L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre premier/07

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 44-46).


CHAPITRE VII.

QU’IL FAUT FUIR L’ORGUEIL ET LES VAINES ESPÉRANCES.

1. Insensé celui qui met son espérance dans les hommes ou dans quelque créature que ce soit.

N’ayez point de honte de servir les autres, et de paraître pauvre en ce monde, pour l’amour de Jésus-Christ. Ne vous appuyez point sur vous-même, et ne vous reposez que sur Dieu seul.

Faites ce qui est en vous, et Dieu secondera votre bonne volonté.

Ne vous confiez point en votre science, ni dans l’habileté d’aucune créature ; mais plutôt dans la grâce de Dieu, qui aide les humbles et qui humilie les présomptueux.

2. Ne vous glorifiez point dans les richesses, si vous en avez, ni dans vos amis parce qu’ils sont puissants, mais en Dieu, qui donne tout, et qui, par-dessus tout, désire encore se donner lui-même.

Ne vous élevez point à cause de la force ou de la beauté de votre corps, qu’une légère infirmité abat et flétrit.

N’ayez point de complaisance en vous-même à cause de votre esprit ou de votre habileté, de peur de déplaire à Dieu, de qui vient tout ce que vous avez reçu de bon de la nature.

3. Ne vous estimez pas meilleur que les autres, de crainte que peut-être vous ne soyez pire aux yeux de Dieu, qui sait ce qu’il y a dans l’homme.

Ne vous enorgueillissez pas de vos bonnes œuvres, car les jugements de Dieu sont autres que ceux des hommes, et ce qui plaît aux hommes, souvent lui déplaît.

S’il y a quelque bien en vous, croyez qu’il y en a plus dans les autres, afin de conserver l’humilité.

Vous ne hasardez rien à vous mettre au-dessous de tous : mais il vous serait très nuisible de vous préférer à un seul.

L’homme humble jouit d’une paix inaltérable ; la colère et l’envie troublent le cœur du superbe.

RÉFLEXION.

En considérant la faiblesse de l’homme, la fragilité de sa vie, les souffrances dont il est assailli de toutes parts, les ténèbres de sa raison, les incertitudes de sa volonté inclinée au mal dès l’enfance[1], on s’étonne qu’un seul mouvement d’orgueil puisse s’élever dans une créature si misérable ; et cependant l’orgueil est le fond même de notre nature dégradée. Selon la pensée d’un Père, il nous sépare de la sagesse ; il fait que nous voulons être nous-mêmes notre bien, comme Dieu lui-même est son bien[2] : tant il y a de folie dans le crime ! C’est alors que l’homme se recherche et s’admire dans tout ce qui le distingue des autres et l’agrandit à ses propres yeux, dans les avantages du corps, de l’esprit, de la naissance, de la fortune, de la grâce même, abusant ainsi à la fois des dons du Rédempteur. Oh ! que ce désordre est effrayant et combien nous devons trembler lorsque nous découvrons en nous un sentiment de vaine complaisance, ou qu’il nous arrive de nous préférer à l’un de nos frères ! Rappelons-nous souvent le pharisien de l’Évangile, sa fausse piété, si contente d’elle-même et si coupable devant Dieu, son mépris pour le publicain qui s’en alla justifié à cause de l’humble aveu de sa misère, et disons au fond du cœur avec celui-ci : Mon Dieu, ayez pitié de moi pauvre pécheur[3] !

  1. Gen. viii, 21.
  2. S. Aug., de Lib. Arbitr., lib. iii, cap. xxiv.
  3. Luc. xviii 13.