L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre deuxième/08

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 106-108).


CHAPITRE VIII.

DE LA FAMILIARITÉ QUE L’AMOUR ÉTABLIT ENTRE JÉSUS ET L’AME FIDÈLE.

1. Quand Jésus est présent, tout est doux et rien ne semble difficile ; mais quand Jésus se retire, tout fatigue.

Quand Jésus ne parle pas au dedans, nulle consolation n’a de prix ; mais si Jésus dit une seule parole, on est merveilleusement consolé.

Marie Madeleine ne se leva-t-elle pas aussitôt du lieu où elle pleurait, lorsque Marthe lui dit : Le Maître est là, et il vous appelle[1].

Heureux moment, où Jésus appelle des larmes à la joie de l’esprit !

Combien, sans Jésus, n’êtes-vous pas aride et insensible ! Et quelle vanité, quelle folie, si vous désirez autre chose que Jésus-Christ ! Ne serait-ce pas une plus grande perte que si vous aviez perdu le monde entier ?

2. Que peut vous donner le monde sans Jésus ?

Être sans Jésus, c’est un insupportable enfer ; être avec Jésus, c’est un paradis de délices.

Si Jésus est avec vous, nul ennemi ne pourra vous nuire. Qui trouve Jésus, trouve un trésor immense, ou plutôt un bien au-dessus de tout bien.

Qui perd Jésus, perd plus et beaucoup plus que s’il perdait le monde entier.

Vivre sans Jésus, c’est le comble de l’indigence ; être uni à Jésus, c’est posséder des richesses infinies.

3. C’est un grand art que de savoir converser avec Jésus ; et une grande prudence que de savoir le retenir près de soi.

Soyez humble et pacifique, et Jésus sera avec vous.

Que votre vie soit pieuse et calme, et Jésus demeurera près de vous.

Vous éloignerez bientôt Jésus, et vous perdrez sa grâce, si vous voulez vous répandre au dehors.

Et si vous l’éloignez et perdez, qui sera votre refuge, et quel autre ami chercherez-vous ?

Vous ne sauriez vivre heureux sans ami, et si Jésus n’est pas pour vous un ami au-dessus de tous les autres, n’attendez que tristesse et désolation.

Qu’insensés vous êtes, si vous mettez en quelque autre votre confiance ou votre joie !

Il vaudrait mieux avoir le monde entier contre vous, que d’être dans la disgrâce de Jésus.

Qu’il vous soit donc plus cher que tout ce qui vous est cher.

4. Aimez tous les autres pour Jésus, et Jésus pour lui-même.

Lui seul doit être aimé uniquement, parce qu’il est le seul ami bon, fidèle, entre tous les amis.

Aimez en lui et à cause de lui vos amis et vos ennemis, et priez-le pour tous, afin que tous le connaissent et l’aiment.

Ne souhaitez jamais d’obtenir aucune préférence dans l’estime ou l’amour des hommes : car cela n’appartient qu’à Dieu, qui n’a point d’égal.

Ne désirez point que quelqu’un s’occupe de vous dans son cœur, et ne soyez vous-même préoccupé de l’amour de personne ; mais que Jésus soit en vous et en tout homme de bien.

5. Soyez pur et libre au dedans, sans aucune attache à la créature.

Il vous faut être dépouillé de tout, être libre, et goûter combien le Seigneur est doux.

Et certes, jamais vous n’y parviendrez, si sa grâce ne vous prévient et ne vous attire ; de sorte qu’ayant exclu et banni tout le reste, vous soyez seul uni à lui seul.

Car, lorsque la grâce de Dieu visite l’homme, alors il est pauvre et infirme, et ne semble réservé qu’aux châtiments

En cet état même, il ne doit ni se laisser abattre ni désespérer ; mais il doit se soumettre avec calme à la volonté de Dieu, et souffrir, pour l’amour de Jésus-Christ, tout ce qui lui arrive : car l’été succède à l’hiver, après la nuit revient le jour, et après la tempête une grande sérénité.

RÉFLEXION.

L’amour a fait descendre le Fils de Dieu sur la terre ; l’amour élève jusqu’à lui. Alors il s’établit entre notre âme et Jésus comme une union ravissante ; alors s’accomplit cette promesse : je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous[2]. Venez donc, ô mon Jésus, venez briser les derniers liens qui m’attachent aux créatures et retardent l’heureux moment où je ne vivrai plus que pour vous. Faites que, m’oubliant moi-même, je ne voie, je ne désire que vous seul, et me repose sur votre sein comme le disciple bien-aimé, dans cente paix délicieuse que le monde ne donne pas[3], qu’il ne peut même comprendre, mais aussi que ses orages ne sauraient troubler.

  1. Joann. xi, 28.
  2. Joann. xiv, 18.
  3. Joann. xiv, 7.