L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre premier/14

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 57-58).


CHAPITRE XIV.

ÉVITER LES JUGEMENTS TÉMÉRAIRES, ET NE SE POINT RECHERCHER SOI-MÊME.

1. Tournez les yeux sur vous-même, et gardez-vous de juger les actions des autres.

En jugeant les autres, l’homme se fatigue vainement : il se trompe le plus souvent, et commet beaucoup de fautes ; mais en s’examinant et se jugeant lui-même, il travaille toujours avec fruit.

D’ordinaire nous jugeons des choses selon l’inclination de notre cœur, car l’amour-propre altère aisément en nous la droiture du jugement.

Si nous n’avions jamais en vue que Dieu seul, nous se rions moins troublés quand on résiste à notre sentiment.

2. Mais souvent il y a quelque chose hors de nous, ou de caché en nous, qui nous entraîne.

Plusieurs se recherchent secrètement eux-mêmes dans ce qu’ils font, et ils l’ignorent.

Ils semblent affermis dans la paix, lorsque tout va selon leurs désirs ; mais éprouvent-ils des contradictions, aussitôt ils s’émeuvent, et tombent dans la tristesse.

La diversité des opinions produit souvent des dissensions entre les amis, entre les citoyens, et même entre les religieux et les personnes dévotes.

3. On quitte difficilement une vieille habitude ; et nul ne se laisse volontiers conduire au delà de ce qu’il voit.

Si vous vous appuyez sur votre esprit et sur votre pénétration, plus que sur la soumission dont Jésus-Christ nous a donné l’exemple, vous serez très peu et très tard éclairé dans la vie spirituelle : car Dieu veut que nous lui soyons parfaitement soumis, et que nous nous élevions au-dessus de toute raison par un ardent amour.

RÉFLEXION.

Il y a en nous une secrète malice qui se complaît à découvrir les imperfections de nos frères : et voilà pourquoi nous sommes si prompts à les juger, oubliant qu’à Dieu seul appartient le jugement des cœurs. Au lieu de scruter si curieusement la conscience d’autrui, descendons dans la nôtre ; nous y trouverons assez de motifs d’être indulgents envers le prochain et de troubles pour nous-mêmes. Vous n’êtes chargé que de vous, vous ne répondrez que de vous ; Ne jugez donc point, afin que vous ne soyez point jugés[1].

  1. Matth. vi, 2.