé est à moi, et je suis à lui[6]. Oh ! quand luira cet heureux jour, jour de la délivrance et de l’allégresse sans fin ? Quand cessera le temps de l’exil, le temps de l’espérance et des larmes ? Quand verrons-nous décliner les ombres qui dérobent à nos regards le bien-aimé ? Comme le cerf altéré désire l’eau des fontaines, ainsi mon âme vous désire, ô mon Dieu ! Mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant : oh ! quand viendrai-je et paraîtrai-je en présence de mon Dieu ? [7]

  1. Ps. liv, 7.
  2. Ps. xxxiii, 9.
  3. Heb. i, 3.
  4. Ps. xviii, 10 ; Sap. xiv, 3.
  5. Ps. liv, 7.
  6. Cant. ii, 16.
  7. Ps. xli, 2. 3.