L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre premier/09

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 47-48).


CHAPITRE IX.

DE L’OBÉISSANCE ET DU RENONCEMENT A SON PROPRE SENS.

1. C’est quelque chose de bien grand que de vivre sous un supérieur, dans l’obéissance, et de ne pas dépendre de soi-même.

Il est beaucoup plus sûr d’obéir que de commander.

Quelques-uns obéissent plutôt par nécessité que par amour ; et ceux-là, toujours souffrants sont portés au murmure. Jamais ils ne posséderont la liberté d’esprit, à moins qu’ils ne se soumettent de tout leur cœur, à cause de Dieu.

Allez où vous voudrez, vous ne trouverez de repos que dans une humble soumission à la conduite d’un supérieur. Plusieurs, s’imaginant qu’ils seraient meilleurs en d’autres lieux, ont été trompés par cette idée de changement.

2. Il est vrai que chacun aime à suivre son propre sens, et a plus d’inclination pour ceux qui pensent comme lui.

Mais si Dieu est au milieu de nous, il est quelquefois nécessaire de renoncer à notre sentiment pour le bien de la paix.

Quel est l’homme si éclairé, qu’il sache tout parfaitement ?

Ne vous fiez donc pas trop à votre sentiment ; mais écoutez aussi volontiers celui des autres.

Si votre sentiment est bon, et qu’à cause de Dieu vous l’abandonniez pour en suivre un autre, vous en retirerez plus d’avantage.

3. J’ai souvent ouï dire qu’il est plus sûr d’écouter et de recevoir un conseil, que de le donner.

Car il arriver que le sentiment de chacun soit bon : mais ne vouloir pas céder aux autres, lorsque l’occasion ou la raison le demande, c’est la marque d’un esprit su perbe et opiniâtre.

RÉFLEXION.

Le Christ s’est rendu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix[1]. Qui oserait après cela refuser d’obéir ? Nul ordre dans le monde, nulle vie que par l’obéissance : elle est le lien des hommes entre eux et avec leur auteur, le fondement de la paix et le principe de l’harmonie universelle. La famille, la cité, l’Église ou la grande société des intelligences, ne subsistent que par elle, et la perfection la plus haute n’est, pour les créatures, qu’une plus parfaite obéissance, elle seule nous garantit de l’erreur et du péché. Qu’est-ce que l’erreur ? la pensée d’un esprit faillible, qui ne reconnaît point de maître et n’obéit qu’à soi. Qu’est-ce que le péché ? l’acte d’une volonté corrompue, qui ne reconnaît point de maître et n’obéit qu’à soi. Mais à qui devrons-nous obéir ? à un homme comme nous ? Non, non, l’homme n’a sur l’homme aucun légitime empire ; son pouvoir n’est que la force, et quand il commande en son propre nom, il usurpe insolemment un droit qui ne lui appartient en aucune manière. Dieu est l’unique monarque, et toute autorité légitime est un écoulement, une participation de sa puissance éternelle, infinie. Ainsi, comme l’enseigne l’Apôtre, le pouvoir vient de Dieu[2], et il est soumis à une règle divine, aussi bien dans l’ordre temporel que dans l’ordre religieux ; de sorte qu’en obéissant au pontife, au prince, au père, à quiconque est réellement le ministre de Dieu pour le bien[3], c’est à Dieu seul qu’on obéit. Heureux celui qui comprend cette céleste doctrine : délivré de la servitude de l’erreur et des passions, de la servitude de l’homme, il jouit de la vraie liberté des enfants de Dieu[4].

  1. Philipp. ii, 8.
  2. Rom. xiii, 1.
  3. Rom. xiii, 4.
  4. Rom. viii, 21.